Bien sur j’avais fait une sorte de résumé de la situation à Jennifer lors de mon interrogatoire quotidien et mentionnait, pas nécessairement dans le bon ordre, l’attitude de l’homme au sifflet (sans indiquer qu’il avait soudainement appris le français), Nestor, Alexia (en omettant l’histoire des clefs) et les chiens. Jennifer se mit alors à me regarder avec ce regard entre tendresse et pitié que seules les femmes semblent capables de faire lorsqu’elles surprennent leur petit ami en train de leur monter un bateau pour “un peu d’affection”. Elle n’avait pas cru un mot de ce que lui racontait, pour une seule raison, une phrase qui allait rythmer pas mal de mes journées a l’avenir.
– Tu sais bien que les blancs n’ont aucuns pouvoirs.
En dehors du caractère aux limites du racisme, il me semblait bien que c’était la première fois que Jennifer m’associait aux autres “farangs” (étrangers en Thai). Quand aux dits pouvoirs, il lui semblait évident que si un esprit s’était réellement attaqué à moi, je n’aurais jamais pu réagir comme cela. Apres un court échange pour plus ample explications, il semblerait qu’un membre des “farangs” auxquels je me trouvais subitement associé (visiblement en mettant de coté les insultes que je l’ai entendu proférer à leur égards), aurait du se mettre à courir en hurlant à la mort en caleçon écossais dans les rues de Bangkok. J’essayais vaguement de m’imaginer la scène, sans grande réussite. Il restait vrai que pour une raison ou pour une autre, je n’avais pas réellement peur de Nestor. Si ce qu’il était, ce rapport immédiat avec la mort, m’avait effectivement affecté, lui même, ne faisait pas grand chose. Il était un adversaire, mais j’en avais d’autres en jouant à Magic the Gathering, et je ne le voyais pas réellement différent que cela (oui, normalement vous jouez à ce genre de jeu avec vos amis, moi avec des gens qui veulent absolument prouver qu’ils sont meilleurs que le “Farang”, au mépris des règles du jeu… voir mes propres position sur les “règles” un peu plus haut, quand au pourquoi je jouai avec eux malgré l’ambiance, cela devrait commencer à être clair).
Jennifer disait comprendre mes vraies motivations, mais qu’elle pensait que l’on était suffisamment murs pour se dire ce genre de chose sans détours. Elle condescendait donc à venir passer la nuit avec moi ce soir, disant cela avec un petit sourire coquin. Remarque si elle voulait le prendre comme ça, qui étais-je pour lui mettre autre chose en tête?
La journée se passait ainsi avec une Jennifer légèrement plus attentionnée que d’habitude et c’est ensemble que nous rentrions lorsque je l’entendis pousser un léger glapissement. L’homme au sifflet avait rejoué la scène de ce matin mais c’était sur le cou de Jennifer qu’il respirait. En répétant la même chose que ce matin mais en thaï cette fois. Sachant que le garçon en question était fondamentalement inoffensif je n’eu pas la réaction habituelle (me lancer à l’assaut du dragon, sabre au clair avec mon armure blanche de chevalier sauveur de princesse étincelante dans un matin de printemps, ou dans un jargon moins fleuris lui sauter à la gorge) et me contenter de mettre la demoiselle derrière moi.
– Nestor, on est la dans cinq minutes.
Les yeux de l’homme au sifflet regagnèrent alors leur focus et il s’en fut à son destin. Laissant une Jennifer un peu secouée (lire blanche comme une lessive) dans son sillage, s’agrippant si fort à mon bras qu’elle m’en laissait des traces (alors que je marque difficilement… non faut pas le dire, mais je suis délicat comme garçon…).
Les chiens n’étaient toujours pas de retour dans le soi, ce fut la première chose que Jennifer remarqua en s’enfouissant d’avantage sous mon bras (je lui avais passe un bras autour des épaules, sa prise devenant plutôt douloureuse). Je balayais les alentours du regard comme à mon habitude, tentant machinalement de rassurer Jennifer, lorsque je tombais sur un phénomène étrange. Un cadavre d’une araignée de taille respectable (tout insecte plus gros que le pied d’une petite sœur est de taille respectable… si on parle de la mienne, cela devient alarmant), déjà la proie des fourmis, je n’avais jamais vu d’araignée si grosse, ni de ce type à vrai dire, plus proche de la guêpe, avec un corps noirs et un abdomen zébré de jaune et de noire. Jennifer blanchit d’avantage (une prouesse) en voyant le cadavre, elle reconnut une sorte de variété d’araignée venimeuse, peu courante en ville. Pire encore, ce genre de chose était un signe dans la mythologie thaïlandaise, un signe annonciateur de mauvais présage. Son discours avait une certaine tonalité aigue maintenant, elle ne se contrôlait plus très bien, le regard à l’affut, emmitouflée dans mes bras à m’en couper la circulation.
J’ai, d’ailleurs, bien cru perdre un os lorsque Alexia vint vers dans notre dos en hurlant que j’avais raison. La surprise fut telle pour Jennifer qui décidait de serrer son emprise sur mon cou d’avantage à un point où je pourrais avoir juré sentis une vertèbre bouger. Alexia, semble t il, se serait donc bien approchée de l’appartement, aurait ouvert la porte (là par contre je me figeai un instant mais me rassurait, les demoiselles étant bien trop occupées à se faire peur pour se poser des questions d’ordre logique), mais une force hostile et terrifiante lui aurait fait prendre ses jambes à son cou. Je me retrouvais un peu surpris sur le coup, ayant entr’aperçu certains des ex d’Alexia… Une vague rétrospective des réveils associés à ces dites figures et ses histoires de centaures me venaient en tête, je réprimais un éclat de rire, les deux demoiselles me regardant d’un air attentif. Je préférais me recentrer sur une certaine satisfaction de voir les deux demoiselles enfin trouver un terrain d’entente. Au moins mon coloc aura servi à ça. Alexia nous invita donc chez elle pour parler de “Nestor”, pensant que la meilleure façon de gérer une histoire de fantôme était avec une dose substantielle d’Ethanol dans l’organisme. La conversation tourna vite à la suspicion, comment avais je pu passer la nuit là bas, alors qu’Alexia n’arrivait pas à s’en approcher. Je remarquais vaguement ses yeux rougis, reconnaissant là l’un des symptômes du “speed”, une drogue qu’elle fumait pour se donner “un peu de jus”. En fait un dérivé d’amphétamine, la seule chose qui lui permettait de tenir son emploi du temps et ses doubles vies. L’un des symptômes était bien sur une réaction sur-démesurée quelques minutes après la prise. Apres tout, j’avais moi même eu une légère crise de panique avant de me reprendre, je ne pouvais qu’imaginer ma réaction dans les mêmes circonstances, j’utilisais cela comme explication, qui bien que faiblarde (et m’attira un instant un regard d’encre de la part de la demoiselle) suffit à calmer les esprits un temps soit peu.
Oubliant leur antagonismes, les filles décidèrent de s’entre rassurer en se relatant les histoires les plus horribles de leur répertoires. Je ne pouvais juger du succès de l’opération, mais j’admets que je n’étais plus très serein non plus.
Il faisait alors nuit, et ayant décidé que les séries de meurtre inexpliqués en Picardie sous fond de hurlements canidés pourrait très bien attendre une autre histoire de revenant, je décidais de me retirer dans mes quartiers.
Bien que plutôt réticente, Jennifer se décidait de me suivre. Sa réticence s’accentuait au fur et à mesure que nous nous rapprochions de l’appartement, sa tension était telle qu’un coup de vent l’aurait menée à la crise cardiaque. Lorsqu’enfin j’ouvris la porte, et que Nestor se précipita à notre rencontre avec toute sa furie, elle ne s’enfuit pas uniquement parce que j’étais derrière elle.
– Il est là.
– Oui…
– Il nous voit.
– J’imagine.
Encore une fois, la colère de Nestor me traversait, avec moins de prise que l’air ambiant. Jennifer par contre traversait un moment de pure panique. Jusqu’à ce que…
– Il n’approche pas…
– On n’est pas encore intime.
– Non… il n’approche pas…
– Il devrait?
– Il reste loin…
Elle fit quelque pas en direction général du machin, ce dernier ne cillait pas.
– Il ne s’approche pas de toi…
– Ben tant mieux…
– Avance…
– Pardon?
– Avance…marche, bouge.
Je fis quelque pas en avant.
– Il recule.
– J’ai oublie de mettre du déodorant?
– Non, il recule… il est repousse…
Jennifer n’était généralement pas la plus grande fan de mon sens de l’humour, pour être honnête, peu de gens l’était. Aussi, arrivait il fréquemment qu’une plaisanterie passe inaperçue, mais deux d’affilées? C’était du jamais vu. Elle me dévisageait comme si c’était la première fois qu’elle me voyait, je trouvais la situation assez inconfortable.
– Mais les Farangs n’ont pas de pouvoir…
– Il est peut être pas au courant…
Cela eu l’air de la réconforter quelque peu, j’admettrai ne pas trop comprendre cette histoire de “blanc sans pouvoir”, il me semble que le spirituel n’avait pas vraiment grand chose à voir avec la couleur de peau. Mais bon, on se raccroche à ce que l’on peut.
Enfin rassurée, le début de soirée se passait nettement mieux, la nuit par contre, fut bien plus… brutale… enfin paraissait il.
Bien trop fatigué… et satisfait ( 😉 ), pour l’entendre lorsqu’elle me disait, “il essai de m’attraper “.
Il semblerait que des bras surgirent du matelas pour essayer de l’attraper, toujours bloqués par quelque chose à quelques mètres de nous.

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