»Je dois vraiment me dépêcher si je ne veux pas qu’il m’atteigne … »

Tout en laissant défiler ses pensées Lia courait de plus en plus vite, essayant d’oublier la douleur de ses muscles qui lui criait de s’arrêter. Un simple regard en arrière et c’était le coup mortel. Elle se forçait à ne plus penser à ce mal omniprésent et se concentrait sur sa trajectoire. Si elle échouait une nouvelle fois cela aurait pour elle un impact conséquent, il fallait réfléchir vite et bien.
La jeune femme se mouvait avec rapidité et efficacité. Elle anticipait les projectiles que lui envoyait son ennemi, les plateformes sur lesquelles elle allait bondir et les espaces représentants d’éventuels refuges. Tout ce qu’elle voyait était soigneusement analysé pour en tirer avantage.
Avec sa petite taille et sa coupe au carré, Lia semblait sortir tout droit des dessins animés d’arts martiaux. Ses cheveux noirs et sa frange terminaient un visage doux alors que ses jolis yeux noisettes laissaient apparaître un passé chargé. Perdue dans ses pensées la jeune femme manqua de trébucher sur un lampadaire échoué au sol.

-On se concentre Lia …, pensa-t-elle à voix haute

La concentration .. un état d’esprit qui échappait totalement à la jeune femme.
Beaucoup vous diront que dans des moments pareils, se raccrocher à un souvenir apaisant est souvent la clé. Mais que choisir lorsque, du haut de vos dix-sept ans, l’essentiel de votre vie a été marqué par l’abandon et le chagrin. Des images ne cessaient de lui revenir à l’esprit. Depuis toute petite elle avait toujours les mêmes scènes qui tournaient en boucle dans sa tête… des flammes… de la fumée… beaucoup de bruit… plein de monde autour d’elle. Il y avait aussi quelque chose qui semblait venir vers elle… non c’était quelqu’un… oui c’était ça. Quelqu’un essayait de lui parler mais elle ne comprenait pas. A chaque fois les mêmes images refaisaient surface : la personne marmonnait quelques mots inaudibles avant de s’écrouler au sol, inerte, alors que la vision de Lia devenait floue.
Elle dut revenir à la réalité brusquement lorsqu’elle failli se faire écraser par un bus scolaire qui venait d’effectuer un vol plané depuis son adversaire, à quelques mètres derrière elle.

 »Il se rapproche beaucoup trop vite … »

Avant que la jeune fille ne puisse faire un pas de plus il fut sur elle et la projeta à travers les murs d’un immeuble en ruine. De toute façon toute cette ville n’était que ruines. Les centaines de voitures abandonnées au milieu de la route, les immeubles croulants sous leur propre poids, les lampadaires clignotants et les vitrines des magasins en mille morceaux, on se croirait dans un film d’apocalypse. L’on pouvait même encore, en tendant l’oreille, entendre les cris d’effrois des habitants qui fuyaient pour leur vie il y a de cela des années.
Alors qu’elle se remettait de sa chute son ennemi était déjà devant elle. Immobile à un mètre de là, le sorcier inspirait tout ce qui pouvait se rapprocher de la mort et de la noirceur. Sous sa longue toge noire on pouvait voir émaner une aura sombre et cruelle et sa capuche ne laissait transparaître qu’un sourire machiavélique étincelant.
Lia n’avait pas le temps de contempler le décor. Elle se releva dans la seconde et courut vers le mage pour le marteler de ses poings. Grâce à un entraînement strict où elle avait sué eau et sang, la jeune femme s’était forgée des poings d’acier qui firent reculer son adversaire en lui faisant cracher quelqu’insulte. Le voir reculer d’un pas redonna un peu d’espoir à Lia qui s’élança de plus belle afin d’asséner plusieurs coups douloureux dans les côtes du sombre individu. Il finit par stopper les coups de poing d’un revers de bras et la balaya pour l’envoyer à terre. Perturbée par la vitesse à laquelle il avait pu se défaire de son assaut la jeune femme en oublia de se réceptionner ce qui permit au sorcier de lui imposer le coup fatal en plein cœur. Projetée à l’autre bout de la ruelle Lia finit sa course encastrée sur le pare-brise d’une voiture, cisaillée par les morceaux de vitres qui lui coupaient la chair.

Son adversaire sortit de la poussière et s’avança vers elle en la regardant droit dans les yeux. Il s’arrêta à quelques millimètres de son visage et murmura à son oreille.

-Encore perdu.

Il enfonça sa main dans le thorax de Lia, doucement, lentement, arrachant un long cri de douleur à la jeune fille. Il planta son regard dans le sien et retira sa main d’un coup sec, le cœur enfermé dans son poing.
Sa mort fut immédiate. Son dernier soupir la quitta et elle s’évanouit soudainement. A ce moment le sorcier parti en poussière, ainsi que la ville entière. Les maisons et bâtiments en ruines, les petites ruelles et les voitures écrasées, tout devint poussière.

Lia revenait doucement à elle, ses yeux s’adaptaient à la lumière éclatante qui l’entourait. Elle se releva dans une pièce d’un blanc immaculé et une seule pensée lui vint à l’esprit.

‘’Je vais me faire défoncer’’

Les murs de cette salle disparurent au plafond et laissèrent place à un environnement plus familier pour Lia. Un peu déboussolée par ce qui venait de se passer elle fit doucement un tour sur elle-même pour se reconnaître dans l’espace. Cette grande pièce elle la connaissait bien c’était la salle holographique, la pièce la plus importante de l’enceinte. Sur sa gauche se trouvait le mur principal, un écran entièrement tactile ou des hommes et femmes en uniforme manipulaient des chiffres et des graphiques. Des bips et autres bruits s’échappaient parfois de l’écran et on pouvait entendre certaines personnes chuchoter, mais la salle restait relativement calme. Les personnes qui y travaillaient semblaient assez occupées pour ne pas se préoccuper des élèves qui s’entraînaient et vaquaient à leurs occupations. Une lumière pure émanait du plafond et allait se refléter contre le carrelage ivoire, accordant à toute la pièce une aura bienveillante.
Lia, au centre de la pièce, se trouvait sur une plate-forme surélevée d’une simple marche et faisait face aux jardins du château. Visibles grâce au mur entièrement transparent, on pouvait voir les grandes allées parsemées de parterres plus magnifiques les uns que les autres. Il était très agréable de s’y promener à cette période de l’année, les arbres offraient de l’ombre et les oiseaux piaillaient de bonheur dès l’arrivée du printemps. Lia aimait se coucher dans l’herbe et profiter de la brise tout en respirant un air enivrant, chargé en senteurs florales.
Un raclement de gorge la fit se retourner brusquement et revenir à la réalité. Elle reconnut sans problème l’homme qui se tenait devant elle, droit et solidement ancré au sol, le Capitaine du château. Celui-ci la regardait de son air hautain habituel, plein de mépris et de déception.

-Combien de fois devrais-je te le répéter ? Tu n’es pas ici pour t’amuser !

Le Capitaine Drake avait tout suivi à partir du pupitre en verre devant lui qui retransmettait ce qui se passait dans l’holotraineur.
-Mais je …

-Il n’y a pas de mais. Il va falloir que tu te ressaisisses si tu ne veux pas être expulsée de ce programme.

La jeune femme ne sut que rétorquer. Encore habillée de sa tenue de combat, une simple veste et un pantalon noirs moulants facilitant ses mouvements, elle baissa la tête et attendit simplement la sanction.

-Je fais de mon mieux …

-NON !!

Le cri résonna dans la pièce et alla ricocher aux quatre coins de la pièce avant de revenir aux oreilles de son élève qui tressaillit.
Du haut de son mètre quatre-vingt-dix Drake faisait les cent pas devant elle. Ses courts cheveux noirs étaient, comme à leur habitude, en bataille. Ses sourcils froncés donnaient à son visage un air sévère qui angoissait toujours Lia, tout comme ses chaussures qui annonçaient son arrivée d’un bruit sourd. La longue et épaisse veste noire du Capitaine flottait derrière lui lorsqu’il revenait soudainement sur ses pas, dévoilant un haut et un pantalon de militaire de la même couleur. La seule chose qui semblait ne pas convenir au personnage c’était ses yeux. D’un turquoise très clair son iris était comme envoûtant et était la preuve que c’était un homme bon, il n’était pas fait que de noir. Son regard perçait à jour vos plus grand secrets et lui permettait d’entendre vos pensées comme si vous les disiez à voix haute. Il était sans nul doute l’homme le plus respecté du château de par sa carrure, son autorité et, bien entendu, son grade de Capitaine. Depuis la nuit des temps les dirigeants de ce château étaient appelés ainsi, la signification de ce grade s’étant perdue au fil des générations.

Il s’arrêta de marcher afin de réprimander son élève.

-Reprend-toi et arrête de te lamenter.

Drake se dirigea alors vers la porte pour quitter la salle et laissa Lia les bras ballants au centre de la pièce. Elle courut alors pour sortir à son tour et alla se réfugier dans sa chambre, cavalant dans les couloirs de la vieille bâtisse. Lorsqu’elle passa les portes de la pièce celle-ci était vide.

-Sharlyn n’est pas rentrée ? se demanda-t-elle en sanglotant

Tant mieux elle voulait rester seule. Elle tomba sur son lit et pleura doucement contre son oreiller.

-Pourquoi est-ce que vous avez crié comme ça ?

Sharlyn essayait vainement de raisonner le Capitaine, qui faisait la sourde oreille. Drake avait haussé la voix si fort que la jeune fille avait tout entendu du couloir. Elle voulait absolument défendre son amie, qui avait mérité sa place au sein de l’équipe. Ce n’est pas parce qu’elle a un an de moins qu’elle est forcément plus faible.

 »Au contraire. Elle est très efficace au combat » finit-elle par se dire

-Tu as tort.

Elle devait contrôler ses pensées car il n’en perdait pas une miette.

-Cette gamine n’a pas sa place avec vous et tu le sais. Elle est faible, inexpérimentée et se fera déchiqueter à la première occasion.

Sur ce il accéléra encore le pas et rentra dans son bureau, puis claqua la porte.

-Raaaaaaahhh !!! Y’en a marre de ces conneries !! Il faudra bien qu’il apprenne à me faire confiance !

Sharlyn s’énerva seule dans le couloir, serrant les poings et tapant du pied, avant de s’arrêter net.

 »Lia … »

Elle dévala les marches quatre à quatre pour retourner au rez-de-chaussée. Arrivée en bas la jeune femme prit de suite à gauche afin de se rendre au bout de l’aile sud. Elle laissa sur sa gauche la bibliothèque et la Grande Salle et se dirigea vers sa chambre pour y trouver sa meilleure amie. Leur chambre était la toute dernière au bout du château et disposait d’un grand balcon donnant sur les jardins.
Le côté de Sharlyn était assez désordonné. Tout de suite à droite se trouvait sa grande armoire grise en bois ancien, un soutien-gorge accroché à la poignée. Quelques vêtements au sol, des bijoux et des livres sur les fauteuils en tissus gris clair disposés de part et d’autre d’un grand lit défait et une couette emmêlée. A côté de son lit se trouvait sa coiffeuse, illuminée par une guirlande que Sharlyn avait disposée le long du miroir. Au dessus de celle-ci des photos de ses amis et quelques unes de ses parents étaient accrochées. Les murs étaient tous blancs à l’exception des pans qui encadraient la baie vitrée du balcon, qui étaient recouverts de lierre. Le seul coin dépourvu de bazar était le rebord de la fenêtre. Elle aimait s’y asseoir avec un livre et contempler l’horizon tout en rêvant d’aventures et de contrées lointaines. Sharlyn se plaisait dans cette chambre. L’harmonie des couleurs était apaisante et la présence du lierre amenait cette nature dont Lia et elle avaient besoin.
Elle jeta un œil dans le grand miroir qui surplombait son lit et aperçu alors Lia, endormie dans son lit depuis quelques minutes. Elle se déchaussa et prit une minute pour enfouir ses pieds dans le tapis central. D’une douceur incomparable, cet épais tapis gris trônait au milieu de la pièce et la rendait très chaleureuse.
La jeune femme tourna le visage vers son amie et se dirigea vers le balcon dans un soupir.

-Tu verras, un jour il comprendra … chuchota-t-elle

Elle ouvrit en grand la baie vitrée et s’accouda sur les barrières du balcon pour contempler la lune. L’air frais du début de la nuit lui caressait le visage tandis qu’elle repensait à tout ce que son amie avait dû subir avant d’arriver là.
Sharlyn fut sortie de ses songes par des marmonnements venant du lit de Lia. Elle se retourna, ferma la grande fenêtre et vint s’allonger près d’elle pour la rassurer, puis déposa un baiser sur son front.

-Je suis là, dors …

Le lendemain matin Sharlyn fut réveillée en sursaut par le réveil, matinal mais néanmoins énergique de Jake, qui prenait un malin plaisir à les torturer de si bonne heure.

-ALLEZ DEBOUT LES FILLLES !!!!!! Il va faire beau c’est impeccable on va pouvoir s’entraîner en plein air ça va être génial en plus toute la nourriture est déjà prête dépêchez vous ou je mange tout !!!!!

Il finit sa phrase en s’affaissant sur le lit de Sharlyn qui visiblement était vide. Étonné de ne voir personne il jeta un coup d’oeil en face et s’aperçut que celui de Lia l’était également. Il regarda autour de lui et vit la baie vitrée grande ouverte, rien de très anormal en cette période où la chaleur se fait sentir très tôt dans la matinée.

-… tant pis ! se résolut-il

Il haussa les épaules et soupira avant de se relever pour quitter la chambre et se diriger vers le petit-déjeuner lorsqu’une voix l’interpella.

-Attends-moi !

Le guerrier se retourna sur Sharlyn qui rentrait, ou plutôt atterrissait sur le balcon. Entre le jeune homme et le lever de soleil se tenait un véritable ange, aux cheveux blonds et au teint de pêche. Les yeux de la jeune femme étaient d’un vert éclatant, dont la lumière semblait s’allier à l’éclat de son sourire. Son corps fin était couvert par une simple robe de soie blanche qui se mouvait au gré de la brise matinale et caressait la peau de ses jambes. Rien ne pouvait défaire le regard de Jake de ses magnifiques ailes. Semblables à celles d’un pégase elles étaient d’un blanc éclatant et pur, comme si toute la noirceur du monde ne pouvait les atteindre. Lorsque les pieds de l’ange touchèrent le sol elles éclatèrent sous ses yeux en un million de fragments d’étoiles avant de disparaître en une seconde.

Sharlyn s’approcha de Jake et le sortit de son rêve.

-Bonjour ! s’exclama-t-elle

-Bonjour …

La jeune femme laissa échapper un léger rire moqueur, ce qui fit rougir Jake l’espace d’une seconde. Elle vint déposer un baiser sur sa joue puis le prit par la main pour l’emmener retrouver les autres à la Grande Salle.

-Tu m’as l’air songeuse… demanda Jake

-Le sommeil m’a fuit cette nuit, je suis seulement fatiguée.
Le guerrier stoppa leur marche.

-Je t’ai entendu te disputer avec ton père hier soir.

Sharlyn leva les yeux au ciel.

-Mais ce n’est pas ma faute à la fin il n’arrête pas de mettre des bâtons dans les roues de Lia et ça commence à m’énerver ! Elle ne demande qu’à être acceptée tu sais … finit-elle en soupirant

Le jeune homme vint prendre le visage de l’ange entre ses mains.

-Je sais. Mais je pense que tu dois lui faire confiance. C’est l’homme le plus réfléchit que je connaisse, s’il agit ainsi c’est sûrement pour une raison. D’accord ?

-Mmh …

-Allez on va manger ! clôtura-t-il en déposant un baiser sur son front

Quand ils arrivèrent c’était l’effervescence. Tout le château était déjà attablé et avait commencé à manger depuis quelques minutes. Les différents plats allaient çà et là de façon à ce que tout le monde puisse se servir sans se lever. Les tables, vieilles de plusieurs siècles, étaient si près les unes des autres que l’on avait du mal à se frayer un chemin sur le parquet grinçant. Jake et Sharlyn durent jouer des coudes afin de rejoindre leurs amis déjà assis dans un coin de la pièce. La Grande Salle était la pièce la plus impressionnante de tout le château, et de loin la plus magnifique selon Sharlyn. Les murs semblaient s’étendre à l’infini alors qu’ils rejoignaient une ogive vraiment sublime à leur sommet. Les nervures en poutre naissaient du sol et remontaient le long de la pierre pour rejoindre la clef de voûte dans un arc de cercle parfait. De celle-ci tombait un énorme lustre chandelier en or, parsemé de centaines de bougies qui, protégées par un sort, ne s’éteignaient jamais. Cette atmosphère ancienne dégageait un sentiment de bien-être et l’on s’y sentait vivant comme jamais, en sécurité, comme si rien de grave ne pouvait survenir. L’unique fenêtre envahissait le mur du fond et apportait toute a lumière nécessaire à la pièce en journée. Manquant de renverser quelques plats qui se baladaient entre les tables, les deux compères rejoignirent enfin l’attablée et saluèrent leurs amis. Sharlyn remarqua de suite que Lia manquait à l’appel.

 »Où a-t-elle bien pu passer ? »

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