La soirée battait son plein en cette spéciale « Legends of Rock’n’Roll », organisée par l’Appart Kfé. Des étudiants de tous horizons se partageaient la piste de danse et se mouvaient au rythme des plus grands classiques.

Assise au bar, elle sirotait un cocktail au nom imprononçable, spécialement inventé pour l’occasion par un barman zélé. Elle s’ennuyait et ne cessait de jeter des regards désemparés vers l’entrée, impatiente. Le temps semblait s’être arrêté, la laissant au supplice. Quand viendrait enfin l’heure de jouer son rôle dans cette histoire ?

Un étudiant passablement éméché heurta son tabouret. Il baragouina quelques mots d’excuses qu’elle ne comprit pas, et la congratula sur sa tenue. Un sourire carnassier s’étira sur les lèvres de l’inconnue alors qu’elle réajustait sa capuche de velours noir. Elle le remercia chaudement, et reprit sa contemplation de la foule. De jeunes ingénues reprenaient en chœur le refrain insupportable d’un morceau des Stones, pendant que d’autres se contentaient de vider shooters sur shooters à quelques pas d’elle. Une foule de crétins alcoolisés, pensa-t-elle sournoisement. Elle passa la langue sur ses dents, excitée par les hormones qui emplissaient le bar. En elle, la Bête exultait, la suppliant de commencer le jeu. L’inconnue gloussa sensuellement. Tout se passait selon son plan.

Elle étudiait avec attention chacun des danseurs, à la recherche de la proie idéale, celle qui ne résisterait pas à ses charmes et lui permettrait de s’amuser un instant. Elle n’avait pas choisi l’endroit par hasard, bien au contraire, l’ironie que lui offrait cette soirée à thème l’avait transportée au-delà de ses espérances. Après tout, ce n’était rien de plus qu’un jeu pour elle.

Elle se décida finalement pour un étudiant étranger, l’un des piliers de comptoirs aperçus plus tôt. Elle le fixa sans ciller jusqu’à ce qu’il quitte des yeux sa partenaire et croise son regard. En un instant, il oublia jusque son propre nom : il ne voyait plus que cette envoûtante jeune femme cachée dans l’ombre.
D’une démarche féline, elle traversa la foule et rejoignit le malheureux qui repoussa immédiatement la donzelle avec qui il dansait jusqu’à présent. Cette dernière, hargneuse, insulta la morue qui venait de lui voler son nouvel étalon. La Bête rongeait les barreaux de sa cage, stimulée par la colère émanant de sa rivale. Elle ne demandait qu’à la mettre en pièces, ici et maintenant. L’inconnue caressa sensuellement la joue de sa future victime, envoyant une décharge de phéromones au plus profond des abysses et calma une nouvelle fois la Bête. Bientôt, la rassura-t-elle.

Elle laissa courir ses doigts dans la nuque de sa proie et joua avec une mèche de ses cheveux bruns ; les muscles du jeune homme se contractèrent sous le désir, sa respiration devint saccadée, des frissons traversèrent son corps. Une goutte de sueur glissa sur son front. Elle se mordit la lèvre inférieure, ravie ; la partie était gagnée. Elle le prit par la main et le guida vers les toilettes mixtes ; le jeune imprudent ferma le loquet d’une main tremblante, au comble de l’excitation. La Bête prit le contrôle. Elle le saisit par le cou et le plaqua contre le mur. Les jambes de l’étudiant battaient l’air frénétiquement, ses gémissements de douleur étouffés par la batterie assourdissante d’AC/DC. Elle approcha son visage et lui lécha l’oreille, emplissant ses poumons avec la terreur de sa victime. D’un geste sûr, elle plongea sa main dans sa poitrine, en sortit une ombre rougeâtre qu’elle remplaça par une substance filamenteuse noire. L’âme volée fut détruite instantanément, ne pouvant survivre hors de son hôte. Le regard effrayé de l’innocent fit place à une lueur malsaine, une rage incontrôlable.
La Bête siffla :
— Amuse-moi.

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