Les deux jeunes gens quittèrent les environs du cirque sans tar-der au cas où les ombres décideraient de revenir. Nathan ne com-prenait pas l’allusion au miroir de l’une d’elles, ou alors il préférait ignorer la réalité. Il devenait si facile d’occulter ce qui l’arrangeait avec les années et l’expérience ! Il mettait souvent ses illusions au service de l’oubli ; ça convenait à tout le monde et surtout à lui, mais cette fois… rien n’allait dans le bon sens et il était l’unique responsable. Il avait semé une pagaille monstrueuse autour de lui, jusqu’au sein de sa propre vie, et commençait à récolter les fruits de sa bêtise. Savannah vivrait désormais dans un enfer sur terre, égarée dans une obscurité créée de toutes pièces. Et lui ne concevait plus pour sa part que deux seuls mots régissant son existence : Mécanique Asylum. Il lui avait promis. Promis. Malgré la douleur, la lassitude. Sa promesse lui restait maintenant en travers de la gorge. L’abnégation tant redoutée se creusait une place confortable dans son esprit.
— Vous avez perdu votre nouvelle copine en chemin ? ques-tionna Lou tandis qu’ils remontaient la Grand-rue vers la vallée et ses ruelles.
— Pas tout à fait. Elle a vraisemblablement succombé à sa peur, et c’est à moi qu’incombe la responsabilité de remettre de l’ordre dans cette ville.
Lou prit la main de son ami pour le rassurer de sa présence. Il apprécia le geste malgré le regard furieux qui pesait sur lui.
— En quoi est-ce votre faute ?
— Qui a parlé de ça ? répliqua-t-il. Quelqu’un doit se dévouer, c’est tout.
— Pourquoi vous ?
— Pourquoi pas ?
Il sentit une pointe d’agacement de la part de la jeune femme, mais l’ignora.
— Je ne vous ai pas remercié au fait, fit-elle en changeant de sujet.
— Inutile.
Un silence gêné s’installa. Nathan considéra Lou avec l’envie de lui dire qu’elle avait bonne mine, puis se ravisa. En réalité, il ne savait pas quoi raconter pour combler le calme apparent. Parce qu’il devinait que Lou bouillait à l’intérieur. Elle avait mille et une questions à lui poser et à peu près autant de reproches à lui formu-ler.
— Bien, et maintenant ? lança-t-elle avec emphase.
— On change la face du monde, avança Nathan avec amer-tume.
Lou précisa qu’elle préférait les réponses moins énigmatiques. Nat se targuait cependant de laisser planer le suspens. Il lui de-manda de raconter sa mésaventure : elle savait à peine ce qu’il se passait, seulement que des silhouettes s’agglutinaient dans la ca-ravane où elle se trouvait prisonnière. Elle ignorait si elle devait craindre pour sa peau ou si, une fois de plus, Nathan avait omis quelque précieux renseignement. Quoiqu’il en fût, elle le suivrait toujours à travers la ville presque déserte. Elle marcherait à ses côtés. Il y avait tant à apprendre de lui ! Elle soupçonnait sa vie d’être trop courte, mais peu lui importait si elle devenait trépi-dante. Voilà ce qu’elle expliqua sans détour, sans cacher sa fasci-nation.
— C’est étrange que vous ne me laissiez pas de côté, observa-t-elle avec malice.
— Si j’avais essayé, vous m’auriez fait un scandale.
— Je ne suis pas comme ça.
Nathan ricana.
— Oh si vous l’êtes.
Il l’entoura de ses bras et l’amena contre lui.
— Je suis navré, Louise.
— Abandonnez-moi ici.
Il l’écarta pour voir son visage. Les mots de Lou sonnaient comme un ordre.
— S’agirait-il d’un test ? hésita-t-il.
— Drôle d’idée.
— Alors quoi ? Que voulez-vous me dire ?
— Vous êtes revenu pour moi, au péril de la vie de Savannah. Et vous m’avez appelée Louise. Deux fois.
Il émit un profond soupir.
— Asseyez-vous, proposa-t-il en prenant place sur un muret qui tombait en décrépitude.
Son amie s’exécuta.
— Primo, je ne vois pas pour quelle raison je vous appellerais autrement. Louise, c’est bien votre prénom ?
— Non, Lou.
— Ne jouez pas sur les mots, Louise Mira Vor. Lou n’est qu’un diminutif.
— Quand nous nous sommes rencontrés dans la ruelle, vous m’avez demandé mon nom. J’ai répondu Lou. Pas Louise.
— J’ai supposé que…
La jeune femme porta l’index sur la bouche de Nathan.
— Vous supposez trop, homme des rêves. J’ai entendu une ombre vous appeler de cette façon. Dites-moi un peu, les gens de votre espèce sont-ils capables de s’infiltrer dans les cauchemars ?
— Je ne vois pas le but de votre…
— Répondez-moi. Pour une fois, montrez-vous honnête.
Lou le dévisageait. Ses traits se durcirent, ses lèvres se pincè-rent.
— Mais je suis…
Lasse, elle gifla Nathan.
— D’accord, céda-t-il. Je vous ai donné l’illusion de ne m’avoir jamais rencontré. L’illusion. On se connaissait déjà.
Le visage de Lou se figea. Ses yeux s’embuèrent. Voilà qu’en quelques mots, tout un univers s’écroulait. Nat le savait, raison pour laquelle il ne lui avait rien dit. Elle avait placé sa vie entre ses mains et il l’avait dupée. Elle agita la tête pour en déloger les aveux du jeune homme.
— Depuis quand ? articula-t-elle.
— Plusieurs semaines. Vous ne vous êtes pas demandé pour-quoi vous m’accordiez cette confiance aveugle ?
— Ce n’est pas le cas, mentit-elle.
— Et pourtant… murmura Nathan, peiné.
— Pourquoi être parti, puis revenu ?
— Pour les mêmes raisons qui me pousseraient à recommencer aujourd’hui. Je pourrais faire fleurir le muguet en plein hiver et vous en offrir un bouquet, vous décrocher les étoiles afin d’éclairer votre chemin. Ou disparaître de votre vie.
— Non, trancha Lou.
Nathan sentit toute la rage du monde se déverser en lui, brûler sa chair intérieure. Il s’en voulait tellement.
— C’est encore le mieux que je puisse faire, assura-t-il.
— Et nous ne nous reverrions plus jamais ?
— Plus jamais. Je dois vous rendre à votre existence.
— Ne pourriez-vous pas… balbutia Lou.
Toute colère venait de la quitter. Le ton qu’elle employait sug-gérait la mélancolie.
— Ma vie…
Elle espérait tant de cet homme, il le devinait. Un signe, un geste. N’importe quoi. Mais il restait de marbre face à ses appels.
— Non, non et non ! Je vous ai déjà dit que vous ne vivriez pas plus long…
— Je m’en moque ! Je vais mourir et je me suis préparée à cette idée.
— Pas moi.
Les mots semblèrent soudain flotter dans l’air. Plus rien n’existait autour des deux amis. Nathan constata avec effroi à quel point il maquillait ses propres ressentis, combien il feignait la réa-lité. Il ne s’agissait pas que d’illusion. Il se mentait et leurrait les autres avec ses brèves utopies. Il comprit qu’ils vivaient chacun à des années-lumière de l’autre, mais Lou resterait en sa compagnie. Parce que les mensonges de Nat lui procuraient du bien, qu’ils arrondissaient les angles, même si un jour la vérité risquait de re-faire surface. Parce qu’il fallait bien s’accrocher à quelque chose, à quelqu’un. Il lut tout ceci dans les yeux de son amie. Des yeux si vides et si expressifs à la fois.
— Un miroir ! s’exclama tout à coup Nathan, une lueur dans les prunelles. L’une des ombres m’a conseillé de me regarder dans un miroir, que je comprendrais.
— Comprendre quoi ?
Il fureta autour de lui. La vitrine d’une boutique éclairée par un lampadaire ferait l’affaire. Il se planta devant une large vitre, en approcha le visage, plissa les yeux et observa, Lou par-dessus son épaule.
— Je ne vois que votre reflet, maugréa-t-elle.
— Moi aussi, admit-il, tout à regret. Il n’y a rien. Rien qui puisse m’aider.
Bras ballants et mine déconfite, il tourna les talons.
— Nathan, que cherchez-vous à la fin ?
— Ma peur. Elle et moi avons quelques comptes à régler. Tous ici sont sujets à leurs cauchemars les plus profonds, sauf vous et moi. Oh, je ne m’inquiète pas trop vous concernant. Les ombres devraient réapparaître rien que pour vous. Quelle veine !
Lou fusilla Nat du regard.
— Moi je suis condamné à courir après ma hantise. Tandis que si ces choses vous atteignent, vous pourrez affronter la vôtre. Quoi de mieux que se retrouver nez à nez avec sa propre peur pour la braver ? Ou du moins pour tenter le coup. Vous avez une chance de vous en tirer, oh oui ! Une chance magnifique.
— Et vous ? s’enquit Lou.
Nathan haussa les épaules.
— Qui vivra verra. Vivez et vous saurez. Voilà une bonne rai-son de vous en sortir, non ? Je peux ouvrir les paris si vous le dé-sirez.
— C’est horrible de plaisanter là-dessus !
— Navré, j’ai appris à rire de tout. Je vous aime bien, Louise. Aussi vous demanderai-je de ne pas vous inquiéter pour moi. Vous atteindrez des sommets.
— Dans quel but ? Pour en tomber plus vite ?
Nathan afficha un air désolé et tenta de taire une fois de plus ses sentiments.
— Vivez ! lui ordonna-t-il. Ainsi, vous ne vous souviendrez que mieux de ceux qui vous ont entourée.
— Et pour les miroirs ? questionna-t-elle sur un tout autre re-gistre.
Nat perdit le fil de la conversation. Il ne pensait pas un traître mot de ce qu’il venait de dire. Il essayait de se convaincre de l’impensable.
— Mon reflet ne me paraît pas très loquace, plaisanta-t-il en s’avachissant sur le bord du trottoir. J’aurai au moins essayé.
— Et concernant ces gens ? S’ils ont peur…
— On ne saurait les laisser vivre dans ces conditions. Je me demande si les ombres se répandront un jour à la terre entière.
— Nul ne peut quitter cette ville, vous le savez bien. Ses rem-parts sont bien trop hauts.
Nathan leva un regard brumeux vers sa compagne, toujours de-bout à ses pieds.
— Vous oubliez les frères Montgolfier, rappela-t-il.
— Je n’ai pas l’intention de partir.
— Moi non plus, mais nous reviendrions.
— Il semblerait que monsieur Eugène ne vous ait pas tout ra-conté au sujet de cet endroit, comprit Lou. Quiconque en sort ne peut rebrousser chemin. C’est comme s’il n’existait pas aux yeux du monde.
Nathan respectait les croyances de Louise, celles des autres aussi. Cependant, l’envie de soulever une théorie intéressante le démangeait.
— Comment les habitants peuvent-ils en avoir ainsi la certitude, puisque nul n’est censé être jamais revenu ?
Lou resta bouche bée. Elle s’expliquait fort bien les raisons de telles convictions. Elle avait grandi avec, avait appris à ne pas enfreindre ces règles simples et n’acceptait pas qu’un inconnu ose les remettre en question.
— Je ne me risquerai pas à franchir ces remparts, trancha-t-elle. Libre à vous de jouer les cow-boys, mais il faudra vous passer de moi.
— Des soldats d’antan sont peut-être en train d’instaurer un règne de la terreur partout sur la planète ! Vous avez vu, je vous ai montré combien la Terre est belle.
Lou se résigna. Ses yeux furieux envoyaient des éclairs.
— Et alors ? Qui vous a proclamé sauveur de l’humanité ?
— Je ne me donne pas cette prétention. Vous ne comprenez pas.
— Si, je comprends très bien. Vous essayez de vous faire par-donner auprès de quelqu’un et vous pensez qu’arrêter ces ombres constituera une punition suffisante ! Jusqu’où comptez-vous aller comme ça ? Jusqu’à me perdre histoire de bien enfoncer le couteau dans la plaie ?
Nathan pâlit.
— Non, bredouilla-t-il. Pas vous.
— Parce que si c’est ça, donnez-moi une lame et je vous le plante moi-même dans les tripes.
— Louise.
La jeune femme se calma presque instantanément.
— Je ne voulais pas, désolée, s’excusa-t-elle. J’ai un peu de mal à vous suivre.
— Votre raisonnement est si étroit, grimaça Nathan. Pas juste le vôtre, celui de tous ces gens, ici et ailleurs. Vous résumez vos vies à cette ville et en considérez les remparts comme infranchissables. Si ça se trouve, cela fait tellement longtemps que vous vous en persuadez que c’est l’imaginaire collectif qui les a rendus si hauts.
Il marqua une pause, puis reprit avant que Lou ait l’occasion de parler. Elle s’apprêtait déjà à protester.
— Nous vivons si loin l’un de l’autre. Nos mondes se mêlent et s’entremêlent depuis la nuit des temps, mais aucun de nous ne sait apprivoiser l’autre. Il est trop tard pour ça, Lou. Ici, une ère nou-velle commence.
— Alors, faisons chacun pour soi et Dieu pour tous ?
— Impossible. Les ombres ne tarderont pas à vous trouver. Elles réaliseront que vous n’êtes pas atteinte.
— Je refuse de céder à la peur.
— C’est ça qui est formidable ! Vous avez toutes les chances de la vaincre, pourquoi hésiter ? Elles ne vous ont pas attaquée tout à l’heure, dans la roulotte.
— Vous n’y arriverez pas, ricana Lou. Vous ne parviendrez pas à me convaincre de quitter cet endroit, d’ignorer mes convictions.
— Je ne vous demande rien de tout ceci. Restez qui vous êtes. Ouvrez juste votre esprit.
— Hors de question. Pas au prix d’un non-retour.
Nathan soupira, mais il en demandait beaucoup à Lou. Beau-coup trop. Il n’était pas en droit d’agir de la sorte.
— Très bien, concéda-t-il au bout d’un moment. Après tout, je préfère régler la difficulté à sa source.
Lou plissa les yeux d’un air désabusé.
— Que me vaut ce brusque changement d’opinion ? interrogea-t-elle, suspicieuse.
Elle s’accroupit pour mieux faire face à Nat.
— Qui a dit que j’avais changé d’avis ? Nous ne quitterons pas cet endroit, juste moi.
— Et je vous attendrai bien sagement ici ?
Elle serra les poings et se releva d’un bond.
— Il faudrait savoir ce que vous voulez ! pesta son inconnu. Les remparts sont réputés infranchissables, souvenez-vous. Et puis, vous avez vos croyances.
— Je ne pensais jamais dire ça, mais… nous pourrions trouver une solution au problème en nous rendant de l’autre côté, proposa-t-elle. Chez les cauchemars.
— Oh, ça, non ! refusa Nathan en se hissant sur ses jambes. Je vous arrête tout de suite.
— Pourquoi pas ? Tout devient possible, là-bas, non ?
— À vrai dire, ici aussi. Avec l’arrivée des ombres, n’importe quoi pourrait se produire et tout un équilibre menace de s’écrouler.
— Et nous avec.
— Je n’ai pas pour habitude de tomber.
La jeune femme ne répliqua pas. Nathan se montrait si sûr de lui. Elle était persuadée qu’il s’agissait d’une erreur, mais n’en fit rien.
— Je sais que vous ne vous considérez pas comme un être hu-main, admit-elle.
— Je n’ai pas de cœur, pas de poumons.
— Mais vous pensez, vous créez l’illusion. À partir de là, vous pouvez vous inventer un cœur et des poumons.
— Une nouvelle vie, surtout.
Il hocha mollement la tête par la négative.
— Très peu pour moi.
— Ce serait une chic idée, au contraire !
Lou débordait d’un enthousiasme tout neuf : elle s’obstinait à rester en ville, lui refusait de devenir quelqu’un d’autre. À quoi bon insister ? Ils n’étaient que deux têtes de mules qui essayaient de se convaincre mutuellement. La raison de sa propre insistance échappait à Lou. Elle s’accrochait à du vent.
Un homme tout droit sorti de l’Angleterre victorienne la bous-cula soudain par mégarde. Il se tourna pour s’excuser. Courts che-veux bruns, moustache épaisse, cravate et costume. Un bourgeois de l’ancienne époque à en juger par sa tenue.
— Veuillez me pardonner, madame. Ma plume m’a glissé des mains et je crois avoir laissé échapper l’un de mes personnages.
Subjuguée, Lou écarquilla les yeux.
— Sir… ? s’exclama-t-elle.
— Oubliez, Lou, l’interrompit Nathan en saluant le célèbre ro-mancier.
Il la prit à part quelques mètres plus loin.
— Évitez d’adresser la parole aux célébrités locales, d’accord ?
— Vous avez bien causé avec les frères Montgolfier !
— Pour sauver ma peau. Imaginez un peu ce qui pourrait vous tomber dessus. Je préfère ne courir aucun risque.
La prévenance de Nathan toucha Lou avec une sincérité qu’elle croyait ne plus ressentir de sitôt en compagnie de cet homme.
— À cause des silhouettes ? comprit-elle.
— En partie, oui. J’ignore quel est leur impact réel sur les habi-tants, alors si les personnages de fiction et les écrivains morts s’y mettent…
Lou s’autorisa une moue entendue.
— Ça se tient, concéda-t-elle. Ça expliquerait même que vous m’ayez éloignée de la cabine bleue l’autre jour.
— Bien sûr que ça se tient ! renchérit Nathan en levant les yeux au ciel d’un air exaspéré. Supposez que vous croisiez Jack l’Éventreur, vous lui prieriez le bonjour mine de rien ?
Il considéra l’absence de réponse de la part de son amie comme une victoire. Néanmoins, la façon qu’avait Lou de s’avouer vain-cue malgré la rareté du phénomène indignait le jeune homme. Il encourageait de loin une conversation honnête dans laquelle cha-cun se retrouvait.
— Le sens de la repartie ne signifie plus rien si tout le monde passe ses opinions sous silence comme on met du jambon sous vide, maugréa-t-il.
— J’admets ne pas vous suivre sur ce coup-là.
— Le cerveau humain est conditionné pour débattre, pour se faire entendre. Sauf que les gens préfèrent tous marcher dans le même sens à la manière des moutons. Vous savez, bêêêê.
Il mima le mouton, soutirant ainsi un rire léger à Lou, mais elle retrouva vite son sérieux.
— Oui, oui, et après ? insista-t-elle.
— Eh bien, je compare ici le cerveau humain à du jambon sous vide. Bourré de cochonneries, d’idées reçues. C’est le cas pour la sorcellerie. Les habitants sont bornés. Ce n’est pas leur faute, on leur raconte des histoires depuis si longtemps. Néanmoins, la sor-cellerie n’est qu’une science dont ils ignorent les méandres.
— Et depuis quand faites-vous grief, vous ?
— Je vous l’ai dit, Lou. Vous ne connaissez rien de moi.
Nathan tentait de convaincre la jeune femme ; elle devait se rendre à l’évidence. Il était sorti de nulle part pour la protéger et faisait état de mystères autour de sa vie. Volontairement. Ce n’était ni un jeu ni de la frime.
— Nous devons refermer la faille, annonça-t-il. Et quand je dis nous, je pense à moi.
Lou roula des yeux.
— Vous êtes impossible.
— Mais non. Je suis sûr que vous exagérez.
— Comment procède-t-on ? soupira Lou. Et quand je dis on, je pense à vous, bien sûr.
Nathan afficha un sourire forcé.
— Bien sûr. Vous n’êtes pas de ceux qui se jettent dans la gueule du loup.
— J’accepte de vous y accompagner si vous me promettez monts et merveilles.
— N’espérez pas m’attendrir avec ce genre de proposition. La déchirure doit être murée à sa source. Au sens propre du terme. Ce qui inclut de se rendre dans la cave de cet immeuble… au milieu des ombres.
— Personne n’y survivrait. Pas même vous.
— Possible, mais au fond, qu’est-ce que vous en savez ?
— Vous ne vous essaieriez pas à une folie pareille.
— Vraiment ?
Il défia Lou du regard.
— Oui, assura-t-elle. Vous avez renoncé à me sauver dans le cirque, la première fois.
— Je suis revenu.
— Après vous être accordé le temps de la réflexion.
— Un luxe, plutôt, souligna Nathan.
— Si vous voulez. Toujours est-il que vous n’avez pas pris de risques inconsidérés comme vous essayez de me le faire croire maintenant. Ramper parmi les ombres pour refermer cette maudite faille est impossible. Si ces choses sont si dangereuses, pourquoi songer ne serait-ce qu’un seul instant à les berner ? À quoi bon espérer ? Vous vous bercez d’illusions, mon pauvre ami.
— Je ne suis pas votre… oh et puis zut ! Je suppose que vous avez raison.
La jeune femme arqua le sourcil.
— Vous pouvez répéter ? Non, parce que là, je ne suis pas cer-taine de…
— Vous avez bien entendu. Il m’arrive parfois de m’emporter dans les excès. C’est bien que quelqu’un m’aide à calmer mes ardeurs. Je devrais apprendre à lever le pied, ne trouvez-vous pas ?
Elle acquiesça d’un vague signe de tête.
— Je dois filer, rappela Nathan d’une voix grave.
Il se mit en marche vers la place.
— Où ça ?
— Je viens de vous le dire. Au bord de la faille.
— Mais… je croyais que…
— Vous croyiez, voilà le problème. Il faut être sûre, jeune de-moiselle. Et avec moi, on n’est jamais sûr de rien. Je parlais d’être votre pauvre ami.
— Très bien ! s’écria Lou en levant les bras d’un air dépité. Faites-en à votre tête si le cœur vous en dit. Moi, je ne cautionne-rai pas vos actes aventureux.
Nathan s’immobilisa et pivota sur ses talons pour affronter sa compagne du regard.
— J’ai mûrement réfléchi, Louise.
— Et moi donc ! Je vous attendrai sur la place.
En dépit des adieux qui se profilaient, il afficha une mine satis-faite. Il épargnerait au moins ce détour à Lou. Son sourire s’évanouit soudain. C’était à lui qu’il ne l’éviterait pas. Il refusait de ne pas pouvoir la protéger, aussi préférait-il lui lâcher la main avant l’instant fatidique. Pour ne pas lire la déception dans ses yeux vides.
— Marché conclu, accepta-t-il. Je reviens vite.
Lou le regarda s’éloigner, puis disparaître dans la nuit. Ses prunelles brillèrent un peu plus à chaque pas qui les écartait l’un de l’autre. Elle s’inquiéterait pour lui, elle avait raison. L’immeuble devait être infesté d’ombres, maintenant. C’était de la folie.

_________________
Vous pouvez me soutenir ainsi que ce roman et l’auto-édition en l’achetant en numérique/papier : http://aude-reco.iggybook.com/fr/faiseur-de-reve/ ou en devenant l’un de mes tipeurs : https://www.tipeee.com/aude-reco
Merci ♥

69