Tobbias les avait menés hors de ce qu’il appelait l’antichambre. Ce qu’ils virent de l’autre côté dépassait les bornes de leur entendement. Une vallée verdoyante et champêtre baignée par une douce lumière estivale. Au creux de la vallée était niché un petit village aux toits de chaume et aux murs de pierre. Dominant majestueusement ce décor se dressait un château tout droit sorti d’un vieux dessin animé de Walt Disney. Et tout ça à plusieurs centaines de mètres de profondeur. C’était tout simplement impossible.

– Gardez vos questions pour le moment, leur dit le centaure. Vous aurez vos réponses quand nous serons au complet, ce qui ne devrait plus tarder maintenant.

Au bout d’un petit moment, une petite lumière vacillante apparue dans les ténèbres de l’antichambre qu’ils venaient de quitter. Plus elle approchait, plus elle semblait étrange aux deux hommes. Ce n’était pas le faisceau d’une lampe torche, et il semblait de toute manière que personne n’était là pour la tenir.

La petite lumière voleta en sortant des ténèbres, et devint presque invisible sous la lumière du jour. Elle se dirigea droit vers le centaure et se posa sur sa paume ouverte.

A la grande stupéfaction de Charron et de John, c’était une minuscule créature à l’apparence humaine ! Des ailes de papillons dans le dos étaient le seul détail, hormis la taille, qui différenciait son anatomie. Elle dut dire quelque chose qu’ils n’entendirent pas, car Tobbias répondit :

– Merci, Clochette. Je savais que je pouvais compter sur toi.

Puis s’adressant aux deux hommes.

– Ils arrivent.

Sur ces mots, trois silhouettes sortirent de l’obscurité. Deux adultes en combinaison de sortie et une enfant portant un casque de chantier trop grand pour elle. Jeanne se précipita dans les bras de son père, rapidement rejointe par sa femme. Charron n’eut bientôt plus assez d’air pour respirer tant les retrouvailles étaient intenses.

Pendant ce temps, John s’avança près de Robert.

– Alors comme ça, tu as changé d’avis ?

Smith désigna la fée du doigt.

– Elle a su me convaincre, fit-il, mi-figue mi-raisin. Et toi ? On dirait que quelque chose a changé chez toi. Tu rayonnes littéralement !

– Il paraît, oui…

Le centaure fit quelques pas vers le trio formé pas Charron, Lana et Jeanne.

– Bonjour, Lana et Jeanne. Je suis infiniment heureux de vous rencontrer enfin en chair et en os.

Il se pencha et la fillette lui sauta au cou.

– Toby, dit-elle de sa voix d’enfant, moi aussi je suis heureuse. Je savais que tu existais pour de vrai.

Toby lui fit un clin d’œil en guise de réponse, mais Lana doucha rapidement la joie de tout le monde.

– Il faut que je vous dise que la Compagnie est sur Perséphone. Ils sont arrivés ce matin. Un nouvel administrateur et un détachement de Marines Coloniaux. J’ai également amené de l’eau et des barres de céréales. Je pense que vous en avez tous besoin.

– Ils ont fait drôlement vite, dit Charron en prenant les vivres et en les distribuant. On peut dire qu’ils ont mal choisi le moment pour débarquer. Ça va être difficile de leur cacher l’existence de… tout ça. Notre chance réside en la raison de leur présence : augmenter les cadences de travail. Ils ne vont pas chercher si nous leur dissimulons des preuves d’une présence non humaine. D’un autre côté, si on ne fait rien, la situation risque de rapidement dégénérer là-haut. Les mineurs me font confiance, ils me connaissent. Mais si on essaie de leur imposer des trucs de force, ils vont réagir, c’est sûr.

Tout en mordant dans un barre chocolatée, Stix se tourna vers Tobbias.

– Je crois qu’il est temps maintenant d’expliquer ce qu’est tout ceci, et ce que nous faisons là. Car un grand danger semble s’être abattu sur les miens, et si je ne me trompe pas, tout cela est lié.

– En effet, acquiesça le centaure. Il y a très longtemps sur Terre, nous, le petit peuple, vivions à vos côtés en parfaite harmonie. Nous vous protégions des fantômes de la nuit, et vous, vous nous aimiez. Nous vous avons appris à ne plus avoir peur du noir, et vous nous avez appris à accepter nos différences. Puis est arrivée l’industrialisation, et nous n’avons pas pu vous protéger de vous-mêmes. Elle a sali la Terre et corrompu le cœur des hommes aussi sûrement que la rouille vient à bout de l’acier le plus résistant. Vous avez commencé à ne plus croire en nous et à avoir peur du noir. Vous vous êtes persuadés que nous étions vos ennemis. Et vous avez fini par nous chasser, d’abord de vos cœurs, puis de la terre. Nous avons erré de monde en monde, laissant à chaque fois des signes que nous existions toujours, pour que vous nous cherchiez. Mais vous nous aviez complètement oubliés. Alors, finalement, nous nous sommes réfugiés ici dans l’attente de ce jour.

– Alors c’était vous, ces vestiges que nous retrouvions parsemés dans le cosmos… Et qu’a-t-il de si particulier ce jour ?

– C’est simplement le jour où vous allez à nouveau croire en nous et où nous pourrons vous aider à retrouver votre liberté d’antan, sans les jougs imposés par l’industrie. Quand nous sommes partis, cela a brisé le cœur de notre reine, et depuis elle dort d’un éternel sommeil qu’aucun d’entre nous n’a pu interrompre. Après des siècles de recherches, nous avons pu comprendre ce qu’il fallait faire pour la réveiller. Si nous nous sommes trompés, ou si nous ne faisons pas les choses correctement, ce sera fini pour toujours. A chaque jour qui passe, nous sombrons un peu plus dans les limbes, et nous n’en pourrons bientôt plus sortir. Quant aux humains, ils finiront par errer sans âmes dans l’infinité de l’univers, avec pour seul but l’accroissement des richesses, totalement consumés par l’industrie qu’ils ont eux-mêmes créée.

Un long et lourd silence s’installa. A l’exception de Jeanne, qui avait grimpé dans les bras du centaure, tous regardaient la pointe de leurs chaussures, un sentiment de honte planant sur leurs pensées. Le malaise finit par être rompu par John.

– Donc si je comprends bien, tu es en train de nous expliquer que nous cinq sommes les seuls espoirs de ton peuple et du nôtre ?

– C’est un peu succinct et ça manque d’emphase, mais oui, c’est ça.

-=-

La salle de repos du secteur 5 n’était pas assez grande pour accueillir les quelques quatre-vingts mineurs qui y travaillaient. D’autant qu’à ce chiffre venait de s’ajouter la vingtaine de Marines qui venaient d’arriver.

Donc, tout ce beau monde était réuni à l’extérieur. Les Marines se tenaient devant les mineurs, leurs armes bien en évidence. Entre les deux groupes qui se faisaient face, il y avait une pile de pelles et de pioches. Et c’était bien là l’objet de la discorde.

– Donc, disait un militaire, il y a une pelle et une pioche pour chacun d’entre vous. Un prochain convoi amènera les brouettes dans lesquelles vous pourrez apporter le minerai à la raffinerie. Trois kilomètres, c’est rien pour des gaillards comme vous ! Allez ! Au boulot !

Comme personne ne bougeait, le soldat répéta son dernier ordre.

– Allez ! Au boulot, j’ai dit !

Cette fois, il y eut une réaction, mais pas forcément celle qu’il espérait provoquer.

– C’est une blague, c’est ça ? Vous vous foutez de notre gueule ?

C’était le mineur qui avait aidé Lana. Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi les autres ne réagissaient pas plus que ça.

– On ne va quand même pas creuser à mains nues pour chercher un minerai qui est plus dur de l’acier !

Le Marines qui avait parlé marcha négligemment vers le mineur. Il ne s’arrêta qu’à deux mètres de lui.

– Tu peux répéter mon gars ?

– Je suis pas ton gars !

Le militaire tendit le bras qui tenait son arme de poing et tira.

Le projectile traversa la tête du mineur qui tomba droit comme un chêne. Sous lui, son sang se répandait rapidement.

La stupeur et l’horreur avait envahi tous les autres travailleurs, et l’incrédulité se lisait sur la plupart des visages. Sur les autres, on y voyait des larmes. Des larmes de d’horreur, de tristesse et de colère.

– Quelqu’un a-t-il quelque chose à ajouter ?

Il laissa passer plusieurs angoissantes secondes.

– Non ? Alors dans ce cas au boulot !

Les hommes se résignèrent à prendre chacun leurs outils, sous l’œil goguenard des Marines.

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