Des recherches furent tout de même menées le restant de la nuit pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une fausse alerte. Mais les inspections demeurèrent sans résultat. Une célébration funeste eut lieu le lendemain matin à l’aurore et André De Plochait fut partagé entre la détresse et la rage. Ce dernier remit à leur place ceux qui osaient soumettre l’idée d’un abandon de l’expédition. De plus il décida qu’à partir de ce jour, tout le monde sans exception coucherait dans le réfectoire que l’on aménagerait en conséquence. Aussi seraient mis en place des tours de garde pour assurer la sécurité de chacun et la porte serait verrouillée à double-tours. Cet agencement exceptionnel renforça considérablement la peur cauchemardesque chez les passagers et leurs craintes vis-à-vis des prochains probables ennuis. Cependant la technique se montra efficace et la figure de proue, principale suspecte du meurtre de Louise, ne se manifesta pas une seconde fois.
Mr Dristueux quand à lui, doutait de l’utilité de cet incident. Il redoutait même que la disparition de Louise ne renforce chez Mr De Plochait sa volonté d’aller jusqu’au bout. Et il n’avait pas tout à fait tort.
Celui-ci entreprit d’aller à la rencontre du tonnelier, resté muet depuis le début du voyage. Peut-être était-il la clé pour faire pencher la balance.

« Besoin d’un coup de main ? Suggéra-t-il au bonhomme qui était affairé autour de tous ses tonneaux d’avitaillement en fumant la pipe. »

Le type hocha brièvement la tête et m’autorisa à l’aider dans sa tâche de bagnard.
Sentant que la causette n’était pas son fort, je me demandais bien comment j’allais pouvoir communiquer avec lui. J’essayai quand même de lui poser une question :

« Vous n’avez pas l’air de trop vous inquiétez. Depuis le début du voyage, vous avez l’air insouciant face aux incidents.
-Si t’es venu pour me faire de la psychologie à deux sous, tu peux dégager, j’ai pas besoin d’intellos dans ton genre pour faire mon boulot.
-Oh, désolé, je ne tiens vraiment pas à vous offenser. »
Pendant plusieurs minutes, nous nous tûmes tous les deux, mais je sentais bien qu’il voulait me dire quelque chose, c’est pourquoi je laissais son idée germer dans son esprit.
« Moi j’ai qu’une chose à dire : la peur, c’est pour les lâches. Quand on est un minimum curieux, y a rien sur ce monde qui vous fait peur. La peur, c’est pour ceux qui veulent pas connaître. La peur, c’est pour les cons ! Je sais pas où on va, c’est vrai ! Mais une fois qu’on aura découvert où c’est qu’on est, y aura plus de raison d’être inquiet ! Je dirais même que c’est la peur qui doit nous servir à avancer dans la vie, si on avait peur de rien, on ferait jamais rien, moi je te le dis ! »

Plus tard dans l’après-midi, Mr Dristueux s’assit sur une rambarde et jetait des coups d’œil de temps en temps à la Cap’taine. Au bout de dix minutes, celle-ci l’interpella, faussement exaspérée :

« Tu comptes me jauger toute la soirée ou tu vas te décider à te jeter à l’eau ?
-Haha, détrompez-vous, je ne vous matais pas, j’admirais juste avec quelle souplesse vous nous envoyez dans la gueule grande ouverte du mystère.
-Le mystère n’a pas l’apparence d’une gueule grande ouverte. Vous êtes bien pathétique avec vos métaphores cyniques.
-Ah, comment le voyez-vous, le mystère ?
-C’est pour moi ne pas savoir ce que l’on va ramener dans son filet de pêche jeté dans une mer inconnue.
-C’est vrai que c’est plus pragmatique. Mais vous vous ne pêchez pas !
-Et alors ?!
-Ça ne vous inquiète pas de foncer tête baissée tel un funambule aveugle sur une corde usée ? A quoi bon ?
-Et à quoi bon essayer de persuader une personne têtue comme moi de changer d’avis ? J’ai toujours suivi un régime de surprisovore, alors c’est pas maintenant que ça va changer.
-Vous êtes une drôle de fille vous savez ? Avoua Mr Dristueux en rigolant.
-Et moi je me demande de plus en plus ce que vous faites parmi nous, riposta-t-elle, moins souriante que lui.
-Le destin nous le dira, conclut-il en lui adressant un clin d’œil ambigu. »

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