Mercredi matin, dans la lumière blafarde d’une des salles d’autopsie, l’étude des ossements rapportés moins de vingt-quatre heures plus tôt par l’équipe partie au pôle venait de commencer à l’Université de Strondsheim.
Luze se tenait au-dessus d’un crâne blanchi. Intégralement vêtue de sa combinaison stérile d’un blanc immaculé, de ses gants en latex et ses lunettes de protection chaussées, elle songea qu’il ne lui manquait plus qu’un scaphandre pour compléter sa panoplie de paléonaute.
Derrière elle, le Professeur Tangen surveillait ses moindres faits et gestes. Luze avait fini ses études, et c’était sa première affectation pour le compte de l’Université de Strondsheim, et son professeur de l’époque était devenu son directeur de recherches.

L’ossuaire avait été scanné en 3D, modelé, photographié et tout le bloc de roches le contenant avait été extrait du sol pour être étudié entier. Avant de procéder à l’analyse des os en eux-mêmes, il fallait comprendre la position dans laquelle ils avaient été installés, ainsi que la présence d’éventuels objets adjoints.
La détermination d’un rite funéraire est aussi importante que l’identification des défunts, car elle ramène la découverte d’ossements à une organisation sociale donnée. L’anthropologie s’attache avant tout à la connaissance des êtres humains de leur vivant. Le traitement rendu aux morts est riche d’informations quant à la place donnée à la vie.

En l’occurrence, les os avaient été empilés dans le sol, creusé en pentagone. À chaque sommet du polygone se trouvait un crâne, face vers le centre. Le reste du squelette humain était ensuite positionné en un mille-feuille pour remplir l’exact espace se trouvant devant lui. Vers le centre, les plus petits os étaient agencés savamment pour tenir au millimètre près dans le cinquième attribué à chaque squelette.
Faisant état de toutes ses découvertes à haute voix pour l’enregistrement vocal, Luze indiqua pour son auditoire invisible que chaque portion du pentagone se présentait exactement de la même manière. D’abord, le crâne, puis le bassin, la cage thoracique au-dessus des os des bras et des jambes, et enfin, un enchevêtrement des plus petits os, en particulier ceux des mains et des pieds.
Les os étaient blanchis et présentaient des petites marques de grattage. Le blanchiment signifiait qu’un culte avait été opéré autour de ces os.
Après avoir fait état à haute voix de toutes ses observations faites à l’œil nu, Luze et les autres membres de l’équipe entreprirent de sortir un à un les os, et de les disposer sur les cinq tables d’autopsie qui avaient été préparées pour l’occasion.

La première journée de recherche toucha à sa fin, il était vingt heures passées et Luze et le professeur Tangen étaient perclus : l’essentiel des observations s’étaient faites debout, depuis presque huit heures du matin. Luze salua son professeur surveillant, qui l’encouragea pour reprendre de plus belle le lendemain.

— Allo ? Devine qui c’est ! Nan pas la peine ! Je passe te prendre dans vingt minutes ?
— Je suis claquée Elo ! Je déclare forfait pour ce soir !
— Vraiment ? Moi qui espérai avoir en primeur les observations de la célèbre Docteur Croixneuve ! Je suis déçue-déçue-déçue … Et puis j’ai pas eu l’occasion de te raconter ma mission sur le terrain !
— Pour l’instant, j’ai pas découvert grand-chose, je t’en parlerai samedi soir, si tu veux bien qu’on décale notre dégustation hebdomadaire des plus grands crus de binouzes. Et c’est moi où tu te prends déjà pour Indiana Jones ?
— Ok, t’as l’air vraiment crevée, ta vanne est franchement pourrie. Va pour samedi ! Mais t’as pas intérêt à me poser un lapin !! J’ai hâte d’entendre ton compte-rendu perso !

Luze arriva chez elle lorsqu’elle raccrochait, dévora un dîner vite préparé à base de coquillettes et de thon en boîte, et s’endormit comme une masse.

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