Dans la nuit noire, un loup fit longuement entendre sa complainte, déchirant le silence telle une lame acérée. Après quelques secondes de lutte acharnée, ce dernier eut finalement le dernier mot et imposa son respect à la bête poilue.
L’homme tourna les talons et scruta l’horizon. Au loin, des lumières dansaient et venaient briser la monotonie de la nuit. Un rictus se dessina sur son visage. Dans la lueur des flammes, des hommes devaient se saouler et faire la fête sans s’imaginer une seconde ce qui se préparait au-dessus d’eux.
L’ascension de cette montagne leur avait pris toute la journée. Il tenait à peine debout, assailli par la fatigue. Mais il se devait de ne pas flancher maintenant qu’il était si près du but. Il fallait que tout soit parfait pour la partition finale de sa vie.
L’air était glacial. Frissonnant, il resserra son manteau et se détourna de l’horizon pour se tourner vers l’entrée de la grotte.
–Chef, qu’attendez-vous pour y aller ? demanda l’homme qui se trouvait à sa droite.
–Je ne veux pas me précipiter et risquer de compromettre la suite des événements. Restez ici et attendez mon signal, ordonna-t-il.
Il fixa de nouveau l’entrée de la grotte. Il était grand temps d’y pénétrer.
Il souffla sur ses mains gelées pour tenter de les réchauffer un peu puis commença doucement à se diriger vers l’entrée. A mesure qu’il avançait, il sentait la pression monter lentement. Ses battements de cœur s’accéléraient et, malgré le froid, de la sueur dégoulinait de son front. Il n’était plus qu’à quelques pas de la délivrance.
Enfin, dans un petit soupir de soulagement, il fit son premier pas dans la grotte…
Son cœur battait plus fort que jamais et ses mains tremblaient, sans qu’il ne sache si c’était de froid ou d’excitation.
Passé ce premier pas solennel, il continua d’avancer et pénétra plus profondément dans la grotte, avançant au ralenti.
Elle n’était pas très profonde, une vingtaine de mètres tout au plus. Des squelettes d’animaux jonchaient le sol de toutes parts et des colonnes de roche se situaient tout autour des parois avec à leurs sommets, des globes de lumière éclairant la grotte dans ses moindres recoins. Au centre se trouvait un charme cerné de quatre statues représentant de grandes créatures ailées. Composé d’une substance noire qui ressemblait fortement à de la suie, le charme représentait un œil avec, en lieu et place de la pupille, un triangle. Des éclairs partaient de l’extrémité de l’œil et revenaient en son centre. Jamais il n’avait vu tel symbole. Tout était exactement comme l’avait décrit la personne qui lui avait permis d’arriver jusqu’ici.
Il émit un petit sifflement et aussitôt, les cinq soldats et son lieutenant apparurent dans la lumière des globes.
–Protégez l’entrée de la grotte et veillez à ce que personne ne pénètre dedans, dit-il, même si je doute que nous ayons de la visite…
Il se tourna ensuite vers son lieutenant.
–Ne quitte pas ce charme des yeux surtout…
–Laissez-moi venir avec vous. Qui sait ce qui vous attend là-bas, vous aurez peut-être besoin de moi, votre Excellence.
–Reste ici avec les autres…
Il se tourna ensuite vers le charme et le contempla durant de longues secondes.
Il prit une grande inspiration et entra au centre de l’oeil dessiné à même le sol…
Très vite, le monde se mit à tourner si vite qu’il ne distinguait plus rien, seulement un tourbillon de noirceur infini. Il tournait sur lui-même à une vitesse folle. Si bien que, très vite il sentit une migraine commencer à s’emparer de sa tête pendant qu’il flottait dans ce tourbillon, comme aspiré. Il avait l’impression de voyager dans le Royaume-Sans-Nom avec cette étrange sensation, comme s’il avait quitté le monde des vivants. Il ne sentait quasiment plus son corps, comme si celui-ci s’était détaché de sa tête. Il ne savait pas non plus depuis combien de temps durait ce phénomène. Quelques minutes ? Quelques heures ? Quelques jours ?
Puis, alors qu’il avait l’impression que sa tête allait exploser, tout reprenait forme autour de lui. Ses pieds rentrèrent enfin en contact avec une surface dure et plane, le tourbillon cessa et la lumière revint peu à peu.
Tout redevenait enfin normal.
Il ferma les yeux, haletant et reprit lentement ses esprits, revenant progressivement à la réalité. Sa migraine avait disparu et il se sentait de nouveau en pleine forme, bien qu’un peu secoué.
Il rouvrit lentement les yeux et contempla le lieu où il se trouvait. Il était dans une salle au mur de pierre sombre deux fois plus petite que la grotte. Au centre cette pièce, de fines tentacules de lumières rouge partaient du plafond et du sol et se rejoignait dans une sorte de petit tourbillon. Dans ce genre de petit nid lévitait une orbe de la même couleur que les tentacules. Cette orbe émettait une petite lumière rayonnante et chaleureuse qui se diffusait dans toute la salle. La pièce était étrangement calme et paisible, dégageant ainsi une atmosphère extrêmement feutrée. Il aurait pu y rester toute sa vie, tant il s’y sentait bien.
Mais malheureusement, il avait d’autres desseins en vue…
Même à quelques mètres de l’orbe, il arrivait déjà à sentir sa toute puissance.
Ne pouvant attendre plus longtemps, il avança et se campa devant l’objet qu’il convoitait depuis plusieurs semaines. Il savoura quelques secondes sa réussite, le moment qu’il avait tant attendu arrivait enfin. Désormais, plus rien ne pouvait se mettre en travers de son chemin.
Inspirant un grand coup, il prit l’orbe entre ses mains et la contempla avec admiration. Au contact de sa peau, elle devint de plus en plus rayonnante et un bruit sourd avait à présent fait son apparition. Mais comme hypnotisé, il fixait toujours l’orbe et ne semblait pas prêter attention à ce phénomène, ne remarquant même pas qu’elle s’était mise à trembler.
Soudain, l’orbe lui échappa des mains et volait désormais à travers la pièce en rebondissant sur les murs. Le bruit se faisait de plus en plus oppressant, l’air s’était épaissit et il était désormais à genoux, les mains autour de sa gorge, arrivant à peine à respirer. Autour de lui, les murs commençaient lentement à se désagrégeaient et les tentacules de lumières rougeâtre bougeait dans tout les sens telles des furies. Elles frappaient les murs violemment, laissant des marques de brûlure sur la pierre et faisant voltiger des débris qui venaient se briser en mille morceaux sur le sol. Ajouté au bruit assourdissant qui semblait monter tout droit des entrailles de la montagne, cela devint vite insupportable pour ses oreilles. Un pan de mur lui frôla le visage et vint s’éclater à quelques centimètres de lui. A genoux, impuissant, il avait l’impression que l’apocalypse se déchaînait autour de lui.
Puis soudain, tout s’arrêta brusquement. Les tentacules se figèrent, les morceaux de murs restèrent suspendu en l’air et le bruit cessa soudainement, laissant la pièce dans un silence glacial. L’orbe s’arrêta en plein vol, juste au dessus de son visage, émit un petit sifflement puis… Plus rien… Le silence total…

Proximité de la forêt de Barin, quelques mois plus tôt.

A bout de souffle, Nicolàs était pourtant obligé de continuer à courir. Derrière lui, ses poursuivants ne le lâchaient pas d’un pouce. Pire, ils gagnaient même du terrain sur lui. En cette belle fin de journée d’été, il faisait une chaleur écrasante, si bien que Nicolàs était trempé de sueur sous son chemisier et il commençait vraiment à être déshydraté. Devant lui se dressait fièrement la forêt de Barin qui, en cet instant était sa seule et unique chance de survie.
Jetant un coup d’œil derrière son épaule, il faillit trébucher de surprise quand il vit que les soldats étaient beaucoup plus proches qu’il ne l’avait imaginé. Trouvant alors l’énergie du désespoir, il sentit monter en lui une poussée d’adrénaline qui lui permit d’accélérer un peu la cadence et de grignoter du terrain sur ses poursuivants. En ce moment, chaque centimètre était crucial. C’était une question de vie ou de mort et, pour l’instant, la balance penchait plutôt vers la seconde solution. Il n’osait même pas imaginer le sort que les soldats lui réservait si jamais ils venaient à le rattraper. Il ne faisait aucun doute que la mort l’attendrait au bout du chemin de torture qu’ils lui infligeraient.
A l’évocation de cette sinistre destinée, il accéléra encore un peu et se rapprocha de son salut.
Quand il pénétra enfin dans la forêt de Barin, Nicolàs s’autorisa deux secondes de répit puis repartit en trombe et s’enfonça plus profondément vers le cœur de celle-ci. Derrière lui, il entendait toujours le cliquetis des armures de fer des soldats qui le poursuivait. Analysant les options qui s’offraient à lui, Nicolàs décida de sortir des sentiers battus. Il comptait sur les arbres pour ralentir les soldats. En effet, le faible espacement entre les troncs les gêneraient à coup sûr. A cause de leurs larges armures, ils n’auraient pas la souplesse nécessaire pour les éviter alors que Nicolàs lui, avec ses vêtements léger, ne serait pas ralentit. Ce qui lui donnait un avantage certain. Après quelques minutes de course, il constata que sa stratégie s’avérait payante. Les soldats ne cessaient de se cogner contre les arbres et perdaient à chaque fois un peu de vitesse et d’équilibre. Plus les minutes passaient, plus la distance entre Nicolàs et ses poursuivants s’allongeaient, si bien que très rapidement, il ne les voyait déjà plus. Nicolàs lui, continuait inlassablement sa course virevoltante.
Autour de lui, la nuit commençait déjà à tomber et il serait bientôt contraint de s’arrêter car avancer de nuit dans cette forêt était tout bonnement suicidaire.
Au bout d’une demi heure de course effrénée, l’obscurité était telle que Nicolàs décida de s’arrêter. Même s’il n’entendait plus les soldats derrière lui, cette idée ne lui plaisait guère mais il n’y avait malheureusement pas d’autres alternative. Il serait bien inconscient de continuer alors qu’il n’y voyait pas à dix mètres. De plus, les bois grouillaient de prédateurs affamés et toujours prêt à croquer une proie, humaine ou animal. Il se mit donc immédiatement en quête d’un abri où il pourrait passer la nuit en espérant y être en sécurité. Même si la notion de sécurité était bien subjective dans cette forêt.
Si à première vue il avait semé les soldats, la peur demeurait et la prudence était de mise. Nicolàs se devait de rester sur ses gardes. Il erra dans la forêt pendant une dizaine de minutes avant de trouver un endroit convenable, au milieu d’une petite clairière.
Il fit un tour rapide des environs et commença à ramasser du petit bois. Après de longues minutes à tâtonner dans l’obscurité à la recherche de petites branches, il retournât à la clairière et prépara un foyer dans lequel il alluma un petit feu.
Alors qu’il n’était plus sous l’effet de l’adrénaline, Nicolàs sentit un pic de fatigue le submerger. Il se confectionna alors un matelas de feuille non loin du feu et s’y affala dessus. La chaleur des flammes lui chatouillant le visage, il s’endormit comme une masse, fatigué par les événements de la journée et la course éreintante qu’il venait de vivre.
Au milieu de la nuit, il fut réveillé par des bruits de pas autour de son camp improvisé. Il tendit l’oreille et constata avec soulagement qu’il n’y avait qu’une seule personne, ce qui le rassura un peu. L’inconnu s’approcha de lui, se pencha et mis sa main sur la sienne…

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