Encore mal partout, ce sofa n’a jamais été prévu pour cette utilisation. Trop petit et trop étroit, j’y dors en boule, comme un chat. A la différence qu’eux sont des animaux souples alors que je dois avoir la souplesse d’une barre de titane. Mon totem c’est le loup… pas un félin à deux balles.
Enfin… tout ca pour dire qu’a peine je me lève, la journée s’annonce mal. J’ai longtemps pensé que le pire pour commencer une journée était de ce demander “pourquoi faire?” en lieu de première pensée. Maintenant je sais, non seulement je me le demande tous les matins, sachant que la journée ne peut pas être mieux que la précédente, mais je suis obligé de me lever. Le sofa se fait un plaisir de me le rappeler, encore 1 moi comme ca et je me transforme en fantasme de chiropracteur. Et si c’était tout… pas de volets, je suis réveillé aux premières lueurs de l’aube, ce qui serait charmant si je pouvais me coucher un peu plus tôt… Mais bon, faut que je paye pour ma bouffe… je file des cours de français et d’anglais. Industrie du tourisme oblige, je dois être le premier prof de langue de nuit du monde et faut voir certains des cas que je dois me peler… enfin.
Je récapitule donc, le sofa, c’est fait, la lumière, c’est fait, mon job… c’est fait aussi… me manque plus que la douce mélodie des sanglots de ma dépressive de mère. Oh oui, je sais, vous allez encore me faire la morale sur la façon dont j’en parle. Mais se sont toujours ceux qui devraient se taire le plus qui la font la plus longue. Donc oui, mes parents sont en instance de divorce, je l’ai appris le jour de la présentation de ma thèse pour l’université. Merveilleux, réveillé dès 4 heures du mat, je me suis pointé en vrai zombie le jour de la présentation. Heureusement que j’avais fait un bon travail en écrit ou j’étais bon pour recommencer… je n’avais même pas réussit à éructer mon propre nom. Enfin, c’est le passé, dans le présent ma mère, n’a pas très bien pris la nouvelle. Et essai de me faire haïr toute la partie paternelle de ma famille… alors que je ne connais qu’eux (son coté de la famille étant bien chargé question troubles psychologiques). Donc tous les matins les choses sont un peu pareilles, j’entends les sanglots d’avant réveil, je me précipite dans la salle de bain, mets mes affaires le plus vite possible et m’enfuit presque deux heures avant le début des cours, et surtout avant qu’elle ne se réveille. Si je suis en retard je suis bon pour coucher dehors. Ma mère est quelqu’un d’assez entier, si je ne suis pas a 100% avec elle je suis donc a 100% contre elle, le “Ying et le Yang” sont les noms d’un restaurant japonais et tout autre synonyme de “nuance” n’existe pas dans son vocabulaire. Je suis donc régulièrement accusé de tous les maux de la planète y compris de, liste bien sur non exhaustive, de la majorité des échecs de mariages des pays du G20, des privations les plus insoutenables (c’est moi qui paye la nourriture, donc effectivement, j’achète ce qu’il y a de moins cher, vu que je roule pas sur l’or), je suis aussi comme mon père (ca c’est l’insulte ultime… ) et d’autres réjouissances, en général les réveils se finissent toujours par quelque chose qui m’est jeté en direction générale du visage et une interdiction de revenir jusqu’à nouvel ordre.
Pourquoi je m’inflige tout ca me dira t on? Ben c’est ma mère, d’une part, d’autre part elle a un petit jeu, légèrement irritant, mais qui semble l’amuser immensément. A un moment x ou y, elle s’enfile toute une boite de pilules (préférence pour les somnifères) et trois litres d’eau (pour tout faire passer) et va se coucher ensuite. Et moi faut que j’appelle l’ambulance, la mène a l’hôpital, m’assure que tout aille bien, me prenne une autre volée d’insultes, parce que cette fois sans moi, c’est sur elle y était arrivée (non elle ne sait pas que les barbituriques ne sont pas en vente libre ici). Puis faut rentrer à l’appart tout nettoyer (note: les somnifères ont aussi un effet sur les boyaux, la scène est souvent… réjouissante…), et ensuite aller en cour (ouai parce qu’en Thaïlande ils font l’appel même à l’université et si on manque plus de 6 fois il faut repasser la matière). Quand aux fréquences de son “petit jeu”, il suffit de dire que mon réseau social compte plus de membres du corps médical que de corps d’étudiantes.
Coup de bol, je n’habite pas très loin de l’université, et en hiver je peux me permettre d’y aller à pied (en été, entre la chaleur et l’humidité, c’est comme marcher dans un sauna), je fais d’abord un crochet chez une amie. Elle aussi est étudiante étrangère, on vient du même pays, il nous a semblé normal de nous serrer les coudes. Donc vu qu’elle a un problème de réveil chronique on s’est mis d’accord, je me pointe à sa fenêtre le matin pour la réveiller à l’heure et elle me paye le petit dej au Café du coin. Un accord de circonstances, rien de plus, nous avons chacun notre tendre moitié… tendre et envahissante… mais c’est un autre sujet. C’est toujours sympa de parler autre chose que le machin qu’ils font passer pour de l’anglais à l’université (pourtant censée être internationale), et bon, ça me permet d’acheter autre chose que du riz pour manger le soir. Là il faut comprendre que si moi je m’éclate avec la bouffe thaï, ma mère a horreur de ça (peut être de ca que je tiens qu’on ne peut pas être heureux si on n’aime pas la bouffe thaï), donc faut dépenser nettement plus cher pour avoir du pain (du vrai, pas ce machin sucré qu’ils font passer pour) et pas du riz. Mais je digresse, donc ce matin je me pointe pour ma fonction de réveil comme chaque matin. Les civilités commencent après le chapelet d’injures matinales (j’ai développé une sorte d’immunité aux insultes… un jour il faudra que je parle de ma sœur…) et autre grognement animal (j’ai des fois l’impression qu’il faut plus de boulot pour faire se réveiller une fille que pour le lancement d’Ariane). Au moins je prends solace, dans le fait que dans ce cas précis je n’ai pas à défendre ma vie (… ma sœur…). Donc la demoiselle finie par se réveiller, et dans la discussion qui suit la douche et autres préparatifs (on avait vite convenue d’un commun accord qu’il valait mieux que je ne rentre pas dans ce qui ressemblait à un concept d’appartement si Dali avait été décorateur) on en vient à discuter de la semaine. Elle doit aller voir ses parents chez elles pour un événement, une naissance ou des funérailles. Il faut comprendre que le dialogue de Vanessa (c’est son nom) n’est jamais réellement claire… enfin … “cohérant”. Il est très facile avec elle de commencer une discussion sur les races animales pygmées en Papoisie et de se retrouver au bout de la même phrase à discuter de la taille du Roger de son ex-ex-ex petit ami pour en finir sur une diatribe contre le consumérisme des états européens de l’est. Et quand son cousin était là il fallait en plus rajouter les fautes dans la mise en scène du dernier block buster américain, j’avais des fois l’impression qu’ils ne s’écoutaient pas… peut être pour ça qu’ils s’adoraient autant. Enfin, tout ça pour dire qu’elle devait rentrer chez elle pour une petite semaine, et qu’elle aurait apprécié que son appartement ne soit pas “vide” dans l’intervalle, connaissant mes “conditions” elle avait évidement pensé à moi.
Il y a toujours quelque chose d’assez décalé dans son discours qui trouve une sorte d’écho chez moi, un peu comme si elle réaffirmait à chaque conversation son profond désir de faire aussi peu de sens que le monde autour d’elle. Je ne sais pas si l’un de nous fuyait quelque chose ou si finalement on avait une sorte de pérennité bouddhiste de l’âme, où l‘on réussissait à assumer le chaos ambiant. Il y avait aussi une autre utilité à ses conversations, peut être même primordiale pour tout universitaire, elle était au courant de toutes les rumeurs, histoires et autres cancans à à peu près 25 kilomètres autour de l’université. A l’époque Facebook n’existait pas, mais elle avait déjà trouvé mieux. Dans mes moments de détente, je me demandais si elle n’était pas en fait placée sur un nexus, un nœud ou plusieurs dimensions se croisaient, et ce n’était pas uniquement a moi qu’elle parlait mais à une infinité de personne à la fois… discussions desquelles je ne pouvais percevoir que quelques brides, d’où l’impression de confusion profonde qui survenait à chaque échange. Le troisième effet était de m’occuper l’esprit pendant plusieurs heures afin de tenter de tout reconstituer (je ne suis pas sur qu’elle aurait appréciée que je prenne des notes), et là j’avais de quoi penser… une sorte de break dont je ne réalisais pas le besoin.
De là je continuais d’écouter, jusqu’à ce que l’on arrive à l’université et qu’elle tombe sur l’un de ses groupes d’ami(e)s, où je profitais d’un détour de conversation pour m’éclipser et récupérer un semblant de repos mental avant le troisième rituel de ma journée, ma petite amie.
1quart thaï, 1 autre philippine, moitie quelque chose entre le vietnamien et le chinois que je n’ai jamais exploré, ni même tenter d’explorer, comme tout ce qui se rapprochait à la mère de Jennifer (ma petite amie). Gentille femme, mais au tempérament assez sulfureux, ceinture noire de karaté, et catholique à la limite de l’intégrisme, le genre de personne qu’on ne peut s’empêcher de trouver judicieux de rencontrer le moins possible (que celui qui n’a rien à se reprocher lève la main maintenant… menteur). Cela faisait presque deux ans que j’étais avec la petite, nous nous étions rencontré via une amie commune, qui pensait que deux personnes aussi difficile d’accès que nous l’étions ne pouvaient que s’entendre… contre toutes attentes elle avait eu raison. J’étais assez timide (lire maladif) et préférais de loin mes histoires, mes romans et mes jeux vidéos à la compagnie des gens de mon âge. Je ne m’entendais qu’avec de rares personnes au comportement… “décalé”. J’imagine que sortant de l’ordinaire ils m’impressionnaient moins, ou m’intéressaient plus… je n’ai jamais vraiment su. Enfin quoi qu’il en soit notre premier rendez vous fut quelque chose d’épique… digne d’un film sentimental français de la nouvelle vague, tentant de nous regarder le moins possible, bien que l’un en face de l’autre pendant que nos amis respectifs poussaient gémissements et autres bruits significatif sur fonds de musique techno (il n’y avait que ça à l’époque). Enfin, c’est avec nostalgie que je me souviens de ces moments, car les choses ont bien changées depuis. Il m’a fallu surmonter mes habitudes antisociales (un peu comme gravir l’Everest pour un manchot unijambiste) afin de me trouver des amis et ainsi une excuse pour lui échapper. Mes talents pour la discrétion se sont aussi développés, à la limite du super naturel. D’où l’un de mes surnoms “le ninja”, j’arrive où l’on ne m’attend pas, je disparais, pourtant en pleine vue, et réapparait ailleurs, voir pas du tout. Etrange comme les gens nous perçoivent.
Comme tous les jours, la première heure est dédiée à faire un résumé de toutes les conversations avec Vanessa depuis ces trois dernières semaines, d’étudier mes traits et mon langage corporel afin d’être sure et certaine qu’il n’y a rien entre nous. Puis il faut procéder au baiser rituel (bon là je me plains pas…), ensuite on passe à la demi heure sur “officialiser” la relation (ah…. le talent de tout être humain à faire chuter son QI au moment opportun et de soudainement ne plus rien comprendre), jusqu’au début des premiers cours (quand nous ne les avons pas en commun).
Sur le coup un break me paressait une bonne idée et décidait d’accepter l’offre de Vanessa (bon il y avait aussi le problème que ma mère était aussi possessive que Jennifer et tous les trucs qu’on ne peut pas faire quand une mère est dans les parages), à condition qu’elle remette un peu d’ordre dans son temple au culte du chaos.

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