Ils étaient bien plus nombreux que Mathieu l’avait pensé, une véritable démonstration de force. Il se rapprocha du bord, les coudes rouges. Le toit n’était malheureusement pas assez haut, il ne voyait que le centre-ville. Et c’en était à gerber. Les officieux étaient par trois, armes aux poings. Chaque appartement, maison et pièce avaient l’air d’être fouillés. Et aucune trace des citoyens.
Il soupira, jeta un oeil autour de lui afin de s’assurer qu’aucun sniper ne s’était positionné sur les toits entre-temps et se releva. Les premiers mètres à parcourir furent faciles, les maisons étaient relativement proches et aucun obstacle particulier ne l’empêchait de poursuivre une cadence élevée sur les toits. Il dut ralentir quand le simple béton laissa place au verre. Les constructions de ce genre, composées majoritairement de baies vitrées, étaient relativement dangereuses. Non seulement le bruit que Mathieu faisait en les franchissant était démultiplié et il risquait d’avertir les gens qui y vivaient, mais il était complètement visible. Sans compter le fait que le verre glissait, fragile et que les bâtiments en étaient carrés, sans véritables accroches. Un vrai cauchemar.
Ses yeux étudièrent rapidement le terrain. Il pouvait passer par les jointures, perdre deux bonnes minutes et prendre le risque de se faire repérer par les officieux dans la rue, ou il pouvait franchir directement sur les baies vitrées et réveiller toute la maison. Quelle idée, aussi de mettre des baies vitrées qui ouvraient sur le ciel. Fallait vraiment être con.

Il repéra de quoi faire l’affaire sur le mur extérieur. Une plateforme qui servait probablement à mettre des pots de fleurs. Il y sauta pieds joints, récupéra, sauta une nouvelle fois. Ses mains s’accrochèrent comme elles le pouvaient sur la baie vitrée qui servait de toit et Mathieu poussa sur ses bras. Ses mains étaient moites, glissaient légèrement secondes après secondes. Il inspira et tira sur ses bras, balançant ses pieds dans le vide. Il finit par poser un genou sur le toit et se releva vivement. Un pieds devant l’autre, il chercha les jointures qui permettaient aux baies vitrées de tenir. Il n’y en avait pas beaucoup sur ce bâtiment qui datait probablement des années 2100 et elles faisaient 4 cm de largeur, tout au plus. Il s’assura d’un rapide coup d’oeil que personne ne l’avait en ligne de mire, dans cette position il était complètement à découvert. Une cible facile qui avançait bien trop lentement. Il restait une bonne dizaine de mètres à parcourir et, sous lui, toute une vie s’étalait. Si les occupants de la maison avaient des plaques automatisées pour couvrir les murs et leur donner un semblant d’intimité, leur toit était complètement transparent. Il y voyait le moindre détail.

Une fois arrivée à l’autre bout du bâtiment, il se pressa de rejoindre le voisin. Le toit était bien plus haut que celui qu’il quittait et Mathieu dut utiliser son pieds comme levier. Il n’aimait pas faire ça quand il ne connaissait pas le terrain, mais pas grand choix ne s’offrait à lui et il avait déjà perdu bien trop de temps. Il n’allait pas descendre pour perdre une minute à remonter.
Il vérifia rapidement autour de lui une fois sur ses deux pieds, avant d’élever la cadence pour tenter de rejoindre des bâtiments plus hauts, plus centrés. Il repéra facilement les citoyens une fois qu’il changea de rue. La vue directe qu’elle lui permettait d’avoir sur la place centrale et l’ancienne mairie répondit à ses questions. Natasha avait raison, c’était de leur faute.
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— Comment ça il est allé étudier le terrain ? reprit Natasha, quelque peu inquiète.

— C’est Mathieu, répondit calmement Philipe, il saute partout. Il se faufile partout. Il est allé voir les effectifs des officieux et étudier le terrain pour qu’il sache ce qu’il pourra ou ne pourra pas faire en cas d’urgence. Il est comme ça.

— Il faisait partis des gars qui ont escaladé l’énorme tour à Strasbourg, tu t’en souviens ? enchérit Guillaume.

Elle acquiesça, à l’époque les médias avaient utilisé le terme « inconscient » si elle s’en souvenait bien. Pas de quoi jouer en sa faveur. Philipe s’avança :

— Quand il dit vingt minutes, il veut dire vingt minutes. Ce gars ne déconne pas avec le temps.

Natasha soupira et s’assit sur un petit bout de terre relevé. Elle récupéra son glock, vérifiant une nouvelle fois que tout était bon.

— Vous n’avez amené que ça ? tenta Philipe.

— Si on avait ramené plus, non seulement on aurait perdu notre poids dans le rapport de force contre la Bretagne, mais on aurait également perdu la surprise. Le marché était que tout le pense qu’il ne s’agit que de votre groupe.

Il roula des yeux et jeta un oeil en contre-bas. Le stress allait le bouffer vivant. C’était la même chose à chaque fois. Le stress puis l’adrénaline. Le pire, c’est qu’il en redemandait toujours.
Mathieu ne tarda pas à revenir, tout le monde semblait bien silencieux, concentré. Il en profita pour récupérer une bouteille d’eau et s’humidifier la bouche.

— Des barrages à chaque entrées, on peut compter sur 4 à 5 officieux avec des automatiques. Et des véhicules blindés. Ils ont mit les citoyens dans le hall de la mairie, histoire d’être tranquilles pour fouiller les habitations. Ces connards.

— Et qu’est-ce qu’il a dit ? demanda Philipe.

— Qu’on pouvait y aller.

— Qui a dit quoi ? enchérit Natasha, quelque peu perdue.

Mathieu lâcha un soupir avant de relever les yeux.

— Je suis allé voir le maire pour être sûr qu’il souhaitait qu’on intervienne et pas qu’on les laisse avec les officieux. Je me suis dis qu’ils souhaitaient peut-être attendre que les officieux constatent qu’il n’y a aucun insurgé pour partir.

— Ils ne partiront pas, fit Natasha.

— C’est ce que le maire m’a répondu. En plus du fait qu’ils risquaient par bientôt tomber sur les armes qu’on leur a donné.

— Celles qui venaient des officieux, continua Philipe.

Mathieu acquiesça, une fois tombés sur ces armes, le village serait définitivement considéré comme ayant participé à l’« enlèvement » des 5 officieux. Il allait falloir les récupérer avant eux.

— On est beaucoup moins qu’eux, mais ils sont encore persuadés que nos forces sont à l’intérieur du village. Et ils pensent les avoir contrôlés en mettant tout le monde au même endroit. On peut en jouer. Ils sont 70/80 dans le village, plus la quinzaine qui reste aux barrages pour bloquer tout accès au village et la dizaine qui contrôle la mairie.

Ils n’avaient pas beaucoup de choix. Ils devaient être rapides, silencieux et, surtout, disciplinés. D’autant plus que les officieux ne semblaient pas s’attendre à des attaques externes, ils ne contrôlaient clairement pas les toits. De quoi leur permettre un déplacement plus fluide au travers du village.
Le plan était simple, il fallait en éliminer le plus possible avant qu’ils ne se rendent compte qu’une résistance s’était formée. Et Mathieu était plutôt bon à ça. Il jeta un oeil derrière lui, souriant légèrement à Baptiste. Ils avaient insisté pour qu’il ne participe pas cette fois-ci mais le gamin était têtu. L’exercice physique qu’il avait commencé à lui faire pratiquer l’avait aidé à se vider la tête. Mathieu connaissait le sentiment et avait arrêté d’insister. Si le gamin se sentait prêt à reprendre, il était prêt et personne n’avait rien à y redire.

Les officieux ne contrôlant que les routes, ils avaient pu accéder à ce bâtiment sans trop de peine. L’entrée au village se faisait par une vitre cassée et quelques marches pour monter sur les toits. De là, ils avaient accès à tout.

— On continue sur la périphérie, rappela Mathieu alors qu’il sortait ses deux poignards, jetant un dernier regard autour de lui. De l’Est à l’Ouest, restez droit. Vous en voyez un, vous y allez. Silencieusement.

Il attrapa son talkie-walkie et signala au deuxième groupe qu’ils étaient prêts. Philipe en profita pour redescendre au rez-de-chaussé. Les airs, ce n’était pas son truc. Surtout quand on lui demandait de ne pas utiliser d’armes bruyantes.

— On attends Albert, s’amusa la voix de l’autre côté du canal.

— Colbert, corrigea un troisième homme. On est à mi-chemin.

—N’oublie pas, enchaîna Mathieu en direction du gamin, tu restes à la même allure que Phil. Pas plus rapide, pas plus lent. Tu ne me suis pas, c’est lui le gars que tu dois couvrir aujourd’hui.

— Je sais Mat’, j’ai bien compris le plan, répondit Baptiste en attrapant son arbalète.

— Colbert, reprit une voix sur le canal, on y est. Je répète, on est au centre. Les armes sont au centre. Luc est avec moi. On a dû se débarrasser d’un corps, on risque d’être short sur le timing.

Mathieu inspira, ils avaient deux hommes planqués dans une maison vide au centre du village avec leurs armes à feu. C’était un plan risqué mais il avait confiance. En espérant qu’ils avaient bien caché le corps et qu’aucun officieux ne tomberait dessus entre-temps.

— Ok, tout le monde sait ce qu’il a à faire ? reprit-il sur le canal. Nat, Guillaume, Lucas ?

Ils confirmèrent chacun leur tour et Mathieu étira un sourire.

— Alors délivrons une ville.

Mathieu se lança le premier, jonglant de bâtiment en bâtiment. Baptiste et Philipe suivaient plus lentement, maison par maison. Il fallut quelques minutes pour apercevoir les premiers officieux au sol. Ils approchaient maintenant du gros de la ville et les choses devenaient sérieuses. Mathieu coinça un des poignards entre ses dents, laissant l’autre pendre autour de son cou, et lança ses pieds dans le vide. Tout le poids de son corps dépendait de ses mains, fermement accrochées au rebord du toit. L’officieux était juste en-dessous et Mathieu se lâcha, retombant au sol dans une roulade histoire de dissiper l’énergie le long de son dos. L’officieux n’eut pas le temps de réagir que la lame aiguisée finit dans sa poitrine. Mathieu se releva rapidement, ne surtout pas perdre de temps, récupéra le poignard qu’il venait de lancer et remonta aussi vite que possible sur les murs. Baptiste et Philipe auront les autres lorsqu’ils viendront vérifier que leur camarade se portait bien.
Le blond continua sa progression, ils étaient toujours en périphérie et les officieux étaient assez rares. Alors qu’ils balayaient d’Est en Ouest au nord, un autre trio faisait l’inverse au sud. Et il en était de même sur les côtés. Le village était un véritable oignon, ils y allaient couches par couches. Alors que les officieux s’attendront à une bataille sauvage, désordonnée et chaotique, comme souvent en milieu urbain, ils allaient seulement en donner l’impression. C’était une question géométrique, ils allaient d’est en ouest, rencontraient le groupe qui allaient du sud au nord, descendaient du nord au sud – en faisant donc l’inverse du groupe qu’ils venaient de rencontrer pour prendre les officieux à contre-pieds et les induire en erreur sur leurs effectifs. Et ensuite ils recommençaient en se décalant cette fois-ci de quelques rues pour aller toujours plus vers le centre-ville. Ils n’allaient pas vers l’ennemi pour le moment, ils se contenteraient de suivre leur chemin et de s’occuper des gars qu’ils trouvent. La première phase de leur assaut était une bataille silencieuse.

Mathieu repéra justement deux officieux quelques mètres plus au sud, il dévia rapidement, s’accrochant à quelques anciennes gouttières. Et se jeta dans la petite ruelle. Il prit le premier par surprise, tranchant sa gorge par derrière à l’aide de ses deux lames et ne perdit pas une seconde pour s’occuper du second. Son fusil était dans le dos et les quelques secondes qu’il perdit sous la surprise n’arrangèrent rien au temps qu’il perdit à essayer de le récupérer, Mathieu avait déjà enfoncé le poignard dans sa poitrine et se dirigeait vers un panneau. Il s’y agrippa, poussa sur ses jambes et s’aida du mur opposé pour revenir sur le toit.
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Philipe soupira, les mains serrées sur le manche du sabre. Il vérifia d’un coup d’oeil que Baptiste suivait toujours dans les airs et franchit le bâtiment. Il était complètement à découvert dans ce genre de situation, seul Baptiste et le précédent nettoyage de Mathieu pouvaient lui sauver la vie. Il ouvrit lentement la porte du bâtiment, lame en main. La maison semblait plutôt vide. Il y pénétra rapidement, prudent. Il dépassa la cuisine, le salon, monta les quelques marches pour vérifier l’étage. Si quelqu’un était présent, il l’aurait déjà entendu. Philipe soupira et redescendit, il sortit cette fois-ci par la fenêtre ouverte qu’il trouva et passa à la maison suivante. Au-dessus, Baptiste suivait, appliqué.

Quand il vit le corps de l’officieux dans la ruelle suivante, Philipe se douta de leur présence dans le prochain bâtiment. Les soldats avaient l’air de vérifier les habitations par quartiers, du sud au nord. Si les choses étaient vraiment ce qu’il en pensait, ils auraient donc un poids non négligeable contre les officieux en les prenant sur les côtés. Quoiqu’il en soit, ils avaient probablement une dizaine de minutes avant que quelqu’un ne se rende compte de l’assaut et ils étaient seulement en périphérie. Il leur fallait rentrer bien plus en profondeur d’ici les vingt prochaines minutes. Il leva les yeux par la fenêtre et fit signe à Baptiste de se tenir prêt.
Le sabre n’était pas une arme qu’il affectionnait particulièrement mais le choix était plutôt restreint parmi les armes blanches. Et il fallait avouer que les poignards ou les couteaux, ce n’était vraiment pas pour lui. Philipe se glissa lentement par la fenêtre suivante, vérifiant qu’aucun officieux ne l’attendait.

— Encore une chambre, fit une voix à l’étage.

— Où est Greg ? Il se fume une clope tranquille et on doit faire le sale boulot, râla une seconde.

— Dis-lui de ramener son cul ici ou on est pas prêts de finir.

Les pas se firent rapides dans l’escalier, Philipe sa cachait sur les côtés, invisible mais sans grande visibilité. Il n’avait aucune idée de ce qui allait descendre et il n’eut pas le temps de le découvrir qu’un grand fracas fit trembler l’escalier. L’officieux retomba sur le sol, une flèche dans le crâne.
Philipe releva les yeux, Baptiste s’était infiltré par la petite fenêtre. Il lui fit signe de remonter sur le toit et se précipita à l’étage. Le second officieux, probablement inquiet pour son camarade, tomba nez-à-nez avec la longue lame.

— Tu restes sur les toits, s’agaça Philipe une fois rejoint Baptiste. Et si une équipe était arrivée entre-temps ? On serait tombés en plein dans une embuscade.

— Il y avait un seul corps en bas, se défendit le gamin, et personne à des mètres. Tu ne crois pas que j’ai vérifié ? Je savais qu’il y en avait deux à l’intérieur, ils tournent par trois. Si jamais tu n’as pas le temps de les éliminer rapidement, il suffit de 30 secondes pour qu’un d’eux prévienne les autres par radio.

Philipe soupira et acquiesça.

— Tu ne le refais pas si tu n’es pas sûr qu’il n’y a personne qui arrive et que tu aies le temps de déguerpir et remonter ici. Est-ce que je suis clair ?

Baptiste hocha la tête.

— On ne cache pas le corps que Mathieu a laissé dehors ?

— On a pas le temps, on continue.

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— Point de rencontre pour nous les gars.

Mathieu récupéra son talkie-walkie, jetant un oeil derrière lui. Il avait croisé le premier groupe, celui qui venait du sud, mais Baptiste et Philipe avaient quelques mètres de retard.

— Dans quelques minutes pour nous, répondit-il sur le canal. Il nous reste probablement pas beaucoup de temps avant qu’ils remarquent leurs absents, que tout le monde soit prêt. Ca va arriver n’importe quand.

Il fit signe au groupe de partir, c’était déjà quelques minutes de gagnées. Ils allaient balayer cette fois-ci d’ouest en est, en s’enfonçant un peu plus dans le village alors que le trio de Mathieu allait partir du nord au sud. De cette manière, si quelqu’un les repérait et les signalait se dirigeant vers le nord, ils gardaient un avantage. Personne ne s’attendra à ce qu’ils reviennent sur leur pas. D’autant plus qu’au moment des communications, ils allaient gagner du temps en les désorientant. N’importe quel officieux aura bien pu voir un groupe se diriger vers le nord, il y en aura toujours un pour se diriger vers le sud et les prendre à contre-pied. Les communications allaient être complètement inutiles. Et ils comptaient bien sur cet échec pour renverser la rapport de force.

Mathieu ne leur laissa pas le temps de souffler quand Baptiste et Philipe arrivèrent enfin. Ils rentraient maintenant dans le gros de la ville et si ce n’était toujours pas le – petit, centre-ville, les officieux étaient bien plus nombreux qu’aux abords de la ville. A eux seuls, ils en avaient croisé une dizaine avant d’arriver au second point de rencontre. Cette fois-ci, c’était l’équipe qui était initialement partie du nord au sud et l’un d’eux semblait légèrement blessé.

— Ca va aller ? s’assura Mathieu.

Le gars acquiesça et il ne chercha pas plus loin, c’était un de ceux de Natasha et il ne le connaissait pas vraiment.

— Coup de feu, fit brusquement une voix sur le canal. Je répète, coup de feu. On est repérés.

— Les gars à l’extérieur, à vous. Maintenant, enchérit Mathieu. Colbert, vers le nord-ouest. Luc sud-est. Je répète : que tout le monde se tienne au chemin, n’allez pas engager ailleurs que sur votre route.

Il se retourna vers les deux autres :

— On remonte au nord, go.

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Les barrages à l’extérieur étaient plutôt fins quand on considérait le nombre d’officieux qu’ils étaient à l’intérieur. Natasha vérifia une dernière fois qu’elle avait bien le soldat en joue.

— A mon signal, souffla-t-elle, un, deux, trois.

Les tirs fusèrent dans tous les coins et elle se releva, elle n’avait pas la meilleure arme pour ce genre de conflit mais elle y était habituée. La riposte ne tarda pas à siffler. Ils étaient facilement repérables, pas grand bâtiment n’existait aussi éloigné du centre-ville pour se planquer. De l’autre côté, les officieux n’avaient que leur véhicules pour se couvrir.

— Deux morts, deux derrière le blindé, un à l’intérieur du deuxième véhicule, annonça Cédric sur le canal.

— Essayons d’utiliser le moins de munitions possibles.

— Le molotov est prêt. Un, deux, trois.

La bouteille de verre s’éclata contre le blindé. Si l’essence en flamme n’y fit pas grand mal, la fumée était assez dérangeante pour que les officieux soient perturbés. Sans parler du choc de la collision. Et avec un peu de chance, de l’essence avait glissé sous le véhicule. Assez pour toucher le réservoir.

Natasha se releva et avança prudemment, couverte par Cédric de l’autre côté. Une balle lui frôla la joue et le vieux fusil de Cédric détonna.

— Trois morts, reprit-t-il en vérifiant l’état du tireur dans le véhicule. Deux derrière le blindé.

Ils avancèrent prudemment, tentant de contourner le véhicule tout en restant à bonne distance de celui-ci. Un mouvement et Natasha tira. Plus que trois balles avant de devoir recharger.

— On est pas ici pour ça, essaya Cédric. Vous êtes encerclés, nos gars sont partout, mentit-il.

— Jetez vos armes en avant et levez les mains en l’air. Il y a suffisamment de morts.

— Vous avez dix secondes. Dix, neuf, huit, sept, six, cinq, il lança un regard perdu à Natasha qui lui fit signe de continuer, quatre, trois, de…

— C’est bon, regardez, fit l’un des soldats en glissant son arme sur le sol.

Cédric récupéra les armes et fouilla rapidement les deux officieux alors que Natasha vérifiait les alentours d’un rapide coup d’oeil. Les officieux avaient probablement déjà fait monter l’information au travers de la chaîne de commande et des aides n’allaient pas tarder à arriver. Elle attrapa le talkie-walkie et se brancha sur le canal du groupe général.

— Barrage à l’est contrôlé. On attache les survivants et on poursuit vers le centre-ville, informa Natasha sur le canal avant de se retourner vers Cédric, tu crois que le blindé est toujours fonctionnel ?

— Il n’y a qu’une seule façon de le savoir, sourit-il.

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Si tout se passait selon le plan qu’il trouvait bien trop compliqué, les équipes à l’extérieur devraient s’être débarrassés des différents barrages et être en train de s’enfoncer dans la ville – avec de la chance, accompagnés des blindés. Et les quatre trios devraient se mouvoir de sorte à tourner autour du centre-ville tout en s’en rapprochant un peu plus à chaque fois. Dans des sens opposés histoire que les officieux ne sachent pas d’où ils viennent ni où ils se dirigent.
Vraiment, Mathieu et Natasha étaient cinglés de ne serait-ce qu’oser mettre au point un délire pareil. Où était passé le simple : on les encercle et on avance ? Maintenant, il fallait les encercler en bougeant autour d’eux tout en espérant que les autres, plus tôt, avaient fait leur boulot correctement et n’avaient pas laissé d’officieux en périphérie.
Colbert soupira, au final il était quand même en plein milieu de l’action. On l’avait fait venir avec un sac d’armes – celles que les trios n’avaient pas pu prendre pour ne pas gêner leur déplacement, en plein milieu du village pour qu’une fois les premiers coups de feu tirés, ils puissent attaquer et de l’extérieur et de l’intérieur. En diagonale, parce que ouais, ces deux-là aimaient la géométrie. Alors que les blindés passeraient surtout de l’est et de l’ouest vers le centre, il passerait du centre au sud-est. A l’opposé. Histoire de complètement dérouter les officieux.

En d’autres termes, il était une cible humaine prête à redécorer les murs de sa cervelle. Et comment les autres étaient-ils censés réussir à bouger d’un centimètre quand on les fusillait au moindre mouvement ? Il inspira, mitraillette en main. Il était censé réussir à rester en vie assez longtemps pour rejoindre les autres à mi-chemin. Le pire, au fond, c’est que ça marchait. Tout le monde avait été alerté par des attaques sur la périphérie de la ville, pas mal d’officieux avaient donc reçu l’ordre de s’y diriger pour les soutenir. Ils lui avaient tourné le dos,d littéralement. Et Colbert n’avait plus qu’à laisser cette machine qu’était la mitraillette faire le boulot. Quoique ça se retourna vite contre lui. Les officieux attachés au centre-ville le repérèrent rapidement et il dut se planquer dans une maison, glissant par la fenêtre.

Puis fallait arrêter de se leurrer, il aimait ça. Cette adrénaline. Il s’était proposé, après tout. Pas comme le pauvre Luc qu’avait été choisit. Ou désigné dépendant de comment on voyait les choses. Il se passait un truc bizarre avec ce gars de toute manière.

Il leva lentement les yeux, vérifiant que le champ était libre. Un de leurs gars était sur la droite, mais impossible de le repérer plus précisément. Colbert tira dans le tas et ils réagirent enfin, lui permettant de mieux les situer. Il en toucha un et abandonna, il n’arriverait à rien d’ici. Il grimpa rapidement les escaliers, de la fenêtre de la salle de bain il avait une vue bien meilleure sur la situation. Il dégomma le second qui, surpris par la différente origine des tirs, avait été bien trop lent. Il récupéra son sac au rez-de-chaussé et sortit par l’arrière. Il allait faire le tour. Et courir. Courir autant que le lourd sac le lui permettait.

Il réussit à faire quelques longs mètres, suivit de près par une flopée de balles. Elles semblaient se rapprocher secondes après secondes. Il se planqua aussi souvent que possible derrière des maisons, des arbres, des bancs, avançant aussi rapidement qu’il le pouvait. Et descendant le plus de gars possible. Avant de perdre l’équilibre, une balle l’avait touché dans la jambe. Une autre frôla sa joue. Il tomba en avant et le poids du sac s’écrasa contre son corps. Il se roula par terre, essayant d’éviter toute autre charge avant de réaliser qu’il n’entendait plus de coup de feu. Sur le toit du bâtiment juste à côté, Baptiste rechargeait son arbalète.

— Mathieu descend te récupérer, je vous couvre. Vers la droite !

Colbert acquiesça, ils avaient quelques minutes avant que d’autres officieux débarquent. Si il y en avait encore. Entre ceux qui étaient partis en renforts dans les quartiers éloignés, ceux qui lui avaient courus après, ceux qui pourchassaient l’autre gars de Luc, ils étaient probablement tous en train de se rassembler à quelque part. Du moins c’est ce qu’il ferait si il voyait que ses gars étaient complètement perdus.
Il essaya de rencontrer Mathieu à mi-chemin, mais c’était dur de bouger. Son dos était douloureux, le choc avait été violent. Et sa jambe saignait comme jamais. Il avait du mal à avancer tout en gardant sa main appuyée sur la plaie. Ne surtout pas se vider de son sang, c’était quand même dégueulasse comme façon de mourir.

Mathieu arriva enfin, il récupéra le sac sur une épaule et attrapa Colbert.

— Tu arrives à marcher ou pas du tout ?

— Moyen, souffla Colbert en essayant.

— Ok, attends.

Mathieu déchira un pan de son tee-shirt et l’attacha solidement autour de la jambe du blessé.

— Ok, appuie-toi contre moi, ça va aller.

— On est déjà au point de rencontre ?

— Ouais, t’es arrivé vite, répondit Mathieu en essayant d’avancer le plus rapidement possible.

Il allait leur falloir deux grosses minutes pour longer le bâtiment et se mettre à couvert. Pas sûr qu’ils les aient. Ils avaient réussit à neutraliser pas mal d’officieux sur le chemin mais ils avaient également beaucoup de blessés. Leurs adverses étaient complètement déboussolées, il en avait vu certains qui ne savaient même plus où regarder, qui avançaient en étoile. Et ceux qui avaient réussit à ne pas se faire piéger entre les quartiers éloignés et le centre-ville essayaient de se regrouper sur la place centrale.

Un mouvement et Baptiste avait déjà l’ombre dans sa ligne de mire. Il repéra l’uniforme bleu et tira. Dans le cou.

— Ils sont où ? cria Mathieu plus bas.

— Vous avez une minute avant qu’ils n’arrivent ! Et si vous rentrez dans le bâtiment ? La fenêtre est à un mètre !

— La fenêtre est trop haute, grinça Colbert.

— Je peux te glisser à l’intérieur, il a raison, enchérit Mathieu. Allez plus que quelques pas et on y est.

Baptiste inspira, sa gorge était sèche et il avait trop chaud. Plus que deux flèches. C’était bien trop dangereux de descendre maintenant pour récupéré celles utilisées et une fois son carcan vide, il n’avait aucune idée de quoi faire. Il soupira et re-chargea l’arbalète.

— Et toi ? fit Colbert alors qu’ils arrivèrent face à la fenêtre.

— Ne t’inquiètes pas pour ça, sourit Mathieu en cassant la vitre du dos de son poignard. Il y lança le sac, vérifiant en même temps que personne ne les attendait à l’intérieur – et ne réagissait donc au bruit. Colbert posa ses mains sur le rebord de la fenêtre, protégées par un morceau de tissus qu’on venait de lui donner et Mathieu attrapa son pieds dans la paume de sa main.

— Ok, un, deux, trois.

Colbert poussa sur ses pieds et Mathieu accompagna son mouvement. Il bascula difficilement sur le rebord avant de retomber de l’autre côté. Déjà les tirs sifflèrent autour d’eux. Mathieu recula de quelques pas, il était plus petit que Colbert, ses mains n’atteignaient même pas le rebord de la fenêtre. Il courut, suivit par quelques balles et sauta. Ses mains s’accrochèrent au rebord et il poussa sur ses bras pour passer ses jambes au travers de la fenêtre. Il retomba sur ses pieds à l’abri dans le bâtiment.

— Sérieusement? s’amusa Colbert en toussant légèrement. Le gars est plus petit que moi et passe tranquille quoi.

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Ils avaient récupéré les armes des officieux tombés à terre et avançaient prudemment au travers du village. Le blindé était lent, il n’aimait pas ça mais peu d’autres solutions s’offraient à eux : ils étaient complètement à découvert, au moins le véhicule leur servait d’assurance. Les officieux étaient clairement déboussolés, autour d’eux. Guillaume avait entendu quelques unes de leur retransmission radio, lorsque Colbert et Luc avaient bombardé du centre-ville, le dernier semblant d’organisation des officieux était tombé en morceaux. Alors que pas mal d’effectifs avaient été mobilisés pour aider leurs gars sur les barrages qui étaient attaqués, la plupart d’entre eux avaient été surpris par l’assaut interne. Surtout que le nettoyage effectué par les trios bien avant qu’ils n’attaquent les barrages leur avait permis de gagner du temps : sans soldats disponibles dans les quartiers éloignés, il avait fallut mobiliser ceux du centre-ville. Ils avaient donc mit quelques très grosses minutes pour arriver au barrage. Et Guillaume et son équipe avaient déjà réussit à s’emparer du blindé. Tout le reste n’avait été que rafale de sifflements.
Ils s’en sortaient pour le moment. Mais ce n’était pas évident. Guillaume avait réussit à en avoir deux-trois avant qu’ils ne les encerclent définitivement, n’ayant alors d’autre choix que de se réfugier à l’intérieur du blindé. Et les automatiques sifflaient sur le métal.

— Xiang, vous êtes où ? fit Guillaume sur le canal.

— On arrive, tenez encore quelques minutes.

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Luc ferma les yeux, la respiration saccadée. Il rechargea sa mitraillette et inspira, les tirs n’en finissaient plus. Et il était seul. C’était le plan, après tout.
Il attendit que les officieux se calment, rechargent, et se découvrit lentement du mur. Il tira dans le tas, sans vraiment savoir ce qu’il touchait. De toute manière, il servait juste de distraction. Et de messager.

— Luc, on est au point de rendez-vous, grésilla le talkie-walkie.

— J’y suis bientôt.

Il vérifia une dernière fois les sangles du sac sur ces épaules et attendit patiemment que les tirs s’arrêtent, une fois de plus. Le reste n’était qu’une question de rapidité. Il se planquait où il le pouvait et courait le plus rapidement possible. Il n’y avait généralement que quelques secondes qui le séparait d’une balle en pleine tronche.

Il repéra finalement la maison rose et y pénétra sans même vérifier qu’elle était bien prise par leurs gars. Xiang ne perdit pas de temps avec les formalités. Il récupéra le sac de Luc et distribua les quelques pauvres armes qui s’y trouvaient.

— Luc, Jean, vous restez ici. Dégommez-en le plus possible. Nick et moi, on va sortir Guillaume et les autres de là. On revient vite.

Ils s’échappèrent par l’arrière du bâtiment et déjà les radios s’agitèrent.

— Certains se retirent, annonça Natasha sur le canal.

— Les nôtres sont toujours là, enchérit Guillaume. On avance comme on peut mais ils vont pas tarder à nous sortir du blindé de force.

— Ils se rassemblent sur la place centrale, enchaîna une troisième voix.

— L’effet de surprise est passé, répondit Mathieu, ils ont probablement compris qu’ils n’arriveraient à rien en continuant comme ça.

Xiang soupira, Luc et Jean les couvraient des officieux et à ce point là, ils étaient plutôt libres d’arpenter les rues du village sans craindre de coup de feu surprise. Mais Guillaume était réellement dans une mauvaise position. Les officieux l’encerclaient, se rapprochant secondes après secondes. Et dans ce genre de blindés, Guillaume ne pouvait aucunement tirer sans devoir se mettre en danger.

— Ok, fit-il sur le canal, je vais m’occuper des gars sur les côtés et derrière pendant que Nick les arrose et les occupe par devant. Dès que vous pouvez, vous sortez de là. Quels bâtiments ?

— Les deux blancs.

Xiang jeta un oeil autour de lui, il n’était qu’à quelques maisons des dits bâtiments. Il jeta un dernier regard à Nick et se jeta dedans, le plus discrètement possible. Il remonta les escaliers, fusil en joue. Les deux officieux postés derrière les fenêtres ne furent pas durs à retrouver. Ils ne s’attendaient pas être frappés de cette manière-là. Les premiers coups de feu vers l’avant surgirent, Nick avait engagé la fusillade. Et les balles de Xiang finirent tout droit dans le crâne des officieux.

Il se positionna à son tour derrière la fenêtre, Nick ne tiendrait pas longtemps à cette allure. Les munitions étaient comptées. Encore heureux qu’ils avaient à leurs dispositions les armes des officieux tombés où ils seraient probablement morts depuis une bonne heure.

Il repéra rapidement les deux officieux qui essayèrent de s’approcher du blindé. Deux de moins. Il sursauta alors qu’une vitre à côté de lui éclata et se baissa. Les officieux du bâtiment d’en-face l’avaient repéré.

Guillaume ouvrit la portière, profitant des différentes diversions, et s’y cacha derrière, l’arme d’un officieux en main. Il était complètement vulnérable dans son dos, mais il n’avait d’autre choix. Il réussit à toucher l’officieux dans le bâtiment de gauche, trop occupé avec Xiang, et se planqua derrière le blindé. Il y avait toujours un blessé à l’intérieur de celui-ci et Guillaume comptait bien le ramener vivant. Il contourna lentement le blindé, vérifiant que personne sur les côtés n’était encore en vie. Ils avaient tous repéré Nick, planqué dans une petite maison.

— Je les engage par derrière, annonça Guillaume sur le canal. Vérifie que personne ne s’approche du blindé.

Il n’attendit pas la réponse de Xiang et traversa la rue. A l’abri le long des bâtiments, il continua sa progression, pas après pas. Et dès qu’un officieux fut dans sa ligne de mire, il ouvrit le feu. La riposte ne tarda pas et il se réfugia derrière le mur. L’ironie voulait que ce soit les trois officieux qui, maintenant, étaient pris en sandwich. Sachant que leurs co-équipiers avaient reçu l’ordre de se regrouper, ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne tombent. Aucun renfort n’allait les sortir de là.

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C’était de la folie. Tout autour d’elle. L’odeur qui flottait, l’odeur qui semblait toujours portée vers elle. Comme si le vent avait décidé qu’elle n’aurait pas de répit. Et les corps, par terre. Le sang, partout sur ses mains. C’était de la folie.

— Ils ne sont plus qu’une vingtaine, indiqua Mathieu en jetant un oeil sur la place en contre-bas. Ils ont posté des gars sur les toits, ça va être plus difficile. La dernière ligne droite.

Natasha acquiesça et jeta un oeil à Guillaume qui haussa les épaules. Depuis qu’il était revenu, il n’avait pas dit grand chose. Et ses tympans sifflaient toujours.

— Ils sont presque autant qu’on l’était au départ, souligna-t-elle.

— On a combien de blessés ? enchaîna Philipe.

— Six. Et un mort.

— Deux, enchérit Colbert en jetant un oeil à l’hémorragie qui ne voulait pas se calmer. Je ne vais pas tenir longtemps comme ça.

— Trois, fit brusquement Lucas alors que tout le monde se retourna en même temps. On a été repérés avant même de pouvoir ouvrir le feu sur leur barrage, leurs automatiques mec … Léo a volé avant même qu’on ne les attaque. Comme ça, enchaîna-t-il en accompagnant ses mots d’un geste.

Il était évident que Lucas était encore sous le choc et ils n’étaient pas prêts d’en avoir fini. Si ils ne réussissaient pas à prendre le village avant que les renforts n’arrivent – et probablement que la Bretagne allait se mettre en avant, ils étaient morts. Tous. Ils avaient survécu sur des détails. Mathieu avait proposé la guerre silencieuse, celle qui se faufile sans qu’on ne la remarque. Ils avaient réussi à réduire les effectifs adverses et à récupérer des armes au fur et à mesure. Puis ils avaient été repérés et, encore une fois, ils ne s’en étaient sortis que sur une question de timing. Au barrage, les premiers tirs étaient meurtriers. Les officieux ne les savaient pas présents, ils avaient eu tout le temps du monde pour viser. Mais ensuite les automatiques avaient renversé le rapport de force. Comment prendre le contrôle face à des rafales incessantes ? Cédric et Natasha avaient eu de la chance, ils étaient tombés sur de très jeunes soldats encore naïfs. Le groupe de Lucas n’avait même pas eu le droit aux premiers tirs, aux tirs faciles. Ils avaient été repérés bien avant de se mettre en position. C’était un miracle qu’ils s’en soient sortis. Encore que si Colbert et Luc n’avaient pas fait diversion au centre-ville, les renforts seraient arrivés au barrage bien plus tôt. Lucas avait eu le temps de récupéré le blindé avant que les aides officieuses ne débarquent.
Mais même. C’était des détails. Des détails qu’ils avaient préparés, vu et revu. Mais des détails quand même.

— On va y arriver, fit Mathieu, est-ce que je dois vous rappeler qu’ils étaient presque une centaine au départ ? On refait la même chose, des raids. On va s’occuper de ceux qui sont sur le toit, une fois qu’on a les postes officieux sur les toits, on a le contrôle de la place.

— Ils vont nous voir venir à des mètres, enchérit Guillaume.

— Ils ne verront d’abord qu’une seule personne. On adapte notre plan initial à cette situation, répondit Natasha. On leur donne une diversion, ils vont perdre une trentaine de secondes. C’est notre fenêtre d’action. Ceux qui pourront s’approcher suffisamment d’eux sans être vus, en pénétrant maisons par maisons attendront le signal dans les étages. Les autres passeront directement par les rues, quitte à être vus. De toute manière on sait où ils sont, ils ne le savent pas. Et on aura l’effet de surprise, ils seront trop occupés à pourchasser la diversion.

Elle jeta un oeil à Guillaume qui acquiesça puis se retourna vers Mathieu pour s’assurer que tout le monde était sur la même longueur d’onde. Il hocha la tête et elle fit quelque pas en arrière, se tournant vers les hommes qu’il leur restait.

— Luc, tu t’en ai bien sortis tout à l’heure, tu penses pouvoir nous refaire ça sur les toits ?

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Baptiste jeta un oeil autour de lui, Mathieu était littéralement suspendu dans le vide. Accroché au rebord du toit, il n’attendait que les coups de feu pour se relever et prendre l’officieux par derrière. Baptiste en avait deux à gérer, l’un vérifiait la place, l’autre contrôlait derrière eux. Peu importe d’où il arriverait une fois en haut, ils le verraient rapidement. C’était déjà hallucinant qu’il puisse se faufiler de maison en maison sans qu’ils ne le repèrent. A croire que les entraînements de Mathieu ne faisaient pas que de lui arracher les bras.

Du deuxième étage, cependant, il avait vue pleine sur ce qu’il se passait en face. La pauvre Luc, Baptiste n’en avait pas compris grand chose. Mais ce qui était sûr, c’est qu’il n’allait pas en sortir vivant. Il l’avait vu sur son visage. Dès que la nana avait parlé, le gars avait compris qu’il était condamné. Et la façon dont elle l’avait dit, comme si il n’y avait aucun autre échappatoire. Baptiste soupira et ferma les yeux. L’arme dans ses mains n’avait jamais semblé si lourde. Il remonta les quelques dernières marches, prêt à défoncer la porte et se lâcher sur la gâchette dès qu’il entendrait le signal.
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Luc jeta un oeil face à lui. Il était assez éloigné de la place pour qu’on ne le repère pas immédiatement mais une fois sur les toits, il n’aura probablement que quelques secondes. Et ils avaient besoin de temps. Beaucoup plus de temps qu’une trentaine de secondes. Il inspira, laissa son arme retomber sur le sol et ferma les yeux. Sans armes, il serait plus rapide. Dans ce genre de situation, être rapide, c’était être en vie. Et être en vie, c’était dévier l’attention des officieux. Mathieu et ses hommes auraient alors bien plus de temps pour les prendre par surprise.
De toute manière, ils devaient contrôler le village avant que les renforts n’arrivent et, surtout, contacter les médias. Sans les médias, ils n’étaient rien. Sans les médias, ce village n’était rien. La seule chose qui pouvait empêcher les forces armées officieuses de marcher sur le village, avec cette fois-ci bien plus d’hommes et de puissance de feu, était une couverture médiatique. Et l’image positive des insurgés.
Il avait fini par s’habituer au nom, d’ailleurs.

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— Tu n’es pas obligée, commença Guillaume, tu ne devrais pas regarder.

— Tu crois que c’est de ma faute ? enchaîna Natasha en fermant la porte du blindé. Tu crois que, je ne sais pas, une certaine disposition dans notre groupe aurait permis ça ? J’ai du mal à comprendre comment quelque chose de ce genre peut se passer, on est au 22ème siècle. Et il y a des nanas dans notre groupe.

— Tu l’as entendu, rappela-t-il, il était presque fier de lui.

— Il sait. Je l’ai vu dans ses yeux. Il sait. Il sait qu’on a tous et … il y va quand même.

— Parce qu’il sait également que c’est ce qu’il y a de mieux à faire. De toute manière, si personne ne s’y met, on est tous morts. Essayons juste de rester concentrés sur ce qu’on a à faire.

Natasha acquiesça et il démarra le blindé. Pour le moment ils étaient planqués derrière un bâtiment, de sorte que le véhicule ne soit pas visible par les officieux mais dès que les tirs fuseront, ils l’utiliseront pour bloquer les rues menant à la place. Lucas et Cédric s’occuperaient des deux autres blindés. Et avec un peu de chance, Mathieu réussirait son coup sur les toits.

— On est prêts, annonça Cédric sur le canal.

Les tirs sifflèrent quasi-immédiatement et Guillaume sortit le blindé de la petite ruelle, le menant tout droit sur la place principale. Ils virent la silhouette courir sur les toits, suivie par des rafales de balles. Elle tomba, se releva, retomba, affublée de balles. Elle tenait bon, la silhouette. Une éternité. Elle se releva, encore, et sa tête partie brusquement en arrière, touchée en plein centre. Le corps retomba lentement, poussé dans le vide par la force du choc.
Luc retomba sur le trottoir.

— Xiang est blessé mais on contrôle les toits, fit brusquement la voix de Mathieu sur le canal.

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