Les deux planètes avaient entamé leur fusion, et elles s’étaient rejointes aux pôles. Elle ne faisait pas tout à fait qu’une terre parce qu’elles n’avaient pas eu le temps de complètement se rejoindre. Elles étaient juste siamoises, reliées par un fin morceau de terre. La couleur du ciel s’était mélangée avec celle de Fortius-Mancie et désormais, il abordait une teinte gris-bleu. Les arbres et les plumes vivaient désormais côte à côte. À cause des tremblements, il ne restait plus que des ruines de l’ancienne civilisation. Le palais des lumières et le palais des ombres avaient fusionné comme les mondes et ne formaient plus qu’un immense édifice visible à des kilomètres. Antonin avait eu son Nouveau Monde, et ce, avec beaucoup moins de victimes que prévu. Il profita de l’inattention des gardes du tribunal pour s’échapper en récupérant au passage sa bague. Il ne fut pas rattrapé et put s’éclipser dans l’immense inconnu avec un nouveau plan en tête.
La première chose qu’ils firent une fois sortit, fut de trouver un endroit décent où enterrer Julicia. Après avoir creusé un trou suffisamment profond, ils improvisèrent une cérémonie d’adieu couverte par les larmes et les hommages. Iris et Rùna se sentirent mourir en même temps que l’on ensevelissait leur mère. Surtout la plus jeune qui n’avait aucune famille à part elle. Les filles voulurent décorer la tombe avant de la quitter. Elles se chargèrent avec Eden de couper des plumes et d’en recouvrir le dessus. Matt grava à l’aide d’un canif une inscription sur la souche d’arbre à côté de la maison du corps. Puis, ils durent s’éloigner jusqu’à ne plus voir le lieu de deuil. Ils marchèrent sans savoir où aller, sans pouvoir se téléporter à cause de tous les changements subits par la planète. En plus, le dragon les avait abandonnés en essayant de sauver sa vieille peau écailleuse. Ils avancèrent quatre jours à travers la brousse sans croiser aucun rescapé ni aucun lieu habitable. Ils finirent par désespérer de retrouver un jour la civilisation, s’il en existait encore une. Épuisés, ils établirent un camp près d’un lac d’eau sucrée et brulèrent quelques plumes pour se réchauffer. Rùna et Iris s’étaient éloignés du reste du groupe pour faire leur deuil ensemble. Bien qu’affamées, elles ne mangèrent absolument rien. Quand les autres allèrent se coucher, elles préférèrent rester éveillées à se remémorer des souvenirs avec leur défunte mère. Les berceuses, les histoires qu’elle leur avait racontées, les sourires et les rires échangés, elles ne s’étaient jamais rendu compte que tous ces courts instants étaient bien plus précieux que de l’or et que tôt ou tard ils allaient s’arrêter. Les gens meurent, c’est un fait que tout le monde sait et pourtant, lorsqu’un proche décède, on est toujours surpris et effondré comme si on ne si attendait pas. Iris revivait encore et encore le décès, essayant d’imaginer ce qui se serait passé si elle n’avait pas écouté Antonin ou même, si sa mère n’avait pas eu le temps de la sauver. Elle brisa le silence qui régnait sur cette nuit nuageuse et déclara à Rùna :
– Je suis désolée. C’est de ma faute si…
– Arrête de dire des choses aussi bêtes. Elle s’est sacrifiée toute seule.
– Ça ne serait pas arrivé si je ne m’étais pas lancée dans cette incantation. Je ferais tout pour retrouver ta famille et je n’aurais pas de répit tant que je n’aurais pas réussi.
– J’ai déjà une famille, tu es ma stupide grande sœur. Matt est peut-être une mauvaise herbe, mais il est comme un frère. Et Eden aurait pu être mon prince, mais je veux bien qu’il soit mon beau-frère.
– C’est gentil, ce que tu dis, déclara-t-elle les larmes aux yeux. Je suis heureuse d’avoir une petite sœur comme toi. Mais je t’aiderais quand même à les retrouver et je réparerais tous les dégâts que j’ai causés sur les deux mondes.
– Je suis sûre que maman serait fière de toi.
Iris et Rùna s’échangèrent une accolade sororale, puis prirent enfin la décision d’aller dormir. Eden, qui n’arrivait pas à fermer les yeux, vint discuter un peu avec Iris avant que celle-ci ne trouve le sommeil :
– Iris, il faut que je te parle de nous deux…
– Ce n’est pas le moment. J’allais dormir et je n’ai pas envie de me remémorer ça.
– Laisse-moi une minute pour m’expliquer. C’est Antonin qui m’a forcé à rompre avec toi. J’allais mourir si je ne le faisais pas et Matt et Kenna auraient perdu leur main. Je n’ai pas pensé un seul mot de ce que je t’ais dit, j’ai été aussi blessé que toi !
– Même si c’était vrai, j’ai réfléchi longuement à notre histoire. Tu sais Eden, tu es le premier garçon avec qui je sors alors que moi, je dois être ta centième conquête. Et même si j’ai encore des sentiments, je ne suis pas sûr de pouvoir te faire confiance quand tu me dis que tu m’aimes alors que je sais que tu l’as déjà dit des tas de fois, sans le penser, à d’autres filles que moi. J’ai besoin d’attendre de te refaire confiance et là peut-être qu’on pourra se remettre ensemble. Pour l’instant, je veux qu’on reste seulement ami et que tu ne me presses pas.
– Mais Iris…
– Bonne nuit Eden, affirma-t-elle sèchement.
Elle se retourna et s’endormit sans rien ajouter. Eden en fit de même, assez mal à l’aise à cause de la distance qui s’était immiscée entre eux.
En reprenant leur route, ils croisèrent des tas de personnes en détresse. De tous âges et de tous rangs sociaux, les gens s’entraidaient pour reconstruire quelques logis et trouver des aliments. Tout le monde partageait son savoir afin de pouvoir survivre à cette catastrophe qui leur avait tout prit. Les pertes humaines générées par les tremblements s’élevaient tout de même à plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Certains survivants avaient choisi de prendre route vers le palais blanc et noir, tout comme Iris et ses amis. Tout le long de leur trajet, ils croisèrent des personnes effondrées par la mort ou la disparition de leurs proches. À chaque larme qu’elle vit, Iris se referma sur elle-même et finit par ne plus parler et à ne plus vouloir manger. Le poids de la culpabilité était trop lourd pour ces petites épaules. Eden l’observait mourir à petit feu, ne pouvant rien faire pour atténuer sa souffrance ou lui redonner goût à la vie. Il l’aimait tellement qu’il souffrait autant qu’elle et qu’il ne dormait plus de peur de se réveiller sans elle à ses côtés. Plus ils s’approchaient du château, plus elle semblait perdre des forces et des couleurs. Elle s’était déjà évanouie à plusieurs reprises et avait bien failli ne pas se relever. Matt s’énerva contre son amie qui se laissait mourir et un jour, il lui cria tout ce qu’il avait sur le cœur :
– Tu comptes rester longtemps dans cet état ? Regarde ce que tu as détruit. La moitié du monde est à reconstruire par ta faute. Tu ne l’as pas fait exprès alors rattrape tes erreurs et redonnes à ces personnes un domicile, aide-les à retrouver les disparus. Si tu meurs, tu n’auras fait que fuir tes problèmes. Bats-toi ! Honore le sacrifice de ta mère ! Réalise tes promesses. Tu auras tout le temps de mourir ensuite !
Elle fut profondément blessée par les mots de son ami, mais surtout par la vérité de ses propos. Pour la première fois en deux semaines, elle se remit à parler :
– Tu as raisons, je fuis mes problèmes. Parce qu’ils m’étouffent et que je ne sais pas comment les faire disparaitre. Je ne dors plus à cause de ce que j’ai fait. Et tu sais quoi, je ne savais même pas que j’allais gâcher la vie de ces personnes quand je me suis mise à chanter. Je rêve juste de remonter le temps et d’empêcher tout ça, mais je ne peux pas. Je n’ai même plus de pouvoirs pour m’aider. Et je sens bien que vous m’en voulez même si vous essayez de le cacher.
– Iris, on ne t’en veut pas, rassura Eden. Tu n’y peux rien. Matt a encore parlé sans réfléchir.
– Je crois que je devrais partir, je reviendrai vous voir quand j’en serais de nouveau digne. Continuez votre route sans moi. En fait, j’aimerais que vous m’oubliez !
Elle changea de cap et ne prit pas en compte les appels de ses amis qui voulaient la convaincre de rester. Elle marcha droit devant elle sans savoir où elle allait. Elle passait son temps à s’interroger sur comment rattraper ses erreurs. Elle fut sortie de ses pensées lorsqu’elle entendit un bruit très faible ressemblant à un appel à l’aide. Elle suivit le son de la voix et, au bout de cinq minutes de marches, elle tomba sur une maison totalement effondrée. Un petit bras frêle s’agitait des décombres, c’était celui d’un enfant. Elle se précipitât vers les ruines et retira les gravats qui le recouvraient. Elle se coupa de nombreuses fois et était exténuée à force de soulever les lourdes pierres, mais continua alimentée par l’envie de sauver ce petit être sans doute coincé à cause d’elle. Surtout que sa jambe blessée n’arrangeait rien. Elle finit par réussir à le libérer de sa prison de roches et de tuiles. Par chance, il n’avait rien de cassé, seulement de légères égratignures et quelques hématomes. Contrairement à ce qu’elle avait pensé juste avant, ce n’était pas un enfant, mais seulement un homme de très petite taille. Elle l’aida à s’installer en dessous d’un arbre et remua ciel et terre pour lui trouver de quoi se nourrir et s’hydrater. Elle ôta son châle et le passa en écharpe autour du cou du vieil homme. Le cinquantenaire la remercia et se présenta à sa sauveuse :
– Merci petite, sans toi j’aurais sans doute rendu l’âme. Je me présente : Ed Macococorico.
– Moi c’est Iris. Vous êtes ici depuis longtemps ?
– Trois jours. Après les tremblements de terre, j’ai continué d’habiter ma maison malgré les fissures et les quelques tuiles qui s’étaient fait la malle. Je n’aurais pas dû puisqu’elle a fini par me tomber dessus cette vieille bicoque. Encore merci petite.
– Je passais par-là, je n’allais quand même pas vous laisser sous ces décombres.
– Je ne vois personne avec toi. Tu voyages seule ?
– On peut dire ça, dit-elle sans vouloir s’attarder sur le sujet.
– Et je peux savoir tu vas ?
– Un peu partout. J’essaye de venir en aide à tous ceux que je croise sur ma route, comme vous.
– Comme un ange descendu du ciel pour nous sauver.
– Oh, si vous saviez. Je n’ai rien d’un ange et, s’il y avait une seule lumière que j’avais répandue sur cette terre, elle serait obscure.
Elle resta silencieuse et, lui aussi. Elle sentait son cœur devenir noir et amer et avait les larmes aux yeux rien qu’en pensant à sa solitude et aux blessures qu’elle avait infligées à de pauvres gens comme Ed. Elle reprit sa route et le salua de loin avec sa main en guise d’adieu. Le petit homme l’interpella et lui demanda :
– Si ça ne vous dérange pas, je voudrais vous accompagner. Être seul dans la forêt n’est pas rassurant et peut être dangereux. Et puis, on aidera plus de gens à deux.
– Vous avez peut-être raison. Je suppose que c’est mieux comme ça.
– Je connais une petite ville à vingt kilomètres de là, on pourrait s’y rendre.
– Oui, c’est une bonne idée. Si vous n’êtes pas trop fatigué, j’aimerai qu’on y aille maintenant.
Ils prirent route vers la ville. Le petit homme essaya de briser le silence plusieurs fois, mais n’obtint pas d’autres réponses que d’agaçants « hum » désintéressés. Il continua de parler de manière incessante, ne semblant pas se soucier d’être écouté ou non. Son monologue dura trois longues heures durant lesquelles ils s’approchèrent de leur destination et l’atteignirent. Cette ville n’était plus que parpaings gris effondrés au sol. Les routes et les trottoirs étaient fissurés. Le panneau « bienvenue à Harpourt » était le seul resté debout, là où l’hôpital et l’école primaire avaient cédé aux secousses. Quelques maisons semblaient avoir résisté à la réunification, mais elles n’étaient qu’une dizaine parmi des milliers. L’odeur nauséabonde des corps en décomposition donnait la nausée. Les rues étaient bondées des habitants cherchant le corps de leurs proches, parmi les décombres. Une femme les bouscula sans le vouloir. Elle était affolée et remuait ciel et terre pour retrouver son enfant. Elle hurlait son nom et espérait de tout cœur qu’il répondrait et accourrait vers elle. Alors qu’elle fouillait parmi les gravas d’un immeuble, un policier vint à sa rencontre et il la conduisit vers une autre partie du bâtiment. Au sol gisait le corps sans vie d’une petite fille de cinq ans, les yeux grands ouverts et le corps déjà à moitié dévoré par les asticots et les mouches. La mère s’effondra au sol et hurla à en déchirer le ciel. Les larmes de cette pauvre femme déchirèrent le cœur de tous ceux qui avaient assistés à la scène et plus particulièrement celui d’Iris. Elle escalada une pile de parpaings et attira l’attention de la foule :
– Je m’appelle Iris de Félicité. Chers habitants d’Harpourt, vous avez le droit de connaître la vérité et de savoir pourquoi vous avez perdu vos proches. Tout a commencé, il y a des millions d’années…
Elle leur raconta la légende du collier et de la bague puis de leur parla de l’incantation au temple :
– C’est ainsi qu’en voulant réunir les mondes, j’en ai détruit une partie et brisé tant de vie. Je sais que ce que j’ai fait et impardonnable et que je mérite de mourir, mais je vous supplie de me laisser le temps de rattraper mes erreurs et de reconstruire ce que j’ai détruit. Vous pourrez faire ce que vous voulez de moi après…
– Sorcière ! Tu as tué mon enfant !
La mère de famille l’interrompit et lui jeta une pierre dessus. Elle fut rapidement suivie par les autres personnes présentes. Iris pleurait, mais n’essayait même pas d’esquiver ou de fuir. Elle savait qu’elle méritait leur colère, leur vengeance et leur châtiment. Au fil des minutes, les cailloux devinrent des galets et les galets, des parpaings. Les bleus des hématomes. Les larmes du sang. Elle était à terre et attendait la dernière pierre qui scellerait son funeste destin. Et elle n’avait pas peur de mourir, parce que c’était ce qu’elle désirait le plus. De ses yeux floutés par les larmes, elle aperçut une petite silhouette entourée d’une lumière s’interposer entre elle et les munitions. Ed était dans le ciel, volant à l’aide de toutes petites ailes dorées. Une auréole flottait au-dessus de sa tête. Il s’adressa au peuple avec une voix résonnante et rassurante :
– Elle a détruit vos familles, mais en la tuant vous l’empêcherait de sauver des tas d’autres vies et vous en serez tout aussi responsable. Elle a fait preuve d’honnêteté en vous dévoilant ses erreurs. Et elle était prête à mourir de vos coups sans se débattre parce qu’elle trouvait votre punition juste. Elle ne souhaite que de vous aider et vous rendre, ne serait-ce qu’une lueur de bonheur. Un autre danger plane sur votre ère et elle seule peut vous en protéger.
– Elle a tué ma fille, reprit la mère complètement désorientée.
– Et moi, j’ai perdu ma mère, mes frères, continua un adolescent enragé.
– Elle nous a tous pris quelque chose et elle ne pourra jamais rien nous rendre.
La colère des habitants reprit et s’abattit non plus seulement sur Iris, mais aussi sur l’ange venu la secourir. En voyant cette injustice, Iris se releva malgré l’immense douleur qu’elle subissait à cause des pierres et de sa jambe blessée. Elle prit la parole, la voix forte et courageuse :
– Arrêtez ! J’ai dit que vous pouviez vous en prendre à moi, mais cessez de vous attaquer à un innocent. Je lui ai détruit sa maison et il a failli mourir lui aussi. Et il m’a pardonné, il n’a rien fait de mal à part me pardonner et vous pensez qu’il mérite de mourir, comme moi. Je ne vous laisserai pas faire ! Restez digne et juste. Tuer un innocent n’apaisera pas votre haine.
Elle se mit droit devant Ed et lui servit de bouclier humain. Le petit homme disparut alors dans un éclair doré et la laissa seule face à ses responsabilités. Enfin pas tout à fait, il ne s’était en réalité pas volatilisé, mais avait pris possession du corps d’Iris :
– Je vous ai dit de m’épargner. Accepter en gage de ma bonne foi cette lumière réparatrice.
Dans un rayon de lumière bleu, les briques s’envolèrent et se superposèrent. Le sol se reboucha de lui-même, ne laissant plus une fissure. La ville retrouva son éclat d’antan en quelques minutes seulement. Les habitants surpris par cette démonstration incroyable de magie cessèrent les attaques le temps d’observer la totale reconstruction de leur ville. Les morts étaient toujours là, mais cette fois, ils étaient accessibles et pouvaient être identifiés et enterrés décemment par leurs proches. Iris reprit ses esprits et continua son discours :
– Avec ma magie, je reconstruirais ce que j’ai détruit et avec du temps et des efforts, je ferais de cette planète un endroit où il fait bon vivre et où les générations suivantes n’auront plus à craindre des événements comme ceux qui se sont déroulés. Laissez-moi un an pour tout réparer et tuez-moi si je ne réussis pas à rattraper mes erreurs. Je vous en supplie, laissez-moi me racheter.
– Je te donne six mois, affirma le maire de la ville de sa grosse voix. Après, tu devras répondre de tes actes.
Les habitants qui respectaient énormément leur maire pour sa sagesse et son intelligence prirent sur eux et acceptèrent sa décision. Avant de reprendre sa route, elle les aida à creuser des tombes pour les morts et à s’occuper des blessés. Elle travailla d’arrache-pied pendant deux jours sous le regard méprisant des personnes autour d’elle et malgré ce manque total de reconnaissance que lui portaient les habitants, elle continua son dur labeur sentant son cœur guérir au fil de ses bonnes actions. Elle quitta le village un peu moins haïe qu’au début. Sur la route de sa prochaine destination, elle s’arrêta un instant pour discuter avec Ed :
– Vous êtes un ange ? interrogea-t-elle encore stupéfiée.
– Je ne suis pas un homme, ça c’est sûr. Si je t’ai suivi, c’est parce que je devais évaluer si tu méritais de récupérer tes pouvoirs.
– Je n’en ai plus besoins, je veux me racheter seule. Je n’ai jamais voulu être un mage moi.
– Peut-être, mais si tu veux réussir en six mois à reconstruire des milliards d’habitations, creuser des millions de tombes et soigner des tas de blessés tu en auras besoins. Et puis, tu as un autre problème.
– Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, affirme-t-elle sèchement.
– Vraiment ? Et que penses-tu qu’Antonin va faire maintenant ? Tu crois qu’il va réellement se contenter d’arpenter le monde et d’aider les pauvres gens. Tout cela faisait partie de son plan pour dominer le monde, il ne renoncera pas si près du but.
– Ça ne me concerne pas ce qu’il fera ou ne fera pas. Il me reste six mois à vivre, je ne les gaspillerai pas pour lui.
– Dans ce cas, ma mission s’achève. Je te rends tout de même tes pouvoirs pour que tu finisses de réparer le monde. J’espère que tu changeras d’avis.
Ed s’envola à une vitesse fulgurante après avoir achevé sa phrase et disparu dans le ciel dans un faisceau de lumière dorée. Elle continua sa route préoccupée par ce que lui avait raconté l’ange.
De leur côté, les amis d’Iris s’étaient rapprochés du château. De près, il apparaissait encore plus titanesque que ce qu’ils avaient imaginé au début. Autour du palais s’étendait une immense citadelle bicolore, gardée de chaque côté par les mages d’Antonin. Des rescapés faisaient la queue devant la porte blindée de sept mètres afin de pouvoir pénétrer la ville. Certains étaient acceptés et d’autres escortés par les gardiens de la citadelle on ne sait où. Les cinq adolescents et la fillette reconnaissant la plus part des mages qui guettaient l’entrée, préférèrent se frayer un chemin ailleurs dans la muraille. Ils longèrent l’édifice le plus discrètement possible, mais il ne semblait pas y avoir de moyen d’escalader la façade, de plus, il n’y avait pas une fenêtre. Quand Eden essaya de rendre la pierre fluide, son sort se retourna contre lui et pendant quelques secondes son bras fut changé en gelée. Des résultats similaires se produisirent avec tous les autres sorts qu’ils essayèrent. Ils finirent par s’arrêter, complètement amochés et démoralisés. Ce satané mage avait pensé à tout. Une bouche apparut sur le mur et entama la conversation :
– Soyez les bienvenus dans ma ville, mes amis. J’espère que vous apprécierez votre séjour ici. Je vous ai déjà préparé une chambre et une escorte est en route rien que pour vous.
À peine cette phrase achevée, une troupe d’hommes en tenue militaire vint les accoster mitrailleuse à la main, accompagnée par cinq mages. Eden, Lucian et Honoré tentèrent de repousser leur assiégeant suffisamment longtemps pour laisser Rùna, Kenna et Matt se sauver. Pendant leur fuite, la petite fille fut touchée à l’épaule et perdu l’équilibre. L’adolescent la prise rapidement sur son dos et reprit sa route en évitant les balles. Le sang de la blessée coulait à flot sur sa chemise. Il jeta un dernier coup d’œil derrière lui et regarda impuissant ses amis emportés par les soldats dans la citadelle. Et avant de se retourner une dernière fois, il se fit la promesse de leur venir en aide. Il avança le plus vite qu’il put espérant atteindre le village qu’on pouvait apercevoir à l’horizon. Durant les cinquante minutes qu’ils marchèrent, Kenna parla à la jeune fille afin de la garder éveillée et la rassurer. Mais l’état de Rùna était plus qu’inquiétant et nécessitait une intervention d’urgence. Malheureusement, la ville où ils arrivèrent n’était plus que l’ombre d’elle-même. Kenna désespéré s’effondra à genou et se mit à fondre en larme :
– Ce n’est pas possible. Montrez-vous, dites-moi que nous ne sommes pas seuls, que quelqu’un nous vienne en aide. Elle ne doit pas mourir ! Je vous en supplie montrez-vous !
– Elle ne va pas mourir, on va la soigner. Garde ton calme, tu vas l’effrayer. Il y a une clinique juste ici, avec un peu de chance on trouvera de quoi l’aider.
Ils entrèrent dans le bâtiment en ruines, déposèrent Rùna sur un lit d’hôpital occupé juste avant par un corps et se mirent en quête de matériel médical. À l’aide d’une pince préalablement désinfecté avec de l’alcool, ils sortirent la balle. Le cri de leur patiente non anesthésié retentit à travers la ville fantôme. Ils refermèrent du mieux qu’ils purent la plaie à l’aide d’une aiguille stérile et de fil prévu à cet effet. Rùna à cause de son insoutenable douleur, perdit connaissance. Il ne restait plus qu’à attendre et espérer qu’elle se rétablisse dans les prochains jours. Kenna était vraiment inquiète. Elle tremblotait, versait quelques larmes de temps à autre et faisait des allers retours dans la pièce. Matt qui en avait marre de la voir comme ça, l’attrapa par derrière et l’obligea à s’assoir. Il la serra fort entre ses bras en posant sa tête sur ces épaules. Puis il chuchota à son oreille :
– Tu veux bien arrêter de marcher partout comme ça ! Détends-toi.
– Lâche-moi ! cria-t-elle en se débâtant. Si tu ne retires pas t’es mains j’te les arrache !
– J’en ai pas envie, je suis bien comme ça, pas toi ?
L’adolescente rougit à cette déclaration et posa ses mains sur celle de Matt, avant de répondre :
– Moi aussi je suis bien avec toi, mais tu veux bien me lâcher un instant.
Il retira ses bras de Kenna, qui se retourna ensuite vers lui et le fixa de ses yeux jaunes. Ils se regardèrent longuement, observant tous les détails du visage de l’autre. Puis ils s’approchèrent, leurs nez s’entrechoquèrent, puis ce fut leurs lèvres qui se posèrent délicatement l’une contre l’autre. Ce baiser ne dura pas plus de dix secondes, dix petites secondes durant lesquels le temps s’arrêta. Après ce moment apaisant, ils continuèrent de se serrer dans les bras jusqu’à ce qu’ils s’endorment sur le carrelage glacé de la chambre en ruine. Malgré ce doux moment passé ensemble, le froid et la peur du lendemain firent de cette nuit un long moment de désarroi et dormir fut compliqué pour les deux adolescents. Mais le jour s’annonçait encore pire.
Le bruit des reniflements d’une personne en larme sortit Matt de son sommeil. Il se redressa immédiatement, sans réveiller Kenna et sortit son arme. Son premier réflex fut de se rendre dans la chambre de la blessée. Il fut complètement paralysé quand il la vit, toute pâle et les yeux grands ouverts fixant le plafond. La plaie s’était rouverte et son sang recouvrait le lit, le sol. Les morts ne pleurent pas, mais leur proche si. Une personne était penchée sur le corps de la jeune fille et versait autant de larmes que le corps avait perdu de sang. Matt s’approcha lentement et posa sa main sur son épaule. La personne se retourna alors d’un coup, et une fois qu’elle eut reconnu son ami, elle se jeta dans ses bras et se remis à pleurer à chaude larme en bafouillant des mots incompréhensibles. Matt surpris de la revoir dans de telles conditions se mit à la réconforter :
– Pleure Iris, pleure. Et ne t’en fais pas, je serais toujours là pour te réconforter.
Lui-même était complètement rouge et avait les yeux brillants de peine. Iris essaya à plusieurs reprises de lui dire ce qu’elle avait sur le cœur sans éclater en sanglots :
– Tu ne comprends pas… Je viens de retrouver ses parents. Ils ont attendu dix ans pour la revoir et maintenant… elle… elle est…morte !
– Tu n’y es pour rien.
– Si ! Maman m’avait demandé de la protéger et je lui avais promis de ne jamais la laisser seule. Je l’ai abandonnée, je n’étais pas là pour elle, ni pour vous.
– C’est Antonin qui l’a tué, pas toi ! Combien de temps vas-tu encore assumer tout, tout de seule. Tu as le droit d’être aidée ! Tu ne peux pas porter le poids du monde sur tes petites épaules !
– Matt, j’ai peur… dit-elle en se mettant à pleurer encore plus. Je ne sais plus quoi faire. Tout le monde meurt et pleure et je ne trouve aucun moyen de les aider. J’ai fait souffrir le monde entier.
Il la serra dans ses bras comme pour lui dire qu’il partageait sa détresse. Lorsqu’elle releva la tête, il l’embrassa sur le front pour lui faire comprendre qu’il était là pour elle. Ensuite, il se rendit au-dessus du corps et referma les paupières de la petite fille. Il entreprit avec le plus grand sang-froid le nettoyage de la pièce. Iris le regarda faire, elle observa le sang disparaitre du sol et de sa sœur. À chaque tâche qui disparaissait, elle revoyait les souvenirs des moments partagés avec Rùna. Depuis leur rencontre, elles s’étaient souvent disputées, mais elles avaient appris à se connaitre, à s’apprécier et elles étaient devenues des sœurs, des vraies. C’était si dur de la regarder et de se dire qu’elle ne la verrait plus rire, qu’elle ne se moquerait plus jamais d’elle, qu’elle ne pourrait tout simplement plus jamais la serrer dans ses bras. Lorsque Matt eut fini de nettoyer, Iris s’approcha du corps de Rùna et posa ses deux mains sur les deux joues glacées de l’enfant. Elle ferma les yeux et commença à chanter une mélodie triste et de désespoir. C’était l’ultime hommage, une incantation utilisée lors de la mort d’une personne pour la purifier et faire revivre son corps. Au fil des notes, la voix de la jeune fille devenait de plus en plus tremblante, mais elle continua son chant par respect pour sa sœur. Toute la lumière de la pièce se concentra sur la chanteuse et Rùna, les larmes qui avait été provoquées par sa mort furent attirées par la défunte et entrèrent en elle. Des fleurs de lys blanches poussèrent alors sur le corps de l’enfant et finirent par la recouvrir intégralement, sauf à son visage. Le sort achevé, Iris retourna auprès de Matt. Ensemble, ils regardèrent une dernière fois leur sœur et amie avant d’aller annoncer à Kenna la triste nouvelle.
Kenna fut vraiment choquée lorsqu’elle l’apprit et son chagrin vint s’ajouter à celui des autres. Bien qu’ils n’aient pas fini leur deuil, ils durent reprendre leur route et laisser tout ça derrière eux. Ils leurs fallaient venir en aide à leurs amis. Mais face à l’armée de plus en plus grande d’Antonin, ils n’avaient aucune chance. Il fallait réunir des troupes pour leur venir en aide. C’est pour cela qu’Iris continua sa route à travers les villes du Nouveau Monde. Elle continua d’expliquer sa mission et de réparer ses torts avec l’aide de ses deux compagnons et elle recruta à chaque ville, des personnes mécontentes des lois totalitaires que créait Antonin chaque jour. Beaucoup de familles humaines souffraient de persécutions de mages qui les jugeaient inférieur. Les problèmes de langues et de cultures au sein des villes avaient amené à une communautarisation des quartiers. Des problèmes de guerres entre magiciens et sorciers perturbaient la vie des riverains. Ils croisèrent aussi des partisans de cet empereur assez charismatique et intelligent pour dominer la planète dans son intégralité. Leur périple dura quatre mois. Leur voyage fut interrompu par une annonce officielle d’Antonin :
– Votre empereur bien aimé vous parle. Je m’efforce de créer un monde d’harmonie, de réparer la catastrophe qui nous a tous ravagé, mais, un groupe de personnes malintentionné s’est formée, voulant remettre en cause tous mes efforts, tous nos efforts pour vivre en paix. Nous vous invitons à nous fournir un maximum d’information sur ce groupe de rebelle afin d’assurer notre sécurité à tous. À titre d’exemple, trois de ces criminels que nous avons capturés seront exécutés dans trois jours. J’invite le chef de cette rébellion, Iris de Félicité, à se rendre dans les plus brefs délais en échange de la vie de ses camarades.
Le recrutement s’était achevé ce jour-là, c’était l’heure de la guerre.
Iris guida ses troupes et les conduisit jusque dans la forêt qui entourait la citadelle. Elle expliqua sa stratégie à ses soldats. Une fois que tout le monde fut bien positionné, Iris se rendit aux portes de la ville avec beaucoup de détermination. Lorsqu’un des soldats lui demanda son nom, elle affirma :
– Iris de Félicité. Retenez ce nom, car, d’ici quelques heures, il sera gravé dans l’histoire.
Elle fut escortée avec le plus grand soin jusqu’au palais situé au milieu de la ville. L’intérieur était entièrement en noir et blanc, on se serait cru dans un échiquier. Des portraits et des sculptures d’Antonin étaient répartis dans chaque pièce. Ce narcissisme ne faisait qu’écœurer Iris, lui donnant presque la nausée. Lorsqu’elle fut enfin face à lui, elle ne fut plus seulement dégoutée par cet homme, elle le haïssait. Il était tout souriant, on ne dessellait pas la moindre tristesse dans ses yeux, aucun regret dans ses gestes. C’est comme s’il ne se sentait pas responsable de ce qu’il avait fait. Elle, qui n’arrivait plus à sourire depuis la réunification, ne pouvait pas croire qu’un être humain puisse être aussi insensible à la douleur des gens. Il s’avança vers elle et posa sa main sur son visage, elle le repoussa avec violence :
– Je suis ici, alors libère mes amis, ordonna-t-elle avec un ton exprimant tout son dégoût.
– Pas besoins de te montrer aussi distante. Tu sais, je t’ai longtemps attendu et je suis sûr que tu avais hâte de me retrouver. En fait, tu m’as manqué.
– Et bien pas moi ! s’exclama-t-elle. Maintenant, honore ta promesse et laisse partir Eden, Honoré et Lucian.
– Et si je n’en avais pas envie. Tu n’as tout de même pas imaginé que je les laisserais retourner dehors. Non, non, non, je ne vais pas les tuer, mais je les garde ici, précieusement, dans ma magnifique prison. Et toi aussi, tu restes ici, avec moi. Parce que tu es à moi, je t’ai choisi, le destin voulait qu’on soit ensemble.
– Tu as menti ! Pourquoi ne fais-tu que de manipuler les autres ? Tu es répugnant.
– Non, je t’ai seulement dit qu’ils ne mourraient pas, c’est toi qui as imaginé que je les relâcherais. Je ne vais pas les laisser sortir et accroitre la rébellion. Toi et tes amis représentez une trop grosse menace pour le bien de mon empire, je ne peux donc pas vous laisser libre.
– Si c’est à ça que tu veux jouer, alors il est temps pour toi d’affronter tes erreurs.
Elle se tourna et pointa son bras droit vers la grande baie vitrée située derrière elle. Elle la fit voler en éclat d’un éclair. À ce signal, son armée prit d’assaut la citadelle et s’engagea dans un combat sanglant avec le camp adverse. Antonin, complètement désemparé, se dirigea vers la fenêtre et observa la bataille qui faisait rage au sol :
– Tu m’as piégé ! Comment as-tu pu briser cette vitre ? Où as-tu trouvé ce pouvoir ?
– Un ange m’a rendu mes pouvoirs. Tu n’aurais pas dû me sous-estimer. Toutes ces personnes, en bas, se battront jusqu’à ce que tu périsses. Elles veulent te faire payer la mort de leur proche. Tu n’imagines pas comme elles sont déterminées.
– Je ne les laisserais pas faire. Rappelle tes troupes ! Ordonne-les d’arrêter ! Ou je serai contraint d’éliminer ton frère et tes deux amis.
– Je refuse. De toute façon, ils ne m’obéissent pas, je ne suis pas leur chef, je les ai juste réunis.
– Alors, tes amis mourront ! s’exclama-t-il avec la plus grande colère.
– Tu devras d’abord me vaincre ! Mais en es-tu capable ? interrogea-t-elle avec un ton provocateur.
– Sans le moindre doute. Dommage, on aurait pu faire de grandes choses ensemble.
Iris recula d’un pas, serra son poing avec toute la force qu’elle possédait, se concentra du mieux qu’elle put puis fonça droit vers son adversaire à une vitesse surhumaine. Elle fut ralentie par une sorte de barrière obscure que son rival avait postée droit devant elle, mais elle insista et réussit à percer la porte et à frapper son adversaire en pleine figure. Il répliqua en la jetant au sol d’un mouvement de bras. Elle ne resta pas longtemps à terre et envoya une des statues du mage noir droit sur l’original d’un geste. Il eut tout juste le temps de l’esquiver. Mais, c’était bien ce qu’elle avait prévu. Désormais, il était face à la vitre brisée. Elle envoya droit sur lui un éclair bleu qui le poussa dans le vide. Un long hurlement accompagna la chute d’Antonin. Elle regarda la fenêtre longtemps, soulagée de savoir qu’il ne pourrait plus nuire à personne et que cette guerre allait s’achever. Elle tourna les talons pour aller sortir ses amis de leur prison, mais elle n’eut pas le temps de quitter la pièce. Une puissante rafale de vent l’envoya contre un mur. Elle se releva lentement complètement sonnée par cette attaque-surprise. Lorsqu’elle se retourna, elle vit Antonin, bien vivant, plus déterminé que jamais. Des ailes noires sortaient de son dos, des cornes de son front. Ses muscles étaient bien plus imposants. Ses yeux verts brillaient comme ceux d’un chat la nuit ; il était entouré d’une fumée obscure : il était devenu un démon. Il fit exploser les dalles en dessous d’Iris et la blessa gravement, il recommença encore et encore sans jamais la laisser reprendre son souffle. Elle tentait de riposter, mais l’aura obscure qui se dégageait d’Antonin semblait l’affaiblir. Elle était vulnérable et cette fois, il n’y avait personne pour l’aider. Le démon ordonna d’une voix hautaine :
– Incline-toi face à ton empereur et supplie-moi de t’épargner !
– Jamais… je ne préfère mourir plutôt que de te donner la victoire. Je me battrais jusqu’au bout et je vaincrai !
Elle essuya les larmes qui coulaient sur ses joues et se dressa face à son adversaire. Elle le fixa droit dans les yeux avec la même lueur d’espoir qu’au début du combat. Il prononça une incantation et envoya sur Iris une sphère d’énergie violette. Bien qu’elle en ait eu le temps elle n’esquiva pas, elle regarda le sort arriver en criant les mots :
– Pour ma mère ! Pour ma sœur ! Pour tous les morts ! Pour Hierro-Terra et Fortius-Mancie ! Je vaincrais !
Alors que la sphère n’était plus qu’à un mètre d’elle, elle posta son bras face à ses yeux en guise de bouclier. Une lumière dorée l’enveloppa alors, et dévia l’attaque adverse, faisant exploser un des murs. De longues ailes du blanc le plus pur sortirent de ses omoplates et une auréole se posta en diadème sur son front. Sa peau luisait d’une lumière si claire qu’elle en était aveuglante. Elle s’était elle aussi métamorphosée en l’incarnation de la bonté et de la pureté, un ange.
En bas, les combattants, humains comme mages, se menaient une guerre sans merci. Les pertes se comptaient par centaines dans les deux camps. Les forces d’Antonin étaient le plus affaiblies, sans doute parce qu’elles n’étaient pas persuadées de la légitimité de leurs actes. Sur le champ de bataille, Matt et Kenna utilisèrent toutes leurs forces afin de percer à travers la masse et atteindre le palais. Mais l’intérieur aussi était gardé. Dans le hall, attendaient Kira et Aurélian. Bien qu’ils aient facilement triomphé de plus d’une vingtaine d’ennemis, ils savaient que ce duel s’annonçait bien plus compliqué que les autres. Matt, en voyant son frère, tenta de lui faire entendre raison une dernière fois :
– On n’est pas obligé d’en arriver là. Laisse tomber Antonin et rallie-toi à nous.
– Je ne renoncerai pas à ma puissance pour toi. Je suis prêt à en finir. Tu sais, expliqua-t-il en gloussant, j’ai toujours rêvé du jour où je me débarrasserais de toi. J’ai des frissons rien qu’à l’idée de te tuer de mes mains. Calme-toi Aurélian, se dit-il à lui-même. Ah ! Quelle sensation merveilleuse !
– Comment peux-tu dire ça à ton frère ?! s’exclama Kenna. Vous êtes de la même famille, c’est plus important que tes histoires de puissances.
– Oh, comme c’est mignon ! Ta petite amie a de la peine pour toi, regarde comme elle souffre, affirma-t-il avec ironie. Le petit chanceux, toujours entouré et aimé. C’est pour ça que je t’ai toujours détesté. Mais ne t’en fais pas, je vais te faire comprendre ce que c’est de perdre un être cher. Comme ça tu mourras moins bête !
À peine eut-il fini sa phrase, qu’il enchaina avec une courte incantation. Celle-ci n’eut aucun effet apparent. Matt fut surpris d’un tel échec et se moqua de son frère :
– C’est ça la puissance dont tu parlais, j’attends toujours de la voir. Finalement, tu n’es pas capable de grand-chose. A moi de te montrer ce qu’est le vrai pouvoir.
Matt tendit ses deux mains vers son frère et fit apparaitre une épée très longue et très épaisse. Il se dirigea ensuite lentement vers son frère en pointant l’arme vers lui. Kira vida son chargeur sur Matt afin de le repousser, mais d’un coup de lame, il brisa toutes les balles en deux. Ensuite il s’exclama :
– Kenna, je te laisse te charger d’elle ! Fait gaffe cette cinglée tire sur tout ce qui bouge.
Kenna resta figée, le regard vide et le visage sans expression. Matt la dévisagea quelques instants en se demandant ce qui lui arrivait. Jusqu’à ce qu’il se souvienne de son dernier affrontement avec son frère, de la marionnette Cristal, qui était elle aussi complètement inexpressif. Quand il eut tout compris, il laissa tomber son arme et se précipita vers elle. Il posa ses mains sur les épaules de Kenna et la secoua comme pour la réveiller puis, voyant qu’elle ne réagissait pas, il se tourna vers son frère :
– Tu l’as changé en marionnette ? interrogea-t-il paniqué.
– Alors, que penses-tu de ma puissance ? Surprenante, n’est-ce pas ? Et tu n’as encore rien vu. Que le spectacle commence !
Aurélian invoqua les trois mêmes pantins que la dernière fois. Il les fit attaquer tous en même temps. En plus des marionnettes, il y avait Kira qui l’affrontait. Matt ne savait pas où donner de la tête, s’il se défendait à droite on l’attaquait à gauche et réciproquement. Il avait absolument besoin d’aide, mais il n’y avait personne pour la lui fournir. Il réussit à couper les pattes de l’araignée et à trancher son abdomen, mais reçut une balle enflammée en pleine épaule en le faisant. La douleur était encore supportable, du moins jusqu’à ce que le lion plante ses dents en plein dans sa cuisse. Il hurla du plus fort possible, complètement rouge et en sueur. Il planta son arme dans la tête du félin pour s’en débarrasser, puis il s’effondra au sol à cause d’une nouvelle attaque de Kira. Il essayait tant bien que mal de se relever, mais ses bras n’avaient plus de force et ses jambes n’étaient plus en état de le porter. Aurélian fit disparaitre son dernier pantin et se posta juste au-dessus de son frère :
– Kira, laisse-moi achever ce triste spectacle ! s’exclama-t-il avec jubilation.
Après avoir fait voltiger son frère à deux mètres d’un coup de pied, il reprit :
– C’est ta copine qui va te tuer. Voyons voir ce dont ma nouvelle marionnette est capable.
Matt, recroquevillé sur lui-même, regardait Kenna s’approcher pour l’achever. Il essayait de s’éloigner en rampant, tout en parlant à son ami pour la sauver de l’emprise d’Antonin, mais elle continuait d’avancer tout en se transformant en dragon. D’un coup de griffe, elle le balaya, lui laissant une vilaine marque ensanglanté sur la joue. Elle recommença, encore et encore, attaquant à toute vitesse grâce à ces immenses ailes écailleuses. Matt s’accrochait à la vie, il réessaya même de se relever après les furieuses attaques du dragon. Son frère contemplait le spectacle, il souriait même. Mais il se rendait bien compte que ce n’était pas de la joie, en fait, il était lui-même conscient que ce n’était que de la folie. À force de regarder Matt souffrir, il finit par douter, mais il ne s’arrêta pas pour autant. À chaque doute, il augmentait la force des attaques comme pour se rappeler à l’ordre. Finalement, las de ce spectacle, il décida de passer au final :
– Eh bien, je pense que ce jeu a assez duré. Il est temps d’y mettre un terme ! Adieu, mon cher frère.
Kenna, élevée dans les airs, prit une grande inspiration. La flamme qu’elle s’apprêtait à envoyer allait sans le moindre doute carboniser Matt. Celui-ci, poussé par l’adrénaline d’un homme affrontant la mort, trouva enfin la force de se relever. Il tenta une dernière fois de résonner Kenna :
– Je… je sais que tu peux rompre le sort. Réveille-toi ! T’es une battante. Tu es la fille la plus forte et la plus courageuse que je connaisse. C’est pour ça que… je suis tombé amoureux de toi. Alors, ne me déçois pas !
Des yeux de Kenna dévalaient de petites gouttelettes d’eau. Elle était toujours envoutée, mais elle commençait à se dégager de l’emprise d’Aurélian. Matt continua de lui parler :
– Ne pleure pas, on n’a pas encore perdu. Je sais que tu vas réussir, je me bats à tes cotés. Eden, Lucian et Honoré ont besoin de nous. Iris nous attend là-haut. On ne peut pas les laisser tomber ! Et on ne peut surtout pas laisser mon crétin de frère gagner, ce serai trop ridicule ! Pas vrai ?
– O…ou…oui, bafouilla Kenna.
– Tu as parlé ! C’est génial continu comme ça.
Elle lui sourit, puis elle essaya du mieux qu’elle pût de bouger. Elle réussit à se tourner vers Aurélian et Kira, puis à se gonfler de nouveau. Un immense jet enflammé enveloppa les deux ennemis et les brula vif. La flamme les dévora jusqu’à ce que les hurlements des deux mages cessent. Kira et Antonin s’en sortirent vivants, mais avec l’intégralité du corps couverts de cloques et brulés. Kenna ne s’attarda pas sur leur sort ; après tout ils n’avaient eu que ce qu’ils méritaient. Elle vola jusqu’à Matt qui lui tomba immédiatement dans les bras. Elle posa sa main sur le front de son bien-aimé puis elle l’embrassa avec la plus grande passion. Elle se servit ensuite de sa magie, afin de faire pousser des écailles sur les plaies de Matt et ainsi, les reboucher. Elle l’aida à marcher dans le palais. Elle trouva une chambre entre-ouverte avec en plein centre un lit double si confortable qu’il invitait à y dormir. Elle y déposa Matt puis elle lui expliqua :
– Je vais aller libérer les autres, comme ça ils s’occuperont du reste. Je te promets de revenir le plus vite possible. Je vais bloquer la porte avec un sort, comme ça tu ne risqueras rien. T’as qu’à dormir en attendant.
– Je vais bien. Je veux aider ! s’exclama-t-il.
– Vraiment ?! Tu ne peux même plus marcher ! Reste ici, et repose-toi. On a pas besoin d’un mort de plus.
Kenna le laissa sur cette phrase, puis elle ferma la porte. Elle avança dans les couloirs en appelant ces amis. Elle eut rapidement une réponse venant de l’autre côté d’un mur. Seul problème, il n’y avait aucune porte apparente pour y pénétrer. Elle interrogea les garçons de l’autre côté pour en apprendre plus sur cette cellule :
– Les garçons, c’est moi, Kenna. Je ne sais pas comment vous faire sortir d’ici mais je vous promets que j’vais y arriver. Si vous avez une idée, je suis preneuse.
– Sans vouloir t’offenser, répondit Eden, si on savait comment sortir, on se serait déjà évadé !
– Vous pouvez vous servir de votre magie ? interrogea-t-elle.
– Oui, mais elle ne semble pas fonctionner ici, expliqua Honoré.
– Ça marchera peut-être depuis l’extérieur, reprit-elle, écartez-vous de ce mur, je vais donner tout ce que j’ai.
Elle prit le plus de hauteur possible et envoya sans interruption des flammes sur le mur. Sans résultats. Elle essaya de le percer à la force de ses poings, mais ses phalanges furent bien plus abimées que le ciment. Elle tenta ensuite de se projeter à toute vitesse et entièrement en flamme contre le mur. Malgré la puissance de l’attaque, il n’y eut pas une fissure, pas la moindre trace d’impact. Ce mur était un adversaire redoutable. Mais il devait bien être possible de le traverser puisque les autres étaient derrière. Elle longea le mur, l’observa sous toutes ses coutures, le palpa de ses petites mains écailleuses et finit par toucher un endroit avec une texture bien plus lisse que les autres. Lorsqu’elle appuya sur cette petite partie, une porte en bois apparut sur le mur. Eden, Lucian et Honoré étaient désormais libres. Kenna s’empressa de tout leur raconter sur l’affrontement qui se déroulait dans la citadelle, sur le retour d’Iris et sur le décès de Rùna. Tous ces événements furent compliqués à assimiler d’un seul coup, mais une fois qu’ils eurent tous les trois mesuré la situation, ils se mirent en route vers le sommet du palais où se déroulait une bataille épique.
Iris découvrait ses pouvoirs au fil du combat, alors qu’Antonin semblait les maitriser parfaitement. C’est ce qui porta le plus préjudice à Iris et qui la rendu rapidement vulnérable. Elle reçut bien plus d’attaques qu’elle n’en donna. Antonin pouvait en plus des enchantements utiliser un arc venant des ténèbres et contrôler des créatures de l’ombre. Elle continua de lui envoyer de puissants éclairs bleus jusqu’à ce qu’elle reçoive une des flèches dans son bras. Afin de pouvoir retirer le projectile tranquillement, elle s’envola pour être hors d’atteinte. Mais à peine eut-elle touchée la flèche, qu’elle s’illumina et se transforma en un boomerang d’or et d’ivoire, portant le symbole des ailes et de l’auréole. Cette fois, Iris dominait la bataille et s’attaquait avec force et acharnement à son adversaire. Le boomerang détruisait chaque flèche et en profitait pour entailler un peu plus Antonin à chaque lancée. Une aile, deux ailes. Le démon était désormais cloué au sol. Ne pouvant plus voler, il se précipita à toute vitesse vers Iris et décolla d’un bond pour se jeter sur elle. Ils atterrirent violemment au sol, lui au-dessus d’elle et la maintenant de toutes ses forces. Essoufflé, il lui expliqua :
– J’en ai marre de te combattre ! Je ne suis pas ton ennemi… Nous deux, on est pareil. Je n’ai pas choisi d’être un magicien, j’ai perdu ma famille moi aussi et tout ce que je veux, tout ce que j’ai toujours voulu, c’est aider les gens en les réunissant, en leur permettant d’échanger leurs cultures et leurs connaissances, afin de bâtir un meilleur monde. Et bien que le décès de toutes ces personnes soit regrettable, ce n’est qu’un moindre mal quand on sait ce que leur sacrifice va apporter au monde. Ce n’est pas en se faisant la guerre ou en s’accablant de reproche que l’on changera le passé. On doit s’unir pour construire l’avenir, c’est notre destin.
– Je ne me laisserai pas berner cette fois ! Je ne suis pas comme toi ! Personne ne t’a demandé de faire quoi que ce soit, personne n’a jamais voulu ce qui est arrivé. Et quoique tu fasses, quoi que tu offres à ces gens, tu ne combleras jamais la tristesse et la haine qui les rongent.
– Bien, je vois. Tu ne m’aideras pas. Tant pis pour toi ! s’exclama-t-il. Adieu Iris de Félicité, tu seras la dernière sacrifiée du Nouveau Monde.
Eden pénétra la pièce à cet instant précis et d’un mot brisa la flèche qu’Antonin s’apprêtait à enfoncer dans le cœur d’Iris. Cela donna le temps à Iris de se dégager de son adversaire et de prendre son envol. Elle se jeta ensuite dans les bras d’Eden, heureuse de le revoir :
– Je suis tellement heureuse que tu n’aies rien ! s’exclama-t-elle. Je suis désolée de t’avoir abandonné.
– C’est moi qui suis désolé. J’aurais dû essayer de te suivre, de te garder près de moi. Je ne veux plus jamais te quitter !
– Moi non plus. Pendant mon voyage, j’ai réalisé que tu étais tout ce qu’il me reste. J’aurais voulu te pardonner plus tôt. Mais au moins, j’aurais pu te serrer dans mes bras une dernière fois avant de mourir.
– De quoi tu parles ? Mourir ! Pourquoi serait-ce la dernière fois qu’on s’enlace ?
– Je suis condamné. Après la guerre, je serai exécutée pour mes crimes.
Eden resta bouche bée face à cette annonce. Afin de le rassurer, Iris s’approcha de lui pour tenter de l’embrasser. Mais juste à cet instant, ils furent séparés par une violente onde de choc. Antonin s’exclama alors à bout de nerf :
– Je refuse de perdre ! Qui êtes-vous pour me tourner le dos lors d’un combat ?! C’est une insulte que je ne saurais tolérer !
– Je crois que t’as pas tout pigé mon pote, répondit Matt. T’as déjà perdu et tu sais, ce n’est pas d’Iris et de ses pouvoirs que tu devrais avoir peur, mais plutôt de moi et mon épée. J’ai comme qui direz pas apprécié le séjour en prison que tu m’as imposé.
L’épéiste se saisit de sa meilleure épée et appela ses amis à le rejoindre au combat. Antonin ne savait plus où donner de la tête, et sans ses ailes, il lui était quasiment impossible de prendre la fuite. Le démon lutta de toutes ses forces et parvint même à asséner quelques coups à ses adversaires, mais il ne tint pas plus de dix minutes. Alors qu’il allait se faire attaquer par un ultime sort d’Iris, il se laissa tomber au sol et soupira :
– Je renonce, faites de moi ce dont vous voudrez ! Allez, tuez-moi ! Faites-moi payer d’avoir voulu aider les autres et d’avoir échoué. Je mérite bien de mourir pour être né héritier du sorcier. Donnez aux autres ce qu’ils veulent encore plus qu’une vie de bonheur, aider les à se venger !
Tous se tournèrent vers Iris. En tant qu’héritière de la reine Céleste et du pouvoir des anges, c’était à elle de décider du sort de leur ennemi. Iris savait qu’Antonin ne méritait que la mort pour tout ce qu’il avait fait et tous ceux qu’il avait tués. Elle repensa à sa mère et à sa petite sœur qui avait perdu la vie à cause des plans du mage. Elle avait beaucoup de peine et de rancune. Toute sa vie avait été bousculée, tout ce à quoi elle croyait, tout ceux qu’elle aimait, sa famille, sa ville et même sa vie avait était mis en péril à cause de l’égoïsme d’Antonin. Si elle devait mourir pour avoir contribué à la réunification des deux mondes, pourquoi pas lui ? Après tout, tous les habitants de la planète souffraient à cause de lui. Alors pourquoi devrait-il être pardonné ? Il ne devrait pas avoir le droit de vivre. Mais malgré cela, elle n’arrivait pas à le tuer. Elle n’en avait pas le courage. Pourtant c’était ce qu’elle voulait. Mais une sorte de compassion malsaine l’empêcher d’appliquer sa vengeance. Quand elle le regardait, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la pitié. Elle voyait un jeune garçon qui avait perdu ses parents à cause de la magie qu’il avait hérité. Elle voyait un adolescent qui voulait changer le monde en mieux, lui apporter la connaissance. Un jeune homme qui sans le vouloir avait détruit le monde en tentant de créer une utopie. Antonin avait beau être le bourreau de millions de personnes, il était aussi une victime, la victime de sa propre naissance. Elle se tourna vers ses amis embarrassés, le regard peiné. Ils comprirent tout de suite ce qu’elle avait décidé. Elle s’approcha silencieusement d’Antonin et tendit le bras dans sa direction. Par réflex, il sursauta et ferma les yeux. Lorsqu’il rouvrit ses paupières, il vit que la main de l’adolescente était toujours tendue vers lui. Il regarda longuement le visage souriant d’Iris puis finit par saisir le bras de l’ange et par l’attirer vers lui. Immédiatement, les garçons qui crurent à une ruse de leur adversaire, se préparèrent à attaquer. Mais Antonin ne fit qu’enlacer la jeune fille, qui sans le vouloir rougit à cette étreinte. Il lui chuchota à l’oreille :
– Accorde-moi une volonté, s’il te plait.
– Laquelle ? interrogea-t-elle.
– Je veux que tu me pétrifies. Même si tu ne veux pas me tuer, le peuple se chargera de moi. Ils croient que si je meurs, ils seront plus heureux. Ils ont faux, toi aussi tu le sais. Mais ils ne pourront rien me faire, si tu me changes en pierre. Je ne veux pas mourir. J’aimerais faire partie de ce monde et l’observer évoluer. C’est quand même moi qui l’ai créé.
– Comment savoir si ce n’est pas une ruse ?
– Tu n’as qu’à me jeter un sort si puissant que personne ne pourrait y remédier. Je t’en prie, accepte. Je ne poserais plus de problème à personne comme ça.
Elle le regarda longuement et finit par acquiescer. Avec l’aide d’Eden et d’Honoré, elle le changea en statue. L’expression qu’il fit au moment du sort resta figée dans la pierre. C’était un visage souriant, avec un regard plein de malice. Iris ne fut pas surprise. Elle savait plus que quiconque à quel point il avait rêvé de ce nouveau monde. Elle comprenait la joie qu’il devait ressentir à l’idée d’en faire partie à part entière et ce, pour l’éternité.
Le combat était désormais achevé et les deux armées n’avaient plus de raisons de s’affronter. C’est Iris, depuis le ciel, qui appela chaque soldat, humain comme mage à faire la paix. Les habitants avaient eu leur vengeance et étaient désormais débarrassés de leur empereur. Il fallut cinq jours pour ramasser les corps tombés sur le champ de bataille. La cérémonie de leur enterrement se fit en grande pompe. On commémora à la fois les morts de cette guerre d’un jour et tous les sacrifiés du Nouveau Monde. Ce jour de deuil fut suivi d’un jour de fête censé faire table raz du passé et permettre aux rescapés de se préparer à un avenir que tous espéraient glorieux. Afin d’assurer provisoirement le maintien sur la planète, un conseil de la magie et de l’humanité fut composé. Matt, Lucian, Eden et Honoré en furent nommé dirigeant à vie en récompense de leur contribution capitale dans la fin de cette guerre. Ils étaient désormais les gardiens du monde.
Iris, ayant tenté de racheter ses fautes, ne fut pas exécutée. Mais au vue de sa responsabilité dans la réunification et toutes les catastrophes qui en avaient découlé, elle fut condamné à l’exil sur une petite île perdue en pleine mer, ayant pour obligation d’apporter son aide à la reconstruction du monde dès que l’on le lui exigerait. Eden, en plus de son rôle de dirigeant, fut chargé de la surveiller et de lui apporter tout ce dont elle aurait besoin. Il emménagea avec elle et au bout de deux années passées ensemble, ils se marièrent en petit comité. Kenna et Matt profitèrent de cet instant de romantisme pour se fiancer à leur tour.
Le monde se reconstruisit petit à petit, et la légende d’Iris de Félicité et d’Antonin Dantareste resta gravée dans les mémoires de toutes les générations qui suivirent. La réunification amena les hommes et les mages à travailler ensemble et la magie et la science combinée apportèrent au monde une avancée inimaginable auparavant. La technologie dépassa l’entendement. De nouveaux sorts ainsi que de nouvelles catégories de mages virent le jour. En moins de cinquante-ans la plus part des villes furent reconstruites avec des bâtiments futuristes souvent aussi haut que l’était anciennement le palais des lumières. Malgré la fondation de nouvelles républiques et de nouveaux royaumes, le conseil de la magie et de l’humanité continua d’exercer un grand pouvoir sur le monde. Ce gouvernement censé être provisoire au départ acquit au fil des années un pouvoir immense qui finit par menacer la paix dans le monde soixante-ans plus tard…

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