— Dites donc détective, j’vous trouve bien pâlot ce soir !

Pavel secoua la tête sans répondre et mâchouilla une boulette de poisson sans la savourer. Il était assis sur l’un des deux tabourets d’un petit restaurant mobile dans l’une des rues les plus animées de Bellawde une fois la nuit tombée. Le vendeur haussa un sourcil avant de retourner à sa cuisine.

— Vous devriez p’têt quitter vot’ boulot. Z’êtes pas fait pour cette vie.
— Détective c’est toute ma vie, rétorqua Pavel d’un ton amer.
— Z’êtes pas fait pour cette vie-là. J’vous dis pas d’arrêter. J’oublie pas les services qu’vous m’avez rendu.

Le lutin afficha un demi-sourire et engloutit une autre boulette. Il avait l’habitude de venir là quand il n’avait pas le courage de se préparer quelque chose à grignoter — ce qui se produisait presque tous les soirs.

Un autre client à la transpiration excessive vint s’installer et le vendeur le délaissa un peu ; il en profita pour finir son repas et s’éloigner. L’affaire avait fini par arriver aux oreilles du directeur de son agence et on la lui avait retirée pour la confier à d’autres.

Désœuvré et complètement découragé, le jeune détective erra dans les rues jusqu’à une heure avancée de la nuit et ses pas le menèrent finalement jusqu’au manoir Grikel-MacKriel ; il voulait voir le lieu du crime de ses propres yeux.

Alors qu’il venait de discrètement se faufiler dans le parc par une petite grille rouillée, un cri perçant retentit. Le lutin abandonna toute prudence et courut jusqu’au manoir. Lorsqu’il arriva, la porte était grande ouverte et une grande agitation régnait ; il n’eut aucun mal à se faufiler à l’intérieur.

— Détective… ?

Pavel sursauta et se retourna. La fille MacKriel lui faisait face, les yeux rougis de larmes.

— Je… euh… Hum ! Que se passe-t-il ici ?
— Quelqu’un s’est introduit par la cuisine…

Un silence gênant s’installa pendant lequel Pavel écouta attentivement tous les bruits environnants, puis la gobeline reprit la parole.

— Êtes-vous disponible pour une enquête ?
— Je… quoi ?
— Il faut innocenter mon frère. Il n’aurait jamais tué notre père, il l’aimait bien trop, expliqua-t-elle en se tordant les doigts.
— Vous savez mademoiselle, quand l’argent s’en mêle… Si la police l’a arrêté c’est qu’il…
— La police n’a même pas pris la peine d’observer la scène, ils l’ont arrêté tout de suite parce qu’il avait du sang sur lui !

Il y eut un nouveau moment de flottement. S’il acceptait une enquête en dehors de son travail, c’était le renvoi assuré, il le savait : cela faisait partie du contrat qu’il avait signé. Et résoudre une enquête en autonome ne signifiait pas qu’il en aurait assez pour en vivre correctement ensuite. Il accepta pourtant.

— Par où s’est enfui l’intrus ?
— Je vais vous montrer.

Alors qu’il suivait la gobeline à travers les couloirs, l’esprit de Pavel tournait à plein régime. L’intrusion n’était pas forcément liée directement à l’assassin. L’annonce de la mort du vieux MacKriel avait pu tenter également bon nombre de cambrioleur.

— Il s’est enfui par cette fenêtre.

La gobeline désigna une fenêtre coincée dans une alcôve à laquelle il n’aurait sans doute pas prêtée attention en temps normal. Cette nuit-là, il était impossible de ne pas la remarquer pourtant : le grand vase qui devait y trôner fièrement jusque là était brisé sur le sol.

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