— Parlons-en de ce Hektor !

Le gobelin but une gorgée de thé et se brûla les lèvres. Il reposa brusquement la tasse sur la table basse. La veine de sa tempe gauche palpita légèrement et sa fille se pencha pour vérifier qu’il se sentait bien. Elle faisait preuve d’un dévouement et d’une attention exemplaire à son égard.

Le détective attendit poliment que son hôte se décide à reprendre la parole en s’efforçant de ne pas laisser son regard parcourir une nouvelle fois la pièce.

— Cet ingrat ! Bon à rien ! Feignant ! Il n’a jamais levé le petit doigt pour aider sa pauvre mère quand son père les a quitté ! Capricieux !

Une quinte de toux vint interrompre sa tirade et Pavel en profita pour adroitement glisser une question.

— Pour quelle raison a-t-il quitté le domicile familial ?
— Hektor ne nous portait pas vraiment dans son coeur, répondit la fille d’une voix douce. Il est parti en claquant la porte après quelques semaines de cohabitation difficile.

Le veuf se pencha pour finalement parvenir à boire quelques gorgées. Cela sembla le calmer et il se racla bruyamment la gorge.

— Hektor n’a pas donné de nouvelles après son départ, sauf quand il avait besoin d’argent ou d’aide. Je ne sais pas s’il a pu trouver du travail depuis la mort de ma femme, mais nous n’avions plus eu de nouvelle jusqu’à votre venue. Il ne s’est même pas présenté aux obsèques.

Pavel vint se gratter le bout de l’oreille et sourit d’un air désolé.

— Je suis navré de devoir vous replonger dans ces souvenirs.

Pris d’une nouvelle quinte de toux, le gobelin se contenta d’agiter sa main pour signifier que ce n’était rien. Alors que Pavel allait poser une nouvelle question, la porte s’ouvrit et un autre gobelin entra. Ses cheveux avaient les mêmes reflets miellés que ceux de la fille, et il devina qu’il avait affaire au deuxième enfant du veuf.

— Que se passe-t-il ici ? Je vous ai entendu vous emporter père.

Le lutin sourit cette fois-ci d’un air gêné et se leva pour saluer le nouveau venu. Ce dernier se contenta d’un bref hochement de tête.

— Ce monsieur est ici parce que la coccinelle de Mirma a disparue.
— C’était Hektor qui l’avait.

Le ton était cinglant et le jeune gobelin ne faisait rien pour cacher le mépris qu’il éprouvait envers son demi-frère.

— Justement, monsieur Girkel a fait appel à mes services pour…
— Elle n’est pas ici, l’interrompit sèchement le fils.
— Du calme. Mirma tenait énormément à cette coccinelle. Si nous pouvons aider à la retrouver…
— Père ! Cette ordure n’a trouvé que ça pour nous porter préjudice ! Cette coccinelle n’avait pas plus de valeur que ma chaussette gauche ! Monsieur, je vais vous demander de bien vouloir partir.

Pavel hocha la tête et les salua sans insister. Il fallait savoir se retirer quand le moment était venu. Et clairement, il n’avait rien à gagner à rester plus longtemps. Alors qu’il se faisait raccompagner par la fille, son regard accrocha une vieille photographie jaunie. Elle représentait une jeune gnome aux côtés d’une bien étrange coccinelle.

— Je crains fort qu’il faille prendre rendez-vous si vous souhaitez une nouvelle entrevue.
— Bien entendu.

Le lutin pinça le bord de sa casquette et inclina brièvement la tête avant de s’éloigner d’un pas vif. L’après-midi touchait à sa fin, mais s’il faisait vite, il aurait le temps de consulter quelques documents aux archives. Surtout maintenant qu’il savait où chercher.

Les archives de Bellwade étaient installées dans un immense bâtiment en forme d’oeuf. Les nombreuses baies vitrées reflétaient encore la lumière du soleil couchant quand il arriva mais déjà on allumait les premières lanternes pour la nuit.

— Salut Telm.
— Pavel. On ferme dans une heure.
— Pas de soucis.

Le réceptionniste jeta un regard par-dessus ses lunettes à Pavel qui lui fit simplement un signe de la main avant de s’éloigner vers la section qui l’intéressait. Le vieux lutin avait l’habitude de le voir parfois passer des heures entières le nez plongé dans d’obscures ouvrages scientifiques. Pavel prenait à chaque fois le temps d’échanger quelques paroles aimables avec lui.

Les pas du lutin le menèrent finalement à la section concernant l’ingénierie gobeline. Il avait vaguement entendu parler de cette mode qui consistait à investir dans des animaux de compagnie mécaniques qui ne pouvait jamais mourir. La durée de vie de la plupart des insectes était bien courte comparée à la leur, et une entreprise avait cette idée pour empêcher les chagrins répétés des jeunes enfants — l’entreprise de Mirma Grikel, la défunte mère de son client.

La coccinelle qui avait disparue devait être l’un des tous premiers prototypes, et la femme avait dû y attacher une valeur sentimentale inestimable. Il pensa avec contentement que sa disparition devait donc bien avoir un lien avec sa mort récente.

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