Un an plus tard

Là où elle attendait, plongée dans une profonde obscurité et perdue au milieu d’une multitude de galeries souterraines, Lou parvenait à entendre parler Nathan. Sa voix chaleureuse lui gon-flait le cœur. Que le bon vieux temps paraissait loin ! La vue im-prenable sur les étoiles, tous deux hissés sur un croissant de lune, la danse sous la neige et cette flûte qui déversait une mélodie ab-solument magnifique… Ces moments intimistes et troublants lui manquaient tant. Elle aurait tout donné pour en revivre ne fût-ce qu’un seul. Son visage s’affaissa. Puis elle repensa à contrecœur aux ombres sinueuses, tenaces et un frisson lui remonta le long de l’échine.
Nathan ne se trouvait pas loin. Il maîtrisait encore l’art de l’illusion, mais ne se cachait plus. Malgré une visibilité idéale sur la salle de bains de sa maison – bon sang, il avait une maison ! –, Lou ne pouvait pas toucher son inconnu. Il lui aurait cependant suffi de tendre les bras pour le serrer contre elle. C’était compter sans la mince barrière invisible qui les séparait, celle qui avait à peine vibré la première fois que Lou avait foncé dedans : un miroir. Dans cet endroit désert que constituaient les galeries, elle misait beaucoup sur la vue et guettait l’arrivée de Nat.
Baignoire en émail plaquée contre le mur à droite avec robinet chromé, étagère en bois face à Lou, sous lequel trônait un lavabo, peinture murale blanche et parquet fraîchement ciré à en juger par l’odeur. Tout. Elle distinguait et entendait tout depuis sa pé-nombre. Cachée dans un angle mort de son tunnel, elle vivait chaque instant de cette pièce.
Une voix familière et féminine résonna dans le couloir, que Lou entrapercevait si quelqu’un entrait ou sortait par la gauche. La porte débouchait sur un petit corridor toujours sombre.
— N’oublie pas de passer chez le joaillier, chéri.
Le battant s’ouvrit sur Nathan, vêtu de son habituel pantalon et d’une chemise claire assortie. Il s’approcha du miroir afin de réa-juster sa cravate.
— Oui, oui, assura-t-il.
Il semblait heureux. Tellement heureux que Lou hésita à appa-raître devant lui. Comment réagirait-il ? Peut-être pas si mal : il demeurait le maître de l’illusion, après tout. Malgré l’année écou-lée et les derniers évènements, il restait le roi dans son domaine, celui qu’elle admirait en silence. Son petit homme des rêves. Une simple apparition dans une glace ne devrait pas l’effrayer. Il avait connu pire : des ombres de soldats allemands, une faille qui tentait de l’engloutir. Lou se fit néanmoins violence pour convaincre sa raison et ne pas intervenir. Nathan avait changé, tant qu’il en avait oublié ses instants avec elle. Tant encore que ses tours de passe-passe n’étaient plus que poudre aux yeux. Il se produisait dans un théâtre minable, impressionnait les familles du coin, le tout grâce à des trucs et astuces de magicien. Un banal prestidigitateur, voilà ce qu’il était devenu. Sa mémoire et sa superbe envolées, il res-semblait à n’importe quel homme originaire de la Vieille ville. Lou le contempla encore un instant qui lui parut durer une éternité. La joie qui peignait les traits de Nat la déstabilisa. Ne plus le voir avec un pli perpétuel barrant son front était étrange. Avait-elle le droit de briser ce bonheur ? Elle prit une profonde inspiration, consciente de menacer une existence dont son ami avait peut-être toujours rêvé. Elle s’éclaircit la voix et frappa trois petits coups de son côté, qui s’apparentait davantage à une vitre. Nathan sursauta.
— Bonjour, salua-t-elle en se matérialisant dans le miroir.
Il fit un bond en arrière, scruta la glace, puis se ressaisit. Son regard brillait moins qu’autrefois et le rendait morose malgré toute l’allégresse que Lou lisait dans ses yeux.
— Je comprends, maugréa-t-il. Une illusionniste qui tente de prendre ma place. Bien joué, mademoiselle, mais je suis meilleur que vous.
Il lissa les plis de sa chemise.
— Veuillez quitter ma salle de bains, je vous prie, ordonna-t-il en tournant les talons.
Le visage de Lou s’empourpra de colère. La déception lui assé-na l’équivalent d’un coup en pleine poitrine. Elle espérait qu’il réaliserait, que des éléments lui reviendraient en mémoire en la voyant. Mais rien. Le néant, celui dans lequel elle vivait depuis douze mois sans boire ni manger, sans même en ressentir le besoin. Elle tâcha cependant de garder son calme. Cracher son venin à la figure de Nathan le ferait fuir et la discréditerait. Il ne croirait jamais une folle furieuse dont il pensait qu’elle usait de tours mi-nables pour lui apparaître. Il s’apprêtait à quitter la pièce.
— Je vous cherche depuis un an, mon ami, avoua-t-elle.
Il s’arrêta net, la main sur le pommeau.
— Un an, attendez une minute, réfléchit-il sans se retourner. Je me souviendrais de vous, quand même. Non, vraiment, votre tête ne me rappelle rien.
— Louise ! Lou Mira Vor.
Il pivota sur ses talons. Le cœur de la jeune femme bondit dans sa cage thoracique. Quand elle leva enfin les yeux sur Nathan, il la dévisageait.
— La constellation à mon nom, les frères Montgolfier, énumé-ra-t-elle d’une petite voix. Toutes ces choses fabuleuses que vous m’avez montrées.
— Navré, je ne donne pas dans la représentation privée. Vous devez me confondre avec un autre. Encore que…
Une once d’espoir envahit Lou.
— Encore que ?
— J’ai connu une Louise autrefois.
Lou n’en crut pas ses oreilles. Nathan avait conservé des bribes de mémoire, même s’il s’en cachait auprès de sa fiancée. Lou les observait depuis plusieurs jours et pas une fois, il ne l’avait men-tionnée.
— Elle est morte, confia-t-il d’une voix blanche.
Lou serra le poing. En fin de compte, il n’avait pas beaucoup changé : il traînait cette habitude d’annoncer les mauvaises nou-velles au moment le plus inattendu. Il aimait toujours jouer sur l’effet de surprise. Quoi de plus logique ? Son métier consistait à surprendre. Lou avait ouï dire que son spectacle attirait les foules. On ne parlait que de lui dans les rues de la Vieille ville.
— Vous devez vous tromper, balbutia Lou. Je suis cette Louise.
Nathan la dévisagea et en même temps, elle n’avait jamais lu autant de tristesse en lui.
— Je ne crois pas. Elle est partie à la suite d’un malentendu, je ne l’ai jamais revue.
— Et c’est ce qui vous persuade de sa mort ? Qu’elle ne soit pas revenue ?
— Il ne peut en être autrement. Ses reins menaçaient de lâcher à tout instant. Elle accumulait les dialyses et moi… moi, je regar-dais, impuissant.
Les yeux de Nathan se voilèrent.
— Enfin bref, cette ère est révolue, déclara-t-il. J’ai préféré passer à autre chose.
Son intérêt pour Louise intrigua tout à coup la jeune femme. Il fronça les sourcils.
— Pourquoi je vous raconte tout ceci, d’abord ?
Elle éluda la question.
— Je vous ai attendu.
— Ne dites pas de bêtises, mademoiselle.
Elle s’étouffa d’indignation.
— Je ne suis pas partie. Un an ! cracha-t-elle. Un an que j’erre dans ces tunnels, que je vous cherche. Pour vous, je ne suis sans doute qu’un reflet dans un miroir, mais je possède une conscience propre. J’avais un corps auparavant. J’ai tout perdu.
Nathan la regarda avec une douce surprise.
— Impossible. La Louise que je connaissais n’avait déjà plus rien.
— Je vous avais vous !
Lou avait envie de crier, de hurler à cet inconnu suffisant qu’il commettait une grave erreur, qu’elle n’était pas morte, mais bien réelle. Elle espérait tant de lui. Elle attendait qu’il accepte de re-devenir comme avant, qu’il rompe le mauvais sort et lui rende son corps. Cependant, en son for intérieur, elle savait que sa seule chance de survie, qui reposait sur lui, restait moindre. L’éternité la condamnait sûrement à errer dans le réseau de miroirs, à le regar-der tisser sa vie, celle qui ne lui correspondait pas. Son visage s’affaissa.
Difficile de le convaincre et insister ne servirait à rien. Il s’était donné l’illusion d’une existence parfaite ; il y croyait dur comme fer. Mais Lou se damnerait pour lui faire entendre raison. Elle s’accrocherait parce qu’elle n’avait plus que lui. L’espace d’un instant, elle songea à explorer la demeure afin de trouver les failles de cette vie idéale. Elle finit par renoncer. Le réseau de glaces s’avérait complexe, elle risquait de s’y perdre et de ne jamais retrouver le chemin vers la salle de bains. Le monde était si vaste ! Elle pouvait se rendre n’importe où, mais chaque destination devenait une surprise. Elle donna un coup rageur dans le miroir. Stoïque, Nathan le repositionna avant de quitter la pièce.
Elle n’apparut plus durant une semaine et s’octroya une période de réflexion. Finalement, elle se fraya un passage jusqu’à l’entrée. Un grand miroir y occupait la moitié d’un mur. Un portemanteau en bois trônait près de la porte. Il y avait un tapis, quelques huiles sur toiles qui représentaient des natures mortes. Lou ne connaissait pas à Nathan ce goût pour la peinture. Le carrelage brillait comme s’il venait d’être lavé. Pourtant, aucune odeur ne parvenait à la jeune femme. Le petit hall paraissait neutre de parfum. Un bou-quet de roses rouges s’épanouissait toutefois dans un vase transpa-rent posé sur une tablette, en bois elle aussi. Tapisserie prune, chambranles blancs. Malgré le manque de personnalité de l’endroit, Lou pouvait y ressentir une certaine chaleur. Humaine. Se pouvait-il que Nathan fût vraiment tombé amoureux ?
Elle en profita pour se promener dans la demeure en dépit des risques de s’égarer. Deux chambres, dont une d’enfant. De petite fille si elle se référait à la présence des poupons. Doubles rideaux pourpres aux papillons imprimés, meubles blancs, commode à trois tiroirs, des photos de famille. Partout. Des sourires, des regards pétillants, des mines radieuses. Cette maison respirait le bonheur.
Au bout de ces sept jours, Lou se montra à nouveau dans la salle de bains.
— Encore vous ? s’écria Nat.
Mais de sa stupéfaction émanait plus de l’agacement.
— J’ai visité votre bicoque, annonça Lou sans se laisser dé-monter. Jolie.
— Impossible.
En dépit de sa peine, Lou parvint à lâcher un rire amusé. Nat la considérait d’un œil soupçonneux, celui qui disait je ne vous crois pas, mais expliquez quand même.
— Il me semble que vous avez une petite fille ? reprit-elle.
— Pas moi. Savannah. Elle l’a recueillie il y a environ un an. Une mendiante.
— Un peu comme Louise ? Votre Louise ?
Il y eut un silence.
— Je pensais que vous étiez elle ? articula Nathan.
— Vous pensez que je mens, alors…
Il soupira, mais contre toute attente, il s’assit sur le rebord de la baignoire, prêt à écouter l’histoire de Lou.
— Il faudrait savoir, dit-il. Un jour, vous êtes elle, le lende-main, plus tout à fait.
— C’est vous qui êtes différent. Vous avez changé de vie. Il y a un an, vous combliez à peine la solitude. Vous cherchiez quelque chose, quelqu’un : Mécanique Asylum.
Nathan arrondit les yeux de surprise.
— Le tueur en série ? voulut-il s’assurer.
Lou acquiesça.
— Vit-il toujours en liberté ? demanda-t-elle.
Elle ne disposait que de maigres informations sur l’extérieur. En dehors des habitations, elle n’avait pas vraiment l’occasion d’errer ailleurs.
— Oh que oui !
— Un jour, vous m’avez expliqué devoir le ramener chez vous. Il s’agit peut-être d’un ami, d’un frère. Un proche, vous ne me forcerez pas à admettre le contraire.
Nathan émit un rire nerveux qui tint d’ailleurs plus du ricane-ment. Un détail clochait dans son attitude. Il écoutait Lou et don-nait l’impression de la croire plus que de raison, à lui accorder le bénéfice du doute.
— Connaissez-vous la notion de confiance ? finit-il par de-mander.
Lou lui adressa un regard étonné.
— L’instinct de l’homme veut que l’on ne place pas sa con-fiance en le premier venu. Or, vous êtes la première venue.
— Et Savannah ?
— Elle, c’est différent. Moi, je vous parle bien que je ne sache rien de vous. Qu’est-ce qui me garantit que vous n’êtes pas…
Il s’interrompit.
— Que je ne suis pas ? demanda Lou.
— N’importe qui. Lou Mira Vor, je connais ce nom. Et j’ai l’impression de vous connaître, vous. La sécurité m’incite cepen-dant à vous ignorer.
— Pourtant, vous m’écoutez en ce moment. Comme l’autre jour.
Nathan se leva et approcha la main du miroir. Il osa à peine le toucher.
— Donc vous n’êtes pas qu’un reflet ?
Il recula aussitôt.
— Pour l’instant, si, bredouilla la jeune femme, brisée par ce geste.
— Aïe.
— Comme vous dites.
Un silence gêné s’installa. Lou s’apprêtait à formuler une de-mande auprès de son ami. Une demande capitale. Elle cherchait à retrouver sa liberté. Seule, elle ne parviendrait à rien. Elle se sentait embarrassée d’intervenir ainsi dans une paisible vie, de devoir la détruire. Parce qu’il faudrait forcément en passer par là.
— J’ai besoin d’aide, annonça-t-elle.
— Pas de la mienne, j’espère.
— Justement… si. Vous êtes le seul à pouvoir…
— Oubliez.
— C’est aussi ce que vous avait dit Savannah quand Lydia m’a enlevée. Vous n’avez pas suivi son conseil. Vous n’en avez fait qu’à votre tête, fidèle à vos habitudes.
— Et où tout ceci m’a-t-il mené ?
— Ici, admit Lou.
Elle baissa les yeux.
— Et vous voilà enfermée dans un réseau de miroirs dont je ne soupçonnais même pas l’existence, rappela-t-il. Pourtant, l’illusion c’est mon truc.
— Ça n’a rien à voir avec l’illusion ! s’exclama Lou. Ça a à voir avec…
Elle préféra laisser sa phrase en suspens. Dire d’emblée la vérité risquait d’effrayer le nouveau Nathan qu’elle essayait de raisonner. Pour une fois, elle n’avait rien à gagner à se montrer honnête. Elle mentirait… et se rattraper après. Les faux pas devenaient parfois inévitables. Nat avait commis certaines erreurs. Elle aussi, du reste. Et ils étaient encore là. Certes séparés, mais bien en vie un an plus tard.
— Laissez-moi en paix, Louise.
Puis Nathan quitta la pièce.

Durant les jours qui suivirent, Lou ne put s’empêcher de guetter les conversations entre les deux jeunes gens. Elle avait conscience de faire irruption, d’une certaine manière, dans leur intimité. Sa curiosité devenait néanmoins insoutenable. Elle devait la satisfaire. Trop de vies étaient en jeu, à commencer par la sienne et par celle de Nat. Elle lui avait accordé sa confiance alors qu’il lui racontait des bobards depuis le début. Elle l’avait suivi, encline à l’accompagner jusqu’au fin fond de la Vieille ville s’il le fallait. Elle ne parvenait pas à tourner la page. Ce passé demeurait trop frais. Quant à l’avenir, rien ne supposait un an plus tôt qu’il de-viendrait ainsi. Aux dernières nouvelles, Savannah avait succombé à ses peurs dans le chapiteau de Lydia. Comment était-elle re-venue ? Comment avait-elle lutté ?
— Je pensais que vous m’aviez abandonnée, avoua-t-elle un matin alors que Nathan se rasait.
Surpris, il se coupa. Une goutte velours s’écrasa au fond du la-vabo.
— C’est magnifique, ce sang, déclara-t-elle d’une voix sans chaleur.
— Vous êtes folle à lier.
— Bien moins que vous, homme des rêves.
Pendant une fraction de seconde, Lou crut que son ami entrerait dans une colère noire. Elle lui parlait de choses qui n’avaient ni queue ni tête pour lui et il en avait sans doute assez de ses incursions.
— Vous débarquez souvent sans crier gare ? grogna-t-il en es-suyant la marque rouge.
Cette question extirpa à Lou un sourire sincère.
— Toujours ! répondit-elle. Un peu comme vous.
— Je ne vous connais pas. J’ignore d’où vous sortez ces his-toires à dormir debout.
— Alors, dites-moi d’aller au diable.
Nathan arqua le sourcil.
— Ne vous gênez pas, ajouta la jeune femme. De toute façon, seules deux possibilités s’offrent à vous : m’envoyer balader une bonne fois pour toutes ou m’aider.
Cette fois, elle ne comptait pas y aller en douceur. C’était à prendre ou à laisser ; elle désirait savoir.
— J’ai une famille, rappela Nathan.
— Elle ne vous appartient pas. Cette vie non plus.
— Là, c’en est trop ! Je vous somme de quitter ce miroir. Sortez de votre trou, montrez-vous si vous osez !
— Si seulement je le pouvais.
Une larme roula sur la joue de Louise.
— Dites-moi juste que vous vous souvenez de la constellation à mon nom ou des frères Montgolfier, ou encore de notre brève rencontre avec cet écrivain célèbre et surtout mort. C’est fou, non ?
Nathan eut un rire moqueur.
— Il ne s’agit que de souvenirs inventés.
— Pas avec vous. Tout devient possible, c’est…
Elle préféra cesser. Tenter de le convaincre lui causait plus de mal que de bien. Tout espoir était vain.
— Chéri ! retentit la voix de Savannah.
Le jeune homme hésita à répondre.
— Excusez-moi, dit-il en prenant congé.
Lou poussa un énorme cri de rage avant d’essuyer ses larmes d’un revers de manche. D’ordinaire, il aurait ressenti quelque chose à la voir pleurer. Il aurait essayé de se rattraper maladroite-ment. Il ne serait pas resté de marbre devant son chagrin. Le temps lui avait ôté toute empathie. Il se prenait pour le roi du monde avec ses spectacles. Il enchantait la population, lui vendait du rêve alors qu’auparavant, il le partageait volontiers sans rien demander en retour. L’homme qu’elle avait connu n’existait plus. Il avait disparu, s’était évaporé dans des souvenirs dont elle-même doutait à présent. Pourquoi luttait-elle, dans ce cas ? Pour qui, puisqu’une fois de retour, une fois sortie de ce maudit miroir, elle mourrait sans doute ? Elle se démenait au nom du courage parce qu’elle n’avait jamais failli. Elle s’était toujours battue corps et âme contre la maladie, contre la rue. Mon Dieu, ce que cela faisait mal ! Devoir se rendre à l’évidence. Même Nathan n’y pouvait rien ; il était finalement le seul responsable. Lui rejeter la faute. Mais quoi que l’avenir lui réservât, Lou se sentait prête à le suivre. S’il l’acceptait. Sa vie n’avait jamais été si fantastique qu’en sa compagnie. Elle se mordait les doigts de ne pas y avoir cru plus tôt.
Autour d’elle, tout baignait d’une noirceur presque totale. Elle errait depuis trop longtemps dans ces galeries. Elle voulait sortir, prendre une bonne bouffée d’air frais, se jeter dans les bras de Nathan même s’il ne comprenait pas la profondeur des liens qui les unissaient. Elle attendait une légère brise qui ne venait pas, la dernière avant la fin. Et partir avec des étoiles plein les yeux.

— Vous devez m’écouter ! s’écria-t-elle un beau matin.
Sa rancœur brûlait si fort qu’elle n’éprouvait aucun mal à la laisser jaillir. Nathan leva un visage blasé vers elle. Sa présence ne le surprenait même plus. La force de l’habitude…
— S’il vous plaît, écoutez-moi, reprit-elle, plus calme.
— Je ne demande qu’à célébrer mon mariage en paix, made-moiselle.
— Lou.
— Mademoiselle, insista-t-il.
Lou accepta malgré elle et malgré la colère qui cognait contre ses tempes. Son pouls martelait sa poitrine comme on dévale une colline.
— Ainsi, vous comptez épouser Savannah et élever cette enfant comme s’il s’agissait de la vôtre ?
— Parfaitement.
— Ce n’est pas votre vie ni ce que vous souhaitiez en faire.
— Qu’en savez-vous ?
La jeune femme haussa les épaules. À vrai dire, elle se fichait pas mal des contre-arguments de Nathan. Rien ne l’arrêterait.
— Regardez-vous, petit homme des rêves. Une future épouse, une gosse. Vous vous étiez fixé un objectif : ramener Mécanique Asylum chez vous.
— C’est ici, chez moi.
— Et votre bonheur ?
— Je suis très heureux avec Julie et Savannah.
— Et maintenant que vous menez une vie parfaite, à quoi rê-vez-vous ? De quoi sont fabriqués vos espoirs ?
Nathan ouvrit la bouche ; les mots s’évanouirent au bord de ses lèvres.
— Se pourrait-il qu’une infime partie de vous refuse cette exis-tence ? enchaîna Lou.
— Pas du tout !
— Vous mentez comme un arracheur de dents. Mécanique Asylum vous suit à la trace, n’est-ce pas ? Vous osez à peine sortir parce que vous ignorez quoi faire. Votre nouveau vous perd pied dans cette réalité qui ne vous appartient pas.
Nathan réfuta ces affirmations. Son visage ne traduisait aucune colère, aucune tristesse. Rien. Dénué de toute expression, il se contentait de fixer Lou. Simplement. Ses traits demeurèrent im-passibles. La jeune femme jurerait qu’il se donnait un mal de chien à se contenir. Il savait se maîtriser, dissimuler ses sentiments. Les effusions, très peu pour lui, pas à ce point. Sa pudeur parlait à la place de son cœur, celui qu’il ne possédait pas un an plus tôt.
— J’aurai tout tenté pour vous sortir de là, reprit Lou, la gorge nouée. J’y ai perdu un an de ma vie. J’aurais pu tout aussi bien abandonner sauf que je suis têtue comme une mule. Alors oui, j’ai essayé. Maintenant, osez m’affirmer le contraire. Regardez-moi dans les yeux et…
— Vous disiez que mon sang était magnifique. Si seulement vous pouviez poser une oreille contre ma poitrine, vous concevriez à quel point mon cœur bat. Je saigne. Il m’arrive de ne pas comprendre pourquoi cela m’étonne tant, mais quoi de plus normal que de saigner ?
— Vous ne pouviez pas, avant…
— J’aimerais que vous disparaissiez de ma vie, mademoiselle. Allez au diable !
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