— Soyez bien consciente Mademoiselle Trematerra, commenta le Directeur de l’Université, du privilège que nous vous octroyons, j’allai dire, à nouveau. Vous devrez impérativement avoir fini vos relevés dans les temps. Et pour ce qui est d’être accompagnée du Docteur Croixneuve, c’est impossible. Son travail n’a rien à voir avec une zone blanche ou noire, et se limite aux restes humains trouvés. Je vous remercierais à l’avenir d’éviter ce genre de demande, qui confine manifestement plus à l’organisation d’une colonie de vacances qu’à des recherches scientifiques qui alimenteront, je l’espère, la doctrine.

Sa feuille de route en mains, Elora jubilait. Ça avait été plus facile que prévu d’obtenir les autorisations de visite des carrières ! Par contre, elle aurait à peine douze heures par zone, ce qui était très bref. Il faudrait que ça suffise pour trouver quelque chose.

Ses bagages en soute, Elora attendait le décollage dans l’avion. Elle envoya un dernier message à Luze.

Première escale dans sa croisière, la zone noire de Sangjie, sous protectorat chinois.
La zone avait été une des premières à tirer profit de ses caractéristiques : les autorités locales étaient parvenues à attirer l’envoi de prisonniers depuis le reste du monde contre rémunération et accords commerciaux.
Peu intéressée par le sort des détenus, Elora réclama à être accompagnée jusqu’ à la carrière de marbre gris d’où provenait une des statuettes d’homme. Elora réalisa ses sondages noétiques des lieux, et des prélèvements minutieux. Elle explora la carrière avec son Aptitude. C’était très étrange de ressentir les effets d’une zone noire. Elle pensa que c’était un peu comme crier sous l’eau. La durée de son séjour ne devait pas atteindre son Aptitude, mais elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer une sorte d’éponge à magie qui absorbait tout ce qui s’en approchait.

Nouvelle destination : la zone noire de Raman, sous protectorat Nigérian.
Il s’agissait d’un grand site archéologique de fouilles à ciel ouvert dans un désert. Pas de malfrats aux alentours, et pas de carrière visible sur place. Elle ne reçut aucune aide pour déterminer l’emplacement exact de l’extraction du marbre rouge qu’elle y cherchait. Sa venue semblait déranger les chercheurs du site, qui voyaient d’un mauvais œil cette intrusion.

Peu l’importait, on lui avait attribué une voiture et un guide, Hadassah, et elle avait dix heures devant elle pour trouver ce qu’elle cherchait. Elle lança au hasard son Aptitude et guida son chauffeur, qui n’arrêtait pas de lui demander si elle était sûre d’elle à chaque fois qu’elle lui indiquait une nouvelle direction. Elle finit par trouver une gorge, au fond de laquelle se tortillait un lit asséché de rivière. Son guide refusa qu’elle y descendît et elle dut littéralement lui coller ses autorisations sous le nez pour qu’il la laissât faire comme bon lui semblait.
Elle dût admettre qu’Hadassah, aussi désagréable fit-il, n’avait pas totalement tort : la descente était à pic, et elle n’avait pas l’habitude de l’escalade. Elle s’y reprit à plusieurs fois, mais finit par trouver un chemin plus praticable : un petit sentier descendait plus doucement vers le fond de la gorge, apparemment visitée par les jeunes des alentours pour s’isoler des regards indiscrets, et sûrement aussi pour y trouver un peu de fraîcheur dans ce pays de fortes chaleurs.

Arrivée au plus bas niveau de la gorge, suante et haletante, la jeune femme dût remonter le lit jusqu’ à découvrir le gisement brut du marbre rouge. Il semblait qu’il n’avait jamais été exploité tant il était en mauvais état, érodé par le vent et l’eau qui avait dû s’écouler là il y a très longtemps. Son Aptitude lui indiqua que la plus grosse partie du gisement était en réalité toujours prise dans la roche et qu’il s’étendait de chaque côté de la gorge. Avec son marteau et ses massettes, elle creusa jusqu’à arriver à la roche recherchée.
Ses prélèvements effectués, elle remonta jusqu’au véhicule où le chauffeur attendait en s’épongeant le front et marmonnant dans un dialecte qu’elle ne comprenait pas. En voilà un qui allait être heureux de la ramener à l’aérodrome

L’Université lui avait ensuite préparé une escale plus longue en zone blanche, à Clipnos, l’île grecque d’où provenait la statuette verte de femme, celle-là même qui lui avait donné un vilain coup de jus. Elle fut accueillie sur le tarmac par le responsable du site en personne, Dareios Potolikos.
C’était un homme dans la force de l’âge, souriant et affable. Elora était surprise : ces deux dernières visites avaient été marquées par un total désintérêt. Peut-être était-ce un autre effet de zones noires sur le long terme ?
Exténuée et barbouillée par les trajets et les changements de climats, Elora accepta avec soulagement la proposition d’être conduite dans ses appartements. Dareios la recevait dans sa chambre d’amis. Les lieux étaient très confortables, simples mais conviviaux. Et le moelleux du lit eut vite raison de l’exploratrice.

Elle avait dû dormir quatre ou cinq heures d’affilé. Mais qui pouvait bien préparer des aubergines grillées pour le petit déjeuner ? Et ce bruit, qu’est-ce que c’était ?
Elora mit quelques instants à réaliser qu’elle était au bord de la mer et constata effarée qu’il était déjà le soir. Elle avait gaspillé son après-midi, aucune chance que le responsable du centre de Clipnos accepte de la balader de nuit pour laisser courir son Aptitude dans cette zone blanche !

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