C’était probablement l’un des bâtiments les plus imposant de l’Espace Atlantique. De larges baies vitrées qui ne semblaient jamais vouloir finir et un horrible hologramme en guise de statue, juste devant. Une cascade d’eau qui s’éclatait contre le goudron.
La Chambre d’Eau s’occupait de l’assainissement en eau et sol de la division – ainsi que de la distribution d’eau saine et son infrastructure était une véritable catastrophe artistique.

Lucille soupira et pénétra à l’intérieur du bâtiment, son nom l’emmena directement au 102ème étage. Déjà son père, prévenu de sa visite, l’attendait dans son bureau. Bien plus large que le sien, bien plus large que les laboratoires de Claire, il lui donnait le vertige à chaque fois. Un bureau et deux fauteuils perdus dans le vide.

— Papa, sourit-elle en lui faisant la bise.

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? s’enquit-il rapidement.

Elle se dégagea la gorge, jeta un oeil derrière elle et avança :

— Ca demande une certaine discrétion.

— Si c’est en rapport avec ta soeur…

— Papa, coupa Lucille.

Il souffla et verrouilla la porte de son bureau de quelques doigts sur l’hologramme central, avant de se retourner. Il souhaitait visiblement en finir le plus rapidement possible.

— Il me faudrait les historiques de consommation des divisionnels.

— Il te faudrait ? reprit-il, quelque peu sarcastique.

— Effectivement.

— Et ce serait trop de t’en demander la raison, n’est-ce pas ? Si Natasha t’a demandé…

— Papa, s’enquit la ministre, s’il te plaît, c’est un peu plus important que ta déshéritée de fille qui est allée faire sa crise d’adolescence accompagnée de stupides armes là-dehors, ok ? Je ne peux pas t’en parler et je ne peux pas passer par la voie officielle. Je ne fais pas confiance aux secrétaires et hôtesses d’accueil, les rumeurs vont vite. Est-ce que tu vas me les transmettre ou non ? C’est simple.

Il acquiesça légèrement, soudainement amusé.

— Encore une fois, c’est papa qui vient à la rescousse.

— Tu sais quoi ? Laisse-tomber, souffla Lucille.

Il fallait toujours qu’il ramène son nom partout, c’était humiliant. Elle ne se rappelait pas d’une conversation qui ne finissait pas à la réduire au rang d’imposteur.

— J’ai mérité ma place de ministre. Je ne suis pas à la tête des ressources, je suis à la tête de la communication, souligna-t-elle. Et je ne dis pas que ton nom, que cette entreprise, n’a pas joué un rôle dans mon élection dans la petite chambre quand personne ne me connaissait encore et que j’étais extrêmement jeune, mais la fonction de ministre ? appuya Lucille, je ne la dois qu’à ma réussite. Alors je suis désolée que tes relations au sein de la division et ton impact économique ne suffisent plus de nos jours pour avoir autant d’influence que tu en voudrais, influence que j’ai, je suis désolée que nous ne sommes pas le Paris France où l’empire économique que représente ton, exagéra-t-elle, entreprise t’aurait effectivement donner cette influence, je suis désolée que tout ça, continua-t-elle en montrant le bureau d’un cercle de la main, soit passé sous l’influence de la division et qu’elle te retient fermement de tout expansionnisme économique ridicule que tu pourrais bien avoir envie de faire avec des décrets et projets de loi visant à garantir l’indépendance en eau de la division, mais je n’y suis pour rien. Il est vraiment temps que tu passes à autre chose, je suis fatiguée de tes insinuations toujours plus sordides les unes que les autres. Parce que tu sais qui vient à la rescousse quand tu, appuya-t-elle, a un problème ? Chez qui est-ce que tu débarques en pleine journée ? Chez moi, papa. Chez moi.

Lucille inspira tandis que son père prenait place à son bureau. Lui tenir tête n’était probablement pas des plus efficace pour en obtenir quelque chose mais entre lui et Natasha, les choses devenaient agaçantes de ridicule. Elle n’avait aucune envie de se retrouver ici, en premier lieu. Et encore mois pour demander de l’aide.

Il finit par lui tendre une minuscule puce, chose que Lucille n’avait pas vu depuis quelques années.

— Quand tu as finis, elle disparaît, fit-il devant son regard interrogateur. Je ne veux aucune trace de ces données dans le système central.

— Merci, acquiesça-t-elle.

Elle s’apprêtait à partir quand elle vit le corps de son père se tendre de surprise devant les images flottantes.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Un haut-placé du Pentagone vient de mentionner l’implication des USA dans la Liquidation.

— Le Pentagone ? reprit Lucille.

Il acquiesça avant de monter le son et la ministre se glissa derrière lui, accédant pleinement aux lumières de l’hologramme. Le flash info ne tarda pas à se glisser dans les softs news françaises, « Eric Tweener, officiel du Pentagone, revient sur le rôle des Etats-Unis dans la Liquidation ».

« Bonjour à ceux qui viennent de nous rejoindre, en voici des images exceptionnelles. 47 ans après la Liquidation, un officiel prends enfin la parole sur l’implication américaine. Ces images viennent d’une chaîne d’informations américaine alors que Tweener faisait la promotion de son livre « L’idéologie et les Hommes ». »

Le simple plateau blanchâtre français laissa place au coloré américain, occupé par quatre hommes et un public des plus silencieux.

« Vous parlez de la chute du monde comme si c’était quelque chose qui nous était tombé dessus, un fatalisme ahurissant teinté d’autant d’hypocrisie que de patriotisme. Les Etats-Unis d’Amérique ont participé au déclin. Les Etats-Unis d’Amérique ont provoqué ce que les Français appellent la Liquidation. »

« La France représentait tout de même un danger non négligeable, à l’époque. Morel était redoutable et la menace nucléaire était plus qu’extrêmement présente. J’aimerais rappeler aux lenspectateurs que la Maison Blanche avait intercepté un message explicitant clairement l’intention française d’utiliser ses forces nucléaires. »

« De un, où est ce message ? Que contient-il réellement ? Nous n’en avons jamais vu la moindre trace. Et deuxièmement, ce n’est pas la question. Le fait est que l’Amérique n’avait pas assez de force militaire disponible pour s’occuper efficacement de la situation. Nos troupes étaient engagées sur la terre, la mer, dans les airs. En Iran, en Urkraine, en Afghanistan, en Syrie, en Libye, en Afrique et ça, ça ne se sont que les conflits dans lesquels nous étions, en tant qu’Etats-Unis d’Amérique, engagés. Parce que des troupes et de nombreuses forces armées étaient officiellement présentes en Chine, dans la Mandchourie, à la frontière russo-chinoise également, en Finlande, au Japon, en Argentine, au Brésil, en Allemagne dont nous avons reconstruit toutes les anciennes bases militaires de la guerre froide, en Turquie, en Hongrie, en Corée … sans compter les réseaux d’informateurs, d’espions, les petites milices, les révolutionnaires que nous financions ici et là. Nous n’avions pas les moyens de rentrer en conflit direct avec la France. Non seulement, le département de la défense était complètement submergé et on voyait des administrations plus inefficaces les unes que les autres défiler, mais en plus ouvrir un front direct avec la France ? C’était ouvrir un front direct sur le territoire européen, nous ne pouvions pas nous le permettre. Nous ne pouvions pas nous permettre de compromettre l’allié économique et idéologique que représentait l’Europe à une époque où la guerre nucléaire tenait à quelques mots et que la Chine s’imposait sur la scène internationale. Nous n’avions pas les moyens financiers, nous n’avions pas les moyens matériels, nous n’avions pas les hommes nécessaires. Alors, au lieu de trouver de quoi calmer efficacement la solution, on a fait quoi ? On a paralysé la France pendant des semaines, on a provoqué cette Liquidation. »

« Vous rejetez donc toute implication chinoise dans cette Liquidation ? »

« Mais pourquoi croyez-vous que les chinois ont crû bon d’intervenir ? Je ne dis pas que nous sommes entiers responsables, je dis que nous avons crier au monde qu’il était juste et justifié de détruire des pays, y compris aussi imposants que la France, en utilisant des armes de destruction massive. Nous avons fait l’exacte même chose au Japon en 1945. Le contexte était alarmant, le contexte était dur et nos idéologies ont encore une fois pris le pas sur la raison. Il y avait meilleur moyen de régler la crise, moyens qui n’auraient pas amenés à la chute du monde. »

« Mais est-ce qu’on ne peut pas dire, au contraire, que la paralysation de la France a permis à ce monde d’éviter une guerre nucléaire ? Et vous soulignez vous-même que le contexte était dur. Etait-il humainement possible d’entrevoir une autre solution quand le monde était ce qu’il était et que la France se positionnait comme la dernière frontière entre des conflits armés disséminés dans le monde et un conflit nucléaire sans précédent ? »

« Il est probable que si la France et Morel étaient allés au bout, nous aurions effectivement entamé une guerre nucléaire mais j’aimerais tout de même rappeler que des armes chimiques et bactériologiques ont été utilisées. »

« Mais ce n’est pas du nucléaire. »

« Non, effectivement, ça reste des armes de destruction massive qui ont été utilisées chirurgicalement et stratégiquement à certains endroits de la planète. C’est tout aussi grave. Le problème c’est que le nucléaire effraie, le nom même effraie. La priorité à l’époque, c’était de contrer l’hégémonie chinoise, reconquérir nos bases et influences sur le continent américain tout en évitant une guerre nucléaire entre toutes ces puissances qui émergeaient dans le monde. L’utilisation de toute autre arme paraissait peu grave, justement. L’utilisation de bombes IEM paraissait moins grave et plus souhaitable que celle de deux bombes nucléaires. Je veux dire, nous avons connu une course aux armements sans précédent, développer des dizaines d’armes qui, tout en étant non-nucléaire, permettaient une frappe massive et complètement destructrice. Vous n’imaginez même pas les projets que le département de la défense a vu passé sous ses yeux, projets heureusement non aboutis pour la plupart. »

« Vous n’avez pas répondu à ma question, au final, était-il possible, humainement possible, d’entrevoir une autre solution au problème français ? »

« Je pense, très honnêtement, que oui. Encore une fois, ça n’avait au final pas autant de sens de s’attaquer à la France, de s’attaquer à l’Union Européenne, de cette manière là. Les conséquences économiques du largage des bombes, de la perte d’un poids économique comme celui de la France, auraient dû être prévues et revues. Elles ne l’ont pas étés. Qu’est-ce qui s’est passé, ce jour-là, pour qu’on se soit imaginé que c’était une bonne idée ? »

« Vous parlez de la pensée de groupe, d’avocat du diable dans votre livre … »

« Oui, tout à fait, il existe des mesures qu’on peut prendre très simplement pour contrer la pensée de groupe et les mauvaises décisions qui en résultent. Ces mesures n’ont pas étés prises. Ce n’est pas que nous, évidemment. Le conflit idéologique extrêmement fort n’aidait en rien, tout comme la politique, d’ailleurs. L’impact de la chaîne de commande, avec l’Affaire McCaurthy, des médias, des élections présidentielles américaines de 2082 même, est présent et a influencé, évidemment qu’ils ont influencé ce qu’il s’est passé. C’est évident. La question est : quand allons-nous reconnaître notre part de responsabilité dans le sort que la France, et donc le monde, a connu ? Quand allons-nous cesser d’être motivés par les craintes du passé, les craintes du futur et arrêter d’oublier que c’est au présent que le futur se construit ? Nous sommes trop concentrés sur ce qu’il pourrait arriver et ce qui est déjà arrivé pour réaliser ce que nous sommes en train de faire, là, maintenant, tout de suite. Parce que la Liquidation ? Elle peut arriver n’importe quand à n’importe qui, dès maintenant. Si l’Histoire a bien montré une chose, c’est qu’à force de l’étudier des années plus tard, avec du recul, en connaissant majoritairement toutes les variables, nous en oublions qu’au moment présent, là, tout de suite, nous ne connaissons absolument pas toutes ces variables et ne pouvons donc pas nous fier à nos croyances pour prendre la meilleure décision. »

Le plateau français fit sa réapparition, les images défilant sans que Lucille ne les voit réellement. La situation était inédite. Elle attrapa son propre DID et appela sa secrétaire alors qu’elle déposait un baiser rapide sur le front de son père et disparaissait de son bureau. Dans la blanche, l’attente était insoutenable.

— Mlle Lambert ? fit enfin la tête de Sarah, face à elle.

— Sarah, je veux tout savoir de cet Eric Tweener. Qui il est, qui il était, pourquoi maintenant. Je serai au bureau dans un quart d’heure.

— Tout de suite, Mlle Lambert.

_______________________________

Guillaume déglutit lentement. La précédente journée l’avait affamé et tout le monde attendait qu’il s’explique. Il termina son bout de pain et enchaîna, attrapant une bouteille d’eau non loin.

— Il est prêt à nous aider.

Il but quelques gorgées avant de refermer la bouteille.

— Et il n’a pas pris l’argent. Il peut nous rendre quelques services qu’il disait.

— Donc tout le monde a argumenté sur le pourquoi du comment on devrait dépenser cet argent en comm ou en armes et au final … s’amusa Emma.

Natasha acquiesça. Lucille avait raison, bien sûr qu’elle avait raison. Il leur fallait des alliés, de solides piliers à l’intérieur de la division.

— Les messages, reprit difficilement Guillaume entre deux bouchées, vont être diffusés à midi pile, sur tous les DIDs publiques du centre-ville.

Cédric entra soudainement dans la pièce, se dépêchant d’attirer Natasha à l’extérieur. Il lui tendit un talkie-walkie qui grésillait déjà.

— Atlantique, canal 3

— Atlantique, canal 3 OK, répondit-elle.

Natasha se déplaça sur le canal 5, ouvrant la communication. Ils n’avaient pas beaucoup de choix, dans ce domaine. L’information était volatile au sein du Grand Vide : elle ne pouvait voyager que par canaux, aucune autre ligne ouverte et directe n’existait. Cédric était continuellement alerte à tout début de communication, le talkie-walkie toujours sur lui. Fallait dire que les autorités ne s’imagineraient jamais qu’ils utilisaient une technologie aussi vieille. S’ils voulaient intercepter un message, ils devaient se retrouver à proximité, impossible de le faire depuis les divisions. Elle était quasi-insaisissable. Puis c’était une des seules technologies indépendante de tout network.

— Atlantique, enchérit Lucas à l’autre bout, nous avons un problème.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Un gars du Pentagone vient de prendre position et reconnaît l’implication des USA dans la Liquidation.

Natasha ferma les yeux, soupirant. Tout se présentait pour le mieux, pourtant. Elle acquiesça dans le vide, pinça ses lèvres et reprit.

— Bien reçu, essayez de récupérer plus d’informations histoire de savoir où on en est.

— Bien reçu.

Elle rendit le talkie-walkie à Cédric et la nouvelle ne tarda pas à se répandre. Aucune figure officielle américaine n’avait encore prononcé le moindre mot jusque là. Et la presse n’allait pas lâcher l’affaire. La couverture médiatique de cette annonce risquait fort de les noyer sous les lumières.

Guillaume rit doucement, se laissant tomber contre le mur. Le voyage l’avait épuisé, hier. Aussi physiquement que psychologiquement. Et aujourd’hui une bombe leur tombait dessus.

— Ca devrait être une bonne chose, pourtant.

— Ca dépends du contexte, répondit simplement Natasha. Il y a probablement des enjeux politiques derrière, comme d’habitude.

— Je suis désolé, tu sais, si j’ai été distant ces derniers jours.

Elle releva les yeux, surprise.

— Tu veux dire complètement absent ?

Il glissa sa main dans sa poche, à la recherche de sa cigarette. Il n’avait plus beaucoup d’arômes, d’ailleurs. Cédric lui avait trouvé quelques petites choses ici et là, pas de quoi tenir très longtemps. À peine de la nicotine.

— C’est juste, commença-t-il, cherchant ses mots sous la légère fumée, après les Bretons … Nat’, combien sont morts ? Je veux dire, on l’a pas tenu longtemps, la Loire. On a juste filé en douce. Et là, l’histoire avec Chloé … Je ne comprenais pas où on allait, ce que tu faisais.

— Pourquoi tu ne m’en as jamais parlé ?

Il haussa les épaules.

— Si on perds l’ordre et la structure, on est plus bons à grand chose. C’était la dernière chose que je voulais. Mais je comprends maintenant. La responsabilité, tout ça. Je voulais juste m’excuser d’avoir été … absent.

— Tant que tout va bien maintenant, sourit-elle.

— Est-ce que tout va bien, d’ailleurs ? enchérit-il.

Elle fronça les sourcils et il se releva lentement.

— Tu n’as pas l’air bien depuis qu’on est rentrés.

— T’es au courant que t’as une tête affreuse, pas vrai ? s’amusa-t-elle.

— Je dis juste, souffla-t-il avant de reprendre, j’imagine bien que je ne dois pas savoir où tu étais mais …

— À chaque fois, je me rends compte que pas grand chose ne m’y attends. C’est tout, finit-elle fermement.

_______________________________

Lucille gravit les dernières marches et Sarah arriva vers elle, accompagnée d’images flottantes. Le vieux palais Rohan était en ébullition.

— Eric Tweener n’est pas un officiel du Pentagone, lança-t-elle rapidement.

La ministre s’arrêta net au milieu du couloir. Les médias étaient décidément incapables de faire leur travail correctement, ce mot changeait toute la donne.

— Il y a passé 12 ans puis a démissionné et a fait des études en sciences humaines : sociologie, anthropologie, je vois de la psychologie sociale également, continua Sarah en vérifiant d’un coup d’oeil les lumières.

— Il était au Pentagone lors de la Liquidation ? reprit Lucille.

— Quand ils ont pris la décision de lâcher les IEM, oui.

— Très bien, restez joignable, extrêmement joignable et déplacez tous les rendez-vous qui peuvent l’être. Est-ce que le Président a appelé ?

— Pas encore non, Mlle.

— S’il le fait, dîtes-lui que je suis en route. Et restez joignable. Et trouvez-moi le maximum d’informations sur sa vie personnelle, ajouta la ministre sur le point de partir, pourquoi il a démissionné, pourquoi il a attendu aussi longtemps pour écrire ce livre, je ne veux pas être prise au dépourvue. Je veux un exemplaire du livre et un résumé du livre.

— C’est comme si c’était fait.

Lucille acquiesça et prit congé, rejoignant l’autre côté du couloir. Elle pénétra dans la petite salle carré du bureau des relations publiques. Les couleurs brillaient dans tous les sens et les murmures pressés, ensemble avec l’excitation, donnaient l’impression que la salle allait craquer sous trop de poids. Et l’absence de vitre n’aidait en rien à y donner de l’espace.

— Ecoutez-moi tous, fit-elle en élevant sa voix de sorte à ce que tout le monde puisse l’entendre, aucun commentaire, aucune apparition jusqu’à ce que je, ou le Président Divisionnel, ne vous en informe autrement. Suis-je claire ?

Elle n’attendit pas de réponse et finit rapidement à l’étage, débarquant dans le bureau de Loïc qui, après celui de son père, lui semblait d’un coup bien petit. Il l’attendait adossé contre son bureau, les bras croisés. Visiblement perdu.

— On ne dit rien, s’enquit Lucille.

— Sois un peu réaliste, enchérit Deneuve qui ne manquait visiblement pas de temps, on doit agir. Maintenant. Conférence de presse.

Lucille sourit doucement et se retourna totalement vers le ministre. Il était un véritable vautour, prêt à tout pour s’imposer. Toujours présent là où on ne l’attendait pas.

— Ne le prends pas mal, vraiment, insista-t-elle, mais tu t’es éloigné bien trop longtemps de la politique pour avoir ton mot à dire là-dessus. Ce n’est pas un officiel du Pentagone, enchaîna-t-elle en direction de Loïc, on ne réagit pas.

— En réagissant maintenant et quand je dis maintenant je veux dire il y a trois heures, reprit Deneuve, on redevient la victime, un pays à reconstruire, une cause humanitaire et un investissement.

— L’Espace Atlantique n’est pas une victime, soupira Lucille, des plus agacée. Nous ne sommes pas une victime. Ils sont en pleines élections présidentielles mon dieu, la première chose qu’ils vont mettre en avant c’est justement le fait qu’on s’en soit bien sorti. Les chiffres ne font pas de nous une victime. Les lumineuses ne font pas de nous une victime. Notre défense bactériologique ne fait pas de nous une victime. Le fait même qu’on se soit opposé aux organismes génétiquement modifiés fait de nous des résistants avec assez de pouvoir et de ressources pour dire non à quelque chose d’aussi normalisé que la nourriture la plus consommée au monde. Nous ne sommes pas une victime. On ne doit pas réagir. Les associations humanitaires feront leur travail, tu auras ta couverture médiatique, tu auras tes nouveaux investisseurs, tu auras même peut-être une vague de donations mais on ne réagit pas.

Il ouvrit la bouche et Loïc se releva lentement, coupant l’élan du ministre.

— Deneuve, s’il te plaît, enchaîna-t-il fermement.

Le ministre secoua la tête et sortit du bureau non sans jeter un regard noir à Lucille.

— Quels sont les scénarios possibles ? enchérit Loïc.

— Son livre ne semble pas être centré sur la Liquidation mais sur l’impact de l’idéologie, l’interview est partie dans cette direction un peu par hasard. Et, vraiment, c’est encore plein d’américanisme. Ce n’était pas la France qui était au centre de la discussion, c’était les USA : la puissance des USA et de son idéologie qui aurait anéanti un pays aussi prégnant que la France. Il y a quelques bonnes choses, mais beaucoup de bruit pour pas grand chose. La France est à peine considérée dans ces mots, et personne n’a même souligné l’existence des divisions. Le Pentagone va probablement faire un communiqué de presse bateau, se distancer de tout ça et calmer un peu le tout. L’histoire sera probablement récupérée en pleine campagne présidentielle par quelques opposants et probablement pour souligner le contraire : la réaction nécessaire des USA qui n’a pas été si destructrice puisqu’on s’en sort pas trop mal au final, va faire un peu le buzz pendant quelques jours et sera noyée. Cela dit, le fait qu’il soit un ancien officiel pourrait jouer en notre faveur – ou empirer les choses, ajouta la ministre. Ca lui donne de la crédibilité envers les citoyens américains, ça donne de la crédibilité à l’histoire, un officiel pourrait répondre en fonction de ce que les médias et les candidats à la présidentielle en font. Mais à ce stade, c’est peu probable. Et la réponse pourrait très bien ne pas être celle qu’on attends.

— Et si la Maison Blanche réponds ?

Il était très peu probable que quelque chose du genre se produise pour toutes les raisons que Lucille avait déjà énuméré mais elle savait qu’il avait à coeur d’envisager rapidement toutes sortes de scénarios.

— S’il le fait vis-à-vis de l’histoire, du livre, ou de l’ancien du Pentagone, on ne réponds pas. S’il le fait vis-à-vis de la France et qu’il fait un travail de reconnaissance, on aura un choix à faire. On réponds en tant que Division et on s’affirme un peu plus, ou on réponds en tant que France, comme le monde nous connaît toujours, et faudra voir avec le CD [1]. Dans les deux cas, le risque est présent. Dans le premier cas, tu passes pour un rapace qui utilise la Liquidation comme tremplin politique et économique, mais tu permets à la division de gagner en reconnaissance. Dans le deuxième cas, tu fais passer les Français en premier mais tu auras des comptes à rendre pour le Grand Vide. Les internationaux vont pas passer à côté. Ils vont tous souligner le fait qu’il est inhumain de laisser ces Français là-dehors alors même que tu es en train de donner un discours sur le fait que tous les Français ont été touchés par la Liquidation et que celle-ci s’étends bien plus loin qu’aux divisions, elle s’étends à la France blablabla, enchérit rapidement Lucille. Tu passeras pour un hypocrite et on sera définitivement plus les victimes mais bien les investigateurs. Les gens commenceront à accuser.

— Donc en fait, nous n’aurons pas vraiment le choix, sourit faussement Loïc. La Zone de l’Est ne fera probablement pas le moindre effort de ce côté-là.

— Toujours dans le cas où la Maison Blanche répondrait, souligna Lucille, effectivement, on devrait attendre que les autres divisions se positionnent et simplement suivre la tendance, du moins faire croire qu’on suit la tendance. Nous sommes parmi ceux qui ont le moins à gagner et le moins à perdre. On suit, on évite les conflits divisionnels, on a pas besoin de partir dans une guerre d’influence avec les autres divisions. Ce sera juste ridicule, laisse le Paris France et la Zone de l’Est perdre du temps là-dessus. Dans tous les cas, ils choisiront probablement tous de s’affirmer – personne ne voudra être publiquement confronté à la question du Grand Vide, pour ça il faut éviter de parler des Français au sens large et donc éviter de parler de la France et appuyer sur la division. On récupérera derrière de toute manière.

— Une fois que l’histoire s’est calmée, tu fais une apparition médiatique.

Lucille acquiesça légèrement.

— Pour calmer les rumeurs qui se seront glissées entre-temps sur notre non-réaction et on en rajoutera une couche sur le travail de mémoire tout ça. Mais il est peu probable qu’une figure du gouvernement américain réponde vraiment vis-à-vis de la Liquidation, surtout en période d’élections. Par contre, peu importe ce qu’il se passe aux USA, si le Grand Vide ressort ici …, soupira Lucille.

— Je sais, je sais. Les divisionnels ne tiendront pas. Ils vont déjà être assez excités comme ça, évitons de leur donner le Grand Vide par-dessus le marché. Fais ce que tu penses bon, je te fais confiance.

La faute réalisée par les médias avait finie par être rectifiée, bien trop tard. Peu importait combien ils rappelaient à présent qu’il n’était plus en fonction au sein du Pentagone, la plus grosse partie de la population avait déjà tranché sur sa décision. Lucille savait combien c’était rapide. Il était plus que difficile de défaire quelque chose dans ses conditions. Toute information que les divisionnels recevaient maintenant était traitée par un filtre, par ce qu’ils croyaient et l’idée qu’ils s’était faite de la situation. Savoir qu’il était un ancien officiel, qu’il n’était plus en fonction, ne changeait rien pour la majorité d’entre eux – alors même qu’en avoir connaissance d’entrée de jeu aurait eu une importance capitale dans leur interprétation des évènements. La question de responsabilité vis-à-vis de la Liquidation était lancée.
Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était de noyer les lumières. Et espérer que les associations ne se jettent pas tout de suite sur le Grand Vide – ou du moins, à faible échelle. Une soi-disante reconnaissance de l’implication américaine dans la Liquidation allait faire ressurgir les problèmes en eau des divisionnels, relancer les lumières qu’avait pourtant noyé Lucille auparavant sur la décision de la chambre supérieure de ne pas appuyer le projet de loi sur l’élargissement de la QENES [2], et si on y ajoutait la question du Grand Vide et des Français sans accès à l’eau potable, les citoyens étaient partis pour un fait social total qui allait probablement durer quelques semaines. Et c’était sans compter les niveaux supérieurs. Des divisionnels qui faisaient du bruit autour du Grand Vide, c’était également des divisionnels qui attiraient l’attention des médias à l’extérieur de la France. Les tensions entre divisions et la couverture médiatique qui suivra à l’étranger pourraient être quelque peu catastrophique, surtout lorsque la division cherche des relations internationales.
Il y a toujours eu des gens pour défendre le Grand Vide, évidemment, souvent des intellectuels qu’on écoutait pas plus que ça, la division était jeune et tout le monde se remettait à peine. À l’époque, les principaux citoyens avaient tous connu la Liquidation et les nouvelles générations en avaient été teintés par leurs parents : eux-même avaient du mal avec l’eau saine, alors ceux qui étaient en dehors ? C’était du romantisme pur et dur. Juste du romantisme. Une cause qu’on défendait tous mais que personne ne tournait réellement en actes. Avant les insurgés – quoique le motif principal des insurgés était méconnu par la plupart des divisionnels, leur image étant totalement floue à l’intérieur des murs. Mais la nouvelle génération était née dans ce nouveau monde, cette nouvelle France et sa compréhension de la situation n’en était que plus différente : comment leurs parents avaient-ils pu laisser ces Français, là dehors ? Un raisonnement qui ne rendait cette génération que plus dangereuse encore si le Grand Vide venait à faire briller les lumières.

Quoiqu’il en soit, Lucille allait devoir attendre que la crise passe afin de pouvoir répondre aux divisionnels sur la gestion de l’eau et la Liquidation et non plus au buzz de cet écrivain qui faisait la promotion de son livre. Et ça allait être difficile d’attendre. La Zone de l’Est et le Paris France n’allaient probablement pas laisser passer leur chance tandis que l’Espace Atlantique resterait silencieux. Les divisionnels allaient rapidement faire la comparaison et accuser.

— Sarah ? appela la ministre. Sarah ?

Elle apparut enfin sur le pas de la porte, visiblement embêtée.

— Est-ce que vous pourriez passer commande chez l’Etage 144 avant de prendre votre pause ?

— Mhm, oui bien sûr mais je pense que vous devriez regarder par la fenêtre Mlle.

Lucille fronça les sourcils, détachant ses yeux des informations que Sarah avait récolté ce matin.

— Par la fenêtre ?

— Oui, Mlle.

La ministre rit doucement avant de se retourner. Les panneaux publicitaires étaient inondés de simples messages blanc sur fond bleu. Malheureusement, Natasha semblait l’avoir écouté. Excellent timing, cela dit.

« L’être humain est composé à 80% d’eau. »

« Un Français sur trois n’a toujours pas accès à de l’eau saine. »

« Le Grand « Vide » est habité par 5 millions de Français. »

_______________________________

Il y a quelque chose qui n’allait pas. Cela faisait cinq jours maintenant. Malgré ce que Natasha avait pensé, l’écrivain les avait aidé à capter l’attention de la population. Il avait relancé la question de la Liquidation, de la responsabilité, du Grand Vide ; leurs messages étaient arrivés juste à temps pour échauffer les divisionnels. Les étudiants avaient déjà spontanément manifesté à Bordeaux et une organisation plus générale avait appelé à la mobilisation pour la fin de la semaine. La couverture médiatique était importante, d’anciens reportages sur le Grand Vide étaient diffusés, des émissions censées être intelligentes se jetaient sur la question. Le Grand Vide et sa gestion était au centre des discussions. Et grâce à l’hyper-médiatisation, c’était également les pays étrangers qui s’y étaient penchés. Fallait dire que c’était un sujet à sensation, le genre de sujet qui faisait de l’audience tout en rassurant la population à coup de vous avez vu, ailleurs, c’est bien pire.
Mais ça faisait cinq jours. La Zone de l’Est n’en avait attendu que deux pour souligner la parfaite organisation et distribution en eau de la division, tout en y glissant quelques dénonciations sur la politique américaine pleine de manigances et sombres recoins – dont, bien sûr, la Zone de l’Est était tout à fait exempt. Le Paris France avait répondu au jour le jour, appuyant sur la performance du Sénat, leur position économique qui permettait « l’eau pour tous » et sur la nécessité d’agir pour aider le Grand Vide, bien qu’évidemment le sous-entendu était plutôt : faire en sorte que le Grand Vide se développe sous son modèle politique de sorte à en avoir le total contrôle et récolter les crédits qui y allaient de pair. Mais Lucille n’avait pas prononcé un seul mot. Cinq jours.

— Je ne le sens pas, souffla Guillaume, si l’Espace Atlantique ne réponds pas …

— Je sais, enchérit Natasha. Je n’aime pas ça non plus.

— Est-ce qu’ils sont pas obligés de répondre ? La population se mobilise, les médias inondent et deux divisions ont déjà pris position, souligna Emma.

— Ce n’était pas un officiel, ils ne veulent probablement pas prendre le risque de froisser les Etats-Unis.

— Si il y avait un risque de froisser les USA, pourquoi le Paris France et la Zone de l’Est ont pris position ?

— Peu importe, soupira Natasha, si ils ne répondent pas, c’est d’autant plus bénéfique pour nous.

— Ils ne sont pas à l’écoute du peuple, enchaîna Guillaume.

— Voir même ils n’en ont juste rien à faire du Grand Vide, sourit Cédric.

_______________________________

— Lambert, lança brusquement un sénateur du Paris France à l’autre bout de la salle, vous avez perdu votre langue dans l’Espace Atlantique ?

Les rires se soulevèrent et Lucille se releva lentement.

— Tu es au courant que c’est de la triche quand on contrôle les médias, pas vrai ? sourit la ministre.

— Oh, tu me brises le coeur Lambert.

Si au Sénat du Paris France siégeait le patron des gros médias de la division et qu’au sein de la Zone de l’Est les médias étaient considérés comme relevant du service publique et de ce fait étaient officiellement sous tutelle de l’Etat, c’était loin d’être le cas pour le reste des divisions. Elles ne pouvaient se permettre de répondre à la situation – ou plutôt, se servir de la situation, puisqu’elles n’avaient pas la certitude de pouvoir gérer les possibles conséquences médiatiques et notamment de contenir les mots comme Grand Vide – ou tout du moins en glisser les articles dans le fin-fond du journal comme le faisait souvent le Paris France Matin. Même si ni la Zone de l’Est ni le Paris France ne contrôleraient jamais totalement l’opinion publique, elles avaient certains outils à disposition et régulaient plus ou moins les médias. En régulant un minimum l’information, ils en régulaient l’attention qu’y exerçaient les divisionnels. Natasha avait donc bien fait d’utiliser l’Espace Atlantique. Dans le Strasbourgeois, l’information aurait été accompagnée d’un article biaisé démontant l’opposition et comme par hasard les débats de la matinale auraient été les insurgés et les vies qu’ils prenaient histoire d’enlever toute légitimité à leurs actions. Dans le Paris France Matin, l’information aurait fait la colonne des faits divers en deux-trois lignes sans qu’on en reparle trop, diminuant le plus possible sa fréquence dans les médias et noyé par d’autres thèmes sur autant de réseaux sociaux que possible. Pas de quoi faire une grosse couverture médiatique. Mais l’Hologramme, au contraire, en faisait briller des lumières. Bien qu’évidemment les informations étaient toujours régulées par des dizaines de facteurs, dont la ligne éditoriale et les audiences, l’influence de l’agenda politique était quasi-nulle et n’agissait qu’indirectement. Le mot Grand Vide n’avait donc pas été contenable et ce que Lucille avait craint il y a quelque jours s’était produit : il s’était propagé comme un véritable Cheval de Troie, amenant avec lui des dizaines de difficiles questions et débats sans fin. La population demandait des explications.

— Est-ce qu’on peut reprendre ? s’impatienta le député du Bassin Central qui accueillait cette semaine le Conseil Divisionnel.

— Je propose qu’on parle des réponses, enchérit le même sénateur, nous ne sommes que deux divisions à avoir répondu, ça donne un peu l’impression que le Conseil n’est pas sur la même longueur d’onde.

— Le Conseil ne s’est pas concerté sur la question, essaya Dupré le plus calmement possible. Il était à quelques mots d’une accusation qu’il ne pouvait se permettre d’assumer seul, surtout quand sa division dépendait tellement des céréales de la Zone de l’Est.

— Quelle est la position de l’Espace Atlantique ? continua le sénateur sans trop s’occuper de Dupré.

— L’Espace Atlantique considère qu’elle n’a pas à répondre au buzz d’un écrivain américain en pleine promotion de son livre, répondit Lucille.

Henry éclata de rire avant de se pencher sur la table.

— Allez Lambert, « l’Espace Atlantique considère » ? reprit-il, tu considères, appuya-t-il. Faut parfois sortir cette langue de la chatte de ta scientifique.

— On devrait te la couper, tu sais, répondit la ministre. Je parle bien évidemment de ta langue, je ne vois pas ce qu’il y aurait d’autre à couper chez toi, mais vraiment, insista-t-elle, on devrait te la couper, ça t’éviterait ce genre de situations. Parce que ce genre de situations ? ça finit souvent assez mal pour le connard sexiste.

— Tu vois, là tu sors ta langue. J’aime ça.

— Hin hin, on passe à autre chose avant que je ne tue quelqu’un ? enchérit-elle en se tournant vers Dupré.

La dernière heure passa péniblement, personne ne souhaitait mentionner haut et fort le fait que deux divisions avaient pris le pas sur les autres en utilisant un buzz américain des plus ridicules afin de le politiser à leurs avantages puisqu’à part l’Espace Atlantique, toutes les divisions restantes avaient besoin d’un solide partenariat avec la Zone de l’Est qui, elle, n’en dépendait absolument pas. Les tensions avaient été lourdes et les sous-entendus nombreux.

Lucille soupira une fois la réunion achevée, bien inutile rencontre. Elle passa une main dans ses cheveux, épuisée. Elle avait démultiplié les rendez-vous avec des associations plus inquiètes les unes que les autres pour leur dire la même chose – pas grand chose, décliné les invitations de la presse et leurs insistants appels et accusations et elle faisait ce qu’elle pouvait pour assurer les relations internationales de la division, mais les temps étaient durs. Sans compter qu’elle devait réaliser ces visites officielles ici et là tout en trouvant un moyen d’éloigner les questions qui la forcerait à parler de la situation actuelle.

— Merci de ton soutien, enchaîna-t-elle alors qu’elle rejoignit Eric à l’extérieur de la salle.

— Sérieusement ? C’est juste le connard qu’il est, il cherche tout le monde. Ne le prends pas personnellement.

Elle sentit son DID vibrer et soupira, disposant rapidement de son collègue. Elle activa la connexion avec l’environnement et le chancelier allemand apparut soudainement. Après quelques courtes banalités, il en vînt aux faits.

— J’imagine que vous savez très bien pourquoi je vous contacte, il va falloir déplacer ma visite.

— Le Grand Vide français a toujours été présent, y compris quand vous m’avez formellement promis une visite officielle, essaya Lucille.

— Et cette visite se fera dès que cette légère … crise se sera calmée, assura-t-il. Si je viens en visite officielle alors que les médias ne parlent plus que de votre Grand Vide, je donne l’impression de tolérer le fait qu’un tiers des Français n’aient pas d’accès à de l’eau saine. Impression que, et je pense que vous comprendrez parfaitement, je ne peux pas me permettre de donner.

La ministre acquiesça lentement.

— J’apprécie que vous ayez personnellement appelé, répondit-elle.

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L’eau était froide mais le vent plutôt doux. Les doigts complètements écartés, Chloé posa ses paumes contre l’eau tranquille. La rivière s’étendait loin, s’imposant dans un paysage complètement plat. Chloé n’y voyait même aucune fin.

— Il fait un peu froid pour se baigner, intervînt Natasha derrière elle.

Chloé se rassit légèrement en arrière alors que Natasha la rejoignit.

— On peut vraiment se baigner là-dedans ?

Ca avait l’air tellement profond. Et large. De quoi se perdre.

— Pas en hiver en tout cas.

— Je ne sais pas nager, souligna calmement Chloé.

Natasha releva vivement les yeux avant d’étirer un sourire. Elle oubliait toujours d’où elle venait.

— S’il fait beau un jour, je pourrais t’apprendre. Ecoutes, soupira-t-elle, je sais que ce n’est pas toujours très amusant ici, mais tu sais que tu ne peux pas retourner là-bas, pas vrai ?

Chloé acquiesça légèrement. Miriam avait été gentille, mais elle lui avait toujours menti. Et elle mentait probablement toujours à Ivan.

— Je vais partir quelques jours avec Guillaume et Lucas, continua Natasha, on doit aller en Espagne pour essayer de récupérer quelques ar… affaires, reprit-elle rapidement. Mais Emma restera ici, tu l’aimes bien Emma, non ?

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