Dans le nouveau poste de sécurité, le commandant Brown s’installa sur la scène qui dominait l’ensemble des pupitres, tous disposés en un grand carré. Il admira le travail effectué et fit même un petit discours de remerciement à ses troupes. Au centre, un gigantesque hologramme décrivant les cubes s’éleva et plusieurs informaticiens commencèrent sa configuration. Des techniciens s’empressaient de programmer des nouveaux disques durs, quand des militaires commençaient le montage des chambres de combat pour des Vélites, des pièces pleines à craquer de capteurs, et faites pour diriger des robots d’assaut à distance. Les écrans tactiles mêlés à des affichages en trois dimensions devenus préhensiles par une main, ou contrôlable avec l’œil, avaient une génération d’avance sur la technologie utilisée dans l’amphithéâtre.
Zeian se présenta armé de son grand gobelet de café à la porte d’accès, pas encore sécurisée. Il s’arrêta et contempla son nouveau « jouet » avec une admiration certaine pour tous ceux qui travaillaient avec assiduité pour qu’elle soit prête au plus vite. Il descendit les marches qui l’emmenaient vers le cœur du dispositif et prit le temps de s’arrêter de nouveau pour regarder ces nouveaux outils avant de rejoindre le commandant sur la scène.
— C’est impressionnant, fit Zeian, en arrivant à sa hauteur.
Ils regardaient les techniciens qui s’affairaient à leurs tâches. Il fallait utiliser toutes les ressources possibles, le travail était calculé à la minute. L’emploi du temps affiché à l’entrée venait annoncer ce qui allait être leur quotidien pour les semaines à venir, des journées longues, et des nuits courtes.
— Ne vous réjouissez pas trop vite, le chantier est encore vaste, fit froidement Brown. J’ai dû briefer mes hommes sur votre projet « Arragoa », nous ne pouvons pas nous permettre de nous passer de l’aide de tous, mais sachez que cette situation provoque un malaise dans mes troupes.
— Je comprends, mais je vous parie que vous serez surpris. Dans un mois, les préjugés se seront envolés, et beaucoup de liens se seront tissés.
— Ce n’est pas le problème. Cette situation nous donne l’impression de transgresser les « nouveaux chapitres ».
— Tout cela est légal. Et pour ce poste, vous pensez tenir vos délais ?
— Je n’ai pas le choix, je dois les tenir… et je les tiendrai. Quand nous partirons, cet endroit sera opérationnel, je m’y engage.
— Vous m’avez demandé de venir pour faire un point sur les travaux ?
— Non, pas pour ce motif, suivez-moi !
Ils descendirent de la scène et le commandant Brown se dirigea vers le premier pupitre qui se présenta à lui. Un colon japonais travaillait avec un militaire américain sur la programmation du nouvel outil. Il y avait des gestes hésitants de la part du Terrien, mais quelques situations cocasses suffirent à lier des liens cordiaux. Zeian et Brown arrivèrent au milieu d’un fou rire collectif, le colon japonais avait programmé les images de retranscription à l’envers et le militaire fit quelques manipulations pour rectifier l’erreur avec le sourire.
— Pouvez-vous diffuser le film que vous m’avez montré tout à l’heure ? Demanda John Brown, à son subordonné.
— Oui, monsieur.
L’ambiance redevint studieuse et Zeian curieux de savoir ce qui pouvait être plus important que la situation actuelle. L’agent fit apparaître des fichiers sur l’écran tactile provenant du serveur qui enregistrait les données des caméras de surveillance. Il saisit l’un d’entre eux identifié « rixe salle de sport ». Zeian ne comprit pas tout de suite ce titre. Le fichier se mit à grandir et chassa les autres icônes. Une image s’afficha, et Zeian reconnut Haïp, allongée sur les tapis de la salle de sport.
— En travaillant dans l’exploitation des films de surveillance, nous sommes tombés sur cet enregistrement, fit le soldat.
Le colon appuya sur le fichier en suspension et une animation en trois dimensions se mit en route. Haïp semblait parler à quelqu’un, mais le son de la voix était inaudible.
— Le son de notre système et celui du nouveau ne sont pas encore compatibles, c’est pour cela qu’on ne l’entend pas, justifia le militaire.
Un homme entra dans le champ, de dos, et Zeian, consterné, le vit se jeter sur la jeune femme.
— L’heure de tournage de cet événement se situe lors de notre arrivée, fit Brown. Nous étions tous dans le hall d’embarquement, sauf pour les Amazones, qui étaient à leur entraînement.
Zeian avait le regard figé sur l’altercation, hermétique à l’agitation qui se passait autour de lui.
— Je me rappelle avoir croisé cette jeune femme dans votre bureau, poursuivit Brown. Et je me souviens aussi qu’elle avait évité de parler de ce sujet. C’est pour cela que j’en ai déduit que vous ne saviez pas. Ai-je eu tort ?
Zeian l’écoutait à peine, absorbé et choqué de la vision de ce film. Il ne put dire un mot. L’homme se montrait extrêmement agressif envers Haïp. Le dernier coup de poing qui avait marqué son visage donnait une impression de grande violence à l’écran.
— De quand cela date-t-il ? Demanda Eve.
Derrière eux, ils n’avaient pas senti la présence d’Eve, que le commandant avait également convoquée.
— D’hier matin, répondit Zeian. Je suppose que vous ne saviez pas non plus ?
— Non.
Le film se termina et l’assistance se tut en attendant une réaction de Zeian. Ce fut Eve qui brisa finalement le silence la première,
— Je la connais. Elle a dû se dire qu’elle ne voulait pas rajouter de problèmes. Elle a dû n’en parler à personne.
Ses propos firent mal à Zeian. Même si Haïp était une femme adulte et responsable, il ne tolérait pas ce silence sur cet incident. Il fut vexé du manque de confiance dont elle avait fait preuve en gardant cela secret. Eve sentit le malaise de Zeian, et tenta de le rassurer,
— Faraï était son seul repère depuis qu’elle était toute petite. Ne lui demandez pas d’être rationnelle. Elle commence seulement à se relever de son deuil. Vous comprenez ?
Zeian ne put répondre que d’un geste timide de la tête.
— On a identifié l’homme ? Demanda Eve.
— Il était enregistré au nom d’Antonio Giamoa et n’est resté qu’une journée ici, répondit le soldat. Ce devait être un pseudonyme, car ce nom n’est enregistré nulle part ailleurs. Ni sur Eris, ni sur MakéMaké.
— Il n’est plus ici, c’est sûr ?
— C’est là aussi que nous avons un problème, intervint Brown. Il n’est enregistré sur aucun des transports. Ni arrivant, ni partant.
— Quoi ? Répondit Zeian, consterné.
— Comment connaissez-vous son nom s’il n’est enregistré nulle part ? Demanda Eve, tout aussi étonnée.
— L’ordinateur le reconnaît comme intervenant régulier pour la livraison des vivres, répondit Brown. Mais le fait qu’il ne soit enregistré sur aucun transport soulève bien des interrogations.
— Nous nous pencherons sur ce problème dès son retour, conclut Zeian en quittant le groupe.
— Il est important de savoir comment cela est possible, l’interpella Brown, avant qu’il ne sorte. Nous ne pouvons pas sécuriser cette mine avec un tel défaut de sécurité !
Zeian se retourna, et semblait un peu dépassé par tous ces événements inattendus qui s’ajoutaient à une situation déjà compliquée à gérer.
— Vérifiez les visas de tous les colons, répondit-il, calmement. Et soyons sûrs qu’il est le seul dans ce cas. Vérifiez bien que Trevor n’a pas fait d’erreur.
Le commandant Brown laissa Zeian s’échapper pour aller s’isoler un petit moment, bien conscient de la pression qu’il subissait. Eve visualisa le film encore et encore, tentant, en vain avec les deux agents de rétablir le son.
*
Escortés vers le poste de commandement, Haïp et Tiago marchaient frustrés, entourés de militaires décontractés. Tiago s’étonnait encore de leur négligence, car ils n’avaient pas été attachés. Ils entrèrent dans une petite salle munie de plusieurs pupitres avec des soldats œuvrant pour la sécurité et l’anonymat du site. À leur arrivée, un siège, qui leur tournait le dos, dissimulait une silhouette toujours élégante qui ne leur était pas inconnue.
— Mis amigos, je vous manquais déjà ? Fit Viktor.
Le lieutenant s’approcha et posa l’arme de Tiago puis l’arc d’Haïp sur le pupitre. Viktor tourna son fauteuil lentement et leur fit face un brin amusé. Il remarqua, lui aussi, qu’ils n’avaient pas été attachés, ce qui le contraria, mais entouré d’une bonne dizaine de soldats, il sentit qu’il n’avait rien à craindre.
— Vous me surprenez, agréablement, fit-il. Il était très difficile de remonter ma trace jusqu’ici.
Derrière Viktor, Haïp reconnut le plan du site des gisements d’Hauméa. Elle en était désormais sûre, l’attaque était bien une mission de reconnaissance. L’accès à la mine était tellement restrictif et réservé, que le passage en force avait été leur seule solution pour y entrer. Ce qui la surprit, c’était que ses plans semblaient extrêmement complets. Des descriptions des cubes de vie à l’emplacement des chargeurs d’atmosphères, tous étaient ciblés sur les schémas. Il semblait probable que l’attaque du gisement était les dernières informations qui leur manquaient pour échafauder leur plan. Viktor saisit l’arc d’Haïp et le regarda attentivement. Il donna une impulsion sur un bouton, ce qui provoqua son dépliage.
— C’est un très bel outil, la crème de l’archerie de chasse ! C’est la seconde fois que j’en tiens un dans mes mains.
Haïp fronça les sourcils. Les Amazones construisaient elles-mêmes leurs armes. C’était une tâche qu’elles ne déléguaient à personne. Quand l’une d’entre elles disparaissait, les armes étaient détruites avec la dépouille. Pour Haïp, il n’y avait qu’une explication pour qu’il ait possédé un jour un arc du type compound, frappé du sigle d’une Amazone, car seule l’arme de Faraï n’avait jamais été retrouvée. Conjuguée à ses insinuations sur Eris, cette connexion fit monter en elle une rage incontrôlée teintée de vengeance.
— Attention, vous allez vous blesser, fit-elle en le défiant.
Viktor lui sourit, ravi de l’avoir piqué au vif, alors que Tiago remarqua immédiatement un changement d’attitude complet de la part d’Haïp. Cette connexion, il la savait déjà, et comprit avec appréhension qu’elle venait de la faire, elle aussi.
— Charmante quand elle est en colère, fit Viktor. Encore un peu insouciante, ce qui rajoute un peu de piquant… Et dire que j’hésite encore à l’idée de me débarrasser de vous !
— Je vais vous enlever cette épine du pied et répondre à votre place, je ne vous laisserai pas ce plaisir.
Viktor s’étonna d’une telle arrogance, et laissa même échapper un éclat de rire. Il se tourna une seconde pour poser l’arc et entendit un bruit de coup. Il eut à peine le temps de réagir, qu’il vit Haïp assommer d’un coup de coude son geôlier le plus proche, et lui prendre son arme. Il se mit à regretter de ne pas avoir ordonné qu’on les attache ! Tiago profita de cette opportunité et fit de même avec le sien tandis que Viktor passa derrière son pupitre pour saisir son arme et viser dans le tas. Tiago eut juste le temps de récupérer celle de son gardien, et se protégea derrière lui pour éviter les balles. L’Espagnol tua plusieurs soldats de son clan dans la panique, mais ressentit une violente douleur à la main, et dut lâcher son arme en hurlant. Tiago venait de lui transpercer la paume, et un trou lui traversait le membre de part en part.
Un des soldats braqua Tiago et dut se détourner de Viktor pour se défendre. Haïp reprit son arc posé sur le pupitre et commença à frapper des soldats en se servant de son armature. Puis, des coups de feu fusèrent. Elle se jeta derrière un pupitre alors que Viktor profita de cette diversion pour ramasser son arme et tenter de s’enfuir. Trop occupée avec des soldats cherchant à la débusquer, elle vit Tiago entamer une course-poursuite avec Viktor, et dut se résigner à les laisser filer.
Viktor sauta sur les pupitres, ordonna une fermeture de la porte en sortant de la salle. Tiago les passa à son tour, mais dut se lancer couché sur le côté, en glissade, pour passer sous la porte qui se ferma derrière lui. Connaissant bien la base, Viktor prit de l’avance et monta dans un ascenseur pour accéder aux niveaux inférieurs. Il pensait avoir semé le jeune homme et ne le vit pas entamer une descente sportive des escaliers, sautant les rambardes pour aller plus vite. Les quelques soldats présents le regardaient passer, dubitatifs, ne comprenant pas la situation.
Dans la salle de commandement, Haïp braqua son arc face vers un groupe de combattants, mais elle eut du mal à comprendre l’évolution des événements. Les cinq derniers hommes laissèrent tomber leurs armes au sol et se mirent en arc de cercle devant elle, alors que l’un d’entre eux condamnait la porte d’accès.
Elle analysa la situation, les regarda tous les cinq, les uns après les autres, dans les yeux. Elle trouva de la prétention chez deux d’entre eux, de l’indifférence chez deux autres, et, sans doute, un peu de crainte chez le cinquième. Elle leur fit un sourire impertinent, leur faisant bien comprendre qu’elle appréciait cette situation. Gagné ! Les deux qui feignaient l’indifférence affichèrent de l’incompréhension, une première marche vers la peur. Elle les tenait, mais elle devait se positionner pour les affronter en deux temps. « Au maximum, trois d’un coup » se dit-elle. Elle commença, avec arrogance, à jouer avec son arc, contourna un pupitre et se retrouva en face de deux d’entre eux. De la voir aussi sûre d’elle les déconcerta. Elle profita de cette fenêtre et asséna le premier coup en frappant avec la structure de l’arc, et commença à les harceler en dominant l’échange. À la première faute de défense, le premier prit un coup directement sur le sternum, qu’elle lui enfonça de quelques centimètres. Son souffle coupé, elle en profita et lui envoyer un uppercut de la main droite qui le fit reculer. Elle n’avait pas peur de frapper, et il le constata amèrement. Le second s’approcha par son côté et lui donna un coup de poing entre les deux omoplates. Haïp cria de douleur et tomba sur les genoux en lâchant son arc. Elle reprit ses esprits malgré la souffrance engendrée, se remit sur ses pieds et donna un violent coup de talon sur la rotule. Quand le second fut à terre, elle se mit à califourchon sur son thorax et lui donna un direct du droit. Moins d’une minute pour mettre deux hommes à terre, Haïp était très satisfaite de ce résultat, et se réfugia immédiatement derrière un pupitre pour se protéger des trois autres.
Tiago continua sa descente alors que Viktor sortit de son ascenseur et le vit, stupéfait, arrivé à ses trousses. Il démarra une course dans les couloirs pour se diriger vers les halls d’embarquements et chercher son vaisseau. Viktor aperçut furtivement des militaires incrédules, qui ne comprenaient pas ce qui se passait et être même retenu par d’autres.
— Arrêtez-le ! C’est un espion ! Cria-t-il, pris de panique.
Un homme en civil sortit de nulle part, tenta alors de s’interposer en arrêtant sa course par une manchette placée au niveau du cou. Tiago fit un vol plané et atterrit à plat dos au sol. L’inconnu était un nouveau venu qui se sentit une obligation d’intervenir. Tiago eut quelques secondes la respiration coupée. Le grand brun athlétique le prit par le col pour le relever. Encore sonné, Tiago se laissa faire puis donna un coup brutal pour se dégager. Il fallait à tout prix trouver une solution pour se sortir de cette impasse, car d’autres allaient, eux aussi, comprendre qu’il était un intrus à neutraliser. Pour se sortir de là, il prit une décision radicale. Il pointa son arme en direction du groupe et visa un boîtier qui semblait être un coffret électrique. Sous les yeux impuissants de son adversaire, il tira. La panique s’installa auprès de tous les badauds qui commencèrent à s’enfuir. Les armes étaient prohibées dans ce genre d’armature, car elles pouvaient percer les plafonds et faire des dommages gravissimes sur la structure de la cité. Tiago continua de menacer le groupe qui s’écarta, aussi, sous l’impulsion de plusieurs gradés, le laissant passer pour reprendre sa course. L’Espagnol passa sur et sous des matériaux entreposés, se retournant par à-coups et ne comprenant toujours pas pourquoi personne ne l’aidait. Quand Viktor arriva dans son hangar, il verrouilla la porte. Tiago n’eut pas le temps de passer cette fois-ci. Il regarda autour de lui. Devant, derrière, des outils étaient entreposés, puis il prit la décision de saisir l’un d’entre eux. Il tourna sur lui-même pour lui donner de la vitesse et quand il lâcha l’outil contre la paroi transparente, elle se fissura sans céder. Il tira dans la lézarde et les petites explosions de gaz la firent éclater. En passant l’encadrement, il vit Viktor se retourner et lui tirer dessus, sans le toucher. Il hurlait de rage en regardant sa main blessée ne lui permettant pas de viser correctement. Derrière Tiago, les cris de panique des gens entendant les coups de feu résonnèrent.
Haïp se releva et se protégea derrière un pupitre en voyant les trois derniers hommes se rapprocher. Il lui restait les deux prétentieux et le peureux, se tenant juste un peu en arrière. Elle en était sûre, il ne s’approcherait qu’après la première attaque des deux autres. Chacun s’observait, se jaugeait. Ils s’approchèrent doucement, et passèrent sur leurs collègues à terre, les forçant à prendre les talents de combattantes d’Haïp très au sérieux. Tout à coup, c’est elle qui reprit l’initiative en sautant sur un pupitre, prenant une impulsion, et envoya son coup de pied dans le visage de l’agresseur du milieu, qui ne s’y attendait pas. L’attaque surprise face à deux prétentieux était sa meilleure option. Le premier en profita pour lui infliger un coup de pied dans le dos, c’était le peureux. Quant à l’autre, il lui affligea son poing sur la joue. Haïp fut déséquilibrée et un brin assommée par la douleur irradiant toute la mâchoire. Elle tomba à plat ventre et devint vulnérable l’espace de quelques secondes. Le prétentieux encore debout arma son bras, mais elle roula à temps pour éviter le coup qui frappa violemment le sol. Elle se remit sur ses appuis et envoya un coup sec avec sa jambe au niveau des genoux. Il tomba à plat dos, et elle arma son coude pour faire tomber tout le poids de son corps sur le visage de son adversaire. L’homme ne bougea plus, inconscient. Le peureux arriva par-derrière et la prit par les cheveux, ce qui provoqua une vive douleur. Pensant la neutraliser, il la releva et tenta de la retourner pour lui faire face. Il affichait un visage de mépris et rêvait de la mater. C’est alors qu’elle lui lança un coup de genou dans l’entrejambe. Il la lâcha immédiatement en poussant un cri sourd. Elle se redressa complètement et lui infligea un coup de pied retourné dans le visage. Quand elle vit que le premier prétentieux commençait à vouloir se relever, elle ne lui laissa pas le temps de reprendre ses esprits et le frappa d’une droite en plein visage. Son dernier adversaire était à terre. Elle récupéra son souffle en regardant les cinq hommes, ne comprenant pas l’objet de ce combat, mais se sentant satisfaite de ce résultat.
De son côté, Tiago entra dans le hall d’embarquement et vit Viktor courir vers sa navette. Voulant absolument l’arrêter, Tiago braqua son arme et fit feu dans sa direction. Il estima important de ne pas abattre cet homme dans le dos et tira sur le pupitre qui commandait la porte d’accès de l’engin spatial. Celle-ci se ferma devant Viktor qui se rendit à l’évidence, il était pris. Il se retourna, et vit Tiago s’approcher en le visant avec son arme. L’Espagnol tenta de le viser, mais son arme lui fit défaut, chargeur vide. Il la balança à l’autre bout du hall, furieux.
— Qui te commande ? Demanda Tiago.
— Quoi ? Répondit-il hurlant, se tenant la main blessée.
— Qui te commande ! ? Tu n’es pas capable de monter ça seul, il y a quelqu’un au-dessus de toi. Qui ?
— De quoi tu parles ? Je suis le seul patron à bord ici… ! !
— Menteur !
Tiago se rapprocha lentement pour n’être plus qu’à quelques mètres de lui.
— Pourquoi n’as-tu pas rejoint notre équipe ! ? Brailla Viktor. Pourquoi ?
— Je ne veux pas être le complice d’une déclaration de guerre !
— Mais depuis quand as-tu des scrupules ? Depuis quand autre chose que l’argent dirige ta vie ?
Tiago resta muet à cette déclaration qui, curieusement, le blessa. Il ne pensait pas dégager une telle image. Viktor mit un instant à tirer sa conclusion,
— À moins que… non…
Viktor éclata de rire et regarda Tiago avec dédains.
— Tu es amoureux d’elle…
Tiago fit comme d’habitude quand il était gêné, il se tut. Il se rapprocha de Viktor jusqu’à être devant lui en rêvant de le faire taire.
— Non, que tu es pathétique ! Fit Viktor. Pourquoi elle ?
— Qui est ton chef ?
— Oublie. Oublie-la, et oublie vite toute cette histoire. Tu ne sais pas tout…
— Qu’est-ce que je ne sais pas ?
— Idiot !
Viktor donna un coup de pied à l’arme de Tiago qui la perdit.
Dans la salle de commandement, Haïp se précipita sur un pupitre et inséra son driver. Elle attendit les quelques secondes d’installation nécessaire avant de l’interpeller,
— D-v, je veux trouver Tiago dans cette cité. Tu peux le localiser ?
— Je lance la recherche.
Haïp s’impatientait, trépignait et surveillait l’arrivée éventuelle d’autres soldats. Elle s’étonna que l’alerte n’ait pas été donnée, et que personne ne vienne l’arrêter. Le driver passa en revue toutes les caméras du site, mais avant de finir son analyse, il reprit la parole,
— Madame ?
— Oui ? Tu l’as trouvé ?
— Une communication d’origine inconnue pour vous.
Haïp fut stupéfaite de cet imprévu.
— Je prends, hésita-t-elle.
Devant elle, l’hologramme d’Horkos s’installa, imposant, intimidant. Haïp vit cet homme, au visage greffé, se dresser devant elle. Ses yeux artificiels étaient un mélange d’orange et de rouge. Il portait une capuche sombre qui accentuait un côté mystérieux qui lui glaça le sang instantanément.
— Bonjour, jeune Hippolyte, fit-il d’une voix grave.
Haïp se trouva, subitement, très intimidée. Le fond sifflant de sa respiration avait de quoi effrayer, et la paralysa.
— Qui êtes-vous ? Balbutia-t-elle.
— Nous allons bientôt apprendre à nous connaître, mais sache que tu me plais beaucoup.
— Que me voulez-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ?
— Mmm… Viktor avait raison, tu ressembles beaucoup à ta mère…
— Vous avez connu ma mère, bafouilla-t-elle. Mais qui êtes-vous ?
— Patience. Nous nous révérons très prochainement, enfin si tu sors vivante d’où tu es…
— Quoi ?
— Déclenchement autodestruction base dans… Je te laisse 10 min pour trouver une sortie… à bientôt… enfin… j’espère.
L’hologramme d’Horkos s’estompa sur des ricanements alors qu’Haïp mit quelques secondes à reprendre ses esprits. Après un bref moment où elle fut sonnée de cette rencontre, l’ordinateur de la cité fit entendre sa voix.
« Système d’autodestruction déclenché… À tous les occupants, évacuez la base… Autodestruction dans 10 min… 10 min. »
— D-v, peux-tu arrêter cette autodestruction ?
— Non, Madame, le programme est protégé.
— Où est Tiago ? Tu l’as trouvé ?
La voix de la cité continua son compte à rebours alors que le driver poursuivit sa recherche pour retrouver Tiago sur les images de surveillance,
— Les caméras le situent dans l’aile ouest, répondit le programme informatique.
L’image de Tiago se battant avec Viktor s’afficha. Haïp prit quelques secondes pour réfléchir et se concentra pour trouver une solution.
— Peux-tu installer un périphérique sur l’ordinateur de la cité, et me guider pour y aller ? Est-ce possible ?
— Attendez un instant… Oui, c’est possible.
— Fais-le.
— Périphérique installé.
Haïp se leva, récupéra sa clé et ramassa son arc avant de se présenter devant la porte de sortie.
— Je vais par où ?
— Sortez de la pièce et allez tout droit, fit le driver.
Elle sortit de la salle pour arriver au milieu d’une population affolée qui courait dans tous les sens pour échapper au pire. Se frayer un chemin dans cette foule obtuse n’était pas une chose facile et elle en bouscula plus d’un pour pouvoir passer.
— D-v, peux-tu joindre le « Thémis » ? … Lys, tu m’entends ?

Perdue dans ses pensées et angoissée d’attendre, Lys sursauta sur son siège quand la voix de son driver retentit.
— Madame, une communication d’Haïp.
— Je prends, dit-elle, en se redressant brusquement sur son fauteuil de pilotage.
— Lys, tu me reçois ? Dit une voix essoufflée.
— Oui, que se passe-t-il ?
— Le système d’autodestruction de la cité est en route, vient nous chercher. Dit à ton driver de transmettre ta position en temps réel au mien, et inversement, reçu ?
— Reçu, j’arrive !
Lys mit le « Thémis » en route, sortit de son cratère, caché derrière sur une des faces de la lune de Larissa, et partit dans la seconde vers la planète Neptune.

Viktor eut l’idée de se saisir d’un manche métallique, aussi grand que lui, posé sur un établi de travail, et s’en servit pour repousser Tiago. Ils pouvaient entendre l’ordinateur de la cité émettre l’ordre d’évacuation.
Cité : « autodestruction dans sept minutes… sept minutes »
— On va tous mourir ici ! Vociféra Viktor, avec cynisme.
Tiago continua de le dévisager avec mépris. Il saisit à son tour un autre manche métallique et entama le combat. Les bâtons s’entrechoquèrent, et ils commencèrent à se déplacer en se frappant sur la plate-forme. Viktor harcela Tiago de coups qui avait du mal à les rendre. Les bâtons cognaient les parois à chaque mouvement dans un bruit assourdissant, résonnant dans toute la salle. Tiago parvint à réduire la distance, détourna le bâton de Viktor et lui infligea un coup de pied dans le ventre. L’Espagnol se plia en deux, mais répliqua immédiatement. Malgré sa blessure à la main, il se releva et fit reculer Tiago avec une avalanche d’attaques. La peur de mourir lui fit oublier le trou qu’il avait dans la main. Puis il lui donna un violent coup sous le menton avec son manche, ce qui propulsa Tiago en arrière. Il tomba à plat ventre et perdit son manche. Il sentit quelque chose de dur sous son bassin et quand Viktor se jeta sur lui avec le manche métallique brandit sur la tête, Tiago se retourna et lui tira une balle dans la tête. C’était son arme qui lui faisait mal. Viktor tomba sur le dos, et du sang se mit à couler par sa bouche et son nez. Tiago se remit assis et souffla un bon coup.

En route, à bord du « Thémis », Lys reçut le premier rapport de son driver et appela sa marraine en catastrophe :
— Haïp !
— Oui, je t’écoute.
À sa respiration saccadée, Lys pouvait en conclure qu’elle courait en même temps qu’elle lui parlait.
— Ton driver dit que l’autodestruction a lieu dans cinq minutes, je ne sais pas si je serai là ! Trouve un autre moyen de sortir !

Toujours assis devant la dépouille de Viktor, Tiago se leva difficilement quand il vit Haïp entrer en courant dans le hall.
— Il faut partir ! Lança-t-elle. Maintenant !
Le système d’autodestruction leur rappela le décompte. Au travers des multiples parois vitrées de l’île, ils pouvaient voir les navettes décoller et fuir la zone. Il se leva et partit à sa rencontre, soulagé de la voir en un seul morceau.
— Comment allons-nous partir ? Demanda Tiago. J’ai tiré sur la porte d’accès du vaisseau de Viktor.
Cité : « autodestruction dans 4 minutes… 4 minutes »
— Il faut essayer d’ouvrir cette porte ! On n’a pas le choix, Lys n’arrivera sans doute pas à temps !
Tiago courut vers la porte et arracha la plaque électronique d’accès au vaisseau, fondue par son tir. Il sortit les fils et tenta le court-circuit pendant qu’Haïp regardait au travers des parois transparentes du hall pour tenter d’apercevoir un autre aéronef resté à quai. Elle ne put que constater qu’ils quittaient tous la base progressivement.
— J’ai réussi ! Cria Tiago.
Haïp se retourna et vit la porte d’accès s’ouvrir.
Cité : « autodestruction dans 3 minutes… 3 minutes »
À bord du « Thémis », Lys entra dans l’atmosphère bleue de Neptune et devait user de ses qualités de pilote pour slalomer entre les vaisseaux fuyant la cité. Son driver afficha les informations devant elle, et situa Haïp sur l’aile ouest de la cité.
Tiago et Haïp pénétrèrent dans le poste de pilotage, et tentèrent le démarrage de la navette de Viktor. Elle inséra sa clé, mais aucun hologramme ne vint s’allumer devant eux, un mauvais signe. Tiago frappa d’un coup de poing le pupitre de commande.
— D-v, peux-tu t’installer ? Demanda Haïp.
— Attendez… Répondit une voix informatique.
Le pupitre se mit en route, mais les tentatives successives de son driver pour tenter l’allumage de l’appareil s’affichèrent sur l’écran les uns après les autres, échec après échec. Elle avait espoir que les multiples programmes de démarrage, que lui avait implantés Lys, fassent craquer le disque dur.
— Installation impossible, accès sécurisé, répondit le programme informatique.
Cité : « autodestruction dans 2 minutes… 2 minutes »
Tiago se passa la main sur le visage ne voulant pas croire à ce qui se profilait. Haïp garda son calme et essaya une autre solution.
— D-v, où est le « Thémis » ? Fit-elle.
— Il faut sortir du hangar, le « Thémis » arrive plus à l’ouest, répondit le driver.
— Envoie-lui un numéro de porte d’accès.
— Je crois qu’il va falloir courir vite ! S’exclama Tiago.
Haïp reprit sa clé et emboîta la course du jeune homme. Ils se dégagèrent du hall et coururent à perdre haleine dans le grand hangar. Ils étaient les derniers à évacuer la cité désormais vide. Quand ils se retrouvèrent dans les couloirs d’accès vide, le driver lui indiqua sa nouvelle issue de secours.
— Prenez porte d’accès hall n° 3.
— Cherche hall 3. Fit-elle.
Cité : « Autodestruction dans 1 minute… 1 minute »
Ils s’arrêtèrent et regardèrent autour d’eux, quand Tiago vit le panneau de direction du hall n° 3 sur leur gauche.
— Par-là ! Dit-il en lui prenant le bras.
Ils reprirent leur course pour essayer de sortir à temps et entrèrent dans le hall en même temps qu’ils virent le « Thémis » s’amarrer.
Cité : « Autodestruction dans trente secondes… trente secondes »
La porte s’ouvrit enfin et ils sautèrent à l’intérieur.
— Lys… Mets, la gomme ! Cria Haïp, avec tous ses poumons.
Dans son poste de pilotage, Lys reçut parfaitement l’ordre et mit les gaz. Ils étaient les derniers à quitter l’île. La vitesse maximale enclenchée, ils s’éloignèrent de la cité rapidement. Quelques instants plus tard, la station spatiale explosa, et quelques débris s’entrechoquèrent contre la structure du « Thémis ».
Haïp s’installa contre le mur et tenta de récupérer son souffle encore saccadé. Tiago s’appuya contre une porte, et était tout aussi essoufflé. Ils eurent chacun la sensation de n’avoir jamais vu la mort de si près.
— Mais pourquoi a-t-il fait ça ? Murmura Haïp, entre deux respirations.
— Qui ? Quoi ? Répondit Tiago.
— L’autodestruction, c’est un homme avec une greffe de visage qui l’a déclenché à distance.
Tiago vint s’installer à côté d’elle, comprenant à peine ce qu’elle venait de dire.
— Je pense que cette cité, maintenant que nous l’avions découverte, ne lui était plus d’aucune utilité, conclut-il.
— Il a juste failli assassiner la moitié de ses soldats !
— S’ils s’en sont tirés, c’est que ce sont de bons soldats.
Lys arriva dans le sas en courant, et se dirigea vers eux.
— Ça va ? Tout le monde va bien ? Dit-elle en s’accroupissant devant eux.
— Ça va Lys, répondit Haïp. Merci.
— On te doit une fière chandelle, reconnut Tiago.
— C’est ça le travail en équipe, le taquina Haïp.
Elle se leva encore sonnée, et commença à faire les cent pas en reprenant son souffle.
— Que se passe-t-il ? Demanda Lys, inquiète.
— Viktor savait quelque chose sur la mort de Faraï.
— C’est-à-dire ?
— Il connaissait son nom, avait déjà touché un arc compound, et…
— Viktor est un menteur et un manipulateur, intervint Tiago.
— Je ne dois pas croire ce qu’il m’a dit ? Pourtant, cela est possible ! Tout ce qu’il a dit, je ne peux pas l’ignorer !
— Je pense que tu dois prendre tout ce qu’il t’a dit au conditionnel. Je ne dis pas que c’est faux, je dis que tout ce qui vient de lui, est à prendre avec précaution !

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