Je suis dans la chambre verte de Kat. Curieusement, je vois chaque détail. Des posters de chevaux et de vedettes de patinage artistique, des tableaux, des petits chats en photo un peu partout, un miroir chargé d’autocollants de toutes les couleurs et un lit couleur vert pomme avec des sapins dessinés dessus. Des confettis jonchent le sol et un énorme gâteau entamé avec des bougies blanches est posé sur une étagère.
On fait un karaoké en compagnie de trois autres filles. Kat chante vraiment bien. Ses lourdes boucles blondes virevoltent autour d’elle et elle respire la joie de vivre.
Une sonnerie retentit.
— Je vais ouvrir ! hurle Kat pour couvrir le son de la musique.
Nous la suivons jusqu’à la porte d’entrée. Une vieille dame apparaît, vêtue d’une longue jupe à fleurs et d’un chemisier assorti. Ses lunettes me font penser à des fonds de bouteilles. Elle tient un casque de motard sous le bras. Paradoxal.
— Non mais vous allez arrêter ce bazar ! crie-t-elle d’une voix apparente à un train qui déraille en brandissant son poing libre comme une arme. On ne peut plus être tranquille chez soi !
— Oui, excusez-nous, madame, répond Kat, essayant en vain de cacher un sourire.
Elle la salue d’un signe de tête et referme la porte. On se regarde, les joues gonflées, se retenant de rire, puis nous explosons. Les yeux embués, le regard fou, on ne s’arrête plus. J’ai mal aux abdominaux mais ce n’est pas grave.
— Hilarant ! s’esclaffe Kat, les yeux rouges.
Sûrement la meilleure fête d’anniversaire que j’ai faite.

Assise au bord d’une fontaine en forme de lion, je lis un livre sans aucune inscription dessus. C’est le seul endroit où je me sente apaisée et sereine. Le coulis de l’eau m’aide à me concentrer. Une grande place pavée m’entoure et le reste est complètement flou. Je ne vois ni maisons, ni appartements. Un garçon s’assoit à côté de moi. C’est Matthieu. Ses cheveux bruns sont lissés en arrière, et quelques mèches tombent sur son front. Je regarde ses yeux chocolat.
— Alors, tu t’amuses bien ? plaisante-t-il.
Je souris.
— Non, je ne comprends rien. Tu peux m’aider ?
Il s’approche et commence à parler. Mais je ne l’entends plus : je suis bien trop occupée à le regarder. J’ai un petit faible pour lui. Et Kat aussi. Alors on a passé un accord : on le considère toutes les deux comme un ami, rien de plus. Mais aujourd’hui, cette règle va être transgressée.

Je me promène sous la pluie battante, un parapluie dans une main et mon portable dans l’autre.
— Mais, Kat, je te promets que ce n’est pas de ma faute !
Les passants doivent me prendre pour une folle. Sauf qu’il n’y a pas de passant. Juste une barrière noire le long du chemin que j’arpente et quelques lampadaires éteints.
— Tu m’avais promis ! Je ne te le pardonnerai jamais !
Qu’est-ce qu’elle ne me pardonnera pas ?
Elle est en larmes. Après cette ultime phrase, elle raccroche. Et je reste là, trempée malgré la protection qu’offre mon parapluie, car je pleure moi aussi.

Je regarde ma montre. Ça fait une demi-heure que j’attends.
Et elle apparaît. Enfin. Je cours vers elle, folle de joie, et la serre dans mes bras de toutes mes forces. Mais, je croyais qu’on s’était disputées ! On rit, d’un rire que je n’ai plus entendu depuis trop longtemps. Je suis si soulagée. Je l’embrasse sur la joue et elle fait de même.
— Oh Amalia, je m’en veux tellement ! Je suis vraiment désolée de ne pas t’avoir écoutée, je me suis comportée comme une gamine.
— Mais tu es une gamine, je blague en ébouriffant ses cheveux blonds.
—Dans ce cas, toi aussi !
Et nous nous chamaillons comme quand nous étions encore à la maternelle, trop heureuses de s’être réconciliées.

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