Je fixais mon verre avec intensité en résistant à l’envie furieuse de balancer son contenu à la face de l’enfoiré qui venait de s’installer à ma table. Parfaitement conscient de l’effet qu’il produisait, son regard me défiait de jeter autre chose qu’un godet empli d’alcool.
— Alors Sherona, tu ne me proposes même pas une chopine ? me lança-t-il avec un sourire goguenard.

Renverser la table de la main droite ? Une demi-seconde. Max.
Dégainer de la main gauche Khajara, ma dague adorée, dans un même mouvement ? Encore moins.
La lui enfoncer dans la gorge et écouter ses gargouillis d’agonie ? De longues et savoureuses secondes. Minutes si j’ai de la chance.
Mon espérance de vie après avoir assassiné un des seconds de la pire reine de la pègre que l’Empire ait jamais connue ? À peu près celle de la virginité d’une midinette devant un bataillon de retour d’une campagne de trois mois dans le désert.

Ugroza se pencha au-dessus de la table et renifla mon verre.
— Cette délicate couleur verte, ce parfum subtil… tu bois un Druide Sauvage, pas vrai ? Ça te ressemble assez, grogna-t-il d’un air appréciateur.
— Tu es venu me parler de ton expérience de poivrot ? crachai-je.
— Tu ne sais pas pourquoi je t’ai fait l’honneur de ma présence dans ce bouge ? Oh allons, faut-il vraiment jouer aux devinettes entre vieux copains ?

Son sourire s’accentua, étirant les tatouages qui striaient ses joues creusées. Je le vis bomber un torse savamment exhibé par une veste de fourrure ouverte sur sa musculature impeccable. Une promesse destinée à tous les pauvres fous qui s’étaient endettés auprès de la Reine Noire, une promesse d’os brisés, de doigts coupés et d’une lente agonie. La poignée usée jusqu’à la corde du marteau de guerre qui ne quittait jamais son côté en témoignait.

Pour une arpenteuse expérimentée des bas-fonds de la ville comme moi, on pouvait aussi interpréter son absence totale d’armure. Y déceler le signe d’une confiance inébranlable en sa réputation et un sentiment d’impunité malheureusement très mérité.
— J’aurai le fric bientôt, promis-je. Il me reste encore une semaine pour payer Koroleva.
— Ce n’est pas une somme dérisoire, ma chère Sherona. D’autant qu’un petit oiseau m’a rapporté que tu avais connu un malencontreux revers de fortune, il y a deux lunes à peine, fanfaronna Ugroza.

Avant d’avoir eu le temps de réaliser ce que je faisais, j’avais la pointe de ma dague sur sa carotide. Une légère goutte de sang perlait et semblait me supplier d’en faire venir d’autres. Ugroza n’avait pas bronché et ne se départait pas de son sourire.

Un cri de surprise, maladroitement étouffé, accompagna mon attaque. Du coin de l’œil, je reconnus la serveuse blonde qui était venue faire son travail au plus mauvais moment et restait là, pétrifiée par la peur. Je ne l’avais même pas entendue arriver. Tu deviens émotive, Sherona, ce n’est pas bon du tout.
— Sers-moi une Hache Sanglante, ma poulette, osa Ugroza. En l’honneur de mon amie.

La poulette susmentionnée ne se fit pas prier et s’éclipsa aussi discrètement qu’elle était arrivée.
— Comment sais-tu ? réussis-je péniblement à articuler entre mes dents serrées.
— Une maison incendiée se remarque assez facilement.
— Comment sais-tu qu’elle m’appartenait ?
— Un petit oiseau me l’a dit. Tu n’écoutes pas, c’est quand même triste. Tu venais tout juste d’en faire l’acquisition, me semble-t-il ? Rassure-moi, tu n’y avais quand même pas mis toutes tes économies ? s’amusa le malfrat.

Je retirai ma dague pour la remettre dans son fourreau, même si je sentais une bile acide remonter en signe de protestation.
— J’aurai l’argent, assurai-je à nouveau.
— Je l’espère, Sherona. Oh, comme je l’espère.

Je pris mon verre et le descendis cul sec. Le tavernier avait eu la main lourde sur l’absinthe et cela n’arrangea en rien mes aigreurs d’estomac. Ugroza ne faisait pas mine de vouloir s’en aller et se délectait de son jeu d’intimidation. Il attendit calmement que son verre arrive, comme si de rien n’était.
— Une Hache Sanglante, annonça la serveuse. Vodka, Whisky, Brandy, Cidre, Hydromel, gingembre et ca… nnelle.

Je vis la blonde s’interrompre dans sa litanie pour regarder la porte d’entrée. Ses yeux écarquillés et le rouge qui lui montait aux joues m’arrachèrent le premier vrai sourire de cette journée pourrie. C’était sa signature, aucun doute là-dessus. Ugroza ne pouvait voir qui pénétrait ainsi au Biberon de la Sorcière sans se retourner. Quel amateur, me dis-je. S’installer dos à la porte d’entrée n’est pas de l’assurance, c’est de la bêtise pure et simple.

Je regardais donc très ostensiblement le nouveau venu en le saluant pour l’inviter à ma table et je savourai la lueur de menace désapprobatrice de l’exécuteur des basses œuvres de Koroleva. Jasper tira un tabouret de bois de sous la table et s’y installa avec grâce. Il portait une chemise d’une blancheur argentée que je ne lui connaissais pas, alors que j’étais absolument convaincue de pouvoir réciter le contenu de sa garde-robe sans la moindre erreur. Quand la lumière l’accrocha, je remarquai des reflets en forme d’étoiles et je fis le lien avec la soie des fils de l’araignée géante que nous avions défaite in extremis lors de notre dernier voyage. C’était donc pour cela qu’il avait tant insisté pour la conserver…

Son célèbre sens de l’esthétique avait encore frappé. Il lui avait associé un gilet de cuir sans manches du plus bel effet, rehaussant sa blondeur et la couleur orchidée de ses yeux qui rappelait, si besoin en était, que Jasper n’était pas humain. Sa rapière pendait négligemment sur son côté, mais je vis avec satisfaction que si sa main était assez loin de sa garde pour qu’il n’ait pas l’air agressif, elle ne l’était pas trop non plus.
— Laissez-moi faire les présentations, proposai-je. Ugroza, je te présente Jasper, Maîtresse Ascensionnée de la Sororité des Pionnières de Nuntius, Rapière d’argent du style de la Guêpe, Beau Gosse ultime de ce putain d’Empire, Grand Amateur de Jouvencelles. Jasper, je te présente Ugroza, salopard professionnel.

La serveuse et Ugroza tiquèrent à l’énumération des titres de mon ami et j’espérais de tout mon cœur que ce ne soit pas sur les mêmes mots.
— Monsieur, buvez-vous quelque chose ? s’enquit la blonde.
— Je viens de le dire ce qu’il aime, soupirai-je, agacée que mon magnifique jeu de mots ait été incompris.

La serveuse piqua un fard et je me fustigeai intérieurement de l’avoir agressée inutilement. Mon deuxième verre n’avait pas eu l’effet apaisant que j’escomptais.
— Je boirai volontiers une Jouvencelle, bien glacée si possible, commanda Jasper avec son sourire spécial diamant, mademoiselle… ?
— Lina. Je veillerai à ce que tout soit à votre convenance.

Jasper se tourna vers moi pendant que ses deux jouvencelles se préparaient et demanda, avec son indéfectible politesse, s’il interrompait quelque chose.
— Rien qui ne puisse être remis à plus tard, le rassurai-je.
— J’ai une mission qui vient de se présenter et pourrait t’intéresser, expliqua-t-il. Lucrative comme tu les aimes.
— Ugroza, si tu veux bien nous excuser. Faut que je parle affaires avec mon camarade ici présent.
— Je m’en voudrais de perturber tes activités, railla la brute. À bientôt, Sherona…
— Oui, oui, à bientôt, soufflai-je devant la grande subtilité de ses allusions.

J’attendis qu’il quitte la taverne avant de me tourner vers Jasper pour lui balancer ses quatre vérités.
— Dis donc, c’est quoi ce sketch ? Je maîtrisais la situation. Qu’est-ce qui t’a pris de balancer devant lui qu’on a une touche ? Et si je dis non, t’y as pensé à ça ? Je suis une grande fille, Jasp.

Il eut la délicatesse d’afficher la plus grande contrition et ses yeux prirent une couleur lavande qui le rendait encore plus irrésistible encore. De toute manière, même couvert de charbon, avec des vêtements rongés par les rats et une plume dans le derrière, il serait encore beau. Bon sang de nymphe ne saurait mentir.
— Le commanditaire est là, annonça Jasper, il attend dehors que je vienne lui dire que tout est OK. On peut parler affaires alors, comme tu dis, ou pas ?
— Finalement, j’ai un minimum mon mot à dire, grinçai-je avec une mauvaise foi assumée. On arrivera peut-être à faire quelque chose de toi. Allez, je suis prête à l’écouter, ton plan lucratif qui va me sauver les miches.

Jasper se leva au moment où sa nouvelle fan arrivait avec sa boisson et un décolleté plus plongeant que tout à l’heure, aurai-je juré. Devant son regard inquiet de le voir partir, il lui adressa un geste rassurant et fit un bref aller-retour pour amener son employeur mystère. J’eus du mal à masquer ma déception.

Cet homme était âgé. Non plus que ça, c’était un vieux croulant d’au moins soixante ans, peut-être même soixante-dix. Il essayait de compenser son crâne dégarni par un collier de barbe où survivaient quelques fils noirs dans toute cette blancheur grisonnante. Une paire de lunettes cerclée de noir masquait difficilement les cernes d’un insomniaque et le regard hanté de celui qui a vu beaucoup trop de choses pour son propre bien.

Plus inquiétant encore, sa tenue de cuir usée jusqu’à la corde et maladroitement rapiécée portait des marques récentes de lames et de morsures. Encore un qui avait voulu venir jusqu’à la capitale mal préparé. Comment Jasper avait-il pu se laisser convaincre par un homme pareil ? Et surtout, où cachait-il son affaire lucrative ?
— Je me nomme Igor Igorov, déclama le vieil homme d’une voix ferme. Je représente le seigneur Sergyi Metarnas, Archonte de Derevnya.
— Archonte est le titre de noblesse juste en dessous du Roi, précisa Jasper.
— Oui, c’est bon, je le savais, mentis-je effrontément.
— Mais seulement dans le pays de Derevnya, qui est au Nord Est de la capitale où nous nous trouvons, se sentit-il obligé d’ajouter en souriant.
— Merci pour le rappel, ma Sœur. Reprenez, Igor, bras droit d’une huile derevnienne vivant au Nord Est de ma misérable carcasse.
— Bien, reprit Igor, ne sachant si je me moquais de lui, ou non. Donc, mon seigneur a initié une Quête de la plus haute importance, qui peut changer la face de notre monde tout entier, et faire entrer son nom dans la légende.

Le vieil homme fit une pause pour ménager son effet dramatique et je mis son silence à profit pour reprendre une gorgée de mon Druide.
— Nous avons constitué une compagnie de pèlerins en route pour le Domaine Divin du Grand Yomi, commença-t-il.

Gorgée que je lui recrachai au visage en une poisseuse pluie verte.
— Soit j’ai beaucoup trop bu, soit pas assez, j’ai dû mal entendre, toussai-je. Dans le doute, je vais reprendre un autre verre pour être sure. Vous voulez aller dans un Domaine Divin ? Un putain de Domaine Divin ? Et parmi les Douze, vous avez choisi le sien ?
— Certes, d’aucuns diraient que c’est une tâche impossible, reconnut Igor sans se formaliser d’avoir été ainsi aspergé.
— Oh, non. D’aucuns auraient tort, me moquai-je. Ce n’est pas impossible. Aller voir un dragon vert affublé d’une rage de dents, lui proposer de mâchouiller un clou de girofle pour le calmer et ne pas se faire croquer, ça c’est impossible. S’introduire dans le palais impérial, baisser son pantalon devant notre estimé Empereur et repartir avec la tête sur les épaules, ça aussi c’est impossible. Non, votre Quête, j’ai entendu la majuscule, c’est sa mère impossible, la race de sa grand-mère !
— Notre Quête est noble et juste, argumenta mon employeur potentiel. Nous voulons implorer le Père des Défunts d’accorder le repos éternel aux âmes de nos compatriotes atteints par l’épidémie de la mort rampante. Nous voulons le supplier d’enrayer la progression de cette horreur qui décime les nôtres et menace le monde civilisé.
— Qu’elle soit noble et juste ne rend pas votre Quête plus réaliste ! protestai-je.

Lina, la serveuse, accourut s’enquérir de la propreté des vêtements de Jasper et lui proposa son aide. Nous, on pouvait crever. Surtout Igor, le seul que j’avais réellement mouillé. Jasper déclina poliment son offre. Je réclamai un nouveau verre de l’alcool le plus fort qu’ils aient et, à la rigueur, un également pour mon nouveau copain Igor. Dans l’espoir un peu fou que cela lui remette les idées en place.

Lina apporta sans tarder deux chopes d’une liqueur pétillante noire comme la nuit.
— Deux Goules Dansantes. Offertes par la maison, ajouta-t-elle. Je termine dans une demi-heure. Si vous avez besoin de quoi que ce soit pour votre chemise, je suis toute à vous.
— Désolée, mais vous n’êtes pas son genre, coupai-je sans vergogne. Ce serait plutôt le beau brun là-bas, qui le serait.

Pétrifiée par les implications de mon intervention, elle se tourna vers Jasper en quête d’une dénégation salvatrice. Qui ne vint pas. Ravalant sa fierté, elle abandonna notre table pour d’autres soiffards.
— Franchement, tu ne peux pas apprendre à leur dire non sans recourir à ce genre de stratagèmes moisis ? soupirai-je. Tu devrais avoir l’habitude depuis le temps.

Jasper haussa les épaules sans répondre, comme à l’accoutumée. Un jour, je connaîtrai le secret de sa gêne incompréhensible sur ce sujet. Je pris ma chope, gratuite elle n’en serait que meilleure, et la levai en direction d’Igor pour trinquer avec lui, convaincue qu’il n’oserait jamais s’envoyer cet acide liquide derrière la cravate.

Mon pieux mécène ferma les yeux et huma le parfum capiteux de la terreur du Biberon de la Sorcière.
— Réglisse, murmura-t-il avant d’entrechoquer sa chope avec la mienne.
— Kampaï !

Le liquide noir descendit dans ma gorge en dissolvant tout sur son passage avant d’atterrir dans mon estomac pour le faire fondre. Je reposai ma chope violemment et frappai la table à plusieurs reprises en balançant les pires jurons que je connaissais. Igor resta de marbre et descendit le tiers de sa boisson sans un mot.
— Whisky, Vodka, réussit-il à articuler d’une voix rauque, et encore autre chose qui me pique le nez, mais que je ne reconnais pas.

J’étais encore incapable de lui répondre et la pièce tournait dangereusement. Je voulus lui mettre une tape amicale sur l’épaule pour saluer le contenu bien rempli de son pantalon, mais le manquai et lui collai une gifle retentissante. Jasper prit doucement mon bras et posa ma main bien à plat sur la table.
— Je vais reprendre la discussion à partir de là, si tu veux bien, suggéra-t-il. Igor, aucun être humain n’est jamais ressorti du Domaine Divin de Yomi. C’est le royaume même du Dieu de la Mort. Il y a bien d’anciennes légendes qui parlent de dévoués fidèles qui sont parvenus à y pénétrer, mais aucun n’en est reparti. Pas un seul.
Partons sur l’hypothèse optimiste que nous arrivions jusqu’à l’entrée du Domaine. Il faudrait traverser le royaume d’Anapat pour aller jusqu’à celui de Kotan où il se trouverait, d’après les légendes. Savez-vous qu’il existe très peu de routes qui ne partent pas de la capitale et qu’il faudrait progresser sans la moindre piste civilisée ? Il y a le Désert des Pas Perdus dans cette zone, pour ne citer que cet écueil. De plus, nous serions près du Rift. Très très près du Rift. Il ne vous faut pas un guide pour votre Quête. Il vous faut une armée !
— Nous n’ambitionnons pas la destruction, objecta Igor, uniquement la piété et l’espoir du bien-être de notre prochain.

Jasper essaya d’expliquer la masse de difficultés qui attendait pareille expédition. Il avait pris sa plus belle voix de Monsieur Jesaistout, celle qu’il qualifiait de pédagogue, pour rappeler qu’il n’existait aucune carte précise de l’Empire, aucune route réellement sûre, encore moins si loin de la capitale, et qu’une armée de Paladins essayait de repousser les démons du Rift depuis bientôt cinq cents ans. En vain.

Je soupirai de lassitude à l’écoute de ce discours bien connu. Igor ne semblait pas démordre de son projet et ne tombait pas de l’armoire devant l’énumération de tous ces dangers. Ce qui était plutôt rassurant en réalité. Non, le vrai problème, bien plus inquiétant, était que, plus Jasper parlait, plus ses yeux brillaient d’excitation. Il était en train de se donner lui-même envie d’y aller, cet abruti.
— C’est mignon tout ça, interrompis-je, mais vous éludez la question principale. Combien ?

Igor sembla hésiter à me répondre, ce qui était très mauvais signe, et Jasper me jeta un regard noir pour avoir osé aborder ces considérations si terre à terre. Enfin, regard noir… noir pour un gros nounours comme Jasper. Tout juste gris perle pour les gens normaux et blanc cassé pour des enfoirés comme Ugroza ou moi.
— Nous sommes prêts à vous récompenser à hauteur de dix pièces d’or par jour de voyage, proposa le vieil homme.
— Chacun ? demandai-je.
— Pour Jasper et vous. Libre à vous de les partager à votre guise.
— Jasper vous a certainement donné son accord pour cette somme qui a l’air très généreuse, mais je suis légèrement plus difficile à convaincre. Vous voyagez à deux, votre seigneur et vous ?
— Hum, non, confirma Igor. Il y a une autre Archonte qui nous accompagne, d’autres pèlerins et notre garde rapprochée. Ce qui vous allège dans votre tâche guerrière et diminue les risques.
— Combien êtes-vous ?
— Une trentaine.
— Oh ! Rien que ça ? soupirai-je. Vous croyez que Jasper et moi suffirons ? Il va nous falloir renforcer l’équipe. Au moins deux personnes de plus, peut-être même trois. Votre généreuse récompense devra être divisée avec eux et elle devient beaucoup moins attractive.
— Et que suggérez-vous ? répliqua Igor.
— Vingt pièces d’or par jour.
— Il devient alors dans votre intérêt de faire durer la Quête le plus longtemps possible sans que jamais nous n’atteignons notre destination, remarqua-t-il.
— Vous devriez écouter Jasper. Nous risquerons nos vies à chaque instant et il faut que je reste en vie pour pouvoir profiter de votre or si généreux. Ce serait suicidaire de perdre la moindre journée près du Rift, lui assurai-je.
— Alors, que diriez-vous d’une prime ? Pour chaque pèlerin qui reviendra à la capitale sain et sauf ?

Je fis une contre-proposition que le vieux débris écarta pour contre-contrer ma proposition. Igor s’avérait être un négociateur plus farouche qu’il n’y paraissait. Mais son histoire était louche. Il éludait consciencieusement toute question tournant autour de l’autre Archonte et de ses rapports avec son Metarnas. Ça sentait les emmerdements à plein nez.
— Je n’en veux pas de votre Quête, conclus-je. Trop de secrets, trop de zones d’ombre, je ne crois même pas que vous ayez réellement de tels moyens. Transmettez ça à votre Archonte. C’est non.

Igor s’inclina avec déférence, fit signe que l’addition serait pour lui et quitta la taverne.
— Je le suis, je vais rattraper tes conneries, s’inquiéta Jasper.
— J’ai une stratégie, Jasp. Tout est calculé, affirmai-je.
— Mouais, ne m’en veux pas, mais je vais quand même y aller.
— Va donc, mon blond sauveur.

Jasper s’en alla sous le regard humide de Lina qui se lamentait auprès du tavernier.
— C’est un garçon pas comme les autres. Mais moi je l’aime, c’est pas de ma faute. Même si je sais qu’il ne m’aimera jamais.

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