« Qui a peur du Grand Méchant Loup ?
Peut-être vous…
Qui a vu le Grand Méchant Loup
N’est plus parmi nous ;
Le monde le fait passer pour fou
Depuis que du monstre il est le joujou.
Oh oui, méfiez-vous du Grand Méchant Loup… »

Il approche, subtil, discret, tel le soleil caressant la peau. Sans un bruit, il prend sa main. Alice ne résiste pas, elle n’ose le repousser. L’élégance de l’étranger l’éblouit. Elle a pourtant juré de n’adresser la parole à personne. Mais il n’a pas l’air méchant… Qui sait, le Loup est peut-être aussi doux que l’agneau.

« Qui a peur du Grand Méchant Loup ? »
Elle lui rend son sourire. Pas une parole ne s’échappe de ses lèvres, juste son souffle, calme. Il lui caresse les cheveux, défait ses nattes en passant ses doigts dans les cheveux noirs et bleus de la jeune fille.

« Peut-être vous… »
Son souffle rauque dans son cou. Son poids sur sa poitrine. Loup, loup y es-tu ? Ses cris déchirent le silence. Fleurs éparpillées sur le sol. Soleil morne. La Lune se cache les yeux. Panier renversé. Les arbres sont offusqués, déchirés ; ils ne peuvent lui venir en aide. Il s’essouffle, s’assoupit. Elle prie. Prie pour la délivrance.

« Qui a vu le Grand Méchant Loup
N’est plus parmi nous … »
Déposée devant l’église. Butin ravi, sa vie semble pétrifiée, glacée. Le sang ne coule plus dans ses veines, il s’est tari à la source. Les yeux ouverts sur la réalité. Abandonnée. Elle prie. Prie pour l’absolution de ses péchés.

« Le monde le fait passer pour fou
Depuis que du monstre il est le joujou »
Cloîtrée, prostrée, tout est noir. Les sons étouffés, l’air putréfié. Seul les vers la saluent. Ils ne savent rien de son histoire. Le bruit sourd de la terre s’échouant sur sa nouvelle demeure. Elle prie, prie pour le pardon. Elle le supplie…

« Oh oui, méfiez-vous du Grand Méchant Loup. »
Immobile, il tient une rose dans sa main droite. Éclat rouge sang sur la neige. Son travail achevé, il pose les doigts sur la couverture de son livre, désormais clos. La tenue officielle suffit à cacher la malice et le sourire malsain qu’esquissent ses lèvres. Sera-t-il pardonné cette fois encore ?

Rouge sang sur la neige. Seul les vers la saluent. Des entrailles du monde elle prie pour qu’en Enfer il la rejoigne et qu’ensemble ils paient le prix du péché éternel.

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