– J’ai appris que vous avez réussi à arrêter l’homme qui a tué David. Soyez infiniment remercié pour cela.

La voix de Roland, tout comme son visage, exprimait une quiétude retrouvée.

Après avoir arrêté l’assassin, Henri et Jeanne l’avaient directement amené à la magistrature locale. Dans les jours qui suivirent, ils présentèrent aux juges les diverses preuves trouvées : l’épée, accompagnée de l’avis du maître armurier et les témoignages de ceux qui étaient présents lors de l’attaque, qui reconnurent l’homme lorsqu’il leur fut montré. Davantage de recherches permit de trouver d’autres témoins de la présence de l’assassin. Comme Jeanne l’avait deviné, il avait beaucoup dépensé ces derniers temps. Il s’était notamment acheté une épée courte, le jour qui avait suivi l’assassinat de David.
Henri ne doutait pas que l’homme serait incapable de justifier la provenance de cet argent. Son attaque contre le paladin et les preuves le feraient condamner à coup sûr.

Actuellement, Henri, Jeanne et Roland se trouvaient dans la salle des cartes du quartier général de la milice. Dehors, la nuit s’installait. Le paladin et son écuyère avaient passé la journée à présenter leurs preuves aux juges et ils étaient tous les deux fatigués.

– Merci, dit Henri. Mais tu n’es pas tiré d’affaire pour autant.

– Comment cela ? demanda Roland.

– Il est quasiment certain que Fernand Vanelle a engagé cet assassin pour te tuer parce que tu menaçais ses intérêts. Cet échec ne va pas le décourager de recommencer. Et la prochaine fois, il emploiera une personne plus compétente. Je doute que tu survives à une seconde tentative.

– Mais… vous allez arrêter Vanelle, non ?

– Aucune chance, affirma Henri.

À cette réponse, Jeanne et Roland affichèrent des mines totalement surprises.

– Engager un assassin se fait sans accord écrit, expliqua le paladin. Et même si on convainquait le tueur de donner le nom de son commanditaire, ce serait sa parole contre celle de Fernand. Un juge ne se laissera pas convaincre.

– Que faire alors ? demanda le chef de la milice.

– Abandonne toute action entreprise contre les Vanelle. Si tu ne représentes plus une menace pour lui, il te laissera tranquille. Ce genre d’individu ne dépense pas d’argent sans bonne raison.

– Vous lui demandez de laisser tomber ? s’indigna Jeanne. D’arrêter de se battre pour protéger les siens ? Vous ? Un paladin ?

– Tu comprends pourquoi je disais que cette partie serait bien plus difficile que d’arrêter l’assassin, dit Henri.

Son écuyère resta silencieuse mais son visage exprimait la stupeur et le mécontentement. Roland s’était tourné vers elle, l’observant avec un mélange de surprise et de fascination.

– C’est où ça ou la mort, reprit Henri. Ensuite, Fernand fera assassiner un par un tous ceux qui se sont opposés à lui, jusqu’ à ce que plus personne ne veuille le faire. Ou qu’ils soient tous morts.

– Alors aidons-les à l’arrêter ! dit Jeanne, passionnée. Avec notre aide pour les organiser, les miliciens pourront se protéger eux-mêmes ainsi que leurs familles. Ils sont suffisamment nombreux pour ça !

– Même si on arrive à les protéger, ainsi que nous-mêmes, il y a très peu de chance que nous puissions réunir suffisamment de preuves pour atteindre Fernand. Arrêter un patriarche d’une Maison marchande relève presque de l’impossible.

– Vous avez bien réussi à le faire à Maxaberre !

Henri se rembrunit à ces paroles. Cela calma un peu Jeanne. Mais elle resta malgré tout face au paladin, le regardant droit dans les yeux. Roland, lui, continuait de fixer la jeune femme, de plus en plus fasciné. Il ne jetait que de brefs coups d’œil au paladin, lorsque celui-ci parlait.

– C’était quinze ans après la purge de notre Ordre, expliqua Henri, d’un ton froid. Les paladins avaient quasiment disparu du pays. Le peu qui restait n’entreprenait aucune action risquée, de crainte que notre confrérie disparaisse. Les Maisons marchandes ne faisaient face à aucun contre-pouvoir. Cela les a rendus négligentes. Comme Gaston Aristide avait la garde dans sa poche, il pensait n’avoir rien à craindre et il laissait traîner des tas de documents compromettant. C’est pour cela qu’il nous a été facile de trouver de quoi l’arrêter. Et malgré tout, ça ne s’est pas fait sans subir de lourdes pertes.

Henri serra les poings à ces mots. Jeanne elle, écoutait attentivement, toute trace de défi ayant disparu de son regard.

– Depuis, les Maisons marchandes ont compris que nous étions de retour et elles sont devenues prudentes. Leurs membres prennent grand soin de ne laisser plus aucune trace écrite. Reproduire le succès de Maxaberre est impossible.

– S’il n’y a pas de preuve matérielle, il reste les témoignages, avança Jeanne, moins expansive mais toujours déterminée.

Henri afficha un air las.

– Les témoignages… Cela consiste à demander aux gens du petit peuple de s’opposer à un individu qui a les moyens de les corrompre ou de les tuer. Et même si cet individu disparaît, il laissera sa place à un autre qui leur fera subir exactement les mêmes torts. Eh bien devine quoi ? Cela ne marche pas. La majorité des humains se laisse dominer par la peur ou l’égoïsme. Et cela, quand ils n’admirent pas carrément les marchands pour leur richesse et leur pouvoir.

Roland regardait le paladin pendant que ce dernier parlait. Le visage du milicien avait une expression troublée, comme si les paroles prononcées résonnaient en lui. Henri soupira avant de reprendre ses explications :

– Il y en a qui pensent, même parmi les victimes, que les idéaux du Messager sont stupides et archaïques. Que l’idée du bien et du mal est simpliste et sans fondement. Ces personnes-là ne jurent que par le pragmatisme, la réussite personnelle et le progrès, même s’il est dû à l’égoïsme et aux conflits. Au fond de leur cœur, ils désirent accéder à la même fortune que les membres des Maisons marchandes. Admettre que certains de ces derniers sont malhonnêtes, c’est pour eux renoncer à ce rêve. Alors ils traitent les paladins de fouille-merde, crient aux complots et surtout, refusent de témoigner.

– Et si je vous disais, sire, commença Jeanne, désormais très calme, que j’ai un plan pour obtenir en un coup les preuves dont nous avons besoin pour inculper Fernand Vanelle ?

Roland reporta aussitôt ses yeux sur elle, tout trouble dans son regard ayant disparu. Henri lui, se contenta de hausser les épaules :

– Je t’écoute, dit-il, sans trop avoir l’air d’y croire.

– Actuellement, Vanelle ne sait pas si Roland va reprendre son action contre lui. Mais si demain, ce dernier fait un discours dénonçant les Vanelle comme ceux qui ont tenté de le tuer et indiquant sa détermination à continuer de lutter, je pourrais déterminer où et quand la réunion avec le prochain assassin aura lieu. En nous positionnant auparavant à cet endroit avec un juge, nous pourrons prendre sur le fait Fernand en train de recruter un assassin.

– Donc, nous misons tout sur ta capacité à deviner le lieu et l’heure de la rencontre ? Et si tu rates, Roland meurt ? Ça ne passe pas, Jeanne. Ce n’est pas un plan. C’est un pari. Un pari où l’on mise une vie humaine.

– J’ai réussi à deviner exactement l’endroit où se trouverait l’assassin ! Je peux réussir cette fois encore !

– C’est vrai ? demanda Roland, impressionné. Elle a réussi à deviner ça ?

– Oui, admit Henri. Mais rien ne prouve que ce n’était pas un coup de chance.

– Je peux le faire, affirma de nouveau Jeanne. Vous devez croire en moi, sire. C’est cela ou laisser la voie du mal triompher. Rester inactifs devant des crimes dont nous avons connaissance, alors que nous avons un moyen d’agir, c’est nous rendre en partie responsables de ces crimes. Vous êtes un paladin. Vous devez faire quelque chose. C’est votre devoir.

Henri soupira profondément. Il resta silencieux une demi-minute, à regarder les ailes d’anges gravées sur le plastron de son armure. Puis, l’air grave, il releva la tête, avant de se tourner vers Roland :

– C’est toi qui va prendre le plus gros risque. Je ne peux pas décider à ta place. Il te revient de déterminer si tu veux tenter ce que Jeanne propose.

L’écuyère se tourna immédiatement vers le chef milicien :

– N’abandonne pas tout ce que pour quoi tu t’es battu depuis que tu as fondé cette milice ! Les gens de ton quartier…. Non, les gens de toute cette ville, ont besoin de toi ! Tu ne peux pas les abandonner au mal alors que tu as les moyens de faire la différence.

Jeanne s’approche plus près de lui jusqu’ à ce que seulement quelques centimètres les séparent. Tout en se faisant, elle posa délicatement sa main sur son épaule.

– Je sais que tu vaux mieux que ça, Roland. Que tu es quelqu’un de bien, quelqu’un de grand.

Le jeune homme fut parcouru d’un léger frisson et resta sans répondre, visiblement dépassé par ses émotions.

– Ça suffit, dit froidement Henri, saisissant Jeanne de sa main gantée.

Il la tira sèchement en arrière pour l’obliger à lui faire face.

– Je t’interdis de tenter de l’influencer ainsi ! C’est sa vie qui est en jeu ! Tu n’as pas le droit de faire ça !

Surprise du comportement d’Henri, Jeanne ne répondit pas.

Le paladin se retourna vers Roland :

– Tu en as déjà fait plus pour ta ville que beaucoup d’autres et cela t’a déjà coûté un ami. Personne ne t’en voudra si tu ne veux pas te lancer dans un pari aussi risqué, alors que c’est ta vie qui est en jeu.

– D’accord…Heu, Je…je ne peux pas choisir maintenant. Il faut que j’y réfléchisse. Je vous donnerai ma réponse demain.

– Bien, approuva Henri. La nuit porte conseil.

Il sortit de la salle, tenant toujours fermement Jeanne par l’épaule.

– Comment oses-tu ? explosa finalement le paladin, une fois qu’ils se furent éloignés de la salle. Il risquerait sa vie dans la manœuvre et tu tentes de le manipuler de cette façon !

– Comment cela, sire ? demanda Jeanne, paniquée par la colère d’Henri. Je n’ai fait que lui dire des choses que je pensais réellement. Il n’y avait aucun mensonge dans mes propos, je vous…

– Est que tu vas me dire que tu n’as pas remarqué les sentiments que ce gamin a pour toi ?! l’interrompit Henri.

– Les sentiments ? Oh, doux Messager…

Jeanne était effondrée. Ses mains tremblaient et elle avait baissé la tête.

– Je vous jure sire, je ne m’en étais pas rendue compte. Je suis désolée. Vraiment. Je pense réellement pouvoir réussir mon plan et je l’ai proposé parce que je me soucie du sort de cette ville. Mais je ne voulais pas qu’il l’accepte pour ça… Oh, doux Messager…

Elle pleurait. Cela apaisa Henri, qui se sentit à son tour honteux. Jeanne venait d’une famille de militaires à l’honneur strict. Puis, elle avait passé ses six ans à s’entraîner intensivement pour devenir écuyère, une formation qui ne laissait aucune place à ce genre de badinage. Comment aurait-elle pu deviner l’effet qu’elle pouvait produire sur un jeune homme comme Roland ?

– Ça va aller, Jeanne, lui dit Henri. Je te crois. Tu n’as pas fait cela consciemment.

Cela la fit pleurer un peu plus :

– J’aurais dû le prévoir, bon sang ! Comment n’ai-je pas deviné ?

– Tu manquais d’informations. Les gens de ton âge sont moins au courant de ce genre de choses.

– Qu’est-ce qu’on va faire s’il accepte pour…les mauvaises raisons ?

– Tu as confiance en moi, Jeanne, n’est-ce pas ?

– Oui, sire.

– Si demain Roland accepte, j’irai lui parler seul à seul pour lui demander pourquoi il est d’accord. Et si j’estime qu’il fait cela pour ne pas te décevoir ou pour t’impressionner, alors nous ferons comme s’il avait dit non.

– D’accord, sire. Je…je comprends.

Jeanne se calma, même si elle semblait toujours beaucoup s’en vouloir.

– Allez, allons dormir, lui dit Henri, nous en avons bien besoin tous les deux.

Ils rentrèrent à l’église du Messager où ils logeaient ces derniers jours. Le duo voyagea dans le silence, chacun trop perdu dans ses propres craintes pour parler avec l’autre. Une fois que Jeanne eut aidé Henri à retirer son armure, les deux se séparèrent pour rejoindre leurs chambres respectives.

Après cela, le paladin prit une heure pour prier. Les paroles apaisantes eurent tôt fait de calmer son esprit.
Henri hésita quelques instants à continuer par une méditation. Le voyage, et l’enquête qui avait suivi, ne lui en avaient jusque-là pas laissé le temps. Mais cela ne s’était pas très bien passé la dernière fois. Ceci dit, il devait admettre que c’était le signe que son esprit n’était pas encore en paix. Fuir n’améliorerait pas la situation.

Aussi le paladin s’assit-il en tailleur sur son lit et ferma les yeux.

Et comme la dernière fois, il se trouva confronté à un ancien souvenir.

Il était avec Georgine, Léon et Marie. Tous les quatre portaient leur armure de plate et étaient montés sur des destriers de combat. Il s’agissait de puissantes bêtes, bien plus imposantes que le cheval de marche qu’Henri avait l’habitude d’utiliser.

En plus de leur équipement habituel, les paladins avaient accroché à leurs fontes des larges écus en bois ainsi que des lances d’arçon, longues armes de trois mètres, à pointes d’acier.

Le soleil venaitt tout juste à se lever, ne donnant aux lieux qu’une faible luminosité, facteur aggravé par la présence d’un léger brouillard. Les quatre compagnons avançaient au pas sur une route pavée. Les alentours étaient constitués de vertes prairies, sur lesquelles devaient sans doute paître en journée quelques troupeaux de vaches. Mais, sur le moment, elles étaient vides. Un panneau sur la route indiquait que les paladins avançaient vers la ville de Maxaberre.

Soudain une troupe d’une douzaine de cavaliers surgit de la brume juste devant eux. Leur meneur était une femme qui portait courts ses cheveux noirs, très bien assortis à ses yeux d’un marron profond. Son visage exprimait un air de souveraine confiance.
Sa musculature était celle d’une combattante d’élite et elle portait un équipement très similaire à celui des paladins : armure de plaques, lance d’arçon, écu de bois, épée courte. Mais à la place de l’épée à deux mains, elle en possédait une dite « bâtarde ». Sa taille était inférieure aux armes des paladins. Mais contrairement à celles-ci cette épée pouvait aussi être maniée à une mains.

Une dizaine d’autres cavaliers, hommes et femmes, étaient aussi des combattants. Sept portaient en guise de protection de simples armures de cuir clouté. Ils avaient pour armes des arbalètes, accompagnées de masses d’armes à la ceinture.

Trois autres étaient revêtus eux aussi d’armures de plate complètes. Contrairement à la femme, ils avaient déjà enfilé leur heaume, empêchant l’identification de leur genre.

Leurs armes variaient aussi : l’un portait un bouclier en acier, accompagné d’un marteau de guerre. Un autre portait une épée semblable à celle des paladins, mais qu’il avait accompagnée d’une dague dite « de miséricorde », une arme capable de perforer un harnois. Le dernier s’était équipé d’une épée bâtarde, imitant la meneuse de la troupe.

Les deux derniers étaient les plus insolites du lot : l’un portait aussi une armure de cuir clouté mais avait un physique qui correspondait plus à celui d’un scribe que d’un soldat. Et il n’était armé que d’une seule dague. L’autre était simplement vêtu de grossiers vêtements de chanvre. Ses mains noircies par le goudron et sa peau marquée par le sel trahissaient un ouvrier de chantier naval. Il était ligoté par une corde et attaché par cette dernière à sa monture tandis que sa peau portait la marque d’hématomes.

Aucun d’entre eux ne portait de tabard, blason ou autre symbole signifiant une quelconque allégeance.

Les nouveaux venus s’étaient positionnés de telle sorte à barrer le chemin aux paladins. Les arbalétriers commençaient même à se déployer sur le côté, afin d’envelopper les quatre compagnons.

– Je suppose que le fait que nous nous croisions aujourd’hui et que vous nous bloquiez la route est une totale coïncidence, dit Henri, de son ton ironique.

– Absolument, répondit la meneuse sur le même ton. Une totale coïncidence.

Elle partit d’un léger rire.

– Je ne savais pas que les paladins étaient des comiques, continua-t-elle.

– C’est Aristide qui vous envoie ? demanda Léon.

– Bien sûr. Même s’il le niera catégoriquement si cela lui était demandé.

– Qui êtes-vous ?

– Je me nomme Albine et bientôt je serai la mercenaire la plus réputée de toute la Josaria. Je vous dois des remerciements pour cela.

Elle s’inclina, d’un air railleur.

– Le mal n’a rien d’inéluctable, dit Georgine. Vous n’êtes pas obligée de nous combattre.

– En effet, je ne suis pas obligée, répondit Albine. Mais je veux le faire, affirma-t-elle d’un air féroce. Votre mort m’apportera gloire et fortune. Je ne vais pas renoncer à ça au nom des idéaux archaïques de votre Messager.

– Et vous pensez vraiment être capable de vaincre quatre paladins ?! lança Marie d’une voix colérique.

– Bien sûr. Mon talent et mon ambition ont fait de moi la meilleure épéiste de ce pays. Quant aux autres, ils ont un niveau…correct. Cela suffira largement.

Albine prit son heaume, une pièce de qualité mais sans décoration, qu’elle enfila en disant froidement :

– Vous auriez dû rester dans la forêt à massacrer des barbares, paladins.

Puis elle saisit son bouclier et sa lance d’arçon, avant de pointer cette dernière sur Léon, qui était à la tête du groupe.
Ce dernier n’était pas resté inactif et avait fait des préparatifs similaires, tout comme Georgine. Sur le côté, les arbalétriers avaient positionné leurs armes vers les paladins. Henri et Marie, qui avaient aussi revêtu leur heaume, pointaient leurs mains vers les tireurs.

– Utilise donc tes tours, lança la mercenaire vers l’homme au physique de scribe, situé à l’arrière de sa troupe.

L’autre hocha la tête et saisit sa dague. Puis, d’un geste vif et maîtrisé, il plongea l’arme dans le cœur de l’ouvrier. De son autre main, il sembla saisir quelque chose d’invisible dans l’air. Mais alors qu’il agissait ainsi, une volute noire et ténébreuse apparut à cet endroit. D’un geste il en envoya une partie sur Albine, qui se mit à tourner autour d’un air protecteur, et l’autre vers les paladins.

– Magie noire, identifia Georgine avec dégoût.

Les yeux des quatre paladins s’emplirent d’une vive lumière, effaçant totalement leurs pupilles, et éclairant la scène bien plus vivement. La volute noire qui se dirigeait vers eux s’arrêta alors, bloquée par le halo.

– Frappez pour tuer, dit Léon, d’une voix déterminée mais éthérée, marqué par les pouvoirs qui le traversaient. Ils en feront autant.

Il abaissa sa lance vers Albine et chargea. La mercenaire fit de même.

Les arbalétriers se mirent à attaquer tandis que les mains d’Henri et de Marie s’illuminaient. Pris de soubresauts, les tireurs pointèrent leurs armes vers le sol en déclenchant le mécanisme de leurs armes et les projectiles se plantèrent dans la terre. Georgine pointa sa lance vers le mercenaire à l’épée bâtarde, et chargea.

Pendant ce temps, le choc entre Albine et Léon se produisit. La mercenaire avait visé la tête tout le long de la chevauchée, forçant Léon à lever son bouclier. Mais à la dernière seconde la lance de la mercenaire s’était abaissée vers le torse non protégé du paladin. Ce dernier n’avait pas su réagir à temps et se trouva désarçonné par le choc, perdant sa lance et son bouclier.

– Pathétique, commenta Albine d’un ton méprisant.

Georgine connut une meilleure fortune : son adversaire n’ayant pas de lance, elle put donc le désarçonner sans problème. Mais, s’étant préparé au choc, le mercenaire avait pu conserver ses armes.

Les arbalétriers saisissaient leur masse tandis que les autres mercenaires se précipitaient vers les paladins. Henri et Marie dégainèrent leurs armes et se dirigèrent chacun vers un adversaire : le guerrier au marteau pour Henri, celui à l’épée à deux mains pour Marie. Au même moment, Albine pointa sa lance vers Georgine.

– A ton tour ! cria la mercenaire en chargeant.

La paladine pointa son arme et chargea aussi. Quelques secondes plus tard, le choc se produisit. Il fut alors clair que Georgine était bien plus douée que Léon à la joute. Contrairement à ce dernier, elle réussit à parer la feinte de la mercenaire et parvint en plus à désarçonner Albine, lui faisant perdre ses armes au passage.

Le combat semblait tourner au profit des paladins. Du côté d’Henri, son adversaire abrita son torse derrière son bouclier tout en portant une attaque de son marteau. Le paladin para aisément le coup. Puis, d’un mouvement rapide, il remonta sa main gauche sur le devant de sa lame, l’agrippant de ses doigts gantés d’acier. Profitant de cette nouvelle prise, il retourna son épée et donna un coup de pommeau en plein sur le casque de son opposant, le tout en moins d’une seconde.
Son adversaire fut brièvement étourdi, ce dont Henri profita pour lui arracher son bouclier et le jeter au sol.

De son côté, Marie employait des tactiques moins subtiles. Elle frappa de son épée la lame de l’adversaire, la dégageant sur le côté. Puis, profitant de l’ouverture ainsi créée, elle lâcha son arme et empoigna le mercenaire. Ce dernier donna un coup de pommeau pour arrêter la paladine, mais celle-ci encaissa sans broncher. Profitant qu’elle l’avait agrippé, Marie projeta le mercenaire au sol, mais faisant en sorte de tomber sur lui.
Le guerrier fut étourdi par les deux chocs successifs, ce dont la paladine profita pour s’emparer de sa dague de miséricorde avant de la lui planter violemment dans le cou. L’arme, spécialement conçue pour cet usage, transperça aisément l’armure de plaque.

Malheureusement, c’est à ce moment que les autres mercenaires passèrent à l’attaque.
Albine était toujours au sol, mais les arbalétriers fonçaient pour rejoindre le corps à corps. Deux d’entre eux se dirigèrent vers Henri, deux autre vers Léon et trois vers Marie, accompagnés du guerrier à l’épée bâtarde, qui s’était relevé.
Si la tactique brutale de la paladine lui avait permis d’éliminer rapidement son ennemi, elle avait aussi eu le défaut de la placer dans une posture vulnérable. Cela attira les mercenaires, avides d’une proie facile.

Elle n’eut même pas le temps de se relever que les quatre assaillants étaient sur elle, la matraquant de coups. L’armure de plaque, et le gilet matelassé en dessous, amortirent les chocs. Mais Mari resta clouée au sol.

Léon, de son côté, vit son cheval, bien dressé, revenir vers lui. Le paladin se saisit de son épée. Puis, il vit deux mercenaires montés qui fonçaient dans sa direction. Le paladin empoigna son épée comme une lance, elle en avait presque la taille, et s’écarta au dernier moment du chemin des cavaliers. Dès que l’un d’eux passa à côté de lui, il frappa d’estoc, visant le ventre.
La longueur de son arme lui permit de toucher en premier et la pointe d’acier s’enfonça facilement dans le cuir de l’armure.
Le deuxième cavalier passa derrière pour tenter de porter un coup mais Léon s’était déjà retourné et il para aisément. Le mercenaire préféra alors s’écarter, estimant sans doute qu’il ne faisait pas le poids face au paladin.

Pendant ce temps, Henri continuait de faire face au guerrier au marteau. Ce dernier, se sachant vulnérable privé de son bouclier, avait lentement reculé en brandissant son arme en position défensive, comptant sur son armure de plaques pour se protéger de l’épée du paladin.

Mais ce dernier décida d’utiliser son arme de manière non conventionnelle. Il inversa totalement sa prise, tenant la pointe comme le pommeau et brandissant ce dernier en guise de pointe, transformant l’arme en marteau improvisé.

Son premier coup toucha la main d’arme du mercenaire. Un coup tranchant aurait eu peu d’effet sur la plate. Mais l’onde de choc produite par une arme contondante était bien moins absorbée par l’armure. La violence du coup fit lâcher son arme au mercenaire. Une seconde attaque troua le casque et toucha le crâne en dessous, faisant jaillir le sang.

Mais les deux arbalétriers, maniant désormais leur masse d’armes, arrivèrent sur Henri par derrière. D’un vif mouvement, le paladin remonta ses mains sur le pommeau de son arme et, sans avoir besoin de retourner plus que sa tête, donna derrière lui un coup d’estoc, en plein sur la tête d’un des mercenaires. L’autre arbalétrier visa l’épaule mais le paladin esquiva facilement le coup.

Georgine, elle, avait poursuivi sa course vers le mage, lance pointée vers lui. Ce dernier, paniqué, tenta de faire fuir sa monture. Mais l’étalon de guerre de la paladine était plus rapide. La pointe d’acier de l’arme de Georgine transperça le cœur du mage noir, la lance restant fichée à l’intérieur.

Malgré cet événement, les volutes noirâtres autour d’Albine, restaient en suspension, comme maintenues par une force extérieure.
Georgine lâcha alors son arme, renonçant à la décoincer et se retourna. Notant que Marie était en difficulté, elle chevaucha rapidement vers elle.

Albine de son côté, s’était relevée, avait dégainé son épée et s’approchait de Léon. Ce dernier leva une main vers la mercenaire une vive lueur blanche y apparaissant. Mais les volutes noires qui entouraient Albine se rapprochèrent alors, formant un bouclier entre elle et Léon. La lumière disparut de la main de ce dernier sans que la guerrière paraisse affectée.

– Tes petits tours de magie ne te serviront pas, paladin ! déclara-t-elle avec férocité. Seul l’acier décidera qui survivra !

Elle se précipita sur lui tandis que Léon se remettait en garde. Les deux lames ne tardèrent pas à s’entrechoquer.

Georgine arriva à la position de Marie. Les assaillants de cette dernière se retournèrent vers cette nouvelle menace. Profitant de ce répit, Marie se redressa et se mit à genoux. Elle invoqua ses pouvoirs sur sa main droite et la porta à sa tête.

– Vous osez vous attaquer à des serviteurs du Messager pour de l’argent ?! Vous paierez ce péché de vos vies ! proclama Georgine d’une voix puissante, toujours marquée par l’utilisation de ses pouvoirs.

Alors que, jusqu’à présent, seuls ses yeux émettaient de la lumière, le halo sortait maintenant de tout son corps. Et la puissance de cette aura augmenta en proportion, jusqu’à devenir aussi aveuglante que le soleil, forçant les mercenaires à détourner leurs yeux. Georgine dégaina son épée, et il semblait alors que l’acier s’était métamorphosé en pure lumière. Puis, elle fonça sur les adversaires qui lui faisaient face.

Ce fut un massacre à sens unique. Totalement aveuglés, les mercenaires étaient incapables de résister. La lame de la paladine passait sans rencontrer de résistance à travers le cuir, l’acier et même la chair, ne laissant aucune blessure visible. Mais ceux qui étaient touchés s’effondraient pourtant bel et bien.
Puis, quand le combat fut achevé, la lumière disparut totalement du corps de Georgine. Pendant une demi seconde, le brun de ses yeux apparut de nouveau. Puis, elle ferma les paupières et tomba de sa monture, inconsciente.

Mais ce déchaînement surnaturel fit fuir les deux arbalétriers survivants, ainsi que le guerrier au marteau, déjà blessé et désarmé par Henri.

– Il faut tout faire soi-même, se plaignit Albine.

– Vous nous avez sous-estimés, lui rétorqua Léon, en attaquant de nouveau.

Comme Henri, il se battait en changeant la position des mains sur son épée, pour attaquer autant avec la lame que le pommeau. Mais cela ne produisait pas beaucoup de résultats : Albine était tout simplement trop rapide.
Elle manœuvrait habilement avec son épée, tantôt la tenant à une main, tantôt à deux, variant ainsi l’angle de ses attaques. Léon avait déjà pris deux coups qui, s’ils n’avaient pu transpercer l’armure de plaque, l’avaient déstabilisé. Le jeu d’épée d’Albine l’obligeait à amener sa lame toujours plus loin, l’écartant de son torse.

– Je ne pense pas, répliqua la mercenaire en parant une attaque.

En moins d’une seconde, elle ramena sa lame au niveau de sa tête, la saisit de ses deux mains et positionna la pointe vers le cœur de Léon. Puis, Albine projeta son épée en avant.
C’était une fente d’estoc, une manœuvre capable de donner à une épée l’énergie nécessaire pour transpercer une armure de plate. Mais en même temps, un coup particulièrement difficile à placer et très risqué. S’il était mal exécuté, l’épée pouvait se briser en deux.

Mais Albine l’exécuta parfaitement.

Renforcée par l’énergie cinétique, la lame obtint assez de puissance pour transpercer le harnois du paladin, s’enfonçant dans le torse sur dix bons centimètres.

La lumière quitta les yeux de Léon, laissant apparaître une expression de stupeur dans ses yeux bleus.

– Je vous avais pourtant dit que j’étais la meilleure, déclara Albine.

Elle retira lentement la lame du corps, laissant s’effondrer ce dernier.

– Léon !

En voyant la scène, Henri avait perdu sa concentration. La lumière quitta également ses yeux tandis que le contre-choc de ses pouvoirs le fit tomber de sa monture.

– Alors le comique, il semble qu’il ne reste plus que nous deux, dit Albine en s’approchant du paladin, brandissant sa lame couverte de sang devant elle. Et vu ton état, tu ne tiendras pas longtemps. Je vais t’avoir comme j’ai eu ce Léon.

Henri se releva et saisit fermement son épée. La lumière n’était pas revenue dans ses yeux. Mais il n’en paraissait pas moins déterminé.

– Tu peux toujours rêver ! lança-t-il avec un air de défi.

Il se mit en garde et avança vers la mercenaire. Les lames d’acier ne tardèrent pas à se croiser.

Certains pensent que l’épée à deux mains est une arme sans subtilité, reposant entièrement sur la force brute pour son utilisation.
Ceci est totalement faux.
L’épée à deux mains représente une des meilleures armes d’escrime disponible. Elle offre de multiples possibilités de coups, bottes, parades et ripostes.
La prise à deux mains offre bien plus de combinaisons en termes de mouvements de poignet et la longueur de l’arme permet divers repositionnements des mains, donnant l’occasion de frapper sous un angle différent, voire avec le pommeau. Grâce à de tels mouvements, chaque parade peut se transformer en attaque et chaque attaque en parade.
Le duel qui se déroulait était une merveilleuse illustration de toutes les possibilités d’une telle arme.

Henri était bien plus doué que Léon. Il exploitait au maximum l’allonge supérieure que lui donnait son épée. Mais surtout, il profitait de la moindre occasion pour changer la position de ses mains sur son arme, et ainsi son angle d’attaque.
Albine était plus rapide que lui, mais cela ne lui suffisait pas pour contrer les brillants mouvements du paladin.

Elle para in extremis un coup de lame destiné à son casque. Henri repositionna ses mains et frappa du pommeau, en plein ventre.

– Tu te crois la meilleure !? lui hurla le paladin.

Un autre coup de pommeau visa le bras mais fut esquivé, seulement pour voir la pointe de l’épée atteindre le casque, coupant une lanière.

– Grâce à ton ambition ?! poursuivit Henri.

La pointe de la lame partit vers la poitrine d’Albine, menaçant de répéter le coup qui avait tué Léon. La mercenaire esquiva en toute hâte. C’était une feinte. Albine se prit un coup d’épaule en pleine tête, faisant voler son casque au loin.

– Que fais-tu donc de la croyance en des idéaux ?! De la volonté de rendre le monde meilleur ?!

Un coup de pommeau visa le genou. L’arme d’Albine s’interposa. Feinte encore. La pointe de l’épée d’Henri creusa une méchante coupure sur le visage de la mercenaire, du menton au front, manquant l’œil de seulement un demi-centimètre.

– Moi j’ai tout cela ! Et j’en tire une force cent fois supérieure à ton ambition !

Désespérée, la mercenaire ramena sa lame au niveau de sa tête, la saisit de ses deux mains, positionna la pointe vers le cœur d’Henri et la projeta en avant.
Le même mouvement contre Léon avait été précédé d’une minutieuse préparation, qui avait permis son exécution parfaite. Il n’était désormais qu’un pur produit de la panique. La lame, mal orientée, n’arriva pas à pénétrer l’armure. Subissant trop de pression, l’épée se brisa en deux.

– Tu n’obtiendras ici ni argent ni gloire, dit Henri. Il n’y aura pas de récompense pour tes péchés.

Albine tourna les talons et se mit à courir vers un cheval.

Henri n’avait pas la force de l’empêcher de partir. Il était bien plus préoccupé par le sort de ses compagnons. Tandis que la mercenaire s’enfuyait, il retira son heaume et se précipita vers Léon.

– Tiens le coup mon vieux ! dit-il en positionnant ses mains près de la blessure.

– Henri, bon sang, accepte la réalité ! Il est mort.

Le paladin leva la tête et croisa le regard de Marie.

Cette dernière avait aussi enlevé son casque, laissant voir de multiple hématomes et écorchures sur son visage, ainsi que la trace d’une blessure plus sérieuse, heureusement cicatrisée grâce aux pouvoirs de la paladine. Cependant, Marie, meurtrie par les combats, épuisée par l’usage de sa magie, tenait à peine debout.

– Mais…

– Il n’y a pas de mais qui tienne ! Quand on t’enfonce autant d’acier dans le cœur, tu meurs ! Et ne me sors pas cet air surpris ! On savait qu’une attaque de ce genre allait avoir lieu et on savait qu’au moins l’un d’entre nous allait mourir. Maintenant fonce à Maxaberre arrêter Aristide, ou tout ça n’aura servi à rien !

Visiblement, la fatigue ne l’empêchait pas de crier.

– Non ! Je dois te soigner et vous raccompagner…

– Réfléchis deux secondes, tête de pioche ! A l’heure qu’il est, Aristide pense sans doute qu’on est tous morts et ne se méfie de rien. Mais si tu lui donnes ne serait-ce qu’un jour, il se rendra compte que ses mercenaires ne sont pas venus réclamer leur paye. À partir de là, tout est possible ! Il pourra très bien fuir à l’étranger, se barricader chez lui ou engager une autre bande pour nous assassiner. Il faut l’arrêter maintenant !

– Tu es…

– Bon sang, Henri, je suis une grande fille. Je peux ramener le corps de Léon et Georgine jusqu’à nos écuyers. Doux Messager, vu les pouvoirs qu’elle a utilisés pour me sauver, on aura de la chance si elle se réveille demain, finit Marie en jetant un regard vers l’intéressée.

– Je t’aime, dit alors simplement le paladin.

– Moi aussi, je t’aime, Henri. Allez va et arrête ce salopard s’il-te-plaît.

Henri avança jusqu’à sa monture, se remit à cheval et reprit la route. Vers Maxaberre.

En tailleur sur son lit, Henri rouvrit soudain les yeux, pour se rendre compte qu’ils étaient emplis de larme. La tristesse ravageant son cœur, il pleura tout son soûl. Puis, fatigué par une longue journée remplie d’émotions, Henri s’endormit.

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