– Alors le comique, tu es bien silencieux, dit Albine à Henri. La défaite t\’aurait-elle rendu muet ?

– Hum ? réagit le paladin, perdu dans ses pensées. Oh, non. Je me remémorais juste le cri que tu as poussé quand je t\’ai fait trébucher. C\’était hilarant !

La mercenaire éclata de rire. Ironiquement, cela énerva Henri. Dans un instant de plaisir coupable, il aurait aimé que sa pique énerve Albine. Mais cette dernière semblait incapable de prendre mal ce genre de remarque.

Il se trouvait sur le cheval d\’un des mercenaires morts durant les combats. Ses mains avaient été attachées au harnachement de sa monture, tandis que cette dernière était reliée par une corde à un autre cheval.

Tout autour se trouvait le reste de la troupe d\’Albine ainsi qu\’une diligence qui transportait Amable.

– Mon code d\’honneur m\’oblige à préciser que c\’était une plaisanterie et que je ne disais donc pas la vérité, ajouta-t-il d\’un ton grognon, ce qui amusa la mercenaire.

A la vérité, il était occupé à se demander pourquoi Fernand Vanelle avait ordonné sa capture. Henri ne voyait pas en quoi il serait utile vivant au patriarche. Alors que mort, il serait une menace, et donc une source de dépense, en moins. Mais il n\’arrivait pas à établir une théorie crédible.

– Se montrer aussi mesquin n\’est-il pas mal considéré dans ton ordre ? lui demanda Albine.

– Si, répondit Henri. Tu devrais m’emmener à notre Grand Krak pour me dénoncer auprès de mes supérieurs.

Elle rit de nouveau. Le paladin se dit que le monde était décidément bien étrange pour que ce soit une de ses pires ennemies qui apprécie le plus son humour.

– Comment es-tu devenu mercenaire ? lui demanda-t-il finalement d\’un ton très calme.

– Tu veux vraiment avoir ce genre de conversation avec moi ? répondit-elle, sincèrement surprit.

– Je n\’ai rien d\’autre à faire que parler, commença-t-il. Et je pense que, de cette troupe, c\’est toi qui as eu la vie la plus intéressante, ajouta-t-il calmement. Mais si tu ne veux pas en discuter, je ne vais pas m\’imposer, finit-il.

Henri se tourna vers un des soldats d\’Albine, tournant le dos à cette dernière :

– Et toi, comment es-tu devenu mercenaire ? lui demanda-t-il.

Le soldat eut un air de totale surprise. Ne sachant visiblement pas comment réagir, il lança un regard interrogateur à sa supérieure, ce qui le fit paraître très stupide. Le manque d\’esprit de son soldat fit soupirer Albine.

– Je me suis acheté une épée avant de m’enrôler dans une compagnie de condottieres d\’Albergian, dit-elle finalement à Henri.

Ce dernier se retourna vers elle.

– Une épée, directement ? Ce n\’est pas à la portée de toutes les bourses, réfléchit-il à haute voix. Tu dois donc venir d\’une famille plutôt riche. Pas trop non plus, sinon tu serais plutôt devenue une officier dans l\’armée, c\’est plus prestigieux et mieux payé. Je dirais, hum…des artisans.

– Ça ne te dérange vraiment pas que j\’ai ruiné ton enquête, tué tous ces gardes ainsi que ton ami ? répondit Albine.

– Bien sûr que si, affirma calmement Henri. Tu es une criminelle meurtrière et un danger pour la société. Je souhaiterais que tu sois jugée devant la loi pour tes actes. Mais je n\’ai aucune haine à ton encontre.

– Si quelqu\’un avait assassiné mon meilleur ami, je voudrais lui infliger le même sort, répondit Albine d\’un ton provoquant.

– Tu n\’as pas tué Léon parce que c\’était mon ami et pour me blesser moi, dit le paladin. Mais parce qu\’il était la cible de ton contrat. Contrat qui aurait pu cibler d\’autres paladins ou être rempli par d\’autres mercenaires. Prendre de manière personnelle les torts que tu m\’as causé est donc complètement stupide. Ou alors je devrais haïr tous les mercenaires acceptant des travaux illégaux, poursuivit Henri. Cela voudrait dire laisser mes pensées être obscurcies par des émotions négatives qui me feraient agir de manière inconsidérée. Même une mercenaire comme toi doit comprendre à quel point il est idiot de laisser la haine dominer nos actes.

– Ce genre de comportement fait effectivement terriblement amateur, admit-elle. Un bon mercenaire, comme moi, doit pouvoir garder la tête froide en toute circonstance.

– Mais…tu n\’as pas dit il y a cinq secondes que tu le prendrais de façon personnelle si on tuait ton meilleur ami ? fit remarquer Henri.

– En effet, admit la mercenaire avec un grand sourire. Et c’est pour ça que je n\’en ai pas, déclara-t-elle avec fierté. Les amis ne sont que des boulets qui t’entravent sur le chemin du succès.

– Si tu étais capable de prendre du recul, tu pourrais avoir des amis sans que cela ne soit une faiblesse, dit Henri.

– Tu veux me sauver de la voie du mal, maintenant ? demanda-t-elle.

– J\’aimerais sauver tout le monde de la voix du mal, répondit Henri. Le problème, c\’est que la plupart des gens ne veulent pas être sauvés, acheva-il.

Albine partit d\’un léger rire.

– Au moins, tu es réaliste, le comique. Ce n\’est pas une qualité très commune dans votre ordre.

Comme le paladin ne répondait rien, elle ajouta après un petit temps :

– Mes parents étaient cordonniers. Qu\’en est-il des tiens ?

– Scribes, répondit Henri d\’une voix neutre.

– J\’aurais pensé que le grand héros de Maxaberre venait d\’une longue lignée de paladins, tous plus braves les uns que les autres, rétorqua la mercenaire.

– Désolé de te décevoir, dit le paladin. Je ne dois ce titre qu\’à la chance.

– Je n\’ai jamais compté sur la chance pour réussir, déclara Albine, s\’exprimant avec une rare intensité.

On pouvait sentir dans sa voix, pêle-mêle, colère, jalousie… et un puissant désir de succès. Il s\’agissait du ressentiment d\’une personne talentueuse, mais aux opportunités bloquées par une basse naissance. Albine en voulait à Henri d\’avoir obtenu par pure chance la gloire qu\’elle convoitait.

– Je n\’ai jamais voulu être considéré comme un héros, dit le paladin.

Il sentit que sa déclaration augmenta la frustration que ressentait la mercenaire. Il envisagea un instant de la railler sur ce sujet. Mais il renonça. La conversation lui avait coupé toute envie de plaisanter.

C\’est silencieusement qu\’ils achevèrent leur voyage, l\’un replié dans sa mélancolie, l\’autre dans son ressentiment.
Leur destination était une vieille ruine de ce qui avait été autrefois une grande villa, désormais juste un point sur une carte.
Mais les lieux étaient redevenus habités. Un large campement avait été érigé sur les ruines, ceinturé de fortifications improvisées tenues par des gardes de la maison Vanelle. Henri ne doutait pas qu\’ils savaient ce que leur employeur manigançait. Après l\’arrestation de Gaston Aristide, les Maisons marchandes avaient soudainement prêté beaucoup plus d\’attention au recrutement de leurs soldats.

Ils ne firent rien pour bloquer le passage à la troupe d\’Albine. Celle-ci se retrouva bientôt dans le campement proprement dit. Il y avait de nombreuses tentes, des pavillons plus luxueux et des cages en bois. À l\’intérieur se trouvait deux cents personnes, hommes et femmes. Leur peau au teint clair, les traces de brûlures qu\’ils arboraient et leur musculature les désignaient comme des ouvriers de manufactures. C\’étaient les habitants d\’Audelle qui disparaissaient depuis plusieurs semaines.

Une fois l\’entrée passée, Fernand Vanelle vint à leur rencontre. Il était accompagné d\’une dizaine de ses gardes, d\’un serviteur portant un petit coffre métallique, d\’une femme vêtue d’épais vêtements noirs et de trois ouvriers à l\’air craintif. Parmi eux, se trouvaient Gustave.

Proche de ce groupe, se trouvait Raimund Axel, accompagné d\’une poignée de ses bandits, tous des cavaliers. Le gros de sa troupe, constitué de piétons, n\’aurait pas pu se déplacer aussi vite d\’Audelle à cette ruine. Le chef bandit, comme les soldats de son escorte, portait des traces de blessures légères.

Albine mit pied à terre et fit signe à ses hommes de descendre Henri de son cheval.

– Salutations, mercenaire, commença le patriarche. Je suis satisfait de voir que cette fois, vous n\’avez pas échoué dans votre mission, finit-il en apercevant le paladin, ainsi qu\’Amable, qui était sorti de sa diligence.

– Mes respects patriarche, dit Albine en serrant les dents sous les réprimandes. Vos informateurs disaient vrai, finit-elle en jetant un rapide regard vers les trois ouvriers qui marchait à côté du patriarche.

– Bonjour, dit pour sa part le paladin d\’un ton faussement naïf. J\’ai l\’impression que vous êtes quelqu\’un d\’important mais je crains d\’avoir oublié votre nom. Est-ce que vous pourriez me le rappeler s\’il vous plaît ?

Cette phrase arracha un léger rire à Albine. Elle fit aussi remarquer à Raimund la présence du paladin, à qui il adressa un regard haineux. Henri ne manqua pas de saisir cette opportunité :

– Hé, Raimund ! Regarde, nous sommes le lendemain et j\’ai encore ma tête !

– Plus pour longtemps, imbécile ! répondit le bandit.

Pour sa part, Fernand se contenta d\’ignorer Henri et se tourna vers Amable.

– Merci beaucoup de m\’avoir fait délivrer monsieur, dit ce dernier d\’un ton servile. Je suis votre débiteur.

– Avez-vous donné la moindre information qui pourrait contrarier mes plans ? demanda le patriarche d\’un ton froid.

– Heu…plus maintenant, monsieur, dit l\’assistant d\’un ton craintif.

Cette précision faite, Fernand se tourna ensuite vers Henri. Ce dernier prit la parole le premier :

– Mon code d\’honneur m\’oblige…

– À préciser que vous avez menti dans le but de nous démontrer la médiocrité de votre humour, l’interrompit le patriarche d\’un ton cassant. Je sais cela. Maintenant dites-moi qui est votre informateur parmi mon entourage. Dites-moi qui a osé me trahir, finit-il d\’un ton froid comme la glace.

– Heu, pardon ? ne put que réagir Henri, avec une surprise non feinte.

– Ne faites pas l’innocent. Vous avez capturé deux fois mon assistant alors qu\’il se trouvait à des emplacements tenus secrets de tous, sauf de ma maisonnée. Il n\’y a donc qu\’une explication : vous avez un espion parmi mon entourage. Et je veux savoir qui c\’est.

– Hum. C\’est donc pour ça que vous avez demandé à ce que je sois pris vivant, comprit le paladin.

– Arrêtez de gagner du temps et répondez à ma question.

– Il n\’y a pas d\’espion, dit nonchalamment Henri.

– Je croyais que vous aviez prêté serment de ne pas mentir, fit froidement remarquer Fernand.

– Et je ne mens pas, confirma le paladin.

– Alors dites-moi comment vous avez obtenu les informations qui vous ont permis d\’arrêter Amable.

– Non, dit simplement Henri. Vous êtes un criminel, arrogant et sans scrupule, prêt à tuer des centaines de personnes pour gagner votre stupide guerre commerciale. Je ne vois pas pourquoi je devrais coopérer. En fait, savoir que cette question va vous frustrer et vous inquiéter pendant longtemps m\’amuse au plus haut point.

Fernand se déplaça alors de telle sorte à être face à Raimund :

– Le torturer pour obtenir cette information est-il dans vos capacités ?

– Oh, que oui, dit le chef bandit en affichant un sourire cruel. Je le ferai avec plaisir.

– Nous discuterons des modalités de votre paiement après le rituel, conclut le patriarche.

Puis il fit un signe de main à son serviteur. Ce dernier s\’approcha alors d\’Amable à qui il remit le coffret.

– Prenez l\’or qu\’il y a dedans ainsi qu\’une monture et dirigez-vous au plus vite vers une ville portuaire. Ensuite partez vers l\’étranger et ne reprenez contact avec moi que dans trois mois. Cela devrait vous éviter une nouvelle arrestation.

– Je dois voyager sans garde ni domestique, monsieur ? demanda Amable d\’un ton craintif.

– En effet. Jusqu\’à ce que je découvre l’espion, il ne faut faire confiance à personne.

– Bien, monsieur, acquiesça finalement l’assistant, pas très enthousiaste.

Il prit le coffret ainsi qu’un cheval et, après quelques regards en arrière, partie.

– Avez-vous encore besoin de mes services ? demanda pour sa part Albine au patriarche.

– Oui. Restez avec vos soldats pour assurer la sécurité du rituel. Une fois ce dernier terminé, vous recevrez votre paiement.

La mercenaire acquiesça.

– Monsieur…commença alors Gustave d\’un ton timide. Comme l\’a dit cette femme, les informations que nous vous avons données étaient vraies.

Fernand ne répondit pas à l\’ouvrier. A la place, il s\’adressa à la femme en noir :

– Votre rituel aura-t-il l\’utilité de trois personnes de plus ?

– Oui, répondit-elle d\’une voix laconique. Augmenter le nombre de sacrifiés réduit les chances d\’échec.

Le patriarche fit un signe à ses gardes, qui immobilisèrent les ouvriers, avant de les emmener de force vers les cages.

– Non, monsieur ! se mit à crier Gustave. Nous sommes de votre côté ! Je vous le jure ! Je déteste Roland et sa clique ! Pitié, monsieur !

Mais le patriarche l’ignora.

– Une bonne illustration de pourquoi le crime ne paye pas, commenta Henri.

– Il a payé pour moi, fit remarquer Albine.

– Est-ce que tu voudrais parler de Maxaberre ? lui répondit le paladin. Vas-tu prétendre qu\’Aristide ne t\’aurait pas fait tuer si je ne l\’avais pas arrêté juste après notre combat ?

La mercenaire ne répondit rien mais Henri sentit sa colère et sa frustration.

– Commencez les préparatifs du rituel, ordonna pour sa part Fernand à la femme aux habits sombres.

Celle-ci s\’inclina avant d\’obéir à l\’ordre du patriarche.

Les mercenaires d\’Albine et les bandits de Raimund rejoignirent les soldats qui montaient la garde autour du campement pendant que leurs chefs restaient pour assister au rituel. Fernand avait même fait installer à l\’extérieur des fauteuils rembourrés, histoire de pouvoir surveiller les préparatifs de façon confortable. L\’idée d\’assister au meurtre de centaines de personnes assis sur un cousin de soie dégoûta profondément Henri. Il était heureux d’être obligé de rester debout.

Une douzaine de démonistes étaient affairés aux préparatifs. Certains utilisaient d\’étranges mixtures pour tracer de larges inscriptions à même le sol. D\’autres disposaient à un endroit des offrandes : vêtements de luxe, nourriture raffinée et pierres précieuses. Les derniers étaient occupés à préparer des mixtures alchimiques.

Puis la femme qui dirigeait les démonistes ordonna que les sacrifiés soient amenés. Les gardes de Fernand se chargèrent alors de cette basse besogne. La plupart des ouvriers avançaient sans opposer de résistance. Des semaines d’emprisonnement avaient brisé leur volonté.

La vue de ces personnes qu\’il n\’avait pas pu sauver attristait profondément Henri. Mais pas à un point où cela en devenait douloureux. Il était habitué aux échecs et avait appris à ne pas trop se laisser affecter. De plus, il savait qu\’il n\’était pas le principal responsable du crime en court. Fernand, Albine, Raimund, Amable, Gustave, les démonistes…. C\’était les péchés de ces gens qui en constituaient avant tout la cause. Bien sûr, il avait tout de même des choses à se reprocher. Personne n\’est parfait. Mais il ne laisserait pas les regrets le détruire.

Il était malgré tout heureux que la majorité des ouvriers présents ne le connaissent pas et que lui-même ne porte pas son armure de paladin. Ainsi, il ne pouvait être reconnu. Si cela avait été le cas, il aurait dû affronter des regards suppliants, haineux, et, le pire, désespérés. Il avait aussi l\’habitude de cela. Mais c\’était une expérience dont il se passait volontiers.

Les ouvriers furent positionnés à divers points, suivant les instructions des démonistes. Puis ces derniers sortirent des dagues sacrificielles et assassinèrent froidement une dizaine de captifs. Certains des autres se mirent à crier ou à se débattre. Mais en vain : les gardes les avaient solidement attachés.

Une brume noirâtre commença à apparaître au-dessus du rituel. La cheffe démoniste se saisit de plusieurs des mixtures préparées à l\’avance et les versa sur les inscriptions. Elle répéta le processus plusieurs fois, lentement, en faisant très attention à la mixture qu\’elle saisissait et à l\’endroit où elle la renversait.

À chaque fois qu\’elle agissait ainsi, la brume gagnait en taille et en intensité. Puis, lorsque la dernière mixture toucha le sol, une pluie d\’énergie noirâtre tomba sur les captifs encore vivants. Pendant une seconde, ils hurlèrent à l\’unisson. Puis l\’énergie les désintégra. Des deux cents êtres humains qui se trouvaient là, ne restait plus qu\’une épaisse couche de poussière noire.

– Et tu as participé à la réalisation de ça ? dit le paladin à Albine.

La mercenaire haussa les épaules.

– Lors d\’une guerre, les morts peuvent se compter par dizaine de milliers, dit-elle, nonchalamment. Je ne vois pas la différence entre ce genre de rituel et le fait d\’ordonner à des soldats d\’aller se battre.

– Chaque soldat envoyé au combat a une chance de revenir vivant, déclara Henri. Mais les victimes d\’un rituel de magie noire…elles sont condamnées quoi qu\’il advienne. C\’est ça la différence.

– Ta gueule, le paladin ! cria Raimund. On se fiche de ce que tu penses.

Pendant ce temps, l\’énergie noirâtre commença à se mouvoir. Des tourbillons à l\’aspect gazeux se dirigeaient vers le sol, tous en un même point : près des offrandes. En une poignée de secondes, la brume noire disparut. À sa place, se tenait le démon.

Il avait l\’apparence d\’un homme dans la force de l\’âge, grand, beau et fier, avec de soyeux cheveux noirs mi-longs et de superbes yeux d\’un vert profond. Mais sa peau avait une couleur d\’un bleuté maladif, inhumaine. Ses vêtements étaient constitués d\’une belle toge violette, couverte de nombreuses décorations dorées. Henri reconnut l\’habit d\’un sénateur de l\’ancien empire achémien.

– Un rituel magnifiquement exécuté, commenta le démon d\’une voix appréciative.

Tout en parlant, il examina une de ses mains avec un grand ravissement. Puis son regard tomba sur les offrandes. Délicatement, il saisit un grain de raisin qu\’il plaça dans sa bouche.

– Huuuum, soupira-t-il de contentement. Cela fait tellement longtemps que j\’attendais de goûter à nouveau aux sensations de ce monde.

Tandis que le démon agissait, Fernand s\’était levé et approché de lui, de manière lente et prudente. La créature reporta son attention sur lui. Un sourire apparut sur ses lèvres :

– N\’ayez crainte, dit-il d\’une voix rassurante. Certains de mes congénères n\’apprécient guère de devoir marchander leurs pouvoirs avec des mortels, mais ce n\’est pas mon cas. A la vérité, je respecte les individus comme vous, qui ont la détermination et le savoir nécessaire pour m\’invoquer. Et puis, vos sbires ont parfaitement rempli leur office : je suis actuellement incapable de vous faire du mal.

Pour étayer ses propos, il avança sa main droite devant lui. Mais elle fut soudainement arrêtée après avoir avancé d\’une dizaine de centimètres, comme bloquée par un mur invisible. Constatant cela, Fernand s\’approcha davantage.

– Permettez-moi de me présenter, continua le démon d\’un ton protocolaire. Je me nomme Iason Vlassis. Avant cela, j\’ai porté bien d\’autres noms et vécu de nombreuse vies. Dans les meilleures d\’entre elles, j\’étais artiste, érudit ou marchand. Mais de bien trop nombreuses fois, mon âme s\’est incarnée dans un individu qui est ensuite devenu paysan, soldat ou esclave. Puis je suis devenu Iason Vlassis, sénateur de l\’empire d\’Achéma. Après une vie de luxe et de pouvoir, il était hors de question que je me réincarne de nouveau en un être inférieur. Alors j\’ai quitté ce cycle et suis devenu quelque chose de plus grand.

– Vous n\’êtes qu\’une abomination, lui envoya Henri. Votre orgueil vous a dévo…

Un coup de poing de Raimund mit fin à sa tirade.

– J\’ai dit ta gueule ! cria le chef brigand.

Ignorant totalement le paladin, Iason demanda à Fernand d\’un ton charmant :

– Qui êtes-vous et que désirez-vous donc contre ma liberté ?

– Qui je suis n\’a pas d\’importance, répondit le patriarche d\’un ton prudent. Ce que je souhaite est très simple. J\’ai une rivale. Elle est riche, puissante et extrêmement bien protégée. Il faut qu\’elle meure au plus vite, sans que l\’on puisse m\’en accuser.

Le démon leva sa main devant lui, paume tendue vers l\’avant. Une brume noirâtre y apparut. Lentement, elle commença à se concentrer et à se cristalliser jusque à prendre l\’apparence d\’une petite sphère.

– Quand votre rivale se trouvera dans votre ligne de vue, commença Iason. Serrez cet orbe de votre main jusqu\’à la briser, tout en pensant à celle que vous voulez tuer. Elle mourra alors dans la semaine.

Il afficha un sourire satisfait, puis ajouta :

– Libérez-moi et cet orbe sera à vous.

Fernand fit alors un signe à la chef démoniste. Celle-ci se saisit alors d\’une simple poignée de terre. Avec, elle recouvrit certaines inscriptions que ses confrères avaient tracées.

– Enfin, dit alors le démon, soupirant de contentement.

Il donna l\’orbe à Fernand d\’un geste très digne. Ensuite, il prit une des pierres précieuses qui avait été disposée comme offrande et l’agrafa sur sa toge.

– Auriez-vous l’amabilité de m\’indiquer la direction de la ville la plus proche ? demanda-t-il au patriarche.

Ce dernier indiqua la direction d\’Audelle. Iason afficha un grand sourire. Puis son corps commença soudainement à se vaporiser, se transformant rapidement en une brume noirâtre. Lorsque le processus fut achevé, la brume se déplaça alors très rapidement dans la direction indiquée par Fernand.

– Partout où il passera, des innocents mourront, commenta Henri.

– On s\’en fiche, lui répondit Raimund.

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