La gorge irritée, Guillaume reposa le lourd bidon à ses pieds et attrapa la bouteille d’eau qu’il avait posé sur le toit de la voiture. Natasha avait insisté, il leur fallait siphonner assez d’essence pour tenir une quatre-centaine de kilomètres. À deux. Et Guillaume n’avait strictement aucune idée de ce qui l’attendait.
Il s’éclaircit la gorge, l’habitude lui avait donné des vertiges à l’odeur seule des vapeurs. L’essence ne manquait pas dans le coin bien qu’ils commençaient à avoir de plus en plus de difficultés à en récupérer, il fallait faire plus de kilomètres, perdre des ressources. Et il n’aimait pas ça.
Quatre cents kilomètres à deux, c’était une perte inutile. Mais Natasha avait insisté.

Guillaume récupéra finalement les deux bidons et rejoignit Natasha, quelques kilomètres plus au sud. La deuxième maison au sud de l’ancienne mairie, qu’elle avait dit. Tout était pourtant désert, les villageois des parages ne faisaient pas beaucoup de bruits de ce côté de la ville. Fallait dire qu’ils étaient probablement bien trop défoncés à cette même essence dans les décombres de la ville. Ici ne vivaient que les familles. Ou ce qu’il en restait. Les femmes, les gosses. Et c’était bien trop silencieux.
Il n’aimait pas ce village.

Guillaume entra dans la maison complètement vide, écartant quelques planches trop peu poussiéreuses de son chemin. Il entendit rapidement Natasha au sous-sol et la rejoignit. La tête dépassant tout juste du sol, elle lui adressa un sourire et lui fit signe de s’approcher.
Le trou semblait immense, probablement un tunnel. Pas plus large que deux mètres.

— Tu as dis que tu pouvais créer le message qu’une fois que tu seras à l’intérieur de la division, pas vrai ? demanda-t-elle.

Il acquiesça et elle attrapa les deux bidons d’essence. Il descendit à son tour grâce aux barreaux de l’échelle. Ce n’était pas n’importe quel tunnel, bien trop propre et stable pour que n’importe qui l’ait construit. Il releva les yeux vers Natasha qui était visiblement occupée sur un minuscule écran, technologie primaire.

_2-20-N
_ALL OK-A

— Ok, on peut y aller, finit-elle rapidement. Il faut prévenir un jour à l’avance, parfois il ne peut vérifier les messages que tard le soir. Toujours le nombre d’hommes, suivit de l’heure de départ et de l’initiale.

— Et ça va droit à Bordeaux ?

Natasha acquiesça, attrapa ses sacs et descendit lentement les quelques dernières marches menant au tunnel.

— On l’appelle la brumeuse, par opposition aux lumineuses.

Guillaume acquiesça, c’était des plus compréhensible. Il y avait quelques lumières jaunâtres ici et là. Assez pour que la longueur du tunnel effraie et suffisamment peu pour éclairer réellement quoique ce soit.
Il comprit bien vite cependant que ce n’était pas nécessaire. Natasha, quelques mètres plus loin, attrapait un casque. Des motos attendaient sagement sur le côté.

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Claire soupira lentement et la main de la ministre sur la sienne la retînt de sautiller sur place. Elle avait la bougeotte quand elle était nerveuse ou excitée. Ou angoissée. Quand les émotions étaient fortes, en réalité. Ca la faisait toujours rire, Lucille. Et elle était sexy quand elle riait. Elle était sexy dans cette robe également, cela dit.
La scientifique repéra rapidement les chinois, bien au-delà du buffet. Elles avaient échappé à un repas des plus formel, c’était la première bonne nouvelle. Un simple buffet, un toast et on n’en parlerait plus. Lucille avait été claire cependant. Eviter les chinois tant qu’on ne lui avait pas remis le prix, parler avec un maximum de personnes, avoir l’air occupée. Et sourire. Toujours sourire.

— Claire Dubois, fit brusquement un accent américain derrière elle.

— Et Lucille Lambert, c’est mon jour de chance dis-donc, ajouta-t-il alors qu’elles se retournaient.

L’américain sourit et s’empressa de leur serrer la main.

— Je suis Peter Hilke, journaliste pour CNN. Je serai vraiment ravi si je pouvais vous emprunter quelques minutes ce soir, je prépare un livre sur ces jeunes talents français qui ont puisé dans ce qui a rendu la France aussi faible pour la rendre deux fois plus forte, s’excita-t-il de ses mains dans les airs. Et vous en faîtes clairement toutes deux partie. Vous êtes l’images même de cette France qui s’est modernisée, rajeunie, l’Espace atlantique est un des gouvernements les plus jeunes au monde. C’est un phénomène fantastique qui peut inspirer bien des générations.

Claire se retourna légèrement vers la ministre. Cette réception était-elle politisée à en devoir supporter un homme pareil ?

— Vous nous voyez … ravies, hasarda Lucille, de cette attention mais ce soir n’est vraiment pas le bon moment.

S’il avait réussit à se faufiler entre les balises du système c’est qu’il devait probablement avoir de très bons contacts. Il était déjà difficile d’accéder à l’Espace atlantique pour un étranger en temps normal, alors réussir à se faire inviter dans une réception aussi fermée et restreinte à la sphère scientifique, même sous couvert de journalisme, était des plus curieux. Son livre devait probablement déjà intéresser quelques maisons de networking pour qu’il se donne autant de peine.

— Non bien sûr, enchérit-il, vous êtes là pour recevoir et non pour donner. Mais peut-être que vous auriez du temps à m’accorder un autre jour, il s’arrêta, portant un doigt à son oeil droit.

— Vous n’avez pas désactivé votre lentille ? s’empressa Claire.

Sous l’oeil surpris de Lucille, elle lui rappela en français :

— Ils ont des espèces de lentilles implantées de nanotechnologies qui leur servent de DID.

— Je pensais qu’elle pourrait toujours capter quelques connexions, répondit l’américain.

— Elle le peut, mais il faut la programmer pour. Nous avons un système beaucoup plus … étendu que le votre.

Il fallait dire que les américains vivaient dans un monde complètement différent. Alors qu’en France l’hologramme existait réellement et était accessible à tous, aux Etats-Unis il était complètement virtuel. Le système était globalement le même, les nanotechnologies implantées dans les lentilles faisaient offices de DID : individualisaient les données et créaient l’information, elles étaient un relais connectées à un hypra-ordinateur. Quand un américain regardait les informations, il n’y avait rien devant lui, aucun écran n’existait. Tout se trouvait dans la lentille. Quand il cherchait des informations, voulait écrire un e-mail, c’était le mouvement oculaire qui était suivis par les nanotechnologies pour comprendre qu’il appuyait en réalité sur la touche « envoyer ».
Cette technologie était disponible dans la division mais utilisée uniquement par les amateurs de jeux vidéos – et les militaires. Il fallait dire qu’elle était apparue bien après les hologrammes divisionnels et l’Espace n’en avait pas trouvé suffisamment d’utilité pour changer l’intégralité du système. Puis ça coûtait beaucoup plus cher et l’impact sociologique était quelque peu imposant.

Claire soupira, jetant un oeil autour d’elle. C’était Lulu qui était récompensée ce soir.

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Natasha repéra l’ampoule rougeâtre et ralentit doucement. Elle finit par s’arrêter complètement, imitée par Guillaume, et descendit de la moto. Sous l’ampoule rouge, un simple panneau « Mur : 1 km » était accroché.
La jeune femme se dirigea vers une fine porte, juste à côté, l’ouvrit et en sortit deux couvertures.

— Nous ne sommes pas si profonds que ça, indiqua Natasha, et personne n’est sûr qu’ils ne peuvent pas entendre le bruit des moteurs ou que leur détecteur de chaleur ne nous repère pas. La couverture stabilise l’empreinte thermique.

Il acquiesça, attrapant la couverture qu’elle lui tendait.

— Combien de gens sont au courant, pour la … brumeuse ? demanda-t-il alors qu’ils commençaient à marcher, poussant les motos.

— Pas beaucoup. Et ça doit rester ainsi.

— Nous avons un contact direct avec la division, on pourrait faire tellement de choses …

— Guillaume, fit Natasha d’un ton sérieux comme jamais il ne lui en avait entendu, deux choses. La première, ce passage n’existe que parce que quelqu’un, de l’autre côté, se débrouille pour nous faire sortir incognito. Et il ne tolérera aucune perte civile. Deuxièmement, pour le moment nous ne sommes pas dangereux pour la division, nous sommes à l’extérieur, nous sommes juste une … discussion météo, reprit Natasha en repensant à la ministre. Ils s’enfoutent un peu de savoir comment on a fait pour sortir. Mais si on commence à agir à l’intérieur de la division sans brouiller nos pistes ? Crois-moi, ils vont trouver ces tunnels en quelques semaines. Les gardes au mur peuvent voir à des kilomètres, une fois qu’ils auront compris qu’il est impossible d’en soudoyer autant, ils se pencheront forcément sur les sous-terrains. C’est la seule manière de passer sans se faire remarquer.

— C’est le dernier recours, souffla Guillaume.

Natasha acquiesça.

— Qu’on utilisera quand on sera sûrs de notre coup, parce qu’on ne pourra agir qu’une seule fois à l’intérieur des divisions en tant que groupe.

D’où le fait qu’ils ne pouvaient conduire que des opérations individuelles au sein de la division. La réunion avait été longue avec les autres, mais plutôt fructueuse ; pour une fois. Il avait été défini que, pour garder un maximum de cohérence et de sécurité – ce que comprenait maintenant Guillaume, il ne fallait pas que leurs actions à l’intérieur soit signées « insurgés ». Elles devaient paraître le plus neutre possible, ne pas suggérer de parti à prendre. Informer.
Au début du moins.
Il fallait créer une atmosphère, apprivoiser le public, lui faire tendre l’oreille, capter son attention. Puis petit à petit, il avait été décidé de diffuser le manifeste. Message après message. Montrer des causes à défendre et des valeurs à porter.
Dehors, les actions seront conjointes, ne formeront qu’un seul front commun. À chaque fois. Dehors, ils auront un nom. À l’intérieur, un logo. Un allié. Comme si les divisionnels eux-même diffusaient ces messages.

— D’où est-ce qu’il sort, ce tunnel ?

C’était étrange d’y être, quand il y réfléchissait. Il avait déjà dû passer par là lorsqu’il était sorti de la division mais n’en avait aucun souvenir, après tout on lui avait bien bandé les yeux. Et il avait dormi tout le voyage.

— Aucune idée.

Ils terminèrent les deux kilomètres discutant comme ils n’en avaient plus eu l’occasion ces derniers jours, avant d’abandonner les couvertures dans le même genre d’armoire qu’à l’aller et d’enfourcher à nouveau les véhicules, se retrouvant suffisamment loin du mur.

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— Oh vous savez, sourit Claire, parfois le problème peut être aussi simple que la fermeture d’une balise, je ne suis pas une grande fan des programmes de correction. Vous passez donc des heures à essayer de comprendre d’où le bug provient avant de voir cette petite balise, au fin fond du code.

— Je pense quand même que le problème était un peu plus compliqué, enchérit Deneuve.

Claire acquiesça lentement, étirant un faux sourire. Il était définitivement ici pour la surveiller, vérifier qu’elle se vendait correctement. Il n’avait pas osé échanger plus de quelques lignes, pourtant. Probablement le fait que Lucille soit dans les parages.

— À vrai dire, répondit la scientifique en attrapant son DID, ce n’est pas beaucoup plus compliqué, au contraire.

Elle l’alluma rapidement de son index, ouvrit un simple éditeur vectoriel et un carré rouge entouré de quatre points ne tarda pas à flotter dans les airs.

— Imaginons que le carré représente le nouveau centre de recherches et innovations que la division aimerait construire et que ces ronds soient des statues. Vous voulez cependant doubler la taille du bâtiment sans toucher aux statues et tout en conservant sa forme carrée. Comment faîtes-vous ?

Deneuve rit doucement avant de jeter un oeil à l’ingénieur parisien face à lui, perplexe. Etait-elle sérieuse ?

— Aucune idée ? appuya Claire, tout sourire.

— Ce n’est pas possible, répondit-il malgré lui, les statues sont bien trop proches. J’agrandirais le bâtiment dans une forme rectangulaire.

— Oui, mais si vous voulez garder une forme carré parce qu’elle vous permet une meilleure organisation spatiale à l’intérieur du bâtiment ?

— Ce n’est clairement pas possible sans devoir démolir les statues.

Claire sourit lentement et attrapa le carré rouge qu’elle étira pour en doubler la taille.

— Vous voyez bien que le bâtiment recouvre les statu…

Il s’arrêta alors que la scientifique tourna légèrement le carré, en faisant un losange qui s’imbriqua parfaitement bien entre les ronds.

— C’est ce qu’on appelle une fixation prototypique, enchérit Claire, nos connaissances sont organisées sur un continuum. Le prototype du carré, la forme que vous voyez le plus souvent et donc que vous associez le plus avec la représentation que vous avez du carré, est un carré « couché ». Quand vous avez interpréter le problème, phénomène qu’on appelle l’espace problème, vous en avez déduit qu’il fallait un carré qui soit « couché », seulement l’espace de la tâche, la véritable solution au problème, ne recouvrait pas votre espace problème. Vous vous êtes fixés sur une mauvaise interprétation du problème et avait donc cherché une solution à cette mauvaise interprétation. Donc non, ajouta-t-elle, amusée au possible de le mettre aussi mal à l’aise, le problème que j’ai « résolu » n’est pas très différent du fait de reconnaître que le problème dans un code n’est pas le code lui-même mais la syntaxe. Le plus difficile, ce n’est pas de trouver la solution à un problème, le plus difficile, c’est de comprendre le problème.

Il étira un faux sourire et glissa tout de même d’un clin d’oeil au parisien avant de s’éloigner :

— Quand je dis qu’elle est impressionnante.

Claire se retînt de sautiller de satisfaction et Lucille revînt enfin, les verres à la main. Ils n’avaient plus de rouge et elle avait dû attendre que le gamin du buffet aille en chercher dans la réserve.

— Merci, sourit la scientifique en attrapant son verre, mais j’ai peut-être fait une « petite » bêtise.

Lucille fronça les sourcils, jetant un oeil suspect autour d’elle et les mains de Claire s’agitèrent dans le vide.

— Je crois que j’ai énervé un peu Deneuve. Enfin, j’imagine qu’humilier serait lexicalement plus « juste ».

La ministre sourit doucement avant de rire devant l’air mi-coupable mi-satisfait de la scientifique.

— J’espère que je n’ai pas empiré les choses pour toi au travail, soupira Claire.

— À ce point là ? s’amusa Lucille.

— Faut dire qu’il était vraiment insupportable ces derniers jours …

— Mme Dubois, fit brusquement une tête blonde, il y a encore quelques personnes qui aimeraient vous glisser un mot. Si vous voulez bien me suivre, enchérit l’organisatrice.

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Natasha s’étira, la route avait été longue. Après avoir vérifier que les motos étaient bien stabilisées, elle récupéra ses lunettes de soleil et les posa sur son nez sous le regard amusé de Guillaume.

— Tu vois au moins encore quelque chose ?

— Je verrais probablement plus que toi quand la lumière t’éblouiras là-haut.

Il sourit doucement et elle sortit son glock, enlevant le cran de sûreté. Devant le regard surpris de son camarade, elle rajouta :

— On ne sait jamais quand les forces de l’ordre tomberont sur l’entrée.

Il ne fallut que quelques secondes pour que Guillaume se mette en position et Natasha gravit les quelques barreaux. Elle toqua légèrement contre la plaque avant de la soulever, couverte par le beretta de Guillaume et se glissa finalement à l’extérieur, sécurisant les lieux.

— Pourquoi est-ce qu’à chaque fois que tu passe dans les parages j’ai l’impression d’être un terroriste ? s’agaça l’homme qui les attendait.

Natasha releva les yeux, amusée.

— Désolée, je préfère être prudente.

— Et le deuxième ?

Elle n’eut pas le temps de répondre que Guillaume remontait à son tour. Il jeta un oeil autour de lui, rangeant son arme. Un vieux sous-sol. On aurait dit un ancien atelier.

Alexandre se présenta rapidement, leur donna de quoi se désaltérer et en vînt rapidement aux faits. D’après ce que Guillaume avait compris, il était l’un des seuls à connaître l’étendue des tunnels, sous-terrains et anciens égouts utilisés dans la capitale. En ce qui concernait les tunnels, aucune carte n’existait. Natasha le lui avait rappelé, tout devait se faire de mémoire.

— Si tu as besoin d’accéder au network va falloir créer un alias, commença Alexandre en sa direction. J’imagine que tu sais comment tout ça fonctionne si Nat t’a ramené ?

Guillaume acquiesça. Puisqu’il était officiellement porté disparu, il ne pouvait activer quelque DID que ce soit – ni même utiliser les lumineuses. Depuis quelques années, l’Espace avait entièrement individualisé les données. Chaque connexion au network, ne serait-ce que pour vérifier ses mails, était identifiée. Transport, eau, transfert d’argent ; mon dieu même rentrer chez soi exigeait l’authentification au système. On ne pouvait pas activer de DID sans empreinte digitale, on ne pouvait vivre sans DID. Du moins dans l’Espace atlantique.
Et s’il se connectait, il activerait probablement le flag que les forces de l’ordre avait dû mettre sur sa personne en espérant qu’il réapparaisse un jour.

— Ok, enchaîna Alexandre, on est pas très loin de l’ancienne gare, tu vas devoir prendre la droite au prochain rouge et tu sortiras quelque part à 200-300 mètres des lumineuses.

— Les ampoules rouges allumées dans le tunnel, précisa Natasha. Les autres sorties/entrées de tunnels ne sont pas surveillées, sois prudent.

Effectivement, quand Guillaume émergea une trentaine de minutes plus tard du tunnel, c’était le vide complet. Pas un meuble dans le sous-sol. Il soupira, rangea son arme et couvrit ses yeux de sa main droite alors qu’il remontait au rez-de-chaussée. L’immeuble semblait complètement désert, chose des plus étranges dans les parages.
Il ne prit cependant pas le risque de vérifier que les lieux soient sécurisés et sortit rapidement par la première fenêtre qu’il trouva, les larmes aux yeux. Les centaines de lumières du centre-ville l’avaient pris d’assaut.
Guillaume s’arrêta malgré lui, n’arrivant plus à avancer. Ses yeux coulaient totalement à présent et il sentait son sang affluer vers le haut de son corps, s’en allant tambouriner contre son crâne.
Il aurait dû s’en douter, pourtant. Bordeaux l’avait rendu extrêmement sensible aux ondes et la lumineuse qui se trouvait non loin de là ne l’aidait en aucun cas. Et puis ces foutus lasers installés partout dans les rues semblaient brûler ses yeux.

On l’avait diagnostiqué, il y a quelques années. Comme quoi les symptômes qu’il ressentait n’étaient pas attribuables au système atlantique, qu’ils impliquaient réellement sa santé mais par des causes purement psychologiques. On lui avait laissé l’« hypersentivité » cela dit. Enfin non, les mots exacts avaient été « faible hypersentivité aux champs électromagnétiques » parce que contrairement aux 15% des atteints, il arrivait tout de même à vivre sans devoir éviter certains lieux. Faible, donc.

Il soupira et chercha une bouteille d’eau dans son sac, repérant ainsi ce que Natasha avait dû lui laisser sans qu’il ne s’en aperçoive. Il attrapa la pilule blanche qu’il engloutit avec de l’eau, ferma les yeux et se laissa quelques secondes pour récupérer.

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La ministre étira un sourire alors que Claire arrivait, les joues encore un peu rosées. Elle s’en était bien sortie pourtant, sur l’estrade, rappelant qu’elle n’avait fait qu’arriver au bon moment – même si Lucille avait du mal à y croire, et que Lulu n’aurait probablement pas vu le jour sans des centaines d’autres chercheurs, qu’ils soient physiciens, ingénieurs-réseau ou mathématiciens.

— Bonsoir Mlle prix des travaux les plus influents 2157, s’amusa la ministre.

— Je n’ai pas fait grand chose cette année pourtant.

Lucille sourit doucement avant de s’emparer du visage de la scientifique.

— Tu n’as pas besoin de stresser, après un discours pareil ils ne peuvent que t’adorer.

— J’ai appelé l’un des algorithmes les plus puissants et précis n’ayant jamais fonctionné à une si grande échelle et avec un débit de données aussi imposant « Lulu », souligna Claire d’un air alarmé.

— C’est précisément pour ça qu’ils t’adorent déjà.

Claire soupira et la ministre s’amusa, retouchant rapidement sa robe. Elle savait très bien qu’il n’y avait pas quinze façons différentes de déstresser la grande brune.

— Et si tu allais présenter ta sexy espionne de petite amie aux chinois ?

La scientifique étira un sourire, attrapant les quelques doigts qui trainaient toujours sur sa clavicule.

— Vu comme ça, ça m’a l’air presque intéressant.

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Guillaume avait oublié ce qu’était qu’une lumineuse de ville, le trafic, les lumières, le mal de tête. Bien que celui-ci semblait s’estomper au fil des minutes grâce aux médicaments de Natasha.
Il arriva rapidement dans les quartiers plus sombres du centre-ville, longeant totalement la lumineuse. Pas énormément de publicités ni d’excentricités. Beaucoup de rires, de cris, de crises. Et des amas. Pas des groupes, non, de véritables amas de gars, ici et là, affairés autour des sources d’alimentation des lumineuses. D’autres adossés contre les immeubles, de l’autre côté.

— Hey, fit brusquement l’un d’eux alors que Guillaume continuait d’avancer.

Il s’arrêta, ayant bien conscience qu’il ne devait absolument pas provoquer quelque trouble que ce soit.

— Si tu cherches du 30PHz, va falloir attendre un peu, y’a du monde ce soir.

— Je ne suis pas là pour ça, répondit Guillaume, jetant un oeil sur le côté.

Les lumineuses avaient été construites pour être le moins dangereuses possibles et des centaines de directives et lois encadraient l’installation d’un réseau en milieu urbain – l’exposition à de hautes fréquences électromagnétiques pouvant être des plus dangereuse, mais certains aimaient ça, se défoncer à coup d’ondes. Ils repéraient les sources principales, les surveillaient, en créaient leur « territoire » et faisaient payer le droit d’utilisation. C’était à celui qui était le plus fort, véritable loi de la jungle.

— Je cherche un banquier, continua Guillaume.

Le gars lui jeta un regard amusé, le jugeant de bas en haut.

— Qu’est-ce qu’un gars comme toi peux bien faire d’un banquier ?

— C’est entre lui et moi.

Il rit, définitivement amusé.

— Troisième bâtiment, dixième étage, deuxième porte à gauche.

Guillaume acquiesça lentement et s’apprêta à partir lorsqu’une main s’appuya contre son torse.

— Sérieusement ? Tu crois que c’est aussi facile ? Qu’est-ce qui me fait croire que tu n’es pas un flic ?

— C’est un peu tard pour ça, non ? Tu m’as déjà donné l’adresse.

— Arrêtes Kev’, tu vois bien que c’est pas un flic, intervînt un second visiblement bien joyeux.

Il arriva rapidement vers eux et prit Guillaume par l’épaule.

— Désolé gars, les flics sont passés il n’y a pas très longtemps. C’est le deuxième bâtiment, troisième porte à droite touuuut droit au sous-sol, fit-il en accompagnant le tout d’un long geste de la main.

Bien que définitivement sceptique, Guillaume se dirigea tout de même vers le deuxième bâtiment. Il n’avait aucune idée de la manière dont il était supposé y entrer, sans de quoi s’identifier à l’entrée. Mais la porte était entre-ouverte, ne le rassurant pas le moins du monde, et il s’y glissa, l’adrénaline en plein rush.
Il descendit rapidement les quelques marches qu’il trouva sur sa gauche, et trouver la troisième porte à droite ne fut pas des plus difficiles. Il jeta un oeil autour de lui, rassuré par le poids du beretta qu’il sentait dans le bas de son dos et toqua enfin légèrement contre la vieille porte.

— C’est pour quoi ? fit une voix derrière.

— Je …mhm, cherche un banquier ?

Il y eut un rire.

— Je me doute bien, qu’est-ce que tu as besoin ?

— Un accès non-identifiable au network.

La porte s’ouvrit lentement et Guillaume déglutit, sur ses gardes. Finalement, le gamin se découvrit complètement.

— No way qu’un flic se montre aussi peu discret et con, entre vite.

Guillaume s’exécuta. Il devait avoir quatorze ans, grand maximum. Et l’idée était assez inconfortable.
Dans la pièce, les DID étaient nombreux. Des dizaines et dizaines d’images flottaient dans les airs.

— Tu ne peux donc pas te connecter au network, s’amusa le gamin alors qu’il reprit place sur le fauteuil central après avoir refermé la porte. Tu en as besoin pour quoi ? demanda-t-il.

— On est obligés de passer par là ?

— Mec, si tu veux que je te créée un passage, il me faut un minimum d’information sur le temps qu’il doit durer, ce passage.

— Une douzaine d’heures.

— Il y a un truc qui me pose problème, sourit le gamin en se retournant, comment est-ce que tu vas payer ?

— J’ai un compte bit-dit, j’ai juste besoin d’accéder au network pour m’y identifier et réaliser le transfert.

Puisque toute transaction était identifiée, une monnaie différente avait vu le jour au fil des années afin de payer et financer toute sorte de trafics et choses pas très légales. Impossible à tracer – ou presque. Néanmoins, il fallait toujours pouvoir se connecter à un appareil pour réaliser l’échange virtuel. D’où le nom de banquier, d’ailleurs. À l’époque, peu de gens étaient capables d’une telle maîtrise. Les banquiers étaient l’intermédiaire entre les dealers et les clients, proposant une transaction complètement anonyme. Au fil du temps, le système s’était démocratisé, tout le monde était maintenant capable de transférer du bit-dit de manière très simple et les banquiers ne s’occupaient à présent plus que de fournir de fausses identités – passages.

— Tu comprends que je prends un risque, dans ce cas. Je dois te fournir le produit avant que tu puisses me payer.

Guillaume sourit faussement, voyant où il voulait en venir.

— Et tu seras bien sûr payé en conséquence.

Le gamin rit doucement, secoua la tête et attrapa un des DID présent sur la table.

— Donnes-moi une quinzaine de minutes.

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Claire inspira, jeta un dernier regard à la ministre, attrapa un verre de champagne et s’avança vers les chinois.
Ils se retournèrent vers elle. Ne surtout pas oublier de sourire.

— Bonsoir, je suis Claire D… commença la scientifique dans un mandarin parfaitement maîtrisé.

— Claire Dubois, finit le plus grand d’un sourire.

Elle acquiesça légèrement et se retourna vers Lucille.

— Et voici Lucille Lambert, ma compagne.

— Et ministre de cette division, acheva encore une fois le chinois – ce qui commençait tranquillement à agacer la scientifique.

Lucille serra les mains tendues à son tour, essayant d’un mandarin beaucoup plus rudimentaire :

— Enchantée, j’ai peur de ne pas être aussi douée qu’elle dans votre langue.

— Si vous avez voulu dire que vous êtes ravissante ce soir, enchaîna le second en anglais, c’est tout à fait réussit.

La ministre étira un petit sourire que Claire ne put imiter, ce n’était définitivement pas son milieu. Comment était-il même possible de contrôler son rire comme le faisait Lucille ?

— Oh, sourit la ministre, étais-je le sujet de ma phrase ? C’était de Mlle Dubois que je voulais parler.

— Dans ce cas j’ai bien peur que les mots ne suffisent plus.

Claire retînt un soupir. Ne surtout pas sautiller. Garder les mains le long de son corps. Et sourire. Mon dieu ce que ce jeu ridicule était insupportable.

— J’ai bien peur d’être d’accord avec vous, répondit Lucille avant de se retourner vers la brune d’un regard suggestif, je vais aller me resservir, je vous abandonne quelques minutes.

— Attendez, enchérit le premier, vous permettez que je me joigne à vous ?

Lucille acquiesça lentement, sentant bien que la question n’était pas anodine. Et Claire aurait juré sentir sa médullosurrénale sécréter cette stupide adrénaline.
Sourire. Small talk. Ne pas dévier de sujet. C’était pourtant supposé être simple, comme principe.

— … Mhm … vous vous êtes habitués à notre … alimentation ? sourit Claire en le voyant avaler un énième hors-d’oeuvre.

Les divisions françaises étaient parmi les quelques gouvernements à ne pas utiliser d’organismes génétiquement modifiés. Si ça leur valait bon nombre de blagues sur le sujet, il fallait également avouer que les effets sur la santé en étaient d’autant plus bénéfiques. Excepté les produits en boîte tout préparés ainsi que les fast foods et autres joyeusetés qui utilisaient quelques astuces assez addictives – notamment l’utilisation massive de sucre ou de glucides complexes, les divisionnels glissaient eux-même les apports nutritifs dans leurs plats en même temps que les arômes. Ce qui, grâce aux nombreux cours donnés de la primaire au collège, menait à une meilleure alimentation générale. Le taux d’obésité, par exemple, était relativement faible en France comparé à la moyenne des pays développés – même si le problème restait toujours extrêmement présent, surtout dans l’Espace Atlantique.

— Je dois avouer que le principe est quelque peu étrange. Ce sont globalement les mêmes ingrédients partout, et pourtant, c’est comme manger quelque chose de très différent. C’est vraiment impressionnant.

— Nous avons de bons arômes.

— Vous avez de bons chercheurs.

De l’autre côté du large hall, Lucille attrapait le premier verre qu’elle avait trouvé, sans y faire trop attention. Et Meng n’attendit pas plus longtemps.

— Je dois avouer avoir été quelque peu impatient de faire votre rencontre.

La ministre étira un petit sourire, ayant bien conscience que rien dans son attitude n’était lié au hasard.

— Vous êtes, après tout, enchérit le chinois, en charge de pas mal de choses dans cette division et vous être clairement, appuya-t-il en jetant un oeil à la scientifique quelque mètres plus loin, personnellement impliquée dans cette situation. J’ai été très surpris de ne pas pouvoir vous rencontrer plus tôt, officiellement j’entends. Les négociations durent depuis quelques semaines maintenant.

Il attrapa un verre à son tour et continua, le corps plutôt tendu :

— Vous comprendrez probablement mes préoccupations, sourit-il, Fàntec est une énorme firme et ce projet l’est tout autant, beaucoup d’argent est en jeu. Je dois avouer m’être posé beaucoup de questions sur la raison de notre non-rencontre et j’ai finis par remarquer que c’étaient vos … collègues, hasarda-t-il, qui semblaient contre une possible rencontre.

Il se pencha légèrement, continuant d’un ton beaucoup moins léger :

— La raison m’est, à vrai dire, sourit-il, très rapidement venue à l’esprit. Vous avez une marge de manoeuvre assez conséquente dans votre gouvernement pour qu’ils prennent la peine de vous écarter d’une proposition dont j’imagine, vous seriez contre, et qui expliqueraient leur comportement. D’où mes quelques craintes quant à ce marché.

— Même si nous pourrions imaginer que vous avez raison, commença la ministre, j’aimerais beaucoup comprendre où serait le problème. La marge d’action que j’ai, en tant que Ministre de la communication élargie, et les possibles … motivations personnelles que je pourrais avoir, sourit-elle, ne sont visiblement d’aucune menace envers votre partenariat avec l’Espace Atlantique puisque nous sommes ici au jour d’aujourd’hui.

Meng rit doucement.

— Laissez moi être plus clair, Mlle Lambert, je ne m’engage et n’engage Fàntec vers une certaine direction, qu’en cas de certitude absolue. Et vous avez de toute évidence assez d’influence pour être dangereuse. Je tiens juste à m’assurer, et j’espère que vous comprenez le bien fondé de mon intention, que nous sommes sur la même longueur d’onde regardant ce partenariat. Je détesterai abandonner un tel potentiel, ajouta-t-il en souriant innocemment à la scientifique, levant légèrement son verre en l’air. Elle n’a fait que participer à des projets depuis ses 15 ans, si je ne m’abuse. Ne serait-ce pas dommage de la priver d’un fond qui lui permettrait de lancer son propre projet, le projet de toute une vie ?

Lucille étira un sourire et reposa son verre sur la table la plus proche. Elle n’aimait pas l’insinuation. Et elle comptait bien la renverser.

— Laissez-moi être encore plus clair, Mr. Meng, vous avez vos doutes, et ils sont légitimes, nous sommes une jeune structure. Mais ne laissez pas ces doutes devenir la réelle menace de votre partenariat. Parce que de là où je suis ? enchaîna-t-elle, vous êtes celui qui fait de cette situation quelque chose de personnel et de ce personnel une menace. Et je ne pense pas que ce soit vos réelles intentions, n’est-ce pas ?

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Guillaume soupira, quelque chose n’allait pas. Fallait dire qu’il n’avait plus fait ça depuis une éternité, aussi. Du moins, l’idée qu’il se faisait de l’éternité.

— Tu as besoin d’aide, mec ? intervînt brusquement le gamin, ce genre de firewall nécessite pas mal de connaissances.

— Ca ira, merci.

— Sérieusement gars, tout ce que tu vas faire c’est alerter les flics.

Le gamin soupira, attrapa le DID qu’il avait loué à Guillaume. Il lui faisait de la peine, ce pauvre gars.

— Qu’est-ce que tu veux y faire, une fois que t’auras le contrôle de ces DIDs publiques ? Et où est-ce que t’as appris à – mon dieu mec, t’es de la vieille école toi, s’amusa le gamin devant les infructueuses tentatives de Guillaume. Je parie que t’étais du genre à cracker le réseau de la voisine pour récupérer quelques traces thermiques lorsqu’elle prenait sa douche ou s’amusait à se toucher. Et maintenant tu crois que tu es capable d’hacker des DIDs publiques. Tes chevilles sont grave enflées mec.

— Quel âge tu as, déjà, dix ans ? souleva Guillaume, ahuri.

— Quinze.

— Et tu parles comme …

— Hey gars, coupa le gamin, les privés et les publiques ne sont pas pareils c’est tout. Je voulais pas t’offenser, je suis désolé, ok ? Maintenant dis-moi juste ce que tu veux y faire pour que je saches où ne surtout pas aller dans ce beau bordel, j’ai d’autres choses à faire moi aussi.

Guillaume releva les yeux et finit par soupirer.

— Il faudrait programmer la diffusion d’un message demain, à midi, sur tous les DIDs publiques du centre-ville.

— Je peux faire ça, acquiesça-t-il. C’est pour quoi : crier au monde que ta voisine est canon ?

Guillaume lui lança un regard noir et le gamin rit doucement.

— T’es d’un sérieu…, il s’arrêta alors qu’il fit enfin attention à l’autre fenêtre que Guillaume avait ouvert, quelques centimètres plus loin. Tu fais partie – tu fais partie des insurgés ?

Il acquiesça lentement, sur ses gardes, sa main dans le dos prête à se saisir du beretta.

— Fallait le dire tout de suite, gars ! s’extasia le gamin. Ok, je vais créer une fausse programmation de publicités et faire croire au système qu’il devra changer de programmation demain, midi. Ca devrait passer incognito. Quoi ? ajouta-t-il devant le regard surpris de Guillaume, parce que j’ai quinze ans je ne peux pas avoir d’opinions ?

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Claire soupira, des plus heureuse de pouvoir enfin ôter ses chaussures.

— Je déteste devoir te présenter comme ma compagne. C’est vraiment moche comme nom.

La ministre se retourna, surprise. Elle reposa le verre sur le plan de travail de la cuisine et Claire continua :

— Et petite-amie, ça ne fait pas très sérieux.

— Est-ce que tu es en train d’introduire ta demande ? s’amusa Lucille.

— Quoi ? Non, je dis juste que c’est vraiment moche comme mot. Mais c’est vrai que femme ou fiancée, accorda la scientifique, c’est plus joli.

— Donc tu es bien en train de faire ta demande ?

— Je suis en train de dire qu’il faudrait inventer un autre mot qui dise : hey, j’aime cette femme, elle m’aime également, on est ensemble depuis une éternité, mais je ne peux pas utiliser de mots appropriés pour qualifier notre relation parce qu’elle est terrifiée à l’idée qu’on emménage ensemble du coup personne ne comprends jamais où on en est et la situation en devient extrêmement ridicule parce que ne serait-ce que le mot femme mets tout le monde à l’aise.

La scientifique s’arrêta, releva les yeux, se dégagea la gorge, et ses mains s’agitèrent dans le vide. Elle regrettait déjà.

— Je veux dire, mhm … C’était déjà une soirée atroce, est-ce qu’on peut juste oublier ça jusqu’à demain matin ?

Lucille acquiesça lentement, le faux sourire qu’elle avait affiché toute la soirée aux lèvres. Il faisait chaud, d’un coup.

— Mhm mhm, désolée, fit brusquement une voix derrière la scientifique.

Cette dernière se retourna et leva les yeux au ciel en apercevant Natasha.

— Et ce serait trop dur pour une fois de verrouiller cette foutue porte ? s’agaça soudainement la scientifique. Il ne manquait plus que ça à la soirée.

— C’est navrant quand la technologie montre ses limites, pas vrai ? enchérit Natasha.

— Est-ce que tu remarques au moins que le non-comportement de Lucille ne démontre pas des possibles limites de la technologie, mais du facteur humain, facteur que tu sembles souvent oublier ?

— Oh vrai, après tout ce n’est jamais le système qu’on doit remettre en cause. C’est l’individu le problème.

— Ce n’est absolument pas ce que je disais, s’offusqua Claire, mon dieu tu es l’avatar craché de ta soeur.

— Pardon ?

— Excuse-moi ?

La scientifique leva ses deux index en l’air, les pointant entre les deux soeurs.

— Exactement ce dont je parlais, enchérit-elle.

— Tu sais quoi ? reprit Natasha, tu devrais peut-être…

— S’il vous plaît, intervînt fermement Lucille, qu’est-ce que tu fais ici Nat ?

— Ravie de te revoir également, soupira l’intéressée. Décidément, rien ici ne la ferait jamais se sentir la bienvenue.

— Il est extrêmement tard et au cas où tu n’avais pas remarqué, tu ne tombes pas dans le meilleur des moments alors qu’est-ce que tu veux ? enchaîna Lucille, des plus agacée.

Natasha jeta un oeil à la scientifique qui soupira, abandonnant de ses mains dans le vide.

— J’ai compris, je rentre à la maison. Et quand je dis maison, ajouta-t-elle en se tournant vers Lucille, c’est visiblement l’endroit où tu ne seras pas ce soir. Tu souhaiteras une bonne soirée à ta terroriste de soeur.

— Terroriste ? reprit Natasha, ahurie.

Lucille soupira alors que la porte d’entrée se verrouilla, le sang extrêmement chaud. Son coeur aurait trouvé un puits d’eau non-contaminée qu’il ne pomperait pas plus rapidement.

— Ne me regarde pas comme ça, enchérit Natasha, cette histoire a commencé bien avant que je n’arrive, ce n’est pas de ma faute si tu es tellement terrifiée à l’idée de ne pas avoir de porte de sortie que tu refuses d’emménager avec ta copine.

La ministre acquiesça, la lèvre inférieure coincée entre ses dents et Natasha reprit rapidement, sachant très bien que sa soeur était à deux points d’imploser.

— Je suis désolée, excuse-moi, ça ne me regarde pas. Je suis juste là pour Chloé.

— Ouais, à propos de ça, sourit la ministre quelque peu calmée, on va devoir mettre en place un système. Je commence à être fatiguée de tes visites surprises.

— Je suis censée t’attendre dans le couloir alors que tout le monde me croit aux Etats-Unis ?

— Ce n’est pas mon problème.

Il fallait toujours que Natasha se décharge de toute responsabilité, était-elle au moins capable d’agir en adulte ? C’était incroyable. Elle avait voulu faire mumuse avec des armes vieilles de plus d’un siècle là-dehors, il allait falloir qu’elle commence à assumer ses choix.

— Est-ce que tu as au moins quelque chose ? reprit Natasha, tentant tant bien que mal de faire abstraction des attaques de la ministre.

L’explication fut brève. Après tout Lucille n’avait pas grand chose et n’était définitivement pas d’humeur. Elle avait fait ce qu’elle avait pu pour essayer de trouver la source d’alimentation en eau mais s’était retrouvée face à un mur et aucun papier officiel ne faisait ne serait-ce que sous entendre l’existence d’un tel endroit. Aucune structure officielle, distribution de l’eau divisionnelle inclue, ne semblait impliquée. Ils utilisaient donc probablement de simples citoyens, ce qui compliquait pas mal la tâche.

— Et tu ne peux pas simplement demander à une secrétaire ? enchaîna Natasha. Tu es ministre, figure d’autorité. Ils te donneront les historiques tout de suite sans que tu aies besoin d’avoir les autorisations officielles nécessaires ou de passer par un procureur ou je ne sais quoi.

— Si quelqu’un parle ou ne serait-ce même qu’une petite rumeur qui circule sur une demande de ce genre de ma part, appuya la ministre, c’est moi qui me prends tout dans la figure. Autant demander de manière officielle les historiques et contrôler la crise médiatique derrière. Je veux dire, une ministre qui veut se procurer les historiques de consommation en eau des habitants, tu imagines un peu les dégâts ? Sans compter le fait que ça mets légèrement en lumière que de tels historiques existent.

— Tout est stocké dans cette foutue division, tout le monde le sait.

— Mais personne n’aime qu’on leur rappelle, souleva Lucille. Tout le monde sait que les corporations dirigent le Sénat du Paris France mais tant que ce n’est pas dit à l’oral, tant que ce n’est pas répété, les gens l’oublient momentanément et passent à autre chose. Je suis d’accord pour t’aider, pour cette gamine, précisa la ministre, mais je n’y mettrai pas ma carrière.

Natasha soupira, elle était épuisée. La route avait été longue et l’attente exténuante. Et voilà maintenant que tout ça n’avait servit à rien.

— Quel autre…, commença-t-elle, qu’est-ce que tu peux vérifier d’autre ?

— Si tu me disais comment tu arrives à pénétrer dans la division, je pourrais vérifier de ce côté. Il faut bien que l’eau sorte d’ici.

Natasha rit doucement :

— Ca, ça n’arrivera pas.

— Je ne peux donc rien faire d’autre.

— Tu peux passer par papa, suggéra Natasha.

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