Je me réveillai le premier et repoussai délicatement le bras de Lina pour sortir du lit. J’entendais déjà l’auberge s’animer, un étage plus bas. Je songeai à préparer le petit-déjeuner, mais il n’y avait aucune victuaille dans cette chambre. Logique, après tout, il était d’autant plus simple d’utiliser la cuisine de l’établissement.

Même si j’avais prêté grand soin à ne faire aucun bruit, Lina s’éveilla et s’inquiéta immédiatement en me voyant debout près de la porte. Je me rassis à côté d’elle et tentai de la rassurer sur le fait que je ne comptais pas m’éclipser comme un voleur, mais que je ne souhaitais pas pour autant que cette soirée ait lieu à nouveau.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu ce genre de conversations. Apparemment, je ne m’en étais pas trop mal tiré, les larmes n’avaient pas coulé, mais une petite lueur dans son regard me laissait penser qu’elle n’avait pas dit son dernier mot.

Je quittai Lina et sortis du Biberon de la Sorcière, non sans avoir senti quelques regards envieux de la part de certains membres, masculins, de l’établissement. Le soleil était levé depuis peu, je pouvais prendre mon temps avant d’aller rejoindre Sherona qui avait décidé de passer la nuit chez elle. Et tant pis s’il restait des trous dans la toiture et des rats un peu partout, avait-elle déclamé en zigzagant. Lui donner un peu de temps pour émerger ne serait certainement pas du luxe.

La ville s’activait déjà malgré l’heure matinale et je choisis de m’éloigner des grandes artères pour privilégier les petites ruelles étroites, inconnues du Quartier des Temples. Les Douze y étaient scrupuleusement représentés, même si on pouvait deviner aisément les préférences impériales à l’opulence affichée par certains édifices.

Je pris volontairement les chemins les plus détournés dans l’espoir de découvrir une venelle inconnue, mais j’avais arpenté tellement souvent ces lieux que la perspective d’être surpris se réduisait à peau de chagrin. À peine avais-je formulé ces doutes qu’un chat gris déboula devant moi en crachant contre un de ses congénères. Il se cacha derrière mes jambes, mais je faisais de toute évidence un piètre garde du corps, car le combat reprit de plus belle et je m’écartais vivement pour éviter un coup de griffe perdu.

Je dus même sauter sur une caisse abandonnée pour leur laisser le champ libre et m’agripper à une fenêtre pour grimper encore. Sans vraiment réfléchir à ce que je faisais, je me hissai d’une traction sur le toit d’une masure qui ne payait pas de mine.

La bataille faisait toujours rage quelques mètres plus bas et se déplaça vers des passants moins patients que moi, dont les coups de pied fusèrent rapidement. En suivant du regard les félins décamper, je remarquai alors l’originalité de ce point de vue surélevé qui m’ouvrait de nouveaux horizons. Je m’amusai alors à progresser exclusivement d’un toit à l’autre vers ma destination.

J’évitai tout de même le temple de Vald où les prêtres belliqueux n’auraient pas hésité à venir me déloger manu militari, en hommage à leur Dieu flamboyant et destructeur. Par contre, je passai devant le temple de Nuntius et adressai une prière silencieuse à la divinité tutélaire de ma sororité pour cette opportune inspiration. Un clerc remarqua mon étrange et aérienne dévotion, m’envoya un clin d’œil complice et reprit ses activités. Peut-être me prenait-il pour un de ces monte-en-l’air qui espéraient attirer le regard bienveillant de la facétieuse Déesse des Voyages et des Messagers.

Je passai encore quelques pâtés de maisons via les hauteurs avant de retrouver une progression plus classique aux abords du Quartier de la Ruche où je risquais fort d’être identifié comme une menace dans cet historique faubourg, peuplé par tous les parias de la ville. La demeure de Sherona avait été bien restaurée, il ne restait probablement plus que quelques jours de travaux avant que tout ne soit terminé.

Je frappai à la porte et une petite tornade rousse me sauta dans les bras.
— Coucou, tonton Jasper.
— Salut toi, Sherona est réveillée ?
— Devine, répondit-elle en posant un doigt sur mes lèvres pour me laisser apprécier la douce mélodie d’un grondement sourd provenant d’une chambre.
— Ah, je vois. Je crois qu’on en a pour un moment, devinai-je.
— Mais non, je vais aller la réveiller. C’est important que tu sois là.
— Ce ne serait pas plutôt parce que tu as envie de la secouer, par hasard ?
— Pas du tout, protesta la Fouine avec de grands yeux innocents.
— Tu sais que j’ai de plus en plus de mal à repérer quand tu mens.
— Merci, tonton Jasper !
— C’était pas un compliment, petite chipie !

Elle me claqua une bise sur la joue et fila rejoindre sa colocataire qui poussa rapidement de grands cris de protestation devant la méthode énergique de la fillette, avant de rendre les armes et de me rejoindre. Il lui fallut un temps certain avant d’être en mesure d’entamer la conversation…
— Alors, Jasp, c’était comment ta soirée avec Lina ?

… Mais beaucoup moins pour retrouver son sens du sarcasme. Je m’abstins de toute réponse, ce qui n’allait de toute façon pas l’empêcher de commenter et de m’en reparler en long et en large. Au lieu de cela, j’orientai la discussion sur l’équipe qu’il faudrait monter pour cette expédition.
— Il nous faudrait recruter trois personnes, estimai-je. Avec une équipe de cinq, on pourra voir venir et couvrir l’ensemble des talents dont nous aurons besoin.
— Ça va diviser d’autant la récompense finale, mais soit, admit Sherona avec réticence. En premier, je veux un cogneur. Une brute avec deux cerveaux et un muscle, mais qui sait quand même reconnaître l’intérêt d’une retraite stratégique à grande vitesse quand il le faut.
— Je suis d’accord, on ne pourra pas se contenter de la garde rapprochée des deux Archontes. Tant mieux si elle est efficace, au moins ça nous fera une bonne surprise. Un faiseur de miracles serait le bienvenu également.
— Les prêtres élus des Dieux qui peuvent pratiquer une forme de magie ? J’aime bien l’idée, approuva mon amie. Mieux vaut ça qu’un magicien.
— Pourtant avoir un sorcier dans l’équipe…
— Non, même pas en rêve. Un petit toutou guildé au service de l’Empereur, très peu pour moi. À moins que tu n’acceptes un renégat.
— Pour se retrouver avec toute la Guilde aux fesses ?! m’exclamai-je. Ils ne rigolent pas avec ce genre de choses, on aura assez d’ennuis comme ça sans s’en rajouter inutilement. Et puis, ce ne sont pas de petits toutous, comme tu dis, un bon sorcier est très précieux.
— Pour devenir un mago, tu es d’accord qu’il faut obligatoirement se guilder, pas vrai ? répliqua Sherona. Ils remplissent une fiche sur toi où il y a toute ta vie et celle de ta famille. Tu dois justifier du moindre de tes déplacements, tu passes des épreuves de cinglés pour monter en grade, où l’échec signifie la mort, etc, etc. C’est ce qu’on fait à un animal de compagnie, pas à un être humain.
— Tu veux avoir la liberté de pouvoir, hum, sortir du cadre, compris-je.
— Je veux pouvoir faire n’importe quel truc illégal si ça me sauve les miches, traduisit-elle. Sois pas timide, Jasp, appelons un chat, un chat. Et ça nous a sorti de la mouise une paire de fois, non ?
— Ok, pas de magicien. C’est entendu. Tu as des critères aussi sur la religion de notre futur faiseur de miracles ?
— Comme on est censés aller dans le Domaine Divin de Yomi, le Père des Défunts, un petit gars de sa chapelle serait tip top. À part ça, on peut mettre de côté Tormenta, la Ravisseuse, et Vald, le Tout Puissant Maître des Flammes. Leurs fidèles sont des grands malades.
— Tu critiques le Dieu protecteur de notre Empereur ? Tu es folle ? m’inquiétai-je en regardant machinalement autour de moi, même en sachant en sécurité chez Sherona.
— Tu vois, c’est pour ça qu’il n’en faut pas dans le groupe ! confirma-t-elle.

Les neuf autres Divinités ne posaient pas de souci majeur et il ne fallait pas occulter le fait que les faiseurs de miracles ne courraient pas les rues. C’était très agréable, intellectuellement parlant, de prétendre pouvoir choisir sur catalogue, mais la réalité était que nous allions surtout faire comme nous pouvions.

La discussion était ponctuée par le bruit des ouvriers venus terminer les réparations de la bâtisse, activement supervisés par leur rousse chef de chantier miniature. Par contre, nous ne parvenions pas à nous mettre d’accord sur le profil du cinquième membre de la troupe. Faudrait-il doubler nos possibilités de combat en cherchant un second guerrier ? Un archer ? Un paladin habitué à affronter démons et morts-vivants ? J’aurai aimé trouver un natif de Kotan, qui aurait pu contribuer à nous guider efficacement et me remplacer en cas de blessure sérieuse.
— Mettons de côté la question du cinquième, proposai-je. Pour commencer, je connais un guerrier qui ferait l’affaire.
— Ah, voilà ! J’aime quand tu es constructif, acquiesca Sherona. Raconte-moi, fais-moi rêver.

Je contai ma rencontre avec Telaoun et ne lésinai pas sur les détails de son combat à un contre quatre.
— Pas mal, approuva-t-elle. Mais quand tu dis qu’il parle en rimes, c’est tout le temps ?
— On dirait bien, oui.
— Je te parie que je peux le coincer, rêva Sherona. Il va être obligé de faire des pauses pour parler afin de réfléchir à ce qu’il va raconter.
— Tu ne le connais pas encore que tu veux déjà le faire tourner en bourrique ? protestai-je.
— Et où peut-on trouver cette merveille ?
— En fait, là maintenant tout de suite, il est en prison.

Sherona me regarda longuement, hésitante, avant d’éclater de rire.
— Mais c’est que tu t’encanailles, mon Jasp. Tu tapes dans le criminel, maintenant ? Je veux le rencontrer tout de suite !

Elle confia à la Fouine le soin de faire passer le mot que nous cherchions un faiseur de miracles et nous prîmes la route pour le poste de garde du quartier des Artisans. J’espérais que les autorités n’avaient pas eu le temps de le transférer dans les geôles du Palais Impérial où il serait quasi impossible à contacter.

La tour de garde était facile à repérer. Chaque quartier avait la sienne, dans un état plus ou moins bon, ce qui était un marqueur évident de la richesse du secteur. Celle des Artisans était bien entretenue, en solides pierres de taille, et s’élevait plusieurs mètres au-dessus des bâtiments alentours. Je poussai la double porte avec une Sherona hilare sur les talons, qui avait agrémenté tout le trajet de remarques sur ma décadence programmée.

Un vieux garde fatigué nous accueillit et s’enquit, de mauvaise grâce, de la raison de notre présence. À la mention de Telaoun, il leva les yeux au ciel et poussa un soupir à fendre le cœur.
— Il vous cause des soucis ? supposai-je, inquiet de devoir faire face à des difficultés supplémentaires.
— Oh, non. On pourrait presque dire que c’est un prisonnier modèle. Si seulement… soupira le garde.
— Si seulement ?
— Si seulement, il pouvait s’arrêter de parler !
— Et de quoi parle-t-il, interrogea la curieuse Sherona.
— Du temps qu’il fait, de la couleur agouti des rats de sa cellule, je sais même pas ce que ça veut dire « agouti », de la manière dont la moiteur de la paillasse alimente son spleen, ou je sais pas quoi. Mais, c’est pas ça le pire. Parce qu’il cesse de causer, par moments.
— Mais, vous venez de dire que…
— Il chante !

L’homme de loi se prit la tête entre les mains.
— C’était la plus longue garde de nuit de toute ma carrière !
— Vous nous laisseriez lui parler, demandai-je doucement.
— Vous êtes des potes de ceux qu’il a butés et vous allez le tabasser ? espéra le geôlier en reprenant un semblant de vie.
— S’il a les bonnes réponses, on vous en débarrasse, promit Sherona.

Le garde se leva avec difficultés, sortit un trousseau de clés qui avait connu des jours meilleurs, et nous mena au sous-sol où se trouvaient les cellules.
— Hey, machin ! Tu as de la visite. Et tu as intérêt à dire ce qu’il faut !
— Par la barbe que je n’ai pas, d’un peu de compagnie, je me réjouis déjà, répondit le prisonnier.
— Telaoun, je ne sais pas si vous me reconnaissez, demandai-je. Nous nous sommes rencontrés hier chez l’armurier où vous avez fait cette si mauvaise rencontre.
— Bien sûr, comment pourrai-je vous oublier ? Dans de telles circonstances, cette entrevue a produit son effet.
— Je vous présente mon amie Sherona. Nous sommes en partance pour une quête de la plus haute importance et nous aurions besoin de talents tels que les vôtres. Mais avant d’aller plus loin dans la description de notre proposition, parlez-moi de vous plutôt.
— Plutôt, ce n’est pas un nom de chien, ça ? s’interrogea Sherona à voix haute. Bref, j’ai quelques questions précises. Imaginez que vous êtes tout nu, avec une dague rouillée, en face de quatre ogres avec de grosses massues encore imbibées du sang de leurs dernières victimes. Que faites-vous ?
— J’aurai besoin de quelques menues précisions pour que ma réponse atteigne la perfection, estima Telaoun. Suis-je seul ou bien accompagné ? Dans ce dernier cas, mes compagnons sont-ils en sécurité ?
— Vos compagnons ont pris la tangente et sont hors de portée.
— Alors, je ne vois aucun intérêt à un combat contre ces géants belliqueux et je prends mes jambes à mon cou pour quitter les lieux.
— Pas mal, concéda Sherona. Et si nous étions dans le premier cas ?
— Dans cette situation, je n’aurais d’autre option que faire mon devoir. Attaquer le premier d’entre eux, lui prendre son arme et m’en servir comme fendoir.

Sherona lui présenta diverses situations et Telaoun sembla faire preuve d’un rassurant sens de la survie. Elle lui expliqua succinctement en quoi consistait notre voyage et le guerrier se montra très enthousiaste à l’idée d’aller dans un Domaine Divin. Une bonne poignée de mains scella notre accord. Ne restait plus qu’un léger détail à régler.
— Gardien ! Qu’est-ce qui attend Telaoun, maintenant ? s’enquit mon amie.
— Un transfert au Palais Impérial et un jugement en bonne et due forme, répliqua le geôlier.
— J’ai un autre scénario en tête, contra Sherona. La serrure de sa cellule était mal fermée. Il s’est enfui parce que vous étiez occupé à ramasser la bourse que j’avais malencontreusement laissée tomber. D’ailleurs, à la réflexion, il n’a jamais été là et il ne vous a jamais saoulé toute la nuit.

Le garde n’hésita pas longtemps et tourna ostensiblement le dos à notre trio. Sherona fit sonner quelques pièces sur une table et nous quittâmes la tour de garde. Elle indiqua à notre nouvel allié où trouver sa maison et ce dernier partit se préparer pour le grand voyage.

Nous consacrâmes une bonne partie de la journée à sillonner la ville à la recherche d’un faiseur de miracles. Ni les contacts de Sherona ni les miens n’avaient de piste sérieuse. Nous allions faire une prière quelque peu désespérée au temple de Nuntius, le Messager, quand une femme nous interpella. Une grande liane d’un mètre quatre-vingts, au crâne rasé, aux yeux de la couleur d’un lac gelé, qui portait une longue chemise de mailles teinte de noir où était peint un immense crâne blanc.

Elle avança vers nous avec détermination, faisant balancer sur sa poitrine un pendentif représentant une faucille. Quand elle fut près de nous, je vis que ce bijou était constitué d’os humains.
— Les loups de la nuit ont murmuré à mon oreille, déclama-t-elle avec emphase. Vous cherchez un compagnon d’armes, un faiseur de miracles. Vous l’avez devant vous.
— On n’a fait passer le mot que ce matin, contra Sherona. Ils murmurent aussi la journée, vos loups de la nuit ?
— Je suis une fidèle servante du plus grand et du plus puissant des Douze ! continua-t-elle sans se démonter. Ma foi et ma dévotion me permettent de m’adresser directement à Lui et de déclencher les plus grands des miracles ! Souhaitez-vous savoir quel est ce Dieu ?
— Euh, Komoediny, le Moissonneur d’Âmes ? proposai-je avec gêne. Vous… en portez le symbole sacré sur la poitrine, en fait. D’une manière que j’oserai qualifier d’ostensible…
— Êtes-vous prêt à assister à une démonstration de mes pouvoirs ?
— Oh que oui ! s’enthousiasma Sherona. Quelque chose me dit que je vais adorer ça.

La prêtresse joignit les mains, ferma les yeux et commença à chanter dans une langue inconnue. Elle leva les bras au ciel tout en psalmodiant de plus en plus fort.
Des coups de poing dans l’âme.
Le froid de la lame qui court.
Chaque jour me pousse un peu plus vers la fin.
Entends mon appel, et manifeste-toi !

Un brouillard noir naquit autour d’elle et des couinements stridents se firent entendre. Une multitude de rats sortit de la brume et nous fonça dessus. Je dégainai ma rapière à toute vitesse et vit que Sherona avait déjà ses dagues en main. Si ces bestioles étaient des émissaires du Moissonneur d’Âmes, j’avais toutes les raisons de penser qu’il valait franchement mieux ne pas être mordu.
— C’est bon ! On a compris ! criai-je en embrochant le rongeur le plus rapide.
— Voici votre châtiment pour avoir douté de June, s’esclaffa la faiseuse de miracles.

Elle resta les bras croisés pendant que Sherona et moi faisions fuir les rats qui n’étaient, finalement, pas si agressifs et cherchaient surtout un endroit où se cacher.
— Bien. Vous êtes, de toute évidence, capable de prodiges, reconnus-je. J’espère que ce n’est pas le seul !
— Ne vous inquiétez pas, mes capacités ne connaissent aucune limite. Je suis la voix du Moissonneur d’Âmes !
— Et que nous coûtera la présence d’une si puissante prêtresse ? demandai-je avec un regard en coin vers Sherona.
— La modique somme de cent pièces d’or par jour.

Je me tournai immédiatement vers Sherona, par crainte d’une réaction incontrôlée. Elle restait impassible et c’était pire que de l’entendre hurler. Un silence gênant s’installa et dura de longues secondes avant qu’elle ne se tourne vers moi, l’air surprise.
— Quoi ? J’attends la chute. C’est une bonne vanne, pérora-t-elle
— Une bonne vanne ? s’offusqua June.
— Je ne peux imaginer que cette proposition soit sérieuse, alors je préfère penser que c’est une plaisanterie.
— Les disciples de Komoediny ne plaisantent jamais !
— Ils devraient, railla Sherona.
— Vous cherchez à atteindre le Domaine Divin de Yomi, le Père des Défunts. Comment pensez-vous y parvenir sans l’aide de son jumeau ?
— Sérieusement ? Nous allons chez Yomi, divinité qui règne sur le repos éternel, les rites funéraires, l’apaisement. Komoediny, arrêtez-moi si je me trompe, c’est la vengeance, les morts violentes et les putains de morts-vivants. C’est censé nous aider à entrer de vous avoir dans l’équipe ?! s’énerva Sherona.
— Ce sont les deux faces d’une même pièce. Vous n’y connaissez rien en théologie, il est encore plus évident que vous avez besoin de moi, ricana June.

Je n’aimais pas du tout la tournure que prenait la discussion. En cherchant un moyen de détourner l’attention, je remarquai quelque chose sur le côté du crâne de June. Elle avait un tatouage qui s’étendait largement derrière sa tête et représentait un poignard dont la garde était remplacée par un crâne de bouc. Ses cornes s’arrêtaient au-dessus des oreilles de la prêtresse, c’était ce que j’avais remarqué, et la lame était entourée d’épines et de feuilles.

June sourit en me voyant la contempler.
— Magnifique, n’est-ce pas ? dit-elle. C’est le grand Maitasuna qui l’a tatoué !
— Oh, vraiment ? Lequel ? demanda innocemment Sherona.
— Comment ça, lequel ? Il n’y a qu’un seul et unique Maitasuna, vous ne savez même pas cela, se gargarisa June.
— D’accord, d’accord, c’est tout ce que je voulais savoir, sourit mystérieusement mon amie, ce qui eût le don d’agacer encore la prêtresse.
— Quoi qu’il en soit, votre candidature est très appréciée, mais vous comprendrez que nous avons également d’autres propositions qu’il nous faut étudier également, expliquai-je avant que cela ne s’envenime définitivement.

À ma grande surprise, loin de l’apaiser, ma conclusion sembla vexer June au plus haut point.
— Puisque c’est ainsi, je retire ma candidature ! Si vous n’êtes pas capable de m’apprécier à ma juste valeur et que vous avez besoin de me comparer à d’autres aventuriers, comme un vulgaire bout de viande, alors vous êtes indignes de moi ! Je ne vous salue pas !

Elle tourna les talons et s’en alla promptement, drapée dans sa dignité offensée.
— Sacré numéro, celle-là, commenta Sherona.
— Tu l’as dit… par contre, elle avait raison pour Komoediny. Ce serait réellement utile d’avoir une de ses fidèles avec nous. Tu comprends, les légendes racontent que…
— Stop, professeur Jasper ! Tu me dis que c’est utile, ça me suffit. Pas la peine de me faire un cours magistral. J’aimerais bien qu’on fasse vite et la journée est déjà bien avancée. On fait deux groupes de un et on fait le tour des temples, en espérant chopper quelqu’un de normal ?
— Personne de normal ne voudra d’une quête aussi dingue, souriais-je, mais, soit, allons-y.

Nous nous répartîmes rapidement des secteurs géographiques pour être le plus efficace possible et nous nous séparâmes à la recherche de personnes dotées de solides talents associés, de préférence, à un brin d’inconscience.

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