Pleure. Hurle à pleins poumons. Lâche ta haine, retire-lui sa muselière. Respire à présent. Frappe s’il le faut. Mais ne t’éteins pas, petite muse. Je veux t’entendre me rire aux oreilles, me ridiculiser dans ma lâcheté, ma peur des autres, de ces êtres plus forts qui savent se faire entendre….qui savent ce qu’ils veulent.

Pleurent les enfants du malheur et de l’inceste.
Meurent les mots d’amour dans les larmes des soldats.
Les entrailles de leurs corps se répandent, tâchant de sang ma cheminée.
Le ciel est rouge, mais les oiseaux continuent de chanter.

Tu dois revivre, Alice.

Toi seule peut connaître l’inconnu, sonder le labyrinthe de ton esprit et les méandres de ta torture. Tu peux mourir pour renaître au printemps, telle la rose noire dont tu rêvais, enfant, lorsque ta mère s’oubliait.
Laisse s’ouvrir les digues du désespoir une fois pour toutes. Redeviens l’enfant que tu étais, fais revenir celle dont tu as fait taire les sanglots apeurés il y a de cela si longtemps, si longtemps…tu as tenté de l’oublier, de le détruire…mais il est en toi ce désir incomparable, celui de tout briser, de faire le mal pour bien faire.

Coupe lentement, très lentement dans la chair…celle de tes songes, de tes rêves et désirs inavouables. Vois les mots couler du stylo, et sens le bonheur t’envahir. Quel besoin de mutiler la chair, ta propre carcasse qui pourrira bien assez tôt, alors que tu peux me maltraiter, moi, simple feuille de papier qui ne suis que victime volontaire, et témoin de tes moindres maux.

Laisse couler à flots les mots, laisse-les me tatouer à tout jamais, me reconnaissant désormais comme tienne, comme « toi ».
Je suis part de ton esprit, muse, ange et démon à la fois.
Je te libère mais t’emprisonne dans le même temps ; fais de toi ma reine et mon esclave, ma nuit sans lune et mon jour d’été froid comme la tombe.
Je suis ta détresse, ton bourreau et ton sauveur.
Je t’appartiens, mais te domine.
Nous sommes liées, toutes deux.
Tu as commencé et ne peux t’arrêter.
Ta raison te hurle de faire ce qui est bon pour toi, mais je te tiens en mon pouvoir.
Qui aurait pu se douter qu’une simple feuille de papier pouvait être sorcière?

Mais quelle étrange insulte !
Je ne suis que ton reflet,mon amie, ma sœur, mon âme!

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