Les Marines qui étaient restés sur la place furent rapidement submergés par ce raz-de-marée vivant, mené par deux brutes qui rien ne semblait effrayer. Les Marines coloniaux étaient des soldats, des hommes attirés par une vie aventureuse et une bonne solde à la fin du mois. Cela suffisait parfois pour mettre ses principes de côté, au moins quand on était en service. Mais avoir une bonne paye ne servait à rien si on n’était plus en vie pour profiter. La plupart déposèrent donc les armes. Il faut dire pour leur crédit que pas un ne manifesta la moindre peur en voyant les visages de leurs ennemis. Certains souriaient même.

Les quelques-uns qui continuèrent le combat tombèrent sous les flèches des centaures, ou les épées des faunes.

Les colons s’étaient rapprochés les uns des autres, ne sachant s’ils devaient remercier ces êtres ou leur implorer pitié. Les deux chevaliers qui portaient des armures brillantes s’approchèrent d’eux. Ils enlevèrent leurs heaumes, et un soupir de soulagement parcouru la colonie, aussitôt suivi d’une vague de questions. Il s’agissait de Charron Stix et de Robert Smith, vêtus de pied en cap comme Arthur et Lancelot montant à l’assaut du château de Mordred.

– Doucement, fit Robert avec un geste apaisant. Nous répondrons à toutes vos questions quand tout cela sera fini. Pour le moment, nous avons une guerre à gagner.

Comme une réponse à cette affirmation, un bruit sourd et profond se fit entendre venant du ciel. La navette approchait de la place, toutes armes dehors et prête à transformer en chair à pâté tout ce qui se présenterait dans ses viseurs.

– Aux abris ! hurla Charron.

Son avertissement déclencha une véritable pagaille, mais quand l’engin de combat passa au-dessus d’eux, il n’eut rien à se mettre sous les canons. Profitant de ce que la navette faisait demi-tour un peu plus loin, Tobbias vint rejoindre les deux hommes au grand galop.

– Ça ne peut pas durer, dit Charron. Ils ont les moyens de raser la ville, et ils n’hésiteront pas à le faire s’ils ne nous trouvent pas. Ils ne feront pas dans la dentelle. Il faut qu’on se débarrasse de cet engin de mort.

Le centaure afficha son plus beau sourire.

– J’ai peut-être ce qu’il nous faut.

Il attrapa une flèche dans son carquois. Elle était différente des autres, rouge, et la pointe n’était pas acérée, mais elle était taillée pour ressembler à la tête d’un animal vaguement reptilien. Il l’encocha et banda son arc.

– Tu es fou, cria Robert. Ils vont nous repérer !

Toby se tourna vers lui et lui fit un clin d’œil.

– Ne t’inquiète pas pour ça !

Et il tira. La flèche monta, monta. La navette, pendant ce temps avait triangulé le point de départ du projectile, et commençait à s’aligner pour avoir le meilleur angle de tir possible. La flèche arriva à l’apogée de sa trajectoire. Elle s’immobilisa pendant les quelques instants où la force qui la propulsait devenait l’égale des son opposée, celle de la gravité, et commença à redescendre. Elle explosa.

Un flash de lumière si intense qu’il aveugla pendant plusieurs secondes tous ceux qui étaient là. Quand ils recouvrirent la vision, la navette n’était plus seule dans le ciel. Un gigantesque dragon fondait droit sur elle.

Le pilote fit ce qu’il put, mais il ne parvint pas à éviter la collision. Le dragon l’attrapa avec ses serres, et commença à déchirer méthodiquement le métal de la coque avec les crocs. Des courts-circuits commençaient à parcourir sa surface, et les moteurs avaient de plus en plus de ratées. Le dragon finit par la lâcher, et la navette vint s’écraser au milieu de la place dans un puissant bruit de tôle froissée. La flèche rouge retomba non loin, et Tobbias la récupéra en murmurant un merci Volgur plein de gratitude, avant de la ranger dans son carquois.

Petit à petit, tout le monde sortit de son abri. Charron, lui, se dirigea vers les prisonniers. Il alla droit vers le major Hicks.

– Où est-il ? Où est cette graine de tyran ?

– Je suppose qu’il à dû se retrancher avec ce qui reste de mes hommes dans la tour principale de la zone administrative. Dans votre ancien bureau.

– Vous venez avec nous.

Quand ils s’approchèrent de la dite tour, les tirs des snipers leur confirmèrent que c’était bien là que Mophet se terrait.

– Ça va pas être facile d’approcher, dit Robert, dubitatif. On se fera dégommer comme dans un stand de tir.

Hicks, l’ancien major, se leva et marcha tranquillement vers la tour. Smith allait se lever pour l’en empêcher lorsque John lui fit signe que non.

– Laisse-le. Je crois qu’il a un rôle à jouer dans cette histoire, surtout s’il veut se racheter une conduite.

– T’as raison. Et puis c’est pas un gars de plus ou de moins qui fera la différence.

Le centaure leur posa à chacun une main sur l’épaule.

– Vous êtes des hommes sages. Les dieux ne se sont pas trompés en vous choisissant.

– S’il te plait, Tobbias, fit Charron, c’est déjà assez compliqué comme ça, on mêlera les dieux à tout ça plus tard, tu veux bien ?

Sur le coup, Stix crut qu’il avait profondément vexé le centaure. Il le regardait avec des yeux lourds qui ne cillaient pas. Puis, presque par surprise, il éclata de rire.

– Ha ! Ha ! Oui, tu as raison, Charron Stix. Quand les dieux s’en mêlent tout devient toujours plus compliqué.

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Cela faisait près d’une heure qu’Hicks était parti, et Robert en était à dire qu’il ne fallait plus attendre, mais donner l’assaut par les égouts, quand les portes de la tour s’ouvrirent en grand. Ce qui restait des Marines coloniaux sortit, avec, au milieu du groupe, un homme qui était fermement maintenu par deux autres, Ce dernier semblait de fort méchante humeur. Ils pouvaient entendre ses vociférations de là où ils étaient.

– Tenez, fit Hiks en arrivant à leur portée. Il est à vous. Faites-en ce que vous voulez. (Il se tourna vers ses hommes) Marines ! Jetez vos armes, et mettez-vous à la disposition de ces deux gentlemen en armure.

Robert donna un coup de coude à Charron, hilare.

– Voilà de la main d’œuvre qui nous rendra de fiers services !

– Oui, surenchérit Stix. Surtout celui-là (il désigna Mophet). Qu’on lui donne une pelle et une pioche, pour qu’il puisse commencer sans plus attendre !

Mophet se débattit comme un beau diable, mais les Marines avaient l’habitude de cette situation et ils n’eurent aucun mal à le calmer.

– Vous ne savez pas qui je suis ! criait-il, les yeux injectés. Je vous écraserai tous comme les insectes que vous êtes, maudite vermine. Lâchez-moi, et peut-être me montrerai-je magnanime, et vous ferai-je exécuter sans vous torturer !

Robert fit un signe, et les deux soldats qui tenaient le prisonnier s’arrêtèrent.

– Vous avez fait couler le sang, et vous en êtes délectés sur bien trop de planètes. La mort serait encore une évasion trop douce pour un monstre tel que vous. Vous mourrez comme un de ces miséreux que vous méprisez tant ! Et nul ne sera là pour vous pleurer. Emmenez- le !

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On n’entendit plus jamais parler de la Compagnie sur Perséphone, malgré les tentatives de cette dernière pour détruire cette engeance de rébellion. Au contraire, le bruit de ce qui s’y était passé se répandit à travers tous les systèmes stellaires occupés par les hommes. Et sur chaque planète où la Compagnie faisait forer, on découvrit un tunnel qui, une fois mis à jour, engendrait une bien étrange anomalie magnétique, paralysant toutes les machines.

Les différents rapports que purent avoir les dirigeants étaient en tout cas d’accord sur une chose. Au bout de ce tunnel se tenait une armée non humaine, menée par deux hommes portant une armure étincelante. Ils détruisaient systématiquement toute forme d’industrie et abolissait tout ce qui pouvait permettre d’asservir les hommes.
Ce que ne disait pas les rapports, en revanche, ce qu’en supprimant ces maux partout où se rendait cette armée, les gens n’avaient plus peur du noir et retrouvaient leurs rêves d’enfant.

FIN

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