Trois semaines après notre départ, le récit de Mr Dristueux au charpentier avait fait le tour du bâtiment, et Mr De Plochait le voyait maintenant d’un mauvais œil. Et dire qu’il l’avait invité de bonne foi et qu’en échange ce jeune homme jouait les trouble-fêtes. En effet, la plupart de l’équipage s’inquiétait à propos du sort qui les attendait, car même si dès le départ ils savaient qu’ils se jetaient dans l’inconnu, ils ne s’attendaient pas pour autant à voir planer au-dessus de leur tête le spectre d’un horrible monstre marin, monstrueux à la guise de leur imagination terrorisée. Néanmoins tous tentait de se contrôler et au fur et à mesure que les jours sans encombres passaient, cette idée dévorante de peur s’évaporait de plus en plus de leur esprit.
Mr Dristueux pensait. Il pensait à quelqu’un en particulier. Il l’appelait S.E. C’est tout ce qu’il connaissait de cette personne. Deux initiales. En ce matin là, dès l’aube, il implorait son aide assis en tailleur sur son lit, les yeux fermés. Comme on implore un dieu. En effet, la situation s’aggravait de jour en jour. Il avait besoin de son soutien. Il espérait voir apparaître un signe de son aide d’ici peu. Et il avait raison d’espérer.

A un moment dans la matinée, tout le monde se trouvait sur le pont du bateau. Le temps était nuageux mais la visibilité était tout à fait clair. Jusque là la Cap’taine n’avait pas eu à jouer des coudes pour conduire sa flûte hollandaise. Jusque là.
Une brume mauve, sortit tout droit de nulle part, s’éleva progressivement à la surface de l’eau devant le navire. Cette chape menaçante s’élevait rapidement dans les airs et bientôt tout l’équipage allait se retrouver noyé dans cette fumée inhabituelle. Wiltord De Plochait n’eut même pas le temps d’amener sa femme à la cale qu’ils se firent attraper par le brouillard mesquin et rusé. Il déployait ses filaments vaporeux autour de chaque passager puis s’empressait de couler dans leurs petits poumons. Tous respirèrent le gaz. Sauf un. Mr Dristueux sortit de l’on ne sait où un masque à gaz et attendit que plus personne ne pouvait le voir pour l’enfiler. Sous ce casque de caoutchouc, la visière laissait transparaître un visage impassible face au spectacle qui se déroulait sous ses yeux. En effet, la brume colorée, à peine inhaler par ses hôtes, engendrait une sorte de crise d’épilepsie, tous s’écroulèrent au sol pris de violentes convulsions qui semblaient les tétaniser et les torturer. La plupart criait de douleur, seulement à moitié conscient. Mais Mr Dristueux ne les entendait pas à cause de son appareil à oxygène. C’était comme s’ils étaient prisonniers d’un soudain cauchemar qui avaient totalement pris le contrôle de leurs membres. Ils étaient comme possédés. Mr Dristueux étaient ravis de voir que S.E ne l’avait pas oublié. Cette précieuse aide allait à coup sûr lui permettre de faire de sa mission sur ce bateau un véritable succès.

41