« Voilà Mona, vous savez tout. Tout de la véritable histoire de Carmilla. C’est sous ce nom que la plupart d’entre vous me connaissent, un nom cousu de mensonges, mais finalement j’aime ce paronyme. Je suis devenue Carmilla le jour de la naissance de l’enfant de Laura, sa Carmilla et celle de personne d’autre.
Conformément à ses vœux, je ne me suis pas vengé des affronts de son père. Je l’ai laissé dépérir, rongé par l’alcool et la solitude, dans son schloss abandonné avant de le regarder s’éteindre douloureusement un soir d’hiver. Cyrhose probablement… Il eut le temps de faire publier son œuvre, comme vous le savez. L’homme avait perdu toute crédibilité dans la bonne société autrichienne. Toutefois, il parvint à convaincre une vague connaissance de publier le texte sous son nom, acceptant, en contrepartie, que l’écrivain construise une intrigue, nourrisse un style que le Capitaine ne possédait pas sans pour autant s’éloigner de « l’histoire » originale. Un succès autant qu’un scandale auquel le brave auteur ne s’attendait pas. Je ne vous fais pas l’injure de vous communiquer son nom.
Paris ? Ah oui, j’y suis retournée. J’y ai retrouvé ma mère. Surprise ? Elle ne l’a pas été une seule seconde, elle seule savait ce que j’étais bien avant que moi je le sache. À ses côtés, j’ai accompli les volontés de Laura. Elle n’eut qu’un autre enfant, mais un enfant sain que j’ai nourri du mieux que j’ai pu lors des premiers instants de sa vie. Je lui ai raconté ce qu’était devenu mon père, comment il vivait. Elle n’a pas formulé le souhait de le revoir, mais je le soupçonne tout de même d’avoir retrouvé sa trace. Peut-être ont-ils passé quelques nuits ensemble, ressassant leur amour contre nature, je n’en sais rien. Le sang ne sait pas tout. Mais, en effet, j’espère que tel fut le cas.
Non, elle n’a jamais été heureuse dans son mariage, mais j’ose espérer que cet enfant a adouci les années qui lui restaient sur cette terre. Après m’être assurée qu’il survivrait, je ne suis jamais revenue la voir. Je suis allée la veiller quand elle est morte et j’ai cru comprendre qu’elle est partie apaisée. Sa fille – car elle eut une fille, ma demi-sœur, donc – eut elle aussi une vie heureuse et comblée. J’ai veillé sur elle, de loin, mais elle s’en est très bien sortie sans mon aide.
Le moins qu’on puisse dire c’est que j’ai su piper l’héritage de Lilith.
Quant à Laura, car je sais que c’est la question qui vous intéresse, je ne l’ai jamais revue. Plusieurs fois je suis restée cachée pour observer ce qu’était devenue sa vie. Elle eut de nombreux enfants, tous en parfaite santé. Pour être parfaitement honnête, j’ai longtemps espéré que son couple batte de l’aile. Qu’elle se lasse, qu’il la délaisse pour une femme plus jeune alors que moi je saurais aimer Laura malgré les affres du temps. Ils s’aimèrent toute leur vie, jusqu’à ce que la mort les sépare, conformément aux vœux qu’ils avaient tous deux formés.
Je ne souhaite pas revenir sur l’effet qu’eut la disparation de Laura sur ma vie ni sur la lutte que j’ai dû mener pour l’empêcher. Cela ne participe pas à mon histoire.

Aujourd’hui, j’ai vu l’Homme s’arracher à la Terre et marcher sur la Lune, partir à la conquête de nouvelle planète, de satellite inexploré, d’univers inimaginables… Je suis devenue tour à tour artiste, scientifique, artisan, exploratrice, érudit, simple anonyme… J’ai vu le temps se modifier, l’art se transformer, la science révolutionner les frontières du possible… Pourtant, j’ai toujours de quoi tenir la promesse que j’ai faite à Laura. Votre savoir a ses limites, vous avez toujours besoin d’une part de miracle pour assurer la vie. Étonnant n’est-ce pas ? Et pourtant tellement vrai… Me remercier ? Non, vous vous en sortez sans moi ! Fort heureusement !
L’heure est venue pour moi de conclure, je le vois bien. Je n’ai jamais été douée pour achever les choses.
Je ne dirais que ceci : aucun démon ne peut entacher votre naissance, aussi vieux soit-il, et surtout, ne sous-estimez pas les êtres magiques qui demeurent tapis dans l’ombre.
Ils ne veulent que la vérité.

FIN

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