La figure de proue avait disparu. Oui, disparu. Elle ne s’était pas détachée, cassée, ni fissurée, étant donné qu’il n’y avait aucune trace, tout était parfaitement lisse. Elle était parti.
André De Plochait s’accordait plutôt à affirmer, sous l’avis complice de la Cap’taine, que le gaz mauve avait probablement attaqué le métal et dissout d’une manière ou d’une autre la belle statue qui ornait le navire. Après tout, ils étaient restés longtemps endormi. Thèse peu partagée par l’équipage qui voyait là encore une fois un mauvais présage. La méfiance à bord était de mise, et la lourdeur des relations devenait étouffante. Mr Dristueux se frottait les mains dans son coin, la crise de nerf générale montrait le bout de son nez et l’abandon du projet se profilait bien. Il ne ratait jamais une occasion pour remettre sur la table ces incidents terriblement anormaux, qu’il faudrait reconsidérer, selon lui, avec plus de sérieux. A certaines personnes il exprimait même sa mauvaise intuition face à l’avenir de l’expédition, comme quoi elle était probablement vouée à l’échec et que, finalement, ce que lui avait raconté son ami casse-cou n’était pas de simples sornettes. Il ne manquait plus qu’une goutte de stupeur pour faire exploser la ténacité fébrile. La nuit qui suivit l’incident en fut la mèche.

Mr Dristueux dormait à souhait, enchanté par de tant de réussite. S.E doit être contente de la situation. Et rien que d’y penser, ça l’enchante. Il ferait tout pour lui faire plaisir. C’est sa guide, et sa vie n’est consacrée qu’à la cause de S.E. C’est comme ça. Il la lui doit bien. C’est grâce à elle s’il est en vie aujourd’hui. Cette mission, il va la réussir. Pour elle.
Tout le monde dormait profondément et même la Cap’taine réputée pour être insomniaque s’était assoupie sur la barre. Juste assez pour ne pas entendre les pas lourds qui firent crisser le parquet. Juste assez pour ne pas voir cette ombre pétrifiée dans le métal.
André De Plochait s’agitait dans son lit. Il dormait mal. Se retournant, il chercha de sa main le corps chaud de Louise. Mais il ne trouva qu’un drap repoussé sur le coté. Louise ! Elle a disparu !
Un hurlement. Celui de sa femme. Un cri abominable. Une plainte aiguë et affolée. André bondit de son lit et ne prit même pas le temps de mettre ses pantoufles : il se rua dans le couloir et remonta quatre à quatre les escaliers qui menaient au ponton. Là, il y découvrit la Cap’taine et un matelot fouiller le pont avec une lampe à huile.

« Où est ma femme ? Somma-t-il la boule au ventre et le souffle court. »

Soudain, quelque chose de lourd tomba à la mer au niveau de la proue en émettant un cri particulièrement épouvantable.
« NON ! ».
L’homme accouru à l’arrière de la frégate, manquant de peu de se prendre les pieds dans un tas de cordes. L’obscurité était trop dense et il lui était impossible de voir à plus de deux mètres avec sa frêle lumière. La plupart de l’équipage, alarmé par les cris, rejoignirent le pont pour comprendre la situation.

« Examinez tout le navire ! Hurla la Cap’taine à ceux qui étaient présents, qui contrairement à André n’avait rien entendu. On recherche Louise !
-Non, laissez, objecta-t-il. C’est trop tard, avoua-t-il en jetant ses yeux larmoyants vers la mer de ténèbres. »

Quelque chose coincé sous un tonneau l’intrigua subitement. Il s’agissait ni plus ni moins que du tulle en satin blanc que portait toujours sa femme. Il respira humblement l’odeur que ce bout de tissu dégageait, et ne pu s’empêcher de hoqueter de peine à l’idée de savoir que c’était tout ce qu’il restait de sa compagne.
Un silence de plomb s’installa naturellement en signe de deuil, lorsque le plus grand des deux matelots appela le reste de la troupe à la poupe :

« Il y a quelque chose de graver dans le sol. »
Les planches de bois avaient vraisemblablement été griffés par quelque chose de dur, étant donné la profondeur d’écorce qui avait été pénétré. Il y était marqué d’une écriture irritée : Renoncer à votre chemin ou l’un d’entre vous subira le même sort que cette femme.

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