Des algues. Oui, c’est bien l’odeur des algues qui s’échouent avec lassitude sur le rivage. Un soupçon de sel. Le sel qui s’échappe de l’écume des vagues déferlantes, monstres humides s’abattant sur le moindre grain de sable dans un ressac épuisant. Le chant des mouettes, sur fond de bruissement délicat de la houle, se répercute bientôt en échos légers sur le port breton bondé, au fur et à mesure qu’il s’en approche. Le ponton en bois sur lequel il vogue épouse finement le bord de mer et les ancrages des nombreux navires. Les palettes de bois usées se creusent sous l’impulsion de chacun de ses pas sereins. Le bitume brut prend finalement le relais aux planches, comme pour le prévenir qu’il est proche de sa destination. Le claquement des semelles mouillées, l’agitation des marins criards, le frottement des lourdes caisses en bois qui s’empilent les unes sur les autres, le coulissement des cordages usés autour des bites d’amarrage, tout ça l’enveloppe dans une symphonie océanique épurée et agréablement homogène. Le vent emporte dans son élan les éclaboussures marines qui se fracassent contre la jetée, se mêlant en un rien au satané crachin qui emplit l’atmosphère, comme un audacieux prolongement des vagues vers les cieux. Par là, des étales de poissons fraîchement pêchés se plantent peu à peu en file indienne sur le marché du lundi matin.

Mais M Dristueux n’est pas ici pour marchander son déjeuner. Il faut qu’il retrouve ce bateau parmi la masse infinie de navires qui jalonnent les pontons. C’est un voilier à trois mâts à ce qu’il paraît. Comment S.E l’a-t-elle nommée déjà ? Ah oui, Denkbeeldig. C’est bien ça, Denkbeeldig.

Tout à coup, une violente bourrasque de vent apporte à ses pieds un volumineux et raffiné chapeau féminin, couleur ocre, décoré de fines dorures qui s’entremêlent autour d’une belle rose rouge aux épines apparentes. Le jeune homme n’hésite pas un instant à le ramasser, puis le contemple davantage avant de souffler sur la poussière qui s’est accrochée au tissu. Il entend alors, parmi le tumulte général, le pas pressé de hauts talons qui se dirigent vers lui. Lançant son regard par-dessus le couvre-chef de haute couture, c’est à ce moment là qu’il entrevoit une dame respectable et joliment vêtue, d’environs une cinquantaine d’année, le visage couvert d’un léger tulle blanc en satin, percer une masse salle et bigarrée de marins impropres. Découvrant que le garçon l’a récupéré, elle freine son allure et laisse place à un sourire franc.

« Tenez mademoiselle, vous avez de la chance, il s’est jeté à mes pieds, dit-il en lui tendant son accessoire indispensable.
-Vous pouvez m’appeler madame. Oui en effet, j’ai eu de la chance. Pendant quelques secondes, j’ai vraiment cru qu’il allait échouer dans l’eau. Heureusement que vous étiez là.
-J’essaye toujours d’être là où il faut, confirme-t-il en balayant la baie du regard à la recherche de son voilier. Oh, pardonnez-moi, je ne me suis pas présenté. M Dristueux, déclare-t-il en lui tendant la main.
-Mme De Plochait, répond-elle en souriant et et en lui serrant la main de son gant blanc. Mais, vous pouvez m’appeler Louise.
-Entendu.
-Qu’est-ce qu’un beau jeune homme comme vous vient faire ici ?
-Et bien, à vrai dire, j’aimerai bien trouver un bateau sur lequel je pourrai me rendre utile. Je ne me sens pas dans mon élément sur terre.
-Je vois, vous pouvez nous accompagner si vous le souhaiter, vous ne serez pas de trop sur le navire.
-Je vous remercie sincèrement de votre amabilité. Quelle est cette frégate sur laquelle vous voyagez ?
-C’est une flûte hollandaise du nom de Denkbeeldig.
-C’est un joli nom. C’est très cordial de votre part de m’inviter sur votre navire. Vous ne me connaissez même pas.
-Vous êtes jeune et m’avez l’air motivé, je ne vois pas pourquoi nous ne vous laisserions pas une chance.
-Sachez que je vous en suis très reconnaissant. Croyez-moi, vous ne le regretterez pas. »

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