– Peut-on savoir ce que tu fais là? questionna Exéus. Tu étais parti, maintenant tu n’es plus le bienvenu.
– Je suis seulement allé chercher du secours en voyant Eldor mal en point. Quand je suis revenu, vous étiez déjà partis. J’ai heureusement trouvé une petite auberge pas loin. On nous logera pour la nuit.
– Est-ce là la seule raison de votre soudaine envie de revenir. N’avez-vous pas d’autres projets en tête, cria Eldor.
– Non! Je vous ai promis de vous accompagner aux Montagnes Maudites pour retrouver les parents d’Exéus.
– C’est cela oui, s’exclama Eldor d’un air moqueur.
– Eldor! crièrent à l’unisson Dana et Varro. Il n’a rien fait, pourquoi s’acharner sur lui.
– Vous savez, rien ne vous oblige à venir avec moi à l’auberge, mais vous allez mourir de froid durant la nuit.
Bien qu’ils ne furent pas convaincus, ils décidèrent cependant de suivre Filen qui pour le coup n’avait pas menti. Il y avait effectivement une petite maison au loin. Devant la porte, une pancarte affichait « Auberge du Perdu ». Drôle de nom se dit Exéus, cette auberge ne devait pas être très souvent fréquentée. A l’intérieur, il y avait un comptoir avec une vielle dame derrière, certainement la tenancière.
– Bonsoir, dit Eldor. Notre ami nous a dit que vous pourriez nous loger pour la nuit.
– C’est exact, deuxième étage, porte au fond du couloir.
– Merci bien, mais est-elle assez grande pour nous tous?
– Je crois bien, elle contient six lits. Combien êtes-vous?
– Cinq, ce sera parfait merci.
– Attendez, je suis sur que je vous ai déjà vu. Tout à l’heure, votre visage m’était déjà familier, en désignant Filen.
– J’ai un visage des plus communs vous savez, sûrement avez-vous vu une personne me ressemblant beaucoup.
– C’est possible finit par concéder la femme qui était cependant perplexe.
Ils finirent par monter à l’étage et trouvèrent leur chambre. Cet endroit n’a pas été entretenu depuis des lustres se dit Exéus. Les murs étaient pleins de moisissures et le plafond menaçait de s’effondrer. Le seul bon point était la température, ils allaient pouvoir dormir au chaud pour la nuit. La chambre était très spacieuse, il y avait en effet six petits lits en bois. Varro et Dana tombèrent sur le lit et s’endormirent aussitôt. Eldor s’allongea et ferma les yeux. Exéus fit de même mais Filen restait assis sur le sien sans rien faire. Il observait longuement Exéus et Eldor. Exéus qui faisait semblant de dormir se demandait à quoi il pouvait bien penser. Pourquoi le regardait t-il? Nonobstant cette journée éprouvante, il n’avait pas l’air de ressentir le moindre signe de fatigue. Finalement, il décida de s’allonger, mais ne ferma pas les yeux pour autant.
Le lendemain, Filen était comme à son habitude debout le premier. Il était déjà habillé et prêt à partir pour Emon.
Eldor se réveilla à son tour et profita du sommeil des autres pour parler avec lui.
– Je finirai par trouver la vraie raison de votre quête, car il est certain que vous n’êtes pas là pour nous aider, vous n’en n’avez jamais eu l’intention.
– Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je veux seulement aider Exéus à retrouver ses parents et ensuite venger les miens, c’est tout.
– Vous cachez mal votre jeu, depuis le début j’ai eu des soupçons sur vous.
– Je crois, que votre malaise de la veille vous a quelque peu affaibli, vous devriez vous reposer.
– Je vous interdis de me parler comme si j’étais un handicapé, cria Eldor. Je vais très bien, par contre vous, vous devriez faire attention, à la moindre erreur, je vous mets dehors!
– Vous êtes fou. Depuis le début, vous m’accusez sans raison. Vous n’avez rien contre moi.
– Eh bien si! Je vous ai…
Mais Exéus intervint avant le drame. Eldor ne devait pas lui révéler ce qu’il avait entendu. Il ne devait avoir aucun doute s’ils voulaient découvrir les vrais motifs de sa présence parmi eux.
– Qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce qui vous arrive? s’exclama Exéus.
– Rien! Ce n’est qu’un malentendu, dit Filen.
– Oh non! Cela n’a rien d’un malentendu.
– Stop! cria Exéus. Maintenant on se calme et on se prépare pour Emon.
Eldor et Filen se défièrent du regard et s’en allèrent chacun de leur côté pour se préparer.
Ils sortirent de la chambre et descendirent l’escalier. Ils remarquèrent que l’auberge était toujours aussi vide que la veille. En passant devant le comptoir, la tenancière n’était pas là. Filen déposa quelques dilines pour la remercier de son hospitalité. Les dilines, monnaie de Cryon, étaient des petites pièces octogonales en or avec un grand « C » gravé. La poche de Filen en était remplie.
– Depuis quand, avez-vous de l’argent? dit Eldor.
– Depuis toujours! Vous ne vous imaginiez tout de même pas que j’allais me lancer dans cette expédition sans argent!
– Qu’avez-vous pris d’autre? cria Eldor.
– Arrêtez-vous! s’exclama Dana. Vous devriez vous calmer maintenant. On n’a plus le temps pour cela, on doit être à Emon avant la tombée de la nuit.
Ils stoppèrent leur querelle et sortirent enfin de cet endroit. Dehors, tout était recouvert de neige. Une tempête s’était abattue pendant la nuit. Quand on posait le pied à terre, il s’enfonçait de plusieurs centimètres. Très vite les chaussures du groupe furent remplies d’eau. Leurs pieds étaient gelés après seulement quelques minutes. Ils décidèrent néanmoins de continuer sans perdre de temps. A peine plus loin, ils virent une forme de taille humaine qui gisait sur le sol. Ils s’en approchèrent prudemment. C’était une femme assez âgée que le groupe reconnut immédiatement, la patronne de l’auberge. Elle était couverte de sang avec le visage complètement tuméfié. Que lui était-il arrivé? Pourquoi était-elle morte?
– C’est un Glacomort qui est responsable, dit Filen. Elle a des morsures caractéristiques.
– Un quoi… s’exclama Eldor.
– Un Glacomort, répéta t-il. C’est une espèce très rare sur Cryon qui a quasiment disparu. Seuls quelques-uns ont survécu et vivent dans les régions froides.
– Et comment savez vous cela? C’est encore une de vos nombreuses expéditions au fin fond de Cryon, dit Eldor ironiquement.
– Exactement, c’était dans les forêts d’Emon, dit-il.
– Vous ne voudriez pas m’aider quand même, cria Dana e soulevant le corps de la pauvre femme.
– A quoi bon, elle est morte de toute manière s’exclama Filen.
Finalement ils déposèrent le corps à l’auberge à l’abri du froid et se remirent en route pour Emon. Le climat hivernal faisait désormais parti de leur quotidien. Ils n’avaient d’autres choix que de l’accepter.
Plus loin, une pancarte indiqua la direction d’Emon. Ils suivaient l’indication quand soudain, le médaillon devint brûlant. Il était devenu écarlate. Plusieurs flèches venaient d’être tirées dans leur direction.
– COUCHEZ-VOUS! cria Exéus.
Tous s’exécutèrent et se couchèrent au sol. Une dizaine de flèches s’étaient plantées dans les tronc d’arbres devant eux. Ces flèches d’apparences normales, semblaient être comme animées et remplies d’un feu incandescent. En quelques secondes, il ne resta plus rien des arbres. Exéus se leva le premier et regarda derrière lui. En se tournant, il vit une vingtaine de Throllomes sur des chevaux géants et armés d’arcs à flèches aussi grand eux.
– COURREZ! cria de nouveau Exéus.
Ils se relevèrent et détalèrent droit devant aussi vite que possible. Exéus ne voyait pas où il allait tellement il courait vite pour échapper aux créatures. Il n’y avait rien à l’horizon, que des arbres à perte de vue. Tout laissait penser que la mort allait les emporter une bonne fois pour toute. Eldor qui, malgré son âge bien avancé, courrait aussi vite que Varro et Dana. Il attrapa son grimoire dans sa poche mais il glissa malencontreusement de sa main. Il dut l’abandonner à regrets et continua de courir. Ils étaient à cours d’idées et ne savait plus quoi faire pour échapper aux Throllomes. Ce fut Filen qui trouva la solution. Il tourna soudainement et se dirigea sur la droite. Il y avait une sorte de crevasse dans la roche. Ils s’y engouffrèrent tous et restèrent cachés le temps d’être hors de danger. C’était une idée de génie, les Throllomes n’y avaient vu que du feu. Exéus s’interrogea tout de même. Comment Filen avait t-il su qu’il y avait un endroit où se cacher? Il ne pouvait pas le deviner et se dit que c’était sûrement grâce à un de ses nombreux voyages. Les Throllomes partis, ils pouvaient enfin respirer. Varro n’en pouvait plus, il n’avait jamais autant couru de toute sa vie. Dana avait l’air désorientée et Eldor était achevé. A travers le trou de la crevasse, Exéus aperçut de nouveau l’oiseau avec lequel Filen avait parlé l’autre nuit. Il regardait fixement ce dernier en attendant sur sa branche.
– Comment as-tu su qu’il y avait un endroit où se cacher? dit Varro. C’est incroyable.
– Lors de mon voyage à Emon, j’avais déjà remarqué ce passage, dit-il.
– En tout cas merci! s’exclama Dana. Sans toi, on serait tous morts.
Bien qu’il ne fut pas tout à fait convaincu par sa version des faits et malgré tous les défauts qu’il lui trouvait, Eldor devait bien admettre qu’il leur avait néanmoins sauvé la vie.
– Merci Filen, dit Eldor à contrecoeur.
– Je vous en prie, dit Filen.
Exéus se demanda s’il ne s’était pas trompé sur le compte de Filen. Peut être n’était-il mauvais après tout.
– Merci Filen, finit-il par dire.
– De rien.
La nuit allait bientôt tombé et il était bien trop tard pour reprendre la route. Ils décidèrent donc de rester. L’endroit était parfait. Il était assez grand pour tout le monde et les protégeait aussi bien du froid glacial de la nuit que des Throllomes. Ils sortirent tous leurs couvertures et se couchèrent. L’attaque d’il y a quelques minutes les avait épuisés. Eldor s’endormit comme à son habitude rapidement, suivi de Varro et de Dana. Seul Exéus et Filen ne dormaient pas encore. Quelques instants plus tard, le sommeil finit par gagner Exéus.
Il ouvrit les yeux et se réveilla. Il sortit de la grotte. Il n’était plus au même endroit qu’auparavant, tout était sombre et le chaos semblait régner continuellement. Il regarda autour de lui et vit de gigantesques montagnes noires. Où était-il? Le ciel était rouge, des pluies de sang s’en échappaient. Il se dit que c’était peut-être le shéol et que son heure était arrivée. Quand il se retourna pour revenir dans la grotte et prévenir les autres, elle avait disparue. Plus rien, il était seul. Plus loin, il vit une entrée au sein de la grande montagne noire. Il pénétra à l’intérieur. Tout était obscur, c’était une très grande salle qui abritait un trône géant. Il se demanda qui pouvait régner sur un tel endroit. Le sol, les murs et le plafond étaient en pierre brute. Il y avait quelques torches qui éclairaient faiblement l’endroit. Il avança vers le trône de marbre blanc qui contrastait avec le reste de la pièce. Ce lieu semblait totalement vide, aucun être vivant à l’horizon. En levant la tête, il aperçut un oiseau étrange qu’il n’identifia pas immédiatement. En l’observant un peu mieux, il reconnut le fameux volatile avec lequel Filen discutait l’autre soir. Mais qu’est ce qu’il pouvait bien faire ici? Si jamais, il était mort, l’oiseau ne pouvait pas l’avoir suivi. Soudain, il entendit un bruit, quelqu’un criait. Il s’approcha de l’endroit d’où le bruit venait et aperçut une ombre. Il alla dans sa direction pour voir quelle était la personne qui se cachait. Plus il avançait, plus sa vision se brouillait. Il arriva devant la porte où était l’ombre, l’ouvrit mais tout devint noir. Il venait de se réveiller.
Ce n’était heureusement qu’un rêve se rassura t-il. Mais quel était cet endroit si insolite? Pourquoi avait-il rêvé de cela? Quelle était cette ombre inconnue? Le rêve s’était arrêté juste au moment où il allait découvrir l’identité de la mystérieuse personne. Il voulut en parler aux autres mais ils dormaient tous encore. Il était très tôt, le jour ne s’était pas encore levé. Il se rendormit donc jusqu’au matin. Une fois tout le monde levé, il raconta son rêve. Ils semblaient tous intrigués et se demandaient si ce rêve n’était pas prémonitoire. Si tel était le cas, cela ne laissait rien présager de bon. Seul Filen ne semblait pas inquiet et il s’évertua à rassurer le groupe.
– Les rêves reflètent souvent nos propres angoisses expliqua t-il et Exéus a eu son lot ces derniers temps.
Ils trouvèrent l’explication logique. Ils quittèrent peu de temps après la crevasse et se mirent en route pour Emon.
Le chemin n’était plus très long maintenant, il devait rester encore quelques dizaines de kilomètres à parcourir. Avant de partir, Eldor voulut récupérer son grimoire. Il lui fallut un bon moment pour le retrouver. Sitôt pris, il le rangea précieusement dans sa poche.
Sur la route, Exéus se rapprocha de Dana et de Varro.
– Que pensez-vous vraiment de ce rêve?
– Peut être as tu rêvé de l’enfer? dit Varro.
– J’ai l’impression que Filen était mal à l’aise quand je l’ai raconté.
– Je n’ai pas remarqué, dit Dana. Tu crois qu’il sait quelque chose?
– Je n’en ai aucune idée et je ne veux pas lui demander, il risquerait de mal le prendre.
– Je crois que tu es influencé par mon père et que tu t’évertues à le trouver bizarre. Crois moi n’y fais plus attention. Mon père a du mal à accorder sa confiance et supporte difficilement que quelqu’un puisse lui venir en aide.
Ils marchaient maintenant depuis presque une heure. Après avoir traversé des plaines dont Eldor lui avait parlé la veille de leur départ, ils virent se dessiner dans le paysage des collines. Peu à peu la végétation disparaissait. Aucun arbre ni plante ne poussait à Emon. C’était un bon moyen se repérer sur Cryon, chaque royaume avait sa particularité. Plus ils avançaient plus le froid s’atténuait pour laisser place à un temps chaud et sec sans aucun vent à l’horizon. Ce royaume était connu pour son climat aride. Ils étaient éreintés par la marche continuelle qu’ils enduraient quotidiennement depuis désormais presque deux mois.
– C’est fou, la chaleur qu’il fait! dit Varro.
– C’est le climat d’Emon. On dit que le soleil ne tourne plus ici, il brille 18 heures par jour expliqua Filen.
– Ce n’est vraiment pas agréable, soupira Dana.
Ils avancèrent et virent un très grand portail de métal avec des têtes embrochées sur des piquets. Du sang en coulait. C’était censé dissuader les nouveaux arrivants et les prévenir du danger qu’ils encouraient en franchissant cette porte. En s’approchant, ils entendirent des bruits. Exéus regarda autour de lui en espérant trouver leur origine mais il ne vit rien. Pourtant, l’instant d’après, il y avait devant eux une dizaine de Touziens qui s’étaient regroupés pour les empêcher de passer. L’un d’eux prit la parole.
– Qui êtes-vous?
– Nous sommes des voyageurs et nous cherchons à rejoindre le continent de Gauche en passant par votre royaume, dit Eldor.
– Etes-vous armés?
– Trois fois rien.
– Je ne vous conseille pas de me mentir où vous finirez comme eux, en désignant les têtes coupées.
– On ne vous ment pas!
– VIDEZ VOS POCHES ET SOULEVEZ VOS VÊTEMENTS cria t-il.
– D’accord, d’accord.
Ils s’exécutèrent et bientôt des couteaux, des épées et un arc furent au sol. Le Touzien avait l’air satisfait. Il ordonna à ses autres compagnons de les ramasser.
– Vous voyez avec un peu d’insistance!
– On peut passer maintenant?
– Oui, vous récupérez vos armes en sortant d’Emon.
Il s’écarta et les laissa passer. Devant eux, le grand portail du royaume.

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