Sursautant dans le siège de sa voiture de location, Romuald poussa un juron. Il s’était endormit pendant sa planque ! Mais qu’est-ce qu’il l’avait réveillé comme ça ? On aurait dit que quelqu’un le secouait.

— Putain de merde ! Un séisme !
Romuald regarda sa montre et se tourna pour attraper une petite valise sur la banquette arrière, l’ouvrit et alluma à la hâte le micro-ordinateur. La terre venait de trembler. Ça n’avait duré qu’une poignée de secondes, mais il était sûr que c’était une secousse. L’Hermite l’avait prévenu : des choses bizarres pourraient bien se produire et il devait rester sur le qui-vive. Au lieu de cela, il s’était endormi pendant sa planque !
Heureusement, il avait eu le temps de placer quelques capteurs et autres mouchards près de la maison. Avec un peu de chance il aurait un enregistrement à exploiter !

La sonde avait bien enregistré la secousse. Romuald n’était pas calé en études sismiques, mais la source semblait très proche de la maison. Par contre, il n’avait pas d’enregistrements sonores. Bizarre, il avait placés des micros à des points stratégiques autour de la maison, on l’avait prévenu que Potolikos était du genre paranoïaque, et qu’il ne fallait surtout pas faire entrer quoique ce soit dans sa maison. « Aucune interférence », c’était la condition de cette mission de surveillance.
Il avait peut-être des brouilleurs chez lui, sans compter qu’il était aéromancien de classe III. En tous les cas, pour un agent comme Romuald Hicks, tout ça suffisait à le rendre louche.

En revanche, une des caméras placée du côté de la plage avait bien fonctionné. Il mit en lecture accélérée. Là, moins de cinq minutes avant la secousse, la fille sortait de la maison par la cuisine. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien fabriquer en pleine nuit, pieds nus, à avancer vers la plage ? Puis l’heure de la secousse arriva. Il lança la lecture du spectromètre noétique en parallèle, et repassa la bande.
C’était là, il y avait eu une forte impulsion noétique juste avant la secousse. Il lança des calculs, les enregistra et envoya le tout par message crypté à l’Agence Intègre pour qui il travaillait. La fille avait utilisé son Aptitude concomitamment au tremblement de terre. Elle en était à l’origine.

Cette fille, Elora Trematerra, venait de passer du stade intrigante au stade danger potentiel, selon la classification personnelle de l’agent spécial Hicks.

Romuald Hicks était d’un naturel soupçonneux et sa longévité dans son métier reposait véritablement sur ce trait de caractère. Mais pas seulement. Romuald était un cas très spécial pour les sciences noétiques. Il avait été catégorisé télépathe en classe I, mais il était en réalité bien plus que cela : il pouvait non seulement entendre les pensées de surface, mais surtout Romuald était également aéromancien, et pouvait influer sur l’électricité au niveau élémentaire.
En gros, Romuald Hicks était capable de modifier les pensées voire les souvenirs, pourvu qu’il s’approche suffisamment. Et il avait deux Aptitudes, ce qui était extrêmement rare.

Au petit matin, Elora attendait Dareios dans la cuisine, elle avait préparé le café et étudiait les cartes lorsqu’il entra dans la pièce.

— Bien dormi ?
— Oui oui, je suis prête pour la visite de la carrière.
— Ok. Merci pour le café.

Ce fut le seul échange entre Dareios et Elora pendant plusieurs heures. La tension était presque palpable, et ni l’un ni l’autre n’essayèrent de l’apaiser.

Dareios regarda à la dérobée Elora prendre ses mesures et faire ses prélèvements. Il avait ressenti la secousse pendant la nuit et avait bien vu Elora devant sa maison. C’était elle, elle avait été reconnue par la salamandre, il en était sûr ! Mais il s’était précipité la veille et lui avait fait peur en lui en disant trop. Il devait la convaincre. Il fallait qu’elle sache. Mais pas maintenant, c’était trop tôt. Et après le tremblement de terre d’hier, il était sûr que l’Agence Intègre avait des agents sur place. Il ne fallait pas qu’il leur laisse une chance d’en apprendre trop.

Il raccompagna Elora sur le tarmac juste après la visite de la carrière de marbre vert, elle n’avait pas ouvert la bouche. Avec sa moue boudeuse, ses lunettes de soleil, elle ressemblait à une petite fille capricieuse à qui on avait dit non.

— Mademoiselle Trematerra, acceptez ce présent, pour me faire pardonner. Je m’emballe parfois et je suis manifestement terriblement têtu. J’aurais aimé revoir ce charmant sourire avant votre départ.
Elora pris le paquet, et se sentit idiote. Qu’il était touchant de maladresse !
— Merci Monsieur Potolikos.
Et elle se dirigea vers l’avion qui attendait son départ. Arrivée au pied de l’escalier roulant, elle se tourna, tout sourire et lui fit signe avant de monter rapidement pour prendre place dans l’appareil.

En tenue militaire, Romuald était en place au fond de l’avion. Elle ne l’avait jamais vraiment vu, il était là depuis son premier voyage, au pôle Nord, toujours grimé sous d’autres traits, en tant qu’agent lambda en charge de besogne administrative ou de surveillance, le genre de type dont on connaît l’existence mais que personne ne regarde tant il fait partie du décor.
Pourtant, lui ne l’avait jamais quittée des yeux. Et c’est lui qui avait signalé qu’elle avait découvert des statuettes dans l’ossuaire. Tout était parti de là.

En route pour les prochains jeux de camouflage ! se dit l’agent Hicks derrière ses lunettes de soleil.

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