Retour à l’Université, jeudi matin, Luze était déjà au travail devant les ossements, pendant qu’Elora s’attelait à établir l’origine des marbres des statuettes.

Un à un, les os furent mesurés, pesés, scannés, passés dans divers machines de mesures, puis répertoriés scrupuleusement, avant d’entamer la reconstitution du puzzle. Ce travail de patience dura jusqu’au vendredi soir, sous la direction du Professeur Tangen.

L’équipe était composée de cinq personnes : Luze, la plus jeune, mais néanmoins déjà docteur, le Docteur Hemett Magron, le Docteur Etkind et les doctorants Mahatoloma et Rutti complétaient l’équipe de recherche. Luze ne connaissait pas les trois derniers membres et ils ne se montraient pas bien causant depuis ces derniers jours. En même temps, elle non plus ne parlait pas beaucoup.

Le Docteur Magron était le trublion de la bande et avait toujours une anecdote à raconter. Luze l’appréciait tout particulièrement pour l’étendue quasi-encyclopédique de ses connaissances et son inébranlable bonne humeur. Elle l’avait toujours vu à l’Université, et il l’avait parfois aiguillée lors de la rédaction de sa thèse, en lui sortant de derrière les fagots de vieux articles scientifiques qui permettaient une mise en perspective inédite et qui l’inspiraient souvent. Si le Professeur Tangen était son mentor, le Docteur Magron était en quelque sorte sa muse : il la poussait toujours à sortir des sentiers battus et à innover.

Luze avait intégré le groupe à la demande du Professeur Tangen. Elle avait été sa meilleure étudiante et sa thèse sur l’imprégnation de la noétique dans le génome humain avait rapidement été publiée dans les meilleures revues scientifiques et noétiques du moment. Ses recherches avaient permis de rendre théoriquement possible la mise au point un système de mesure de la noétique émise par un individu.
Encore au stade d’idée embryonnaire, sa théorie pourrait rapporter beaucoup d’argent ! Le Professeur Tangen avait flairé l’aura de la jeune scientifique très tôt et voyait dans ce projet une occasion de briller parmi ses confrères.

L’équipe remit en place cinq corps complets. L’examen génétique commandé permit de confirmer la première impression de Luze, qu’il s’agissait bien de trois hommes et deux femmes, mais sortit un résultat erroné : l’analyse complète du génome de ces individus n’était pas possible, la machine butait. Luze le mentionna dans son rapport vocal.

— Il est plus que probable que le passage du temps ait irrémédiablement endommagé le matériel génétique analysé. En effet, selon le retour des deux labo, celui de Strondsheim et celui d’Aix, on trouve vingt-trois paires de chromosomes, dont une d’hétérochromosomes codant pour le genre, mais par contre, il y a un supplément d’ADN, quelque chose comme dix pour cent par chromosome.
— Aucune correspondance n’a été trouvée pour les gènes de ces portions. En toute logique, je dois reconnaître que si le temps a endommagé le matériel génétique, l’altération aurait dû avoir pour résultat la perte de matière et non l’ajout. Je ne peux pas être catégorique à ce stade de l’étude, mais ces morceaux supplémentaires devaient déjà être là du vivant de ces individus. Il faudra faire des tests pour déterminer si ces portions sont codantes ou non.

L’équipe du Professeur Tangen avait mesuré les squelettes reconstitués, et avait révélé que la taille moyenne des individus était hors normes. Il devait s’agir de géants dont le plus grand mesurait 2,98 mètres, le plus petit étant celui d’une femme de 2,26 mètres.
Toutes les mesures avaient été prises deux fois, par une personne différente, et les examens tous faits en double, sur deux machines différentes aussi. Aucune erreur n’était possible quant à ce constat : les êtres qui avaient été enterrés là-bas ne correspondaient pas à l’Homo Sapiens connu : les analyses de matériel génétique étaient incompréhensibles et leur taille était hors normes.

— Si c’est un canular, ce que je pense personnellement dit le Docteur Magron, je ne comprends pas son but. Les résultats sont tellement ahurissants que je ne vois pas comment ils pourraient être pris au sérieux sauf à retrouver d’autres fossiles présentant les mêmes caractéristiques dans d’autres points du globe.
— Quoiqu’il en soit, reprit le Docteur Etkind, la lecture des ossements n’indiquent pas de cause de la mort extérieure : aucune trace de traumatisme. D’ailleurs, ces individus devaient manifestement être en parfaite forme physique.
— Oui, jusqu’ à ce qu’ils ne meurent ! L’interrompit de Docteur Magron.
— L’état osseux démontre une alimentation correcte. Les dents en particulier sont saines et il n’en manque pas une.
— Même les dents de sagesse ? demanda le Docteur Magron.
Il n’était nul besoin pour Luze d’utiliser son Aptitude en télépathie pour sentir le profond agacement du Docteur Etkind face aux incessantes interruptions du Docteur Magron.
— Oui, même les dents de sagesse. Docteur Magron, aurriez-vous l’amabilité de me laisser finir je vous prie ? Bref, aucune trace de coups, aucune fracture même consolidée. Je ne peux pas prononcer les causes des décès.
— Si nous sommes face à un canular, il y a fort à parier que l’analyse du matériel génétique supplémentaire permettra de déjouer cette supercherie, voire de remonter à sa source. J’ignore pourquoi l’on monte ce genre d’attrape-nigauds, conclut le Professeur Tangen, mais cela reste un très bon exercice !

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