Le froid s’agrippait, tenace. Natasha se frotta les mains, sautillant légèrement sur place. Le regard perdu au loin sur la rive du fleuve, elle ignora les cadavres à ses pieds et s’autorisa un léger sourire. L’odeur était forte, les armes encore chaudes et la poudre, la poudre flottait toujours dans l’air. Elle humidifia sa bouche, les joues rougies par le froid, et s’avança entre les cadavres, s’enfonçant plus profondément dans la neige.

— Est-ce qu’il y a des survivants ?
— Je veux l’état des blessés, immédiatement !

Les voix étaient lointaines, presque irréelles. Et devant, devant se mouvait la Loire. Magistrale.

— Et ceux qui ne peuvent aider à l’infirmerie, ordonna finalement Natasha alors qu’elle se retournait vers ses camarades, vous vous divisez en deux. Je veux que le fleuve soit sécurisé et les armes ramassées.

Un jeune homme s’arrêta brusquement, son vieux fusil toujours en main.

— Tu veux qu’on leur vole leurs armes ? répéta-t-il, ahuri.
— À moins que tu ne saches où combler notre manque de matériel, répondit simplement Natasha.
— Les anciennes bases militaires du siècle éclair.
— Elles sont toutes occupées par les divisions qui n’ont pas le même attirail ni le même nombre de soldats que les officieux, fit calmement Natasha.

L’homme soupira, le regard perdu dans la neige, et Natasha s’avança :

— Et leurs protections également. Les divisions ne vont pas tarder à réagir et tu ne voudrais pas te retrouver au milieu sans pouvoir te défendre.
— Ils ont fait un choix, ajouta un second homme, ils ont fait ce choix, Cédric. Ils se sont enrôlés pour privatiser le fleuve. Ils se sont enrôlés par égoïsme et égocentr…
— Ce sont des officieux ! grinça Cédric, des officieux ! Je suis là pour me battre contre les divisions qui, elles, privatisent l’accès à l’eau, mais eux ? Ils essayent juste de survivre et de s’organiser !
— « Survivre et s’organiser » ? souligna Natasha. C’est pour ça qu’ils s’enferment et sécurisent l’accès à leur bassin ? Tu ne peux plus pénétrer à l’intérieur de la Bretagne, Cédric. Ils privatisent les plages et les usines de désalinisation de l’eau de mer et est-ce qu’ils permettent aux français de l’intérieur de profiter de l’eau obtenue ?

Cédric baissa les yeux et murmura lentement :

— Non.
— Alors on est d’accord : les armes et protections, intima la jeune femme. Je vais voir les blessés.

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Le bout de ses doigts glissaient lentement sur la peau nue encore frissonnante, remontant, descendant, dessinant toutes sortes de graphiques. Lucille étira un sourire, soupira tranquillement sur la pointe des seins fièrement dressés devant elle, les embrassa et se releva.

— Dis-moi que c’est pour chercher quelque chose à manger, soupira Claire alors que sa partenaire passait au-dessus d’elle. Je ne peux pas aller en réunion le ventre vide.
— Il ne fallait pas être aussi énergique, sourit Lucille.
— Energique ? répéta Claire. C’est vraiment, vraiment comme ça que tu vois … Vraiment ? appuya-t-elle en fronçant les sourcils. C’est le premier mot qui te vient à l’esprit ?

Lucille sourit, amusée, et attrapa la tablette qui gisait sur la table de nuit sous un regard des plus insistant. Elle s’installa à nouveau entre les draps, activant l’écran d’une empreinte de pouce. Il s’agissait de la dernière génération de tablettes, un rectangle de huit centimètres sur quatre, pas plus épais qu’une feuille de papier – si on en croyait les publicités. Lucille n’avait plus vu de papier depuis bien longtemps.

— Tu sais où est la cuisine, fit-elle enfin en relevant les yeux vers la grande brune qui n’avait toujours pas bougé d’un millimètre.
— Tu es vraiment une très mauvaise petite-amie, soupira Claire en se levant tranquillement.
— Et tu sais également où est la porte.

Lucille retînt un sourire alors que sa partenaire lui envoyait un regard assassin, suivi de très près par un oreiller.

— Je suis une femme battue et c’est moi la mauvaise petite-am…
— Ne commence même pas, enchérit Claire. Je vais m’habiller, dévaliser ta cuisine et prendre cette porte !

Alors que la brune disparut dans le couloir, Lucille jeta un oeil aux nouvelles informations de la journée. Elle posa la mince tablette sur ses genoux et le journal se matérialisa devant ses yeux sous formes de lumières et de couleurs – il fallait vraiment qu’elle pense à personnaliser son compte, le bleu et vert étaient terriblement laids.

L’HOLOGRAMME – 11 janvier 2157

Les insurgés ont récupéré un bout de la Loire.

« Alors que la zone de prospérité fonctionnelle de l’Est vient d’augmenter le prix des exportations céréalières, et que le bassin de Paris centre France vient d’annoncer la mobilisation de troupes supplémentaires pour dompter le Grand Vide français, les insurgés viennent de gagner leur première bataille.

Aux portes du fleuve de la Loire, les insurgés ont réussit à se défaire d’un peloton d’une centaine d’hommes initialement déployés par les bretons pour maintenir leur contrôle sur la partie du fleuve en contact avec le cours d’eau de la Vienne. Des explosifs, dont l’origine est encore inconnue, auraient été utilisés comme diversion, et les terroristes seraient, en réalité, bien plus armés que l’on pouvait le penser. Les insurgés auraient-ils eu connaissance d’une base militaire du siècle éclair pas encore contrôlée par l’une des divisions françaises ? La question inquiète.

Bordeaux, capitale de l’espace atlantique français, a déjà qualifié la position politique et militaire de la Bretagne de « contre-productive et impériale » et regrette que « la vie d’hommes et de femmes soit un prix que la Bretagne est prête à payer pour son expansionnisme aveugle ». Alors que l’officieuse zone rhônale de l’Est méditerranéen dit soutenir la Bretagne, l’espace de l’Ouest méditerranéen rappelle que les sept divisions françaises officielles « sont les seules à pouvoir procurer l’aide dont le peuple a besoin. Toute eau absorbée en-dehors, de quelques manières et sous quelques formes que ce soit, n’est ni traitée ni saine, ni consommable ni distribuable par des groupuscules non-reconnus ».

Le bassin de Paris centre France souligne que l’occupation de la Loire est indispensable pour améliorer les conditions de vies du Grand Vide français et maintient sa décision de déployer des troupes supplémentaires qu’elle juge « nécessaires et indispensables ». »

— J’ai trouvé ton père dans la cuisine, fit la tête de Claire par l’embrasure de la porte de la chambre.

Lucille releva les yeux et soupira :

— Hey, tu as dis que tu dévalisais ma cuisine …
— Tu n’es pas performante à en avoir envie de manger ton père ! s’offusqua la brune.

Lucille soupira une seconde fois, lui jetant un regard désespéré, et finit par se relever tant bien que mal. Elle enfila rapidement ses vêtements, et regagna la cuisine. Une pièce en longueur qu’une baie vitrée rendait incroyablement lumineuse.
Dehors, les bâtiments se jalonnaient les uns les autres, décorés ici et là de pubs en tout genre – et heureusement que les pubs criardes et musicales avaient été interdites dans les résidences.

— Papa, souffla Lucille en faisant la bise à son père.

Le vieil homme étira tout juste un sourire, jetant un oeil à sa fille.

— Tu pourrais être un peu plus décente.
— Et tu pourrais être un peu moins intrusif, rétorqua-t-elle.
— Tu ne fermes jamais la porte et c’est de ma faute ?

Elle soupira, jetant un oeil à Claire qui, dos à son père, retenait un sourire amusé.

— Tu es membre du consei…
— Et tu ne l’es pas, pressa sa fille. Ca fait plus d’un an maintenant, Papa. Ta fille est membre du conseil, tu ne l’es pas. Ta fille est très douée en politique, respectée et crainte dans le milieu, tu ne l’es pas. Est-ce que tu pourrais l’accepter et passer à autre chose ?
— Pardon ? s’offusqua-t-il. Tu sais très bien pourquoi tu es membre du conseil, Lucille …
— Oui, évidemment, je suis passée sous le bureau. Très paternelle comme vision des choses !

Il secoua la tête et Lucille s’assit sur une des chaises hautes de la cuisine, ramenant ses mains sur le plan de travail.

— Pourquoi est-ce que tu es entré par effraction chez moi, en premier lieu ?

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