La nuit arrivait vite, mes pas résonnaient dans l’étage, à tel point que je me retournais souvent, tant j’étais sur d’être poursuivis. Une sorte de pressentiment m’étreignait, me recommandant de ne pas aller plus loin, la porte apparaissait presque menaçante. Mettant tout cela sur le compte de la fatigue, je glissais néanmoins la clef dans la serrure et rentrais dans la pénombre. Je sentis soudain comme une force puissante tentant de me repousser en arrière, la sensation était quasiment physique.
Ma première pensée fut “Dégage”. Je n’avais qu’une envie, prendre mes jambes à mon cou et ne plus jamais revenir. La violence du sentiment me fit penser à une attaque, c’est cette violence qui me fit pauser un instant. Une vague de haine tellement forte se trouvait dans cet appartement, que je la vis littéralement. Une ombre dans la pénombre, la différence entre ténèbres et manque de lumière. L’espace d’une seconde, je voyais très clairement une figure humaine, enveloppée dans une sorte de cape, tout entière à tenter de me repousser. Il y avait dans cet appartement quelque chose de puissant qui voulait à tout prix que je m’en aille. Qui me sommait de m’en aller.
Un de mes vieux reflexes prit alors les choses en mains, on venait de me donner un ordre, il était évident qu’il me fallait faire le contraire. Esprit, prof, petite amie ou parent, personne n’a le droit de me donner d’ordre.
La porte fermée, l’ombre disparut presque aussitôt, mais pas le sentiment de panique, mon cœur battait à en sortir de ma poitrine. Je me forçais à rester dans les ténèbres fixant l’endroit où j’avais vu l’apparition, crispé. Des sons me parvenaient tout autour de moi, des craquements, des bruits d’eaux venant des toilettes, un cliquetis métallique, tout cela se dirigeant vers moi.
– Je vais rester une semaine ici, ca peut ne pas te plaire.
Dis avec mon plus fort accent du sud du pays, le truc avec les esprits est de ne pas se refugier dans le déni. C’est l’erreur de la plupart de mes frères dit “occidental” (qu’on puisse me mettre dans la même boite que les anglais m’a toujours horripilé), nier les phénomènes parce qu’on en a peur n’a jamais réussit à achever quoique se soit. Si cela marchait réellement, il n’y aurait plus de pédophilie, plus de pollution, plus de politiciens véreux, plus de TV réalité, en fait plus on s’enfonce dans le déni plus on permet à ces choses de proliférer. Le déni ne sert qu’à éviter de faire face.
Dans le cas présent il y avait manifestement quelque chose qui faisait pas mal d’effort pour me foutre le trouilomètre à zéro. Le reconnaitre était déjà le premier point, de la j’avais un adversaire, j’avais une idée de son objectif et du genre de jeu auquel on jouait. Je ne suis pas quelqu’un qui se soit trop intéressé au concept de “règles”, tant que personne n’est lésé je fais ce que je veux. Si vous êtes choqué par ce que je fais ne regardez pas… facile non?
Appelez ça immature ou comme vous voulez, cela m’a donné une certaine flexibilité, et finalement m’a ôté une bonne dose de naïveté dans ce monde, je ne m’attends pas à ce que les gens en face de moi suivent une quelconque règle ou loi, ce qui me laisse libre de déterminer de leur logique, prévoir leur prochain coup et agir en conséquence. Ce qu’ils veulent face à ce qu’ils disent, ce qu’ils sont face à ce qu’ils prétendent.
Dans le cas présent je réalisais n’avoir qu’une connaissance théorique du concept de spiritualité, et ces quelques secondes de cohabitation m’avait déjà servis à comprendre que bon nombre des croyances sur les fantômes étaient erronées. Je n’avais pas affaire à une âme torturée pour commencer, il n’y avait là que de la haine, de la colère et un puissant désir de faire peur… j’aurai pu dire nuire mais je ne pensais pas une seule seconde que le machin puisse me nuire. Une sorte de pressentiment, ainsi qu’une certaine logique, s’il voulait réellement me faire du mal, plutôt que de faire craquer tous les murs et aboyer simultanément tous les chiens du quartier il aurait juste pu ouvrir les tiroirs de la cuisine et lancer leur contenu sur ma pomme.
Hors je me retrouvais planté en plein milieu d’une sorte de cuisine, avec quelque chose qui me tournait autour essayant l’équivalent spirituel de me crier dessus pour sortir.
Je décidais de l’appeler “Nestor”.
Roger était déjà pris pour designer une partie anatomique du corps humain… oui oui celle-là.
Je décidais d’allumer la lumière, ranger mes affaires mettre la chaine stéréo en route (un album d’Anggun, c’était l’époque de son premier album et j’adorais ses textes et sa voie… bon qu’elle soit bien mignonne n’enlève rien à l’histoire, je l’écoute toujours d’ailleurs), histoire de gâcher les “cris” spirituel de Nestor, qui ne semblait guère apprécier son nouveau surnom soit dit en passant.

124