– …et donc quand nous nous trouvons face à un campement de bandits et qu’ils ne nous ont pas repérés, nous envoyons la moitié du groupe les contourner pour les cerner, expliquait Henri.

– Car un encerclement leur fait davantage peur qu’une simple attaque frontale, compléta Jeanne en réfléchissant. Si l’on ajoute la réputation de l’Ordre, ils auront tendance à se rendre plus rapidement, sachant que nous épargnerons leurs vies.

– C’est bien cela, dit Henri, impressionné. Et dire que tu n’es jamais partie sur le terrain. Richard n’exagérait pas ton talent.

– Merci, sire, répondit l’écuyère, toute fière d’avoir deviné.

Henri et elle se trouvaient sur une route de terre, bordée de collines grisâtres sur lesquelles ne poussaient que quelques buissons épars. Les deux montaient des chevaux de marche. Henri portait le même équipement que dans les territoires jüstans. Son écuyère disposait elle aussi d’une épée courte et d’une épée à deux mains. En revanche, Jeanne n’avait pour protection qu’une armure de cuir, renforcée de légères plaques de métal aux endroits les plus exposés.

– Par contre, reprit la jeune femme, il faut mieux éviter cette tactique face à des adversaires plus déterminés, qui se battront jusqu’à la mort en cas d’encerclement. Alors que, s’ils ne sont pas cernés, ou n’ont pas l’impression de l’être, ils préféreront fuir.

– Quand des paladins affrontent des adversaires plus déterminés, c’est généralement que ceux-ci nous attaquent, et pas l’inverse, répliqua Henri.

– Les criminels ne sont pas très courageux, mais des mercenaires payés pour nous tuer peuvent l’être. Et eux, nous ne les traquons pas, mais l’inverse.

– Exactement.

Jeanne s’offrit un autre sourire fier.

– Une fois les bandits capturés, il faut les emmener directement à la magistrature, continua-t-elle, sûre de ses paroles.

– Non, la contredit-Henri. Il faut les interroger pour voir s’ils ont d’éventuels complices encore présents dans les environs. Surtout si nous avons trouvé un camp : certains d’entre eux sont parfois absents lors de l’assaut et nous n’avons alors plus qu’à attendre leur retour pour les cueillir. D’ailleurs, c’est très drôle lorsque ça arrive.

– Mince ! J’aurais dû le deviner, dit Jeanne.

– Que c’est très drôle lorsque ça arrive ? plaisanta Henri.

– Vous voyez très bien ce que je veux dire ! Sire…, ajouta-t-elle un peu tardivement.

– Jeanne, que tu arrives à deviner aussi bien comment un paladin doit agir, alors que tu es écuyère depuis moins d’une semaine, est déjà totalement exceptionnel. Que tu fasses une ou deux erreurs de temps en temps n’enlève rien à cela.

– C’est probablement ma dixième ou onzième erreur, sire, répondit-elle.

– Cela pourrait être la vingtième que ça resterait exceptionnel. Les écuyers ne sont censés rien connaître de ces choses-là. Toi, tu les devines juste en écoutant mes histoires.

– Je suis la meilleure, je dois arriver à de meilleurs résultats.

– Eh bien, c’est le cas. Alors arrête de t’autoflageller lorsque « meilleur » n’est pas « parfait ».

Elle resta silencieuse quelques secondes, signe qu’elle réfléchissait.

– Oui sire, dit-elle finalement.

Henri lâcha alors un gros soupir de soulagement. Discuter avec Jeanne était loin d’être de tout repos. Dès le début de leur voyage, la jeune femme avait commencé à le questionner sur son expérience passée et les façons d’agir des paladins en mission. Ces choses étaient peu enseignées aux novices. Les formateurs préféraient leur laisser découvrir cela lors de leur temps d’écuyer.

Henri avait anticipé ces questions et réfléchi aux récits qui pourraient intéresser Jeanne. Cela avait plutôt bien marché. En revanche, il avait beau avoir prévu qu’elle argumenterait au moindre désaccord, il était tout de même exaspéré du comportement de la jeune femme.
Elle remettait tout en question et était d’une ténacité inébranlable, ne refusant de céder que face à des arguments logiques et parfaitement enchaînés. Cela déstabilisait Henri, qui avait accepter pour acquis tout ce que lui disaient ses formateurs, puis Richard.
Ainsi, il se retrouvait à devoir défendre des méthodes d’agir dont il n’avait jamais cherché à comprendre les fondements. Et parfois, il devait bien reconnaître que la gamine avait raison dans sa critique.

Aussi s’estimait-il heureux quand elle lui disait « Oui sire » après qu’ils aient débattu moins d’une minute.

Fort heureusement pour lui, ces conversations allaient se faire plus rares maintenant qu’ils venaient d’arriver à leur destination : la ville d’Audelle. Il s’agissait d’une petite cité, qui avait basé son activité sur les mines de fer proches, ainsi que sur l’artisanat lié au métal.

Le chef de la toute récente milice de la ville, un dénommé Roland, avait subi, il y a cinq jours de cela, une tentative d’assassinat, dont il avait échappé de peu.

Henri et Jeanne avancèrent à travers les faubourgs. Ces derniers étaient constitués de maisons de torchis aux toits de paille, quasiment collées les unes aux autres, sauf au niveau de l’artère principale, à cet endroit une simple route boueuse.

Le paladin observait les gens présents dans la rue ainsi que les réactions suscitées par son passage et celui de son écuyère. Ce qu’il vit lui fit froncer les sourcils.

– Un problème, sire ? lui demanda Jeanne.

– Je ne sais pas. Ce n’est probablement rien, mais l’état d’esprits des habitants de cette ville me paraît…inhabituel.

– Je ne vois rien de spécial, dit la jeune femme. Que remarquez-vous, sire ?

– D’habitude, les quartiers pauvres ont une atmosphère de misère teintée de désespoir. Les gens baissent la tête, marchent vite, longent les murs et ils ont peur en voyant passer un paladin.

– Et ici ?

– Je vois plutôt de la tension et de la colère. Certains des passants avancent la tête haute et lentement. Ceux-là se sentent beaucoup plus sûrs dans leurs rues ou alors n’ont pas peur de défier ceux qui pourraient les leurs contester. Mais il y a des regards haineux qui sont échangés, comme si la ville était divisée entre deux camps. Et les gens n’ont pas peur en nous voyant.

– Qu’avez-vous vu comme réaction ? demanda Jeanne en regardant autour d’elle.

– De l’espoir pour certains. De la haine pour d’autres. C’est moins fort que chez les Jüstans mais tout de même… Je suis surpris.

Son écuyère ne répondit rien, toujours occupée à observer la foule.

– Je me suis absenté de la Josaria pendant un an, poursuivit Henri, mais je doute que le pays ait pu se modifier à ce point en si peu de temps. Ou alors Richard m’aurait averti. Quelque chose de spécial est arrivé dans cette ville.

La conversation prit fin, car ils étaient arrivés à destination.

À mesure qu’Henri et Jeanne avançaient, les maisons devenaient plus grandes, plus espacées. Elles étaient construites avec davantage de bois, voire même un peu de pierres. La route, si elle était toujours de terre, était mieux entretenue : il n’y avait plus de boue ni de trous.

Néanmoins, ils s’arrêtèrent avant d’atteindre le centre-ville. Le duo se rendit près d’un grand bâtiment en bois, bordé d’un large terrain plat. Il dépassait largement en taille les maisons attenantes. Une poignée de sentinelles montait la garde devant les portes du bâtiment.

– C’est ça le quartier général de la milice ?! s’exclama Jeanne, scandalisée.

– Apparemment, répondit Henri.

– Il n’y a même pas de mur !

– Tu sais, Jeanne, une milice c’est juste une poignée de paysans ou d’ouvriers qui décident de se protéger et de faire respecter la loi par eux même. Ça ne leur donne pas une expérience de soldat pour autant.

– Il n’y a pas besoin d’une expérience de soldat pour comprendre qu’il est utile d’avoir des murs autour de son quartier général, sire.

– Certes, se contenta de dire Henri, qui ne souhaitait pas s’engager dans un débat avec la jeune femme.

Arrivés près des sentinelles, ils mirent pied à terre. Les miliciens portaient des armures de cuir et étaient armés d’arquebuses à mèches, ce qui surprit Henri.

– Bigre, comment avez-vous fait pour avoir de telles armes ? demanda-t-il en guise de salutation.

Les arquebuses n’étaient pas des objets très cher. Mais il était rare de voir des miliciens équipés d’autre chose que de leurs outils de travail, ou, au mieux, de fronde et de lance.

– Heu, bonjour, sire, répondit une des gardes, une jeune femme de l’âge de Jeanne. Elles nous ont été données par le chef de la guilde des artificiers.

– Étonnant. Et vous en avez beaucoup ?

– Je ne connais pas le nombre exact, mais la moitié de la milice en est équipée. Heu, quelle est la raison de votre présence ici, sire ?

– Une enquête pour une tentative de meurtre. Ceci dit…

Henri leva la main vers la milicienne et une douce lueur blanche apparut autour, de même que dans ses yeux, faisant disparaître ses pupilles. Les sentinelles s’écartèrent devant cette manifestation surnaturelle, tandis que Jeanne observait le tout, fascinée.

– Pouvons-nous vous faire confiance pour garder nos montures le temps que nous discutions à l’intérieur avec votre chef ? demanda le paladin d’une voix douce et éthérée, comme venue d’un autre monde.

– Bien sûr, sire, répondit la sentinelle.

La lumière se dissipa. Henri rabaissa sa main. Un peu trop rapidement d’ailleurs, comme s’il avait un instant de faiblesse. Ce pouvoir semblait malgré tout moins exigeant que celui que le paladin avait utilisé contre le jeune Jüstan.

– Parfait, dit Henri, sa voix normale revenue. Bonne journée à vous, conclut-il en ouvrant la porte et en entrant dans le bâtiment, suivi par son écuyère.

– Vous avez utilisé vos pouvoirs pour savoir si elle mentait, sire ? demanda Jeanne.

– Oui. Nous aurions eu l’air bête si nos chevaux se faisaient voler. Et je n’avais pas envie de te laisser les garder. Je préfère que tu sois avec moi pour voir l’enquête de tes yeux.

Une monture de paladin coûtait cher et son dressage prenait du temps. Leur perte n’avait rien d’anodin pour l’Ordre et était déshonorante pour ceux qui en étaient victimes.

– Comment cela marche, sire ?

– Je t’expliquerai plus tard, Jeanne. Promis. Mais là, il nous faut interroger la victime.

Elle acquiesça et ils se remirent à avancer. En se renseignant, ils surent rapidement où se trouvait Roland : dans la salle des cartes, qui lui servait aussi de bureau.

Le chef de la milice était un très jeune homme, à peu près de l’âge de Jeanne. Il était très joli garçon avec des cheveux ébouriffés d’un beau blond, des yeux d’un bleu profond, la peau très claire et un corps d’ouvrier, maigre mais musclé. L’ensemble était toutefois gâché par son expression : vide et triste. Son esprit semblait plongé dans des abysses insondables, qui l’avaient arraché au monde réel.

– Bonjour, débuta Henri d’un ton amical. Tu es bien Roland ?

Le jeune homme sursauta. Il affichait une mine paniquée et inquiète.

– Oui, oui, c’est moi.

– Ne t’inquiète pas, regarder les murs n’est pas interdit par le Messager, dit Henri.

– Regarder les murs… ?

– C’est ce que tu faisais, non ? Bon, je m’appelle Henri Matthias, elle s’est Jeanne Sévérine, mon écuyère. Est-ce que l’on peut s’asseoir ?

– Bien sûr.

Henri ferma la porte et s’assit sur une jolie chaise, imité par Jeanne. Il ne savait pas en quel bois elle était faite, mais il était visible qu’elle avait été réalisée par un artisan, ce qui étonnait le paladin. Les meubles des milices qu’il avait déjà vus étaient la plupart du temps des produits de maigre qualité, fabriqués par les miliciens eux-mêmes.

Mais là, tous les meubles de la pièce avaient été réalisés par des professionnels. Sur l’imposante table centrale, était étalée une large carte de la ville, détaillée et bien dessinée. Une carte sur mesure, réalisée à la main. Cette milice était décidément bien financée.

– D’abord, je voudrais savoir si tu as annoncé à qui que ce soit que nous allions venir ? demanda le paladin à Roland.

– Non.

– Bien, les coupables ont tendance à fuir en apprenant l’arrivée de paladins. Maintenant, raconte-nous ce qui t’est arrivé, s’il te plaît.

Les yeux de Roland reperdirent un peu de vie alors qu’il se mettait à raconter :

– C’était tard le soir, il y a cinq jours. Je rentrais dans ma maison après une soirée passée à la taverne. Mon ami David m’accompagnait.

– Vous étiez ivres ?

– Heu…oui, en effet. Je…nous n’aurions pas dû boire autant.

Il baissa la tête de honte et ajouta d’un ton pitoyable :

– Si j’avais su…

– Que s’est-il passé ensuite ? demanda Henri, d’un ton très doux.

– Nous sommes passés près d’une ruelle. L’assassin nous attendait à l’intérieur. On ne l’a pas vu…on n’a pas regardé…Si seulement on l’avait fait…

– Le récit, Roland, concentre-toi sur le récit.

– Il a surgi derrière nous après que nous soyons passés devant la ruelle. On s’est retournés en l’entendant. Je suis resté là paralysé à le regarder en train de plonger sa lame vers ma poitrine. Et alors, et alors…

Il s’interrompit et commença à pleurer. Jeanne afficha une mine totalement surprise. Elle était stupéfaite devant ce manque de professionnalisme. Henri lui, resta impassible et laissa à Roland le temps de se remettre.

Le jeune homme resta une petite minute à sangloter. Puis il parvient finalement à dire :

– Alors David s’est jeté sur l’épée et a pris le coup à ma place. Il est mort quelques heures plus tard.

Il mit sa tête dans ses mains.

– Pourquoi, mais pourquoi a-t-il fait cela ?

– J’ai besoin que tu me racontes la suite pour trouver le coupable, déclara Henri.

– Oui, oui, désolé. Mais je ne me souviens plus très bien… J’ai crié et l’assassin s’est enfui.

– Il n’a pas tenté de t’attaquer de nouveau ?

– Non…non.

Roland redevenait progressivement plus calme.

– Est-ce que tu saurais pourquoi ? demanda le paladin.

– Je crois que…sa lame était coincée dans le corps de David. Et des gens arrivaient…ils m’avaient entendu crier…

– Tu as fait conserver l’arme ?

– Oui…oui bien sûr. Elle est à l’armurerie du bâtiment.

– Une bonne chose que vous ayez pensé à cela, poursuivit Henri. Est-ce que tu te souviens à quoi ressemblait ton assaillant ?

– Il était grand et musclé, avait des cheveux bruns très foncés et des yeux noirs.

Roland réfléchit quelques instant, tentant de retrouver ses souvenirs :

– Sa peau était très bronzée. C’est pas commun. En ville, on a plutôt la peau très claire à force de travailler dans les mines ou les manufactures.

– Ses vêtements ?

– Une grande cape de voyage noire ou marron. Il faisait nuit…

– Tu n’as rien remarqué d’autre ?

– Non, désolé.

– Qui d’autre l’a vu ?

– Nous avons établi une liste de témoins, dit Roland, peu motivé. La voici.

Il prit un parchemin sur la table et le donna à Henri, qui y jeta un bref coup d’œil avant de le ranger à sa ceinture.

– Est-ce que tu pourrais me parler de la mise en place de votre milice et des événements qui ont suivi ? demanda ensuite le paladin.

Roland eu l’air surpris de ce changement de sujet.

– D’accord, répondit-il néanmoins.

Il se frotta la tête en rassemblant ses souvenirs, puis entama son récit d’un ton triste :

– Cela a commencé il y a quelques mois de cela. C’était le jour du Messager… David aimait toujours beaucoup le fait de ne pas travailler ce jour-là. Après la messe, les habitants du quartier se sont réunis sur une petite place publique. On buvait et on discutait. Et puis les plaintes habituelles sont apparues : bandits, corruption des gardes, mainmise totale des Vanelle sur nos vies…

– Les Vanelle, c’est la Maison marchande qui contrôle l’économie locale ?

– Oui messire, enfin la majorité. La corporation des artificiers est indépendante, de même que quelques tavernes et autres petites boutiques. Et les Flavie ont récemment racheté plusieurs mines et quelques manufactures. Je crois qu’il y a une guerre commerciale entre eux et les Vanelle.

– Intéressant. Reprends ton récit, s’il te plaît.

– Et bien à ce moment-là, j’ai dit « Et si on montait une milice ? Il paraît que plusieurs villages ont pu régler une partie de leurs problèmes comme ça ».

– Mouais, et dans beaucoup d’autres cas, ils ont connu des fins sanglantes, ne put s’empêcher de faire remarquer Henri.

– Je…oui… mais à l’époque je ne savais pas…cela me paraissait une bonne idée…je voulais faire le malin, finit-il d’une petite voix.

– Je comprends, dit le paladin.

– Les autres étaient d’accord et puisque c’est moi qui avait proposé l’idée, ils m’ont nommé chef de la milice. Ensuite nous avons commencé par nous occuper des gardes qui extorquaient de l’argent à des petits commerces. Nous avons organisé des témoignages devant les juges et mis en place des tours de garde devant les échoppes menacées, pour éviter les représailles.

– Vous vous êtes pris de la bonne manière, déclara Henri, surpris de ce récit.

Jeanne aussi semblait étonnée. Mais également un peu impressionnée. Elle regardait Roland avec des yeux neufs.

– Oui, ça a bien marché, dit Roland, qui reprenait progressivement des couleurs en racontant ses succès. Beaucoup de gardes corrompus ont été arrêtés…pas tous, mais le plus grand nombre. Et surtout, les extorsions ont cessé. C’est à ce moment que la corporation des artificiers a décidé de nous financer et de nous équiper.

– Un soutien de poids.

– Oui. Cela nous a permis d’être mieux armés que les bandits. Eux aussi, on a réussi à les repousser.

– Sans morts, n’est-ce pas ?

Henri voyait bien en Roland les signes de quelqu’un confronté pour la première fois à un décès brutal. Jeanne, de son côté, était désormais très intéressée par le récit. Elle regardait Roland avec une certaine admiration.

– Oui…enfin, non, expliqua le milicien. Pas de nôtre côté en tous cas. Une fois on s’est retrouvé face à une dizaine de bandits. Ils nous pensaient pas capables de tirer, alors ils ont chargé. Mais on a utilisé les arquebuses. Quand la fumée s’est dissipée, on a vu trois corps des leurs sur le sol. Les autres s’étaient enfuis à cause du bruit et des explosions. J’avoue que moi aussi j’ai eu peur lorsque j’ai tiré. Ces armes font un sacré boucan et la fumée pique les yeux… Mais l’important c’est qu’à la fin, presque tous les bandits dans la ville ont été arrêtés ou ont cessé leurs activités, tandis que ceux de l’extérieur n’essayent plus de venir ici.

– Et ensuite ?

– Nous nous croyions invincibles, au point de pouvoir s’attaquer aux Vanelle. Alors j’ai organisé des témoignages devant les juges. On voulait parler des intimidations sur les ouvriers pour qu’ils restent travailler plus longtemps, des disparitions qui affectaient certaines équipes, des incidents qui arrivaient aux boutiques refusant de se faire acheter…

– Et quelques jours plus tard, un type t’attaque par derrière dans le but de te tuer ?

Roland baissa la tête, toute couleur sur son visage avait disparu de nouveau.

– Oui. Et David est mort à ma place.

Henri se leva.

– Nous allons retrouver celui qui a tué ton ami. La suite…il faudra en discuter.

– Merci sire, répondit, sans beaucoup d’espoir, le chef de la milice.

– Que le Messager te guide, allez viens, Jeanne, nous avons beaucoup à faire.

Il se retourna vers son écuyère et fut surpris de voir qu’elle regardait toujours Roland avec beaucoup d’intensité, au point que celui-ci avait baissé les yeux.

– Vous avez accompli de grandes choses ici, dit-elle avec force. Ne vous laissez pas aller au désespoir devant la première difficulté.

Roland parut très surpris de cette remarque. Il rougit en bredouillant un vague « merci ». Jeanne elle, hocha la tête poliment en guise de salutation puis sortit rejoindre Henri.

– Tu as conscience que c’est juste un gamin dépassé par les événements ? lui dit-il tandis qu’ils marchaient vers l’armurerie.

– Je trouve qu’il a du potentiel, sire.

– Il a surtout eu de la chance. Bon, d’accord, pour les gardes, il a bien joué. Mais ensuite, s’il n’avait pas été soutenu par la corporation des artificiers, il n’aurait jamais pu arrêter les bandits.

– Et vous pensez que les artificiers auraient été prêts à le soutenir s’il était un idiot incapable ? Que quelqu’un aurait tenté de l’assassiner s’il ne représentait pas une menace ? Que son ami se serait sacrifié pour lui s’il ne le pensait pas capable de crée une différence ?

– L’alcool a dû aussi beaucoup jouer, dit Henri.

– Je croyais que vous aviez prêté serment de ne pas mentir ! s’exclama Jeanne.

Le paladin s’arrêta :

– Hé ! Que tu n’acceptes pas tout ce que je dis, soit. Mais cela ne t’autorise pas à faire preuve d’autant d’insolence.

La jeune femme s’arrêta aussi et s’empourpra.

– Pardonnez-moi, sire. J’ai été trop loin

– Tu dois apprendre à contrôler tes émotions. Des cas comme celui-là, nous y ferons face toutes les semaines.

– Oui sire.

– Bien.

– Mais sire, je reste persuadée que ce n’est pas l’alcool qui a poussé David à se jeter sous une lame pour sauver son ami.

– Je n’ai pas dit que ce n’est que l’alcool. J’ai dit que cela a joué.

Il soupira.

– Mais tu as raison. Ivre ou pas, personne ne se sacrifie pour quelqu’un s’il ne croit pas en son potentiel. C’était un acte très beau.

– Vous l’avez dit vous-même, sire, enchaîna Jeanne d’un ton naturel. Il y a encore du bien dans ce monde.

Mais en disant ceci, elle mit vite sa main devant sa bouche, comme si elle s’était surprise à dire une obscénité. Henri lui, afficha pendant quelques instant une mine contrariée.

– Désolée, sire, dit l’écuyère.

Cela attendrit Henri, qui parut lui aussi gêné :

– Ne le sois pas. Je pensais que cela était vrai quand je l’ai dit et je pense toujours que c’est vrai. Je n’ai pas à me mettre en colère parce que tu le répètes, même si cela me rappelle des événements désagréables.

– Je crois aussi que c’est vrai, sire.

En disant ces mots, Jeanne afficha un visage heureux. Henri lui, eut un sourire doux-amer à la réaction de la jeune femme. Il ne semblait pas capable d’apprécier l’enthousiasme de son écuyère.

– Allez, nous avons un assassin à arrêter, dit-il simplement, en approchant de la porte de l’armurerie.

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