Je courais dans les bois, mes pas résonnant dans le silence inhabituel de la forêt. Mes poursuivants n’étaient pas loin, je pouvais les entendre. Je devais leur échapper, ma vie était en jeu. Une branche me cingla le visage et me laissa une profonde égratignure sur la joue droite. La douleur était si vive que je dû me mordre l’intérieur de la joue pour ne pas hurler. Je plaquai ma paume sur la plaie et reprit ma course de plus belle. Je trébuchai sur une pierre, et ne pus me relever. C’en était fini ; s’ils me trouvaient ici, ils n’auraient aucune pitié, et me tuerait comme tant d’autres avant moi. La peur me rongeait les entrailles. Allongée sur le mucus froid et humide, j’haletai, pauvre biche blessée. J’allais mourir. Un rire grave s’échappa de mes lèvres, douloureux ; le rire du condamné à mort. De chaudes larmes glissèrent le long de mes joues et se mêlèrent à la boue du chemin.
Et tu retourneras à la terre.
Je levai les yeux au ciel et admirai un pâle reflet lunaire dansant sur le feuillage. Une légère brise secoua les arbres, et l’espace d’un instant, je me perdis dans l’immensité du ciel étoilé.
Il y a pire comme endroit pour mourir.

Des branches craquèrent à ma gauche. Je sentis mon corps se raidir sous la tension. Je tournai légèrement la tête en direction du bruit, et me retrouvai nez-nez avec une paire de baskets. Je fermai les yeux, alors qu’on me soulevait de terre. Je ne voulais pas croiser le regard de mes bourreaux, je n’en n’avais plus la force. Je reniflai et fis de mon mieux pour ne pas craquer devant eux. Je ne leur donnerais pas cette satisfaction. Oh, non, je mourrais dignement, je ne les supplierais pas d’épargner ma vie, je ne leur offrirais pas d’autre spectacle que celui de ma chair en putréfaction. Des mains me saisirent les épaules et me secouèrent vivement.
— T’attends quoi, là ? Cours !
Le savoir à mes côtés raviva la flammèche d’espoir qui menaçait de s’éteindre jusqu’alors. Il glissa sa main dans la mienne, et je lui emboîtai le pas. Il me mena à travers les broussailles avant de s’arrêter brusquement. Il posa son index sur mes lèvres, et je mon cœur s’emballa. Il me fit signe de m’accroupir, et nous attendîmes en silence que nos poursuivants nous dépassent. Ces derniers éloignés, il m’enlaça et murmura au creux de mon oreille :
— Tu n’es pas la proie, Agatha, tu es le chasseur. Ne l’oublie jamais.
Il déposa un baiser sur ma joue avant d’ajouter :
— Maintenant, réveille-toi. 

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