Tiago fit son choix en quelques secondes et surprit tout le monde en dégainant son arme. La balle qu’il tira dans le pupitre juste derrière Viktor le fit exploser. Il eut la même idée qu’Haïp et la prit par le bras pour se jeter à l’abri derrière le premier tas de caisses se présentant à eux. La surprise de l’explosion passée, des tirs fusèrent aussitôt et ricochèrent sur les malles, recouvrant les insultes d’un Viktor mécontent. Contrarié, énervé, vexé, il était en rage. Il se releva et jeta un coup d’œil aux caisses qui abritaient celui qu’il considérait, désormais, comme un traître.
Caché entre deux grosses caisses vertes, Tiago enleva son poncho et découvrit les armes d’Haïp de près quand elle retira son gilet. Ses coques moulées et ergonomiques sur chaque avant-bras cachaient des flèches d’un côté et un bouclier de protection de l’autre. Il pouvait deviner la forme pliée et dissimulée de son arc posé entre ses omoplates et le creux de ses reins.
— Tu caches bien ton jeu ! Dit-elle, en regardant autour d’eux. J’y ai presque cru !
— La seule chose que je retiens, c’est que je dois te sauver la vie et te sortir de là !
— Je ne t’ai rien demandé !
— Ingrate ! Ironisa-t-il. J’adore !
Juste avant de quitter le hangar, Viktor arracha un manteau à un de ses assistants pour l’enfiler en continuant de râler sur la tournure prise par les événements. Il n’avait vraiment pas prévu que cela tourne de cette façon ! Avant de monter dans sa navette, il s’arrêta près d’un soldat et donna ses instructions, dont celle de les tuer, tous les deux.
Pris en tenaille par des militaires offensifs, Tiago et Haïp changèrent de place et tentèrent de se cacher derrière d’autres caisses, en essayant de regagner la sortie. Ils entendirent les soldats se déployer dans tout le hangar au milieu de voix fortes, hurlants en langues russes dans tout le hangar. Haïp mit en route la fonction traduction de son driver, et les consignes d’un des militaires furent traduites en temps réel.
— Déployez-vous, fermez tous les accès, entendit-elle dans ses oreilles.
Les deux otages continuèrent à se faufiler, et décidèrent d’escalader une rangée de malles pour mieux observer le champ de bataille improvisé. Ils tentèrent de regarder entre les caisses, mais leur point de vue, même très limité, ne laissait aucune place au doute.
— Ils sont très nombreux ! Chuchota Haïp.
À peine sa phrase finit, son driver se mit en défaut, et s’éteignit.
— Ils brouillent les émetteurs ! Pesta-t-elle.
— Éteins-le ! Il ne faut pas qu’il te le pirate.
Haïp retira la toile de son émetteur incrusté dans sa peau en laissant, à nu, des marques cicatrisées. Tiago jeta un œil autour de lui et constata avec amertume que tous les accès avaient été condamnés.
— Il faut trouver un autre moyen pour sortir, dit-il, à voix basse.
De l’autre bout du bâtiment, un soldat placé en hauteur les repéra et visa. L’assistant de tir de son driver détecta Haïp, mais sa satisfaction ne fut que de courte durée avec la balle qu’il reçut entre les deux yeux, tiré par Tiago. Haïp fut impressionnée car c’était une prouesse d’arriver à ce résultat sans lunette de visée. Localisés par le bruit de la détente, des tirs fusèrent. Ils se déplacèrent, escaladant la montagne de caisse en évitant l’impact des balles. Un des lieutenants courut vers la porte d’entrée et s’arrêta devant son supérieur.
— Chef, ce hangar est un vrai labyrinthe, il faut leur envoyer des Centurions !
Le chef accepta d’un signe de tête tout en prospectant le tas de malles qu’il avait devant lui. Pourtant, à quelques mètres, ceux qu’ils cherchaient étaient recroquevillés derrière l’une d’entre elles. Tiago comprit la conversation et s’activa à trouver un autre moyen de s’échapper de ce hangar. Ils étaient tous les mêmes, ils les connaissaient bien car idéal pour cacher des marchandises illégales.
Derrière eux, de légers bruits sourds se firent entendre. Haïp appuya sur un bouton basé à l’arrière du col de sa tenue, ce qui détacha son arc. Sa forme se mit à grandir, et les câbles se tendirent. Tiago reconnut cette forme particulière inspirée d’un arc de chasse. Elle donna une impulsion sèche du poignet droit qui fit jaillir une flèche de sa coque. Miniature à sa sortie, elle multiplia sa taille pour devenir suffisamment grande et vint se loger entre une des cordes et la poignée. Haïp se concentra, ferma ses paupières. Tiago, silencieux, la regarda. Brusquement, elle ouvrit les yeux, passa sur le flanc d’une caisse et transperça un soldat d’une flèche dans le thorax. Puis, elle se remit à genoux, se fia uniquement aux sons environnants, habitée par une vigilance extrême. Deux autres soldats entendirent la chute du militaire mort au sol, et s’approchèrent avec prudence. Les yeux d’Haïp se fermèrent à nouveau. Elle ressortit une flèche. Puis une deuxième. Elle attendit le bon moment, le meilleur, puis se releva d’un bond et les toucha simultanément. Repéré par un caporal, un déluge s’abattit sur eux, et ils durent continuer à se faufiler entre les caisses, entourés des multiples explosions de balles.
Les claquements ordonnés et rythmés d’une brigade de Centurions signalèrent leur arrivée dans le hangar. Ils s’arrêtèrent dans un même mouvement en position formelle et droite. Le lieutenant transmit son ordre et la lumière verte du chef habillé de rouge s’alluma aussitôt, l’ordre avait été compris et son puissant détecteur se mit en route. Ils commencèrent à se déployer dans tout le hangar avec le signalement des deux fugitifs et leurs éliminations pour objectifs.
Au sommet de leur tas de caisses, Tiago trouva enfin une idée un peu folle pour se sortir de ce bourbier. Il fallait aller vite, le radar des Centurions transperçait facilement les caisses de transport.
— Je sais comment sortir d’ici, lança Tiago. Il faut monter là-dessus. On va être exposé aux tirs quelques instants.
Sur leurs têtes, un maillage important de tuyaux de canalisations parcourait le plafond du hangar.
— Les Centurions sont arrivés ! Chuchota Haïp. Il va falloir faire vite. Je me mets derrière toi !
— Il est hors de question que tu me serves de bouclier !
— Ce n’est pas le moment de tenir un débat sur ton ego, le rayon de mon bouclier est assez puissant pour nous protéger !
— Je ne fais pas un débat !
Malgré leur chuchotement, le radar d’un Centurion les repéra très facilement et ouvrit un torrent de tir dans leur direction. Haïp mit en route son bouclier pour qu’un rayon sphérique rouge les protège. En sortant de sa coque située sur son avant-bras gauche, il les entoura et déviant les agressions du centurion avançant vers eux, froid et virulent dans son assaut. Ils réussirent à grimper jusqu’au sommet, luttant contre les petites explosions de gaz successives qui la faisaient vaciller. Elle devait lutter pour ne pas tomber.
En arrivant au niveau le plus haut, Tiago détacha le couvercle d’une caisse et découvrit des armes en pièces détachées rangées à l’intérieur. Viktor soutenait qu’envahir Hauméa était imminent, il avait oublié ce détail, les armes n’étaient pas prêtes ! Il lança son couvercle sur les tuyaux suspendus à quelques mètres du plafond avant d’y monter, et arrosa de tir le Centurion pour permettre à Haïp de le rejoindre. Malgré des sauts agiles et rapides, les ils eurent les mêmes problèmes que Tiago et Haïp en marchant sur des canalisations aux parois très glissantes. Sous des tirs rendus hasardeux à cause des pertes d’équilibre, Haïp continuait à protéger une progression téméraire derrière son bouclier entourant toute la structure de l’arc. En reculant, elle finit par se coller à Tiago qui arriva à l’aplomb d’une descente vertigineuse. Il se retourna et cala son bras sur l’épaule d’Haïp qui s’immobilisa comme une statue. Il put tirer sur les deux premiers robots et viser d’une balle leur point faible, la caméra principale située dans l’œil gauche. Haïp resta stupéfaite, jamais elle n’avait vu quelqu’un viser avec autant de précision sans assistant de tir.
— Tu connais un sport qui s’appelle le surf ? Lança Tiago.
— Le quoi ?
Il la saisit par la taille, posa le couvercle sur la structure et la fit monter avec lui dessus.
— Garde ton bouclier allumé ! ! Cria Tiago.
Il donna une forte impulsion avec une jambe et le couvercle entama une descente sur les énormes tuyaux qui filaient droit dans les entrailles de la roche. Elle se colla contre lui avec son bouclier qui les engloba totalement lorsqu’ils se mirent accroupis. Tiago tira sur le raccord formé par un matériau transparent entourant les canalisations, paraissant plus fragile. Mais malgré ses tirs multiples, il ne se brisa pas, ne laissant apparaître qu’une grosse fissure. Haïp bascula toute la puissance de son bouclier vers l’avant juste à temps et leur passage fit éclater la paroi.
Leur descente continua jusqu’à arriver à une partie plus droite des tuyaux. La sensation de vitesse dans la descente grisa Haïp qui poussa un cri d’ivresse. Leur course s’arrêta progressivement dans les réseaux souterrains, l’espace autour d’eux était immense, avec d’autres ramifications de tuyaux, bordé d’une multitude de câbles et de boîtiers électriques. Ils se retrouvèrent tous deux recroquevillés sur leur planche improvisée. Haïp éteignit son bouclier en frissonnant tant il faisait froid, mais enchantée par les sensations qu’elle venait d’avoir.
— Je crois que j’aime bien le surf ! Dit-elle, avec le sourire.
— C’est une copie plutôt éloignée de la version originale, fit Tiago, en se levant.
— La copie provoque de bonnes sensations !
Tiago ne releva pas, attiré par l’écho d’un dérapage provenant de là où ils arrivaient. L’ombre projetée de deux Centurions ayant copié sa technique de descente sur la planche déboula en même temps que de nouveaux tirs.
Haïp ripa en voulant éviter un des tirs, et perdit l’équilibre. Elle arriva à s’accrocher à un rebord de la structure de la canalisation, et chercha le sol du regard. Suspendue dans le vide, elle ne vit qu’un nombre infini de tuyaux, sans apercevoir un fond quelconque. Ne se tenant que d’une main, elle sentit un malaise l’envahir et serra instinctivement sa prise avant de retrouver ses esprits. Tiago n’eut pas le temps de l’aider qu’un Centurion se mit à courir vers lui. Il se mit à plat ventre et tenta d’épouser la forme d’un tuyau pour tromper son radar. La tête collée contre la paroi, il visa l’œil gauche de la machine.
Aux portes du hangar, le chef des militaires convoqua deux de ses lieutenants.
— Retrouvez-les, lança-t-il à l’un d’eux. Mais ne vous déployez pas hors du bâtiment. Je ne veux pas attirer trop l’attention.
Le soldat partit retrouver ses hommes pour distribuer les consignes tandis que le chef se tourna alors vers un second soldat :
— Chargez tout le reste de la marchandise, je veux ce hangar vide pour ce soir !
— À vos ordres !
La toute petite navette de Viktor passa sur leurs têtes, et prit son envol dans un essor au souffle peu perceptible.
Tenant son arc du bout des doigts, Haïp le fit glisser sur son avant-bras pour se tenir avec ses deux mains à la structure. Elle sentait les coups de feu destinés à Tiago exploser à quelques mètres d’elle, quand la carcasse d’un robot la frôla pour tomber inerte dans le vide. Elle donna plusieurs coups de reins, et au bout d’une prise d’élan suffisante, réussit à se rétablir à genoux derrière lui. Il tirait sur un Centurion en train de le mitrailler, confondant sa silhouette avec la canalisation. À peine avait-elle atterri sur les genoux qu’elle les cala fortement entre deux interstices pour ne plus tomber. Elle ressortit son arc avec la structure auréolée d’un bouclier à la protection affaiblie par toutes ces attaques. La coque de réserve des flèches passa au rouge, lui annonçant qu’elle entamait sa dernière série de dix. Le robot eut à peine le temps de la détecter qu’elle lui planta une flèche dans l’œil gauche. Il s’effondra avant de tomber dans les entrailles de cette immense zone en percutant tout ce qui se trouvait sur son passage. Elle se releva et regarda tout autour d’elle pendant que Tiago s’asseyait péniblement sur la canalisation.
— Je déteste les dettes, lança-t-elle.
— Je peux savoir de quoi tu parles ? Répondit-il, avec une petite voix.
— Il me semble que tu m’as sauvé la vie une fois de plus que moi, et cela me contrarie !
— Un merci suffit ! Marmonna-t-il.
— Rêve !
— Sale caractère !
Lorsqu’elle rangea son arc, elle remarqua avec stupéfaction la coulée de sang sur le bras droit de Tiago.
— Tu es blessé ? Fit-elle, pantoise.
— Tu peux regarder ? Répondit-il, transpirant.
Elle s’approcha, s’agenouilla à ses côtés et souleva la manche de son tee-shirt trempée de sang. Elle vit l’impact d’entrée d’une balle en haut de son bras, sous la clavicule.
— J’ai l’impression… commença-t-il à dire en grimaçant.
— Que la balle n’est pas sortie ? Je te confirme, elle est toujours là, et j’ai comme l’impression…
— Qu’elle n’a pas explosé ! Je te confirme, je l’aurai senti !
Tiago se pliait de douleur quand Haïp lui déchira par surprise la partie basse de son tee-shirt.
— Je ne suis pas persuadé que ce soit le bon moment ! Ironisa-t-il.
— Il faut rentrer au plus tôt sur Hauméa, que Tao t’enlève cette balle !
Haïp se servit de ce morceau de tissu pour lui faire un pansement de fortune. Lorsqu’elle commença à lui serrer le lien sur la plaie, Tiago se contorsionna face au supplice de cette douleur, mais serra les dents.
— Tu ne cries même pas quand tu as mal ? Fit-elle, un peu moqueuse. Tu es plus brave que je ne le croyais !
— Je préfère l’idée de te faire crier ! Pas l’inverse !
Haïp préféra ignorer cette nouvelle provocation et l’aida à se relever avant d’avoir de nouveau un vertige.
— Ça va ? Demanda Tiago. La tête tourne ?
— Oui, qu’est-ce qu’il se passe ?
— Le mélange en air est très mauvais ici, il faut sortir !
Ils se mirent en route sur des tuyaux glissants et glacés à certains endroits, mimant un numéro d’équilibriste pour ne plus tomber.
— Il faut retrouver Viktor, lança Haïp. Si nous le laissons filer, beaucoup d’autres exilés rallieront sa cause.
— Il faut aussi prévenir Hauméa de ce qui se prépare. Par contre, je pense que pour l’instant, il vaut mieux éviter de reprendre « Féranie ».
— Lys a inséré un programme de piratage dans mon driver. Emprunter une navette devrait être possible.
— On est piégé ici alors ! Plaisanta-t-il.
Malgré cette moquerie, cette nouvelle information rassura quelque peu Tiago. Ils continuèrent prudemment leur progression en essayant de ne pas perdre l’équilibre, en se soutenant l’un à l’autre. Au bout de plusieurs minutes, ils arrivèrent avec soulagement sous un escalier de service qui semblait remonter à la surface.

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