Zadion était seul. Caché dans un arbre il observait paisiblement la lune ronde. Le temps était venu pour lui de passer à la véritable épreuve car cet examen ne signifiait rien pour lui. Il était encore très jeune lorsqu’il avait apprit à survivre seul. Ce rite lui permettait seulement d’accéder à cette carte, puissante relique du passé. Dans son royaume, sa famille avait pu glaner et garder secrètes des informations du feu Roi Noir. L’une d’elles disait que lorsque le sombre monarque était apparut dans le monde, il cherchait à tout prix à s’entourer des meilleurs sorciers. Passé maître dans l’art de la manipulation et grâce à son charisme, il séduisait tous les jeunes magiciens ambitieux. Ainsi il créa la carte de « La quête sombre ». Si elle semblait ordinaire, elle donnait la possibilité, en réalité, de prendre contact avec le Roi des Ténèbres. Ainsi les recrues du sombre sorcier trouvaient là le moyen de communiquer avec lui. Cette carte existait en plusieurs exemplaires et l’une d’elles était dissimulée à l’académie depuis des lustres. Un sort la révélait aux apprentis intéressés, mais elle restait cachée pour les autres. Ces derniers la voyaient comme une simple carte. Un double ensorcellement était contenu dans cette carte.
L’ambitieux Zadion voulait plus de magie et il lui fallait absolument connaître de nouveaux sorts. Le Mage noir avait fait ses preuves et il était craint de tous, c’est pourquoi le génie n’hésita pas. Le moment venu, il devrait obtenir le pouvoir de “La quête sombre”, quitter l’académie et rompre tout lien d’amitié.
Sans plus attendre, il descendit de son arbre et invoqua le pouvoir de la carte. Mais rien ne se passa; il plissa les yeux. Le sort avait-il expiré ? Puis il constata une différence, avant de frotter son pouce avec son index. Il tenait à présent trois cartes entre ses doigts.
Si la première ne changea pas d’apparence, les deux nouvelles cartes ne présageaient rien de bon : la première était appelée « La main droite du Roi Noir », description : « Le Roi Noir est droitier, cette carte est donc la plus puissante des deux, occis ses mains pour qu’il reconnaisse ta valeur ».
La deuxième carte : « La main gauche du Roi Noir, la moins puissante des deux ». Il n’y avait plus de temps à perdre, il avait longtemps cherché le moyen de toucher du doigt tout cette puissance. Il était maintenant impatient.
Il activa ainsi « La main gauche » en récitant une incantation. Une puissance terrifiante s’en dégagea. Une étrange fumée noire en sortit pour prendre l’apparence d’une gigantesque main crochue en métal sombre, gant d’une armure démoniaque mécanique. L’araignée géante se déplaça avec un bruit métallique et d’un mouvement violent, l’index pointu de la sinistre main attaquait Zadion tel un dard. L’apprenti esquivait à reculons. Il ressentait une peur comme il n’en avait jamais connue. À plusieurs reprises, l’immonde créature, de son index pointu, essaya de frapper la tête de l’élève qui sentait son adrénaline monter. L’apprenti était arrivé à portée de sa lance. Elle l’attendait et il s’en réjouit. Il la saisit sans plus attendre et lorsque le dard essaya derechef de le transpercer, Zadion, dont le taux d’adrénaline était à son paroxysme, plongea sous la paume de la main béante. Puis il enfonça sa lance en plein milieu de celle-ci. Le monstre mécanique tituba et émit un cri affreusement strident. Il fuyait. On entendit ensuite un cliquetis étrange comme un engrenage coincé et la créature s’effondra, inerte. L’apprenti était à bout de souffle et il ne s’agissait là que de la main gauche. La deuxième risquait vraiment de le tuer. Mais il n’était pas venu pour s’amuser. Il était préparé à mourir depuis des lunes pour sa cause. Le garçon prépara alors le terrain pendant de longues heures avant d’invoquer la main droite. Elle apparut de la même manière, dans un cri effroyablement strident et l’étrange fumée noire reprit la forme d’un gant sombre et tranchant. La symétrie de l’invocation précédente commença sans tarder sa course poursuite. Pour la battre, le jeune chevalier servit d’appât et l’attira dans un piège pour la faire basculer dans une crevasse qu’il avait pris le soin de creuser. Cette fois Zadion semblait mieux maîtriser la situation. Une fois la bête tombée, il lança sur elle toutes les lances taillées. Prit de folie, il ramassa, terrifié, un énorme rocher pour l’écraser sur l’horreur qui gisait inerte dans le trou. Un liquide huileux, verdâtre et fluorescent giclait. Sa colère s’atténua à cette vue.
Zadion avait réussit à battre les deux araignées géantes du Sorcier et il était satisfait d’avoir survécu. Il ressortit ses cartes, essoufflé mais aussi soulagé, pour voir le résultat de l’épreuve. Mais son attention fut portée par les insectes gisants qui subissait une nouvelle transformation. Les deux arachnéens avaient repris leur forme originelle. Là ou elles gisaient inertes, elles redevinrent de la matière noire. Elle s’approchait du jeune surdoué qui n’arrivait plus à maîtriser sa peur. Zadion contemplait la scène, pétrifié et impuissant. Puis l’émanation fut comme aspirée par la carte initiale. Zadion écarquilla les yeux lorsqu’il vit le changement qui résulta sur la carte. Le sorcier ténébreux s’y dessinait. Enveloppé dans une cape noire, une capuche cachait l’ombre d’un visage. Les deux bras de son armure faisaient un signe de croix sur sa puissante poitrine d’acier. Le sorcier s’anima et à cet instant Zadion faillit lâcher la carte de peur. Il tremblait. Ce Sorcier d’antan était un artiste, il soignait ses entrées. Grâce à sa mise en scène, il installait facilement la terreur dans le cœur des autres.
Une voix grave et inhumaine sortit de la carte.
– Ô puissant Mage, toi qui a voulu pourparler avec le Roi voyageur et destructeur de mondes, il t’appartient à présent de faire l’ultime choix.
– Un choix ? Quel choix ? répondit l’apprenti.
– Choisis l’Avatar du Sorcier et tu devras le vaincre dans un dernier duel.
La terreur de Zadion fit place à la lucidité. Le Sorcier aimait les duels et il était connu comme le Maître de la manipulation et de la tromperie. Cette information allait lui être utile.
– Je saisis, le Roi Noir aime les duels et veut prendre forme ici-même. Dans ce cas mon choix est …, Zadion comprit qu’il avait pensé trop vit, il ne termina pas sa phrase et resta bouche bée.
Mais le Sorcier ne répondit pas et disparut de la carte.
Le jeune garçon entendit alors la terre trembler.
Zadion avait commis une erreur. Il pensait pouvoir berner le Prince de la Nuit mais c’était le contraire. Le choix que Zadion allait soumettre était l’animal qu’il avait pu chasser facilement dans cette forêt : le cochon sauvage. Mais c’était sans compter que l’Enchanteur Ténébreux prendrait la liberté de l’invoquer à sa guise. Et penser à son choix était suffisant pour le valider.
La terre tremblait de plus en plus et une ombre gigantesque sortit de la forêt de pins en défonçant les arbres qui tombaient sur le chemin de l’abomination qui avançait. Une pluie étrange avait commencé à tomber soudainement et le tonnerre grondait à cause de la libération de ce sinistre et puissant pouvoir. Le monstre géant apparaissait à la lumière des éclairs, une énorme créature mi-homme mi-sanglier se tenait debout et s’approchait du disciple. Les jambes du monstre se terminaient par d’énormes sabots. La gueule béante, le monstre poussait des cris inhumains. La colossale tête de sanglier possédait une crinière rousse et d’énormes défenses menaçantes sortaient de sa gueule.
Zadion crut sa dernière heure arriver. Ses jambes tremblèrent et il regretta d’avoir permit au Sorcier de prendre forme. Sans le savoir, il avait peut-être libéré le fléau. Cette carte était manifestement trop dangereuse pour qu’on la laissât à portée des apprentis magiciens. Neil avait raison de le mettre en garde. Zadion, sans ses vrais pouvoirs, prit la fuite avec le monstre à ses trousses. Il s’enfonça dans la forêt en essayant de semer la terreur. Mais le monstre gagnait du terrain trop rapidement et il se tenait au dessus de lui. Ses yeux rouges démoniaques brillaient, puis l’Avatar du Sorcier poussa un ultime cri pour marquer sa victoire, avant d’embrocher sa proie. Un miracle se produit à cet instant : un impact si violent qu’il fit trébucher le géant. Zadion comprit qu’on était venu à sa rescousse. Bralvus Bapus le concierge, atterrit de l’élan qui lui avait permit de porter un coup de poing enchanté. Sa puissance était amplifiée par le pouvoir de la transe, puissant sort qui augmentait la vitesse et la puissance d’un magicien. Le Maître avait frappé sous la gueule du sanglier. Ses bras musclés gonflés à bloc, martelaient le monstre à une vitesse quasi invisible. Le vieux se déplaçait à une très grande vitesse et sa force était phénoménale. C’était paradoxal et impressionnant. L’immonde créature finit par s’effondrer dans un énorme fracas. Mais elle n’en resterait pas là.
– Maître Bapus, j’ai besoin de mes pouvoirs !
– Si je te les rends tu seras disqualifié mais vu la gravité de la situation je te le recommande jeune sot. Ils attendaient que le monstre se relève. Qu’as-tu donc fait pauvre fou ?
–J’ai invoqué le Mage sans nom, et je suis en mesure de le battre mais j’ai besoin de mes pouvoirs pour cela.
Bapus écarquilla les yeux.
– Tu ne sais donc pas ce que tu as fait !
Bapus récita une incantation et Zadion retrouva ses pouvoirs scellés par la barrière qui enchantait la forêt. Ce dôme magique avait été installé par les organisateurs du Rite sacré. Grâce à un sortilège. Bapus venait de le lever pour Zadion. Les administrateurs de l’examen en avaient le pouvoir, en cas d’urgence.
Le mastodonte se remit debout et prit Zadion pour cible dans un bruit assourdissant, il écrasa son énorme poing sur le disciple. Le pis était arrivé. Le jeune apprenti ne pouvait sortir vivant de cette violence.
Mais le jeune apprenti plein de ressources avait évité ce coup pour arriver discrètement derrière le monstre. Il utilisait lui aussi la transe. Dans sa course, il avait saisit une des lances et il trancha la cheville de l’abominable sanglier qui émit un cri de douleur. Il en sortit la même substance verdâtre et répugnante que celles des araignées. Le sang éclaboussa le sol et forma une flaque.
– Par ma barbe, ce gamin est aussi habile qu’un elfe.
Bapus était impressionné par le surdoué qui maîtrisait à merveille la transe. Sa lance était parfaitement taillée. La posture qu’il utilisait pour attaquer était du même acabit que celles des meilleurs gladiateurs. L’élève disparut de nouveau grâce à sa force véloce et il réapparaissait furtivement le temps de toucher le géant. L’Avatar subissait une tornade de lances invisibles qui l’avaient déséquilibré. Il s’effondra. L’apprenti enfonça enfin son arme dans la gorge de la créature pour l’achever. Le sang luisant coula de plus belle de la bouche de la créature qui toussait.
Zadion, impassible, malgré la gravité de la situation, lança une plaisanterie qui fit écarquiller les yeux de Bapus.
– Celui-là pourra nourrir tous les enfants perdus jusqu’à la fin de l’épreuve. Ceci est ma redevance pour Neil et l’école, dites-le lui, il comprendra.
L’élève modèle avait passé avec succès l’épreuve contre l’Avatar du Sorcier, mais venait d’échouer au Rite.

*

Extraits de livres académiques

Au temps où les dragons dominaient Noirpic, la forteresse du Roi noir n’existait pas encore et Le Sorcier était encore jeune. Avec bravoure, il escalada le pic pour aller à la rencontre du Roi des lézards volants. Ce dernier intrigué qu’un humain soit arrivé aussi haut sur la montagne, lui laissa la vie sauve. Et alors Le Sorcier lui dit.
– Ô Roi des dragons, dis-moi ce qui te donne l’honneur de porter ton titre ?
– Je suis le plus puissant des dragons. J’ai été couronné après une joute qui détermine qui maîtrise le mieux le secret de la flamme de Noirpic. Et toi audacieux petit homme, n’as-tu point peur de mourir ? Je pourrai bien t’avaler par inadvertance, rien qu’en respirant.
– Non je ne te crains pas. Es-tu le détenteur du feu secret des dragons ?
Le dragon réfléchit.
– Hmmm et bien on peut le dire. Plus que tous les autres, je détiens sa puissance. Mais sois tu es stupide, soit très brave de me causer ainsi.
– Tu te proclames donc Roi des dragons car tu craches le feu à l’infini ?
– Et bien oui petit homme, ta définition semble correcte. Mon souffle est endurant, ma flamme est ardente.
– Dans ce cas permet moi de te dire que ta couronne n’est pas légitime.
– Que dis-tu ?
– Je peux te le prouver, mais à une condition.
– Parle, je t’écoute.
– Si je réussis à te démontrer que c’est moi qui détiens le secret du pouvoir de la flamme de Noirpic, tu entreras à mon service et me donnera en cadeau cette montagne.
– HAAA HAAA ! Tu es un drôle, aucun Mage, aucun sorcier ne peut combattre un dragon par le feu.
– Au sommet de Noirpic nous nous affronterons. Nous verrons.
Le jeune Roi Noir connaissait les montages et la géologie. Il savait qu’une éruption volcanique arriverait sous peu, elle augmenterait ainsi la portée de son sortilège. Le jour du défi, il récita une incantation et un dragon de magma explosa la bouche du volcan pour en sortir en volant. Le premier Avatar du jeune sorcier était déjà plus imposant que le Roi des dragons lui-même. Ce dernier retroussa ses babines fou de colère.
– Sorcellerie ! Je ne sais pas comment tu as fait mais ce n’est pas acceptable. Notre arrangement ne tient plus.
– Tu as déjà choisi dragon et je t’ai jeté un sort pour que tu ne puisses y déroger. Ma main entoure ton cœur à présent, le jour où tu iras contre ta promesse, La Main Noir l’écrasera et tu suffoqueras avant de mourir.
Le dragon sentit son cœur s’enfermer dans un étau. Il devint aussitôt l’esclave du jeune magicien. Peu de temps après, au sommet de Noirpic serait bâtie la forteresse du Roi Sombre.

*

Les cadavres s’amoncelaient. On ne se donnait même plus la peine de les enterrer. Ils finissaient à l’extérieur du village sur lequel s’abattait un terrible fléau. Des charrettes venaient régulièrement jeter les trépassés et la montagne de morts qui poussait faisait le bonheur des corbeaux. Les défunts étaient étrangement plus pâles que la normale. Pour la plupart, ils n’avaient ni yeux ni lèvres à cause des charognards qui avaient envahis le village. La scène macabre avait de quoi faire vomir tout voyageur.
Une épidémie avait ravagé toute la contrée et les survivants fuyaient. Aucun passant n’osait s’aventurer dans ce patelin maudit ou même s’en approcher.
Un tel taux de mortalité n’était pas naturel. Toute la famille d’Emyse y était passée. Ça commençait par une toux de sang. Le malade mourrait ensuite dans d’atroces souffrances. A la fin de sa vie, la victime ressemblait davantage à un mort-vivant. Emyse avait assisté au voyage de ses proches vers l’au-delà. Ils avaient vieillis à vue d’œil avant de faire le grand saut.
De jeunes orphelins, comme elle, finirent par quitter le village devenu désert. Mais beaucoup d’entre eux ne purent survivre longtemps sans parents.
Emyse était à l’époque impuissante, très jeune et seule. Son seul compagnon, resté fidèle jusqu’à la fin, était cette petite poupée cousue main. L’orpheline avait sept ans et elle ne comprenait pas encore la nature de ce mal. Ainsi elle perdit le goût pour la parole. Parler ou pleurer ne signifiait rien, aucun miracle ne pouvait ramener sa famille.
Pourquoi personne ne pouvait-il combattre ce fléau ? Telle était la question qui lui trottait dans la tête indéfiniement. Pour arriver à mieux le comprendre, elle lui donna une image. Un homme encapuchonné, enveloppé d’une cape noire, avait un jour traversé son village sur une énorme monture. Elle entraperçut son visage. L’homme avait une peau sombre, des cheveux roux et un collier de barbe de la même couleur. Cette épidémie était arrivée après son passage. Emyse n’avait jamais pu comprendre l’objet de sa visite, mais elle avait senti que ce dernier avait quitté le village insatisfait. Ce fléau avait donc peut-être un lien avec ce cavalier noir. Et donc, si une maladie pouvait être engendrée par un homme, elle pouvait certainement être éradiquée par un autre. Quelques années plus tard, survivante du fléau et hébergé dans un orphelinat, Emyse déambulait dans la cité en compagnie d’autres orphelins. Elle tomba sur un parchemin faisant l’éloge d’une école tenue par des Enchanteurs où on enseignait l’art de la guérison par la magie. Sa décision était prise, elle deviendrait une Prêtresse.

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