Il était neuf heures passé et elle n’était toujours pas prête. Elle s’empressa d’enfiler un débardeur blanc et une jupe en jean bleu avec de petites ballerines blanche. Et après un rapide coup de peigne dans ses longs cheveux noisette, elle sortit et se dirigea à toute vitesse jusqu’au lycée.
Eden ne se trouvait pas dans l’antre. Il était monté dans la chambre de Matt pour lui parler de ce qui s’était produit la veille et lui proposer de venir avec eux rechercher le collier. Mais tout ce qu’il trouva, c’est une chambre vide, avec seulement une lettre, posée sur le bureau en chêne. Il la déplia délicatement :
« Iris, Eden, j’ai déserté, je ne voulais pas que le tribunal me retrouve Je n’ai pas le cran d’assumer mes responsabilités. Je dois encore vous paraitre égoïste. Dans tous les cas, je ne reviendrai pas avant de retrouver le collier, alors on ne se reverra peut-être pas. Faites comme si je n’avais jamais existé, je ne veux pas que vous m’attendiez ou me recherchiez.
Eden, je suis le seul responsable de tout ce qui s’est passé, mais, je mentirai en te disant que je regrette. Je n’étais tout simplement pas prêt à sacrifier une amie pour ce collier. Je n’aurais pas dû être désigné gardien avec toi.
Iris, tu n’as pas à t’en vouloir. Ce combat n’est pas le tien, tu n’aurais pas dû être exposée aux dangers de la magie. Si Eden voulait se mettre à la recherche du collier, ne le suis pas. Je souhaite que tu reprennes ta vie comme elle était avant. Je tiens surtout à m’excuser d’avoir à te laisser seule, toi qui as été tant de fois abandonnée. Tu ne mérites pas de souffrir à cause de moi.
Matt. »
Quand il eut enfin fini de lire, il déchira la lettre dans un moment de désarroi. Bouleversé par ce mot laissé par son meilleur ami et coéquipier, il réfléchit un instant à ce qu’il devait faire vis-à-vis d’Iris, mais se décida finalement à ne rien lui dire malgré la volonté de Matt. Il pensait que c’était la meilleure chose à faire pour qu’elle continue de rechercher le collier sans être trop distraite. Il devait lui cacher la vérité pour s’assurer son entière coopération. Le collier était son seul objectif, peu importe les mensonges et les trahisons, il était prêt à tout pour arriver à ses fins.
Lorsqu’il retrouva la jeune fille dans l’antre, elle lui demanda la raison de son retard. Il lui expliqua s’être rendu dans la chambre de Matt afin discuter, mais qu’il n’avait pas pu, car il était parti chez son oncle pendant les vacances. Assez naïve, elle ne posa pas plus de questions.
Les recherches commencèrent dans les autres antres de l’ancienne école. Ils frappèrent un à un à chaque porte pour obtenir des informations des autres mages, mais aucun ne semblait savoir où Lucian se trouvait. En fait, certains sorciers paraissaient avoir quelques informations, mais à chaque fois, ils restaient très évasifs et paraissaient effrayés à la simple prononciation de son nom. Les recherches semblaient compromises, ils n’avaient aucune piste et ne savaient rien des habitudes de Lucian. Ils n’abandonnèrent pas pour autant. Il fallait élargir leurs champs de recherche à l’intégralité de la ville, mais aussi à la capitale de la sorcellerie du monde magique, Urbenigri. Eden s’y rendit, laissant à Iris la charge de fouiller Pyravis. Celle-ci commença par faire des recherches dans le parc. Elle eut beau fouiller, il n’y avait pas trace du voleur. Par contre, elle y trouva les deux jumelles en train de discuter assises sur la pelouse. Aélys la salua avec son sourire et son regard malicieux. Méliana, elle, semblait pâle et mal à l’aise en présence d’Iris. Elle demanda à lui parler, seule à seule. Au début, son amie resta silencieuse, alors Iris essaya d’engager la conversation :
– Tu n’as pas l’air bien Méliana. Tu n’es pas malade au moins ?
– Non, ce n’est pas ça… si tu savais comme je suis désolée, dit-elle en pleurnichant.
– De quoi tu parles ? Reprends ton calme et dis-moi ce qu’il y a.
– Je n’aurai pas dû faire venir les garçons… À cause de moi, tu as été blessée !
– Tu as tout vu ? interrogea-t-elle, angoissée.
– Je ne sais pas vraiment ce que j’ai vu, mais tout est de ma faute.
– Non, tu n’as pas à t’en vouloir, les garçons se seraient quand même battu tôt ou tard. Et regarde, je vais bien.
Iris consola son amie puis lui expliqua toute la situation. La magie, la disparition du collier, elle lui dévoila tout et lui fit promettre de ne rien dire, pas même à Aélys. Elle acquiesça d’un signe de tête puis retourna auprès de sa sœur. Iris les laissa seules et reprit ses recherches. Elle se rendit aux quais, le lieu idéal pour s’aménager une planque à l’abri des regards. Les lieux étaient la plus part du temps vide, seuls quelques pêcheurs venaient encore. Les entrepôts aux vitres cassées et aux murs en tôle rouillée servaient pour la plupart de repère aux gangs. Traîner dans les parages était plutôt dangereux, mais il fallait prendre des risques pour retrouver Lucian.
De son côté, Eden, sous une longue cape noire, arpentait les rues d’Urbenigri. La ville était sombre de jour comme de nuit et les rues étaient de véritables labyrinthes, truffés de pièges pour éloigner les intrus et pour entraîner les sorciers. Comme dans la plupart des villes magiques, les boutiques et les restaurants étaient à la surface de la ville. Pour accéder aux habitations, il fallait passer par les diverses trappes encrées dans le sol. Où qu’on soit, on pouvait voir l’immense temple d’où les trois sages obscures dirigeaient chaque territoire de sorcier. La puissance qui s’en dégageait réduisait les pouvoirs des magiciens dans l’enceinte de la ville. Il se posta à l’entrée afin d’écouter les conversations de chaque individu passant par là. À sa grande surprise, personne n’évoqua le vol du collier, pourtant, cet événement était d’une importance capitale pour les sorciers. Lucian aurait-il dissimulé à tous qu’il était parvenu à acquérir le collier des Anges ? Que pouvait-il bien manigancer ? En tout cas, il était maintenant certain qu’il n’était pas retourné à Fortius-Mancie. Eden se résigna à rentrer à Pyravis bredouille.
Iris faisait le tour des entrepôts lorsqu’un grincement attira son attention. C’était le bruit d’une porte qui s’ouvrait. Elle vit sortir d’un des bâtiments, une bande de types à l’allure peu fréquentable, avec parmi eux, Lucian. Le collier était autour de son cou. Il fallait intervenir avant qu’il ne disparaisse de nouveau. Elle les suivit discrètement jusqu’à la gare, d’où ils comptaient s’enfuir à Hérédite. Elle dut rapidement se procurer un billet de train afin de le suivre jusque là-bas. Elle s’installa sur la banquette dos à celle de Lucian afin de l’écouter parler à ses acolytes :
– Quand nous arriverons à Hérédite, nous formerons deux groupes. L’un ira voler les archives secrètes de la bibliothèque nationale. C’est là que sont cachés les derniers grimoires de Hierro-Terra. Pendant ce temps, l’autre groupe viendra avec moi aux ruines Céleste, un des derniers lieux datant d’avant la séparation. On y trouvera peut-être un indice sur le fonctionnement du collier.
– Ouais mais chef, si on se fait prendre dans les archives, on sera condamné. C’est plutôt risqué, non ?
– On ne discute pas les ordres ! Ne vous faites pas remarquer et tout ira bien. Si ce plan réussit, les mages n’auront plus à subir les règles stupides des trois sages et du tribunal. Antonin règnera sur les deux univers avec nous et ainsi, nous reformerons le monde originel.
– Excusez-nous chef, on ne doutera plus de vos plans.
Iris était intriguée par leurs objectifs, rien de tout ce qu’ils avaient dit ne laisser présager un quelconque danger. La crainte d’Eden n’avait pas lieu d’être si Lucian n’obéissait pas aux sages obscurs. Bien sûr, il voulait dominer le monde, mais il était dit dans le grimoire que seuls les sages et les membres du tribunal savaient s’en servir. Mais qu’importe, elle devait retrouver le collier pour faire revenir Matt et sa mère.
Quand le train entra en gare, elle prit la décision de suivre le groupe qui se rendait aux ruines. Peut-être était-ce celle de son rêve ? Elle avança dans la rue à seulement quelques mètres de Lucian, se cachant dans des ruelles où entre des groupes de personnes à chaque fois qu’il se retournait. Malheureusement, elle fut distraite par des musiciens qui jouaient sur le bas-côté et perdit de vue les mages. N’ayant aucune idée du lieu où se trouvaient les ruines, elle paniqua et couru dans tous les sens pour essayer de retrouver les sorciers. Sa course s’arrêta lorsqu’elle se cogna dans un passant. C’était Honoré, son grand frère. Cela faisait maintenant quatre ans qu’elle ne l’avait pas vue, quatre ans qu’il l’avait abandonné. La gorge serrée et l’estomac noué, elle resta à terre plusieurs minutes, paralysée par la surprise et la rancune. Lorsqu’il s’approcha d’elle pour l’aider à se lever, elle repoussa sa main, se releva brusquement et s’éloigna rapidement de lui. Elle courut une dizaine de minutes sans suivre une direction précise. Essoufflée, c’est en face de la bibliothèque nationale qu’elle s’arrêta. L’immense bâtiment en forme de livre était fermé depuis cinq minutes et ne rouvrirait qu’à quatorze heures, quand tous les employés auraient déjeuné. Elle était presque sûre que la bande de tout à l’heure attaquerait maintenant. C’est ce qui lui donna une idée. Elle s’introduirait elle aussi dans les archives et ainsi, se ferai remarquer par les voleurs. Avec un peu de chance, ils l’emmèneraient jusqu’à Lucian. Là, elle pourrait s’emparer du collier. C’était risqué, mais c’était la seule solution. Il restait un problème : entrer dans la bibliothèque. Elle essaya d’abord de grimper sur un arbre pour passer par une fenêtre ouverte, mais, au bout d’une dizaine d’échecs et une foulure au poignet, elle renonça. Elle tenta ensuite, en vain, de trouver un passage secret dans les murs. Résignée, elle essaya une dernière chose : appuyer sur la poignée de porte. Cette dernière tentative s’avéra plus fructueuse que les deux autres. Grâce à l’oubli des employés, elle put entrer dans le bâtiment. Le bruit que faisait le groupe de voleur la conduisit directement aux archives. Lorsqu’elle pénétra dans la pièce, les sous-fifres de Lucian se retournèrent brusquement vers elle. Ils pointèrent tous leurs armes vers elle. Le plan ne se déroulant pas tout à fait comme prévu, elle tenta quelques mensonges pour arriver à ses fins.
– Vous feriez une effroyable erreur en me blessant ou en m’éliminant.
– Et pourquoi ça ? interrogea l’un des mages.
– Eh bien, parce que c’est Lucian qui m’a demandé de venir vous aider. En fait, je suis une alchimiste qu’il vient de recruter. Comment aurais-je pu savoir où vous vous trouviez sinon ? Si vous ne me croyez pas, amenez-moi à Lucian, il vous le confirmera. Si je mens, il se chargera de moi lui-même.
Les sorciers se tournèrent tous vers une femme qui observait la scène depuis le début. Ses yeux verts fusillaient Iris. Elle sortit deux armes à feu et en pointa une sur la nuque d’Iris et l’autre sur sa tempe gauche.
– Je l’emmène. Finissez le boulot et retrouvez-moi aux ruines.
– A vos ordres dame Kira, s’exclamèrent-ils en chœur.
Iris tremblait à cause des armes que la jeune femme pointait sur elle, mais elle était tout de même joyeuse à l’idée d’avoir réussi à retrouver la trace de Lucian. Arrivées aux ruines, Iris sentit un immense frisson la traverser. Elle n’était jamais venue auparavant et pourtant les lieux lui étaient familiers. Plus elles avançaient, plus Iris se sentait mal. Elle commençait à perdre l’équilibre, son cœur battait de moins en moins vite et sa vision était de plus en plus trouble. À l’entrée de la salle où se trouvait Lucian, elle sentit comme une décharge électrique parcourir tout son corps. La douleur devint insoutenable si bien qu’elle s’effondra sur le sol en se tordant de douleur. Au bout d’une minute, elle perdit totalement connaissance. Kira lui mit alors un énorme coup de pied dans le ventre pour la réveiller, mais cette technique plus que brutale ne permit pas de réanimer la jeune fille. Lucian s’approcha d’elles et se pencha au-dessus d’Iris pour prendre son pouls. Heureusement, elle n’était qu’inconsciente. Kira fit comme si de rien était et interrogea Lucian sur les dires de l’adolescente.
– Vous la connaissez ? Elle prétend être une alchimiste que vous auriez engagée.
– C’est bien une connaissance, mais ce n’est qu’une humaine tout ce qu’il y a de plus banal.
– Elle m’a menti cette sale gamine ! s’exclama Kira énervée. Elle va me le payer !
Elle prit son arme et la dirigea droit sur le front d’Iris. Lucian lui saisit alors brutalement le bras et d’un air sévère, il la réprimanda :
– Arrête ! Je ne me rappelle pas t’avoir demandé quoi que ce soit !
– Mais chef…
– Silence ! Cette jeune fille est notre invitée, je ne te laisserai pas toucher à un seul de ses cheveux.
– Je suis désolée, je ne savais pas qu’elle était si importante à vos yeux…Si vous le permettez, je me retire. Je vais garder l’entrée.
– Attends Kira ! Que lui as-tu fait pour qu’elle finisse dans cet état ?
– Rien chef, elle a commencé à se sentir mal à l’entrée des ruines.
– C’est tout ce que je voulais savoir. Tu peux partir.
Kira s’éloigna, honteuse et enragée. Il valait mieux pour Iris qu’elle ne se revoie plus. Lucian, après son départ, utilisa sa magie des éléments pour fabriquer un lit à l’aide des plantes qui poussait sur les murs. Ensuite, il y déposa Iris avant de reprendre ses recherches. Il analysait depuis son arrivée les fresques murales pour comprendre un peu mieux l’histoire du collier. Les dessins représentaient la reine Céleste avec à son cou le collier. Sur chacune de ses mains, une aile s’illuminait. Une auréole dorée était gravée sur son front. D’autres scènes représentaient la reine enceinte puis une enfant possédant les mêmes marques brillantes sur les mains et le front. Lucian savait maintenant qu’il ne pourrait utiliser le collier qu’en retrouvant un héritier de la reine. Sans plus d’indice, la recherche prendrait des années. Les deux univers comptaient chacun plusieurs milliards d’habitants et tout ce qu’on savait de cette personne, c’est qu’elle avait des marques sur les mains et le front. Etait-ce un mage de Hierro-Terra ou de Fortius-Mancie ? Une fille ou un garçon ? Il ne restait plus qu’à espérer que les archives lui en apprennent plus.
En attendant l’arrivée de ses sbires, il s’intéressa de plus près à la petite curieuse allongée sur les plantes. Il était plutôt impressionné qu’elle ait réussi à retrouver sa trace avec autant de facilité. Il s’assied au bord du lit et l’observa. Elle était si calme et apaisée. Endormie, elle lui paraissait vulnérable, innocente. Cette faiblesse la rendait étrangement attirante à ses yeux. Il ne savait pas quoi faire d’elle, il ne voulait pas la blesser. Lucian montait une rébellion contre le tribunal de la magie et contre les trois sages, et il était prêt à tout pour arriver à ses fins. C’est pour cela qu’il n’avait pas hésité à s’en prendre à elle dans le parc. Mais cette fois, Iris n’était pas concernée par tout ça. Elle ne mettait pas en danger ses plans et n’y contribuait pas non plus. En fait, elle n’aurait même pas dû être mêlée à toutes ses histoires. Il ne voulait pas qu’elle devienne une victime des conflits entre les mages. Mais s’il la laissait partir, elle irait retrouver Matt et Eden et, tôt ou tard, elle finirait par se retrouver blessée. Il devait la garder jusqu’à ce qu’elle ne risque plus rien. Pour lui, son combat était juste, il ne pouvait pas laisser un seul innocent perdre la vie par sa faute.
Quand Iris ouvrit les yeux, elle se trouva nez à nez avec Lucian. Elle le regarda calmement dans les yeux et engagea la conversation comme si de rien était :
– Lucian, tu ne vas sans doute pas y croire mais c’est pour toi que je suis venu.
– Vraiment ? Je ne l’aurai pas deviné mademoiselle l’alchimiste. Tu as de la chance que je t’apprécie sinon je t’aurai déjà éliminé.
– M’apprécier ? Venant d’une personne qui a tenté de me tuer… Enfin, je ne suis pas là pour ça. Je veux que tu me donne le collier.
– Tu as vraiment cru qu’en me le demandant je te le donnerais ?
– En fait, pas vraiment. Mais c’était la seule solution. Je n’ai ni la force ni l’envie de me battre avec toi.
– Tu as raison tu n’as pas la force de t’en prendre à moi, mais tu avais bien une autre solution, laisser tomber cette histoire.
– Iris de Félicité n’abandonne jamais. Je tiens à ma réputation de tête de mule. Qui plus est, j’ai besoin de ce collier.
– Moi aussi et je ne changerais pas d’avis. Ce collier n’appartient pas à Matt et encore moins à Eden.
– Mais il ne t’appartient pas non plus. Non ? Si tu veux je ne le donnerai pas aux garçons, ni à ce tribunal que tu sembles tant détester.
– Écoute. Peu importe à qui il est, j’en ai besoin pour mener à bien mes objectifs. Je fais ça pour la bonne cause
– Moi aussi ! Alors si tu ne veux pas me le passer, je reste avec toi jusqu’à ce que tu résolves l’énigme de ce collier. Et alors, je te le redemanderai et cette fois, je suis sûre que ça fonctionnera.
– Fais comme tu veux, mais je ne changerai pas d’avis.
– C’est ce qu’on verra ! affirma-t-elle souriante. Je suis sûre que je t’ai déjà impressionné par mon courage.
Finalement, elle resterait d’elle-même. C’était un véritable soulagement pour Lucian qui allait pouvoir la protéger, mais aussi une aubaine pour Iris qui garderait un œil sur le collier.
Des bruits de pas retentissaient dans le long couloir obscur qui menait à la grande salle. Lucian se retourna alors vers l’entrée pensant qu’il s’agissait de ses sbires, mais lorsque des coups de feu puis une explosion se firent entendre, il comprit que quelque chose venait compromettre ses plans. Il demanda à Iris de s’éloigner dans le fond de la pièce puis se prépara à accueillir les intrus. Les individus se rapprochèrent jusqu’à ce qu’on puisse enfin discerner leurs visages. A la grande surprise d’Iris, il s’agissait de Matt et Honoré. Son ami, pensant qu’elle était l’otage de Lucian, perdit son sang-froid :
– Lucian ! Laisse partir Iris ! cria-t-il tout en faisant apparaitre son épée.
Il se dirigea vers Lucian, qui se défendit en lui envoyant une bourrasque de vent. Iris inquiète pour la santé des deux garçons s’interposa.
– Arrêtez ! Vous allez vous blesser ! cria-t-elle avec force.
– Iris écarte toi de Lucian ! ordonna Matt.
– Non ! Ecoute-moi, tu te trompes. Lucian ne m’a rien fait, je suis ici de mon plein grès. C’est moi qui l’ai suivi ici, et j’ai décidé de rester avec lui.
– Arrête de raconter des bêtises et écarte-toi !
– Ce ne sont pas des bêtises. Je reste là où se trouve le collier, et pas ailleurs !
– Et c’est moi qui ai le collier donc elle reste avec moi. Pas trop jaloux ? repris Lucian fier et ravi de la réaction de son interlocuteur.
– Alors je vais te le reprendre et là, tu n’auras plus ni Iris ni le collier.
– Essaye donc de me battre. Ce n’est pas ta misérable épée qui va venir à bout de moi.
Matt répondit à la provocation et s’en prit directement à Lucian avec son épée. Il se releva chaque fois que le vent le poussa, il trancha chaque plante qui se mit au travers de son chemin, jusqu’à se trouver enfin face à son adversaire. Lucian, lui, ne pouvait pas énormément contre-attaquer à cause du trop faible vent et du trop peu de plantes dans la pièce. Il pouvait seulement esquiver les attaques, se protéger et l’éloigner en manipulant le vent. Iris était paniquée à l’idée que l’un d’eux finisse blessé par sa faute. Elle les suppliait de s’arrêter. Son grand frère tenta de l’entrainer vers la sortie. Elle refusa, désirant rester jusqu’au bout. Mais, dès lors qu’Honoré chuchota à son oreille « suis-moi vers la sortie », son regard devint vide et son visage perdit toute expression. Elle se dirigea alors d’elle-même vers le sombre couloir, contrôlée par une force mystérieuse. Lucian s’éloigna alors d’un bond de Matt et referma le passage avec ses plantes.
– Elle a dit qu’elle ne voulait pas partir alors laissez là !
– Je suis son frère, j’ai tout à fait le droit de l’emmener.
– Son frère ? Mais tu es un magicien ! C’est impossible. A moins qu’elle aussi…
– Non, elle n’a pas hérité des pouvoirs de notre père.
– Peu importe, si elle vient avec vous elle sera blessée car elle continuera de s’intéresser de trop prêt à la magie. Je ne veux pas contribuer à sa perte.
– Aucun d’entre nous ne veut qu’elle y soit mêlée, répliqua Matt. Mais elle est trop bornée pour qu’on puisse lui faire entendre raison !
– Je suis le seul à pouvoir la maintenir loin du danger, reprit Honoré.
Lucian jeta un œil vers la jeune fille puis après un instant de réflexion, il libéra l’entrée qu’il avait lui-même scellée.
– Tu peux emmener ta sœur. Mais sache que si un jour elle se retrouver blessée par moi ou l’un de mes équipiers, tu ne pourras t’en prendre qu’à toi-même.
– Je tâcherai de m’en souvenir. Matt, tu viens toi aussi ?
– Non, je dois encore récupérer le collier. On se retrouve dans votre maison à Pyravis.
Honoré entraina sa sœur jusqu’à la sortie du temple et se dirigea directement vers la gare. Sur le chemin, il échangea un long regard avec un mystérieux homme qui se rendait dans la direction inverse. Il lui fallut une bonne minute avant de se souvenir que ce passant était une de ses lointaines connaissances. Lorsqu’il se retourna pour l’interpeler, il avait déjà disparu, telle une ombre dans la nuit. Honoré compris alors qu’il ne reverrait sans doute plus jamais Matt et Lucian et que sa sœur ne tarderait pas à lui être enlevé…
Dans les ruines, les deux mages continuaient de s’affronter avec férocité. Les deux étaient à bout de souffle et étaient chacun entaillés par de nombreuses plaies, mais à cause de leur fierté masculine mal placée, il continuait le duel. Chacun était de force et de détermination égale, seule leur endurance allait pouvoir les départager. Du moins, cela aurait était le cas si les sous-fifres de Lucian n’avaient pas rappliqué. Le désavantage était maintenant flagrant. Mais Matt ne se découragea pas, même si sa simple épée ne rivalisait pas vraiment avec toutes les armes adverses (des fouets de ronces, des aiguilles empoisonnées, des haches enflammées, des pistolets chargés de pics de glaces…) Au bout d’une dizaine de minutes, le pauvre garçon se retrouva salement amoché et à bout de souffle. Lucian, fier de la défaite qu’il infligeait à son adversaire, lui lança quelques dernières provocations avant de lui faire une proposition pour le moins inattendu :
– Alors, déjà à court d’énergie ? Mon pauvre, sans Eden, tu ne vaux pas grand-chose.
– Pauvre lâche ! Tu n’es même pas capable de te battre à un contre un.
Lucian répliqua en lui envoyant son poing en pleine figure. L’impact projeta l’adolescent face contre terre, la bouche dégoulinante de sang.
– T’en as eu assez ? Si je le voulais, je pourrais t’éliminer de moi-même, mais je n’aime pas vraiment me salir les mains. Qui plus est, je ne compte pas t’achever, mais plutôt te faire une proposition. Je veux que tu te rallies à moi et que tu m’aides à renverser les grands commandants de Fortius-Mancie.
– Pourquoi est-ce que je me rebellerai contre eux ? Je suis l’un des agents du tribunal.
– N’as-tu jamais trouvé certaines de leurs lois excessives et injustes ? N’as-tu jamais rêvé de voir les mondes unifier ? Imagine la beauté qu’aurait un lieu où Homme et Mages s’entraideraient pour avancer ensemble vers un meilleur avenir, un monde où chacun aurait le droit d’enfin connaitre son passé sans craindre l’emprisonnement. La richesse culturelle que posséderai un tel univers serait au-delà de toutes espérances. C’est l’idéal auquel moi est tout un tas d’autres mages aspire. Je ne suis pas le criminel qu’Eden et toi pensez que je suis. Si je lutte, c’est pour une bonne cause.
– T’as pas tort, y’a du mauvais dans la direction de Fortius-Mancie et ça affecte les deux univers, mais y’a aussi du bon. La séparation s’est produite parce que les mages n’étaient pas cap de vivre avec les Hommes. Les lois qui tentent de protéger les Hommes de la magie sont là pour empêcher qu’une autre guerre aussi sanglante que celle du monde originel ne se reproduise. C’est bien beau de penser à tout le bon qui pourrait ressortir de la réunification, mais si les gens s’entre-tuent, il n’y aura aucun progrès.
– C’est vrai qu’il y a un risque, mais les pouvoirs du collier des anges peuvent unifier les gens et les faire vivre en harmonie. Et avec les bons dirigeants, les gens restent dans le droit chemin. Iris et toi êtes des amis de longue date malgré le fait que vous apparteniez à deux espèces différentes
– Je ne t’aiderais pas et je ne te laisserais jamais mener ton plan à bien. Il y a bien trop de risques. Tu parles de mon amitié avec Iris, mais celle-ci a failli mourir par ma faute. J’ai promis au tribunal de protéger ce collier et je vais le faire.
Lucian parut insatisfait de la réponse du jeune homme. Il fit un signe de tête à ses acolytes pour qu’ils finissent le travail, puis tandis qu’ils frappaient Matt, il entama la lecture des dossiers volés aux archives. Mais au bout de quelques instants seulement, on entendit des bruits de pas se rapprocher lentement vers eux. Lucian s’arrêta alors d’étudier les textes et demanda à ses sbires de cesser un instant de rouer Matt de coups. Un grand silence se rependit dans la pièce et même s’ils ne savaient pas qui était sur le point d’entrer, ils tremblaient d’angoisse. L’homme mystérieux qu’Honoré avait croisé pénétra calmement les lieux. C’était un homme âgé d’une quarantaine d’années, d’au moins deux mètres et aux muscles surdimensionnés. Son costume noir était épinglé d’un badge où y figurait un logo, avec en dessous un numéro d’identification.
– Qui êtes-vous ? interrogea Lucian sur ses gardes.
– Le pire cauchemar des mages resquilleur dans votre genre, expliqua-t-il de sa voie roque.
– Un agent gouvernemental ?! Comment avez-vous su ? demanda-t-il frustré.
– Les criminels, je ne leur réponds pas, je les arrête.
– C’est ce qu’on verra ! s’exclama-t-il confiant. Vous ne pouvez rien face à autant de mages. Attaquez-le !
Lucian lança son groupe à l’attaque de l’agent, mais il ne put qu’observer leur déchéance. Pourtant, aucune forme de magie n’était utilisée par le sombre individu. Sa seule force physique lui permettait d’encaisser les puissante attaques des sorciers ainsi que de les mettre à terre. Lucian enchaina les sorts pour éloigner ce surhomme, mais ses efforts restèrent vains. Chaque obstacle qu’il mit en travers du chemin de son adversaire fut terrassé en moins de temps qu’il ne faut pour dire « ouf ». Etant lui-même considéré comme un mage criminel Matt essaya de prendre la fuite, mais il fut rapidement rattrapé. L’affrontement débuta alors entre l’adolescent et le géant. Matt fit apparaitre sa plus puissante lame, une épée noir traversée par un filament de lave éternellement en fusion, d’une longueur d’un mètre et d’une largeur de dix centimètres appelée Spatharium. Son poids la rendait difficilement maniable et ralentissait son possesseur mais elle restait sa seule chance de vaincre son adversaire. Elle était faite dans une pierre très rare, provenant de Fortius-Mancie, la rendant capable de briser en quelques coups une montagne. Son adversaire resta impassible à la vue de l’arme pointé vers lui. Il continua d’avancer lentement vers l’adolescent. Ce calme le rendait imprévisible et effrayant. Plus il se rapprochait, plus le jeune homme perdait confiance. Pour mettre un terme à l’intimidation croissante, l’adolescent se précipita vers son adversaire et mit toute son énergie dans une attaque. Mais la lame incandescente ne réussit pas à toucher sa cible. L’agent esquiva à la dernière seconde et réplica en assénant un violent coup de genou dans l’abdomen de l’épéiste. Matt s’effondra au sol, essoufflé, tremblant de douleur. Il tenta de se relever mais il fut renvoyé à terre d’un coup de pied dans le torse et perdit connaissance. Quelques instants plus tard, une dizaine d’hommes en costume vinrent emporter les mages inconscients et le Collier des Anges. Ils ne laissèrent aucune trace de leur venue aux ruines.
Quand Iris reprit enfin connaissance, elle se trouvait dans sa chambre à Pyravis. Elle ne se souvenait absolument pas de ce qui s’était passé après que son frère ait tenté de l’emmener hors des ruines. Celui-ci, était juste à côté d’elle, installé dans un fauteuil à sa droite en train de lire le grimoire d’Iris. Elle se releva et se précipita pour lui arracher le livre :
– N’y touche pas ! cria-t-elle méfiante. Qu’est-ce que tu fais là ? Comment suis-je arrivée ici ?
– Au plus loin que je me souvienne, ici c’est chez moi.
– Non ! Plus depuis que tu as déserté la maison il y a quatre ans.
– Tu crois que je t’ai abandonné ? Tu te trompes.
– Je n’avais que onze ans quand tu m’as laissée seule, sans famille. Tu es parti et ne m’as jamais donné de nouvelles. Je ne savais même pas si tu étais encore en vie ! Si tu ne m’as pas abandonnée, que faisais-tu pendant tout ce temps ? interrogea-t-elle, énervée.
– Je ne peux pas te le dire. Mais cette fois, je suis revenu et je ne te laisserais pas.
– Si tu le dit. Depuis combien de temps es-tu au courant pour la magie ? Pour les ruines ?
– Depuis longtemps. Je l’ai su quand… j’ai vu Matt utiliser la magie quand il avait… huit ans.
– Tu n’as pas l’air très convaincu. J’ai l’impression que tu me mens.
– C’est juste que ça date d’il y a si longtemps… Bon, si tu as fini de me questionner, on peut aller prendre notre petit déjeuner. Je te raconterai tout ça plus tard.
– Attends ! Avant de descendre manger, explique-moi comment tu as fait pour m’emmener jusqu’ici sans que je m’en aperçoive.
– Tu m’as suivi de toi-même. Tu ne t’en rappelle pas ? Tu avais l’air un peu sonnée. Tu devais être si fatigué que tu as oubliée.
Juste à cet instant, la sonnette d’entrée retentit, interrompant les vagues explications d’Honoré. Iris se précipita alors vers la porte suivie de près par son grand frère. Le visiteur n’était autre qu’Eden venu lui parler de ses recherches de la veille. Regard charmeur et paroles séductrices, le prince Eden avait envie de jouer avec Iris pour se changer un peu les idées :
– Ce matin en me levant, j’ai pensé à ton doux visage et l’envie de te revoir m’a consumé de l’intérieur. Tes yeux sont d’un bleu si profond qu’à chaque fois que mon regard s’y plonge, il s’y noie.
– Arrête ton char Eden. Tu sais très bien que je ne me laisse plus envouter.
– Ô désespoir, mon cœur s’est brisé. Ma muse, combien de fois encore me repousseras-tu ?
– Arrête de faire l’idiot et entre, affirma-t-elle amusé des pitreries d’Eden, j’ai tout un tas de choses à te raconter.
Elle le conduisit jusqu’au salon où Honoré attendait. Quand les deux garçons furent face à face, une aura négative se répandit dans la pièce. On pouvait le voir dans leurs yeux, ils étaient rivaux. Ils ne se connaissaient pas, mais leur instinct primaire les faisait se détester comme deux lions se battant pour le contrôle de la meute. Ils se dévisageaient, chacun attendant que l’autre baisse les yeux. Iris fit sans tarder les présentations pour tenter d’apaiser les tensions.
– Alors Eden, je te présente mon grand frère Honoré, il est venu squatter ici pendant un moment.
– Humm…Bonjour, salua Eden sans grande conviction.
– Et bien ! Quel entrain, dès le matin, dit donc ! Vous faites des étincelles ! s’exclama-t-elle, sarcastique. Honoré, je te présente Eden c’est un ami de Matt et un camarade de classe, je l’aide à retrouver…quelque chose.
– C’est un mage ? interrogea-t-il froid et distant.
– Et alors ? C’est une raison pour ne pas lui dire bonjour ? reprit la jeune fille plutôt énervée.
– Je parie que c’est à cause de lui que tu étais dans les ruines hier. Tu l’aide à rechercher le collier des anges, c’est ça ?!
– Tu lui as tout dit Iris ? interrogea Eden, énervé. Je croyais que tu avais compris, ce secret est important.
– Non ! Tu te trompes, je l’ai croisé à Hérédite hier ! J’étais sur le point d’obtenir le collier quand lui et Matt sont intervenus et m’en ont empêché.
– Attend, là je ne te suis plus. Quel est le rapport avec Matt ? Et que faisais tu à Hérédite ?
– Et bien…
Iris entama le long récit de sa journée n’omettant aucun passage de cette aventure pleine de péripéties et accentuant bien sûr, sa bravoure et son courage face à la tyrannique Kira. Lorsqu’elle lui apprit que Matt était venu affronter Lucian, Eden ressentit un grand soulagement de savoir que son ami était en bonne voie de retrouver le collier et ainsi de revenir à Pyravis. Mais quand elle lui raconta avoir oublié tout ce qui s’était passé entre le début du combat opposant les deux mages et son réveil à Pyravis, il se tourna immédiatement vers Honoré.
– Iris, je suis vraiment impressionné par tes découvertes. Finalement tu n’es pas si inutile que ça comme assistante.
– Hum… Merci du compliment, enfin je crois.
– Tiens, tu serrais super sympa si tu allais me préparer un thé assistante.
– Mais bien sûr patron. Je me ferai une joie de cracher dedans ensuite.
Tandis qu’Iris se rendait dans la cuisine, Eden prit à parti Honoré pour éclaircir quelques points.
– Tu es un mage toi aussi. Je l’ai tout de suite su quand je t’ai vu.
– Non, je n’ai rien avoir avec les gens de ton espèce !
– C’est bizarre, j’aurais juré le contraire. Tu connais l’existence de la magie et tu sais reconnaitre un mage quand tu en vois un. De plus, tu es parvenu à contrôler Iris contre sa volonté pour l’emmener ici. Tout indique que toi aussi tu es un mage, sans doute un enchanteur comme moi.
– Même si ce que tu disais était vrai, je ne vois pas en quoi ça te concernerait.
– Moi, ça ne me regarde absolument pas. En fait, je n’en ai vraiment rien à faire. Mais Iris, si c’est le cas, n’est pas ta sœur. Elle n’a aucun pouvoir alors que l’enfant d’un mage, même avec un humain, donne toujours un mage. Alors là, une question se pose. Qui es-tu et pourquoi fais-tu croire à Iris que tu es son frère ?
– Je n’ai pas à répondre à ces fausses accusations. Maintenant, je dois y aller. Fais gaffe à tes arrières.
Honoré se précipita vers la sortie, très agacé par les déductions d’Eden. Ce dernier était plutôt fier d’avoir réussi à le faire partir, mais il s’interrogeait tout de même sur ses véritables intentions. Que pouvait-il bien vouloir à la famille d’Iris et comment avait-il réussi à se faire passer pour son frère ? Tant de mystère semblait s’agglutiner autour d’Iris. Peut-être était-ce plus qu’une simple humaine ? Quand elle revint dans la pièce et lui servit le thé, il ne put s’empêcher de remarquer que ses mains tremblaient. Il comprit alors qu’elle avait surpris leur conversation. Il lui prit la théière des mains et l’invita à s’assoir près de lui. Avec sa douce voix à la fois compatissante et enjôleuse, il lui demanda ce qui n’allait pas :
– Tu n’as pas l’air d’aller bien. Ce serait-il passé quelque chose dans la cuisine ?
– Eden, je vais bien. Ne t’inquiète pas, expliqua-t-elle maussade. Je crois que j’ai besoin de rester un peu seule alors, tu peux retourner enquêter. Je t’aiderai peut-être demain.
– Tu nous as entendu moi et ton… je veux dire moi et Honoré ?
– Est-ce possible que tes suppositions soient exactes ? Tu peux te tromper ?
– Eh bien, je te mentirais en te disant que vous êtes réellement frère et sœur, mais vous avez grandi ensemble, alors peut-être que d’un certain côté vous êtes de la même famille.
– Merci pour ton honnêteté, mais tu n’as pas besoins de me réconforter. Si c’est vrai, je ne peux rien y faire. De toute façon, à quoi ça sert une famille ?
– Tu es sûre que tu ne veux pas que je reste avec toi ?
– Non, ça ira. Tu peux y aller. Je reprendrai les recherches demain.
– Dans ce cas, à demain Iris. Appelle-moi si tu as le moindre problème.
Elle le regarda s’éloigner dans la rue et l’interpella une dernière fois pour lui confier : « Tu es beaucoup plus intéressant quand tu es sympa. Tu devrais essayer plus souvent. » Puis elle ferma la porte et s’allongea dans le canapé pour regarder la télévision et ainsi se changer les idées.
Eden reprit ses recherches sans son assistante, encore un peu troublé par ce qu’elle venait de lui avouer. Les journées qu’il avait passé en sa compagnie l’avaient sans le vouloir rapproché d’elle. C’était la seule fille qu’il avait rencontrée qui s’intéressait plus à sa personnalité qu’à son physique enjôleur. En fait, il s’était attaché à elle plus qu’il ne l’avait prévu. En arrivant chez elle, il avait voulu la faire rire avec ses belles paroles de prince charmant, mais ses mots avait peut-être été inspiré par des sentiments plus profonds et sincères. Il s’était tellement perdu dans ses pensées qu’il était arrivé aux quais sans s’en apercevoir. Il se souvint alors qu’Iris avait mentionné que Lucian et son équipe étaient sortis de l’un des entrepôts. Il comprit que le repère du mage s’y trouvait et qu’il y rentrerait tôt ou tard avec le collier. Lorsqu’il arriva devant un entrepôt gardé de toute part par des personnes dégageant une forte aura magique, il comprit qu’il était arrivé à bon port. S’il voulait entrer, il lui faudrait se frayer un passage dans un mur. Heureusement, rien n’est plus simple pour un enchanteur doté du génie d’Eden. Il changea une partie de la pierre en gelée et la traversa. Ensuite il n’eut qu’à la faire reprendre sa forme originelle pour pénétrer ni vue ni connu dans le repère de Lucian. Apparemment, seul le propriétaire était autorisé à entrer, car contrairement à l’extérieur il n’y avait personne. Les lieux étaient presque aussi sales que le manoir d’Iris. Toute une partie de l’entrepôt était consacrée à un grand laboratoire scientifique avec du matériel de grande précision. Des ordinateurs derniers cris, de nombreux produits et verrerie de chimie, un outil pour forger et une table d’opération. Au centre de la pièce, il y avait tout un tas de mannequins d’entrainement à demi usés. Une autre partie de la pièce servait d’atelier de marionnettiste, avec des outils pour fabriquer des pantins et tout un tas de poupées sur des étagères. Une d’entre elles attira l’attention d’Eden. C’était une magnifique marionnette en porcelaine avec un visage si finement taillé qu’on aurait cru voir une véritable adolescente. Elle avait de longs cheveux noirs qui glissaient sur ses frêles et épaules, son teint était livide et son visage dépourvu de toute émotion. Sa robe de satin bleu couverte de dentelles noires rappelait celles des anciennes poupées qu’on ne trouvait aujourd’hui plus que dans les greniers. Il n’y avait pas de doute, le créateur de ce pantin était un marionnettiste d’exception.
Après avoir observé une grande partie de la salle principale, Eden remarqua qu’à l’étage il restait des choses à observer. Tout un bureau y était aménagé, sans doute celui de Lucian. Il y avait tout un tas de livres sur l’histoire des deux mondes et de grimoires remplis de formules pour mages élémentaire. Une pile de dossiers était éparpillée sur le bureau. Tout ce qu’il voulait savoir était dedans : toutes sortes d’informations sur le collier, sur le plan de Lucian et sur ses sbires. Étant donné que ni Lucian ni le collier n’étaient présents, il ne lui restait plus qu’à retourner chez lui en embarquant les précieux documents.
Quand il fut de retour dans son appartement, il s’installa sur le canapé et commença les recherches tout en écoutant un peu de musique. Il ne s’aperçut même pas qu’Honoré avait pénétré son domicile et qu’il se trouvait juste derrière lui. Quand il fut enfin remarqué par le jeune magicien, l’ambiance dans la pièce devint très tendue. L’intrus se mit à s’expliquer sur sa présence et sur les secrets devinés plus tôt par Eden. Ce dernier restait méfiant, prêt à intervenir au moindre geste suspect de son interlocuteur. Honoré se lança dans un long monologue espérant le convaincre :
– Tu te méfies de moi pour ce matin et pour cette intrusion, c’est normal. Mais si je suis là, c’est pour te convaincre de ne rien raconter à ma sœur. En fait, Iris et moi n’avons pas réellement de lien de parenté. J’ai était adopté par la famille de Félicité quelques années avant sa naissance. Peu de temps après ma septième année, un membre du tribunal de la magie et un adjoint des trois sages sont venus m’expliquer que j’étais un mage et que personne ne devait le savoir, pas même ma famille. J’ai dérogé à la règle une fois, en avouant ma véritable nature à ma mère quand j’avais quinze ans. Peu de temps après, elle avait disparu. Je m’en veux encore pour le malheur que j’ai apporté à cette famille et c’est pour ça que je n’ai rien dit à Iris. Alors, ne gâche pas tout.
– Ne t’en fais pas, je ne vais pas lui dire. En fait, je n’en ai pas besoins puisqu’elle nous a entendus, expliqua Eden. Mais, si j’étais toi, je lui raconterai ta version des faits.
– Tout est de ta faute. Si tu n’avais pas émis toutes ses hypothèses, Iris n’aurait pas été mise au courant. Et c’est toi et ce stupide Matt qui l’aviez mêlé à vos affaires de mages. À l’heure qu’il est, elle n’est peut-être plus là. Tu n’imagines même pas l’ampleur du danger auquel tu l’as exposée.
Honoré se précipita vers la porte et disparu dans l’ascenseur. Eden réfléchi un instant à ce qu’il venait de lui dire et se mit à culpabiliser. La meilleure chose à faire pour ne pas aggraver la situation était de ne plus se mêler des affaires d’Iris et de la maintenir la plus éloignée possible de toute chose en rapport avec la magie. Eden se décida à reprendre les recherches sans son assistante et se dirigea vers la gare où il prit un train qui le conduit directement à Hérédite, le dernier lieu où le collier avait était aperçu.
Avant de se rendre aux ruines, Eden fit un tour chez sa tante, Capucine, qui habitait à la périphérie de la ville. C’était une femme d’une quarantaine d’années assez excentrique d’apparence, mais avec une gentillesse extrême. Ses cheveux étaient colorés d’un dégradé de toutes les couleurs allant du violet au rouge. Ses yeux comme ceux d’Eden étaient mauves, mais elle avait pour habitude de les cacher avec des lunettes de soleil de couleur et de forme différentes chaque jour. « Sa maison » aussi sortait de l’ordinaire. C’était un ancien train entièrement rénové avec dans chaque wagon une pièce différente. Elle accueillit son neveu dans la « salle » qui lui servait de salon et lui servit, sur une table bancale en vieux chêne, du thé ou du moins un liquide qui y ressemblait. Capucine était vraiment joyeuse de revoir son neveu après tant d’années :
– Oh ! Mon petit Eden, tu as tellement grandi depuis la dernière fois. Tu avais quoi ? Neuf ans. Si j’avais su que tu deviendrais si beau garçon, que dis-je, si bel homme. Ça, c’est sûr, tu tiens de ma sœur. Pas de ton imbécile de père.
– Tantine, je suis heureux de te voir moi aussi…
– Laisse-moi contempler encore quel grand garçon tu es devenu, s’exclama-t-elle encore toute retourné par cette agréable visite. Alors, tes parents et tes petites sœurs vont bien ?
– Oui. Je crois même qu’ils ont prévu de venir te voir le mois prochain.
– En voilà une bonne nouvelle, je suis vraiment impatient de voir Élise et Elena. Elles ne savaient même pas marcher quand je les ai vues la dernière fois
– Écoute tantine…
– Pas de bonne manière ici. Appelle-moi Capucine.
– Bon, eh bien, Capucine, je ne suis pas venue ici pour discuter. En fait, j’ai besoin d’un endroit où loger pendant quelques jours et je me disais que je pourrais venir ici.
– Aucun problème : mon train est ton train ! s’exclama-t-elle joviale.
– Merci. Bon je dois y aller, je rentrerai ce soir pour le diner.
– Attends. Tu peux me dire ce que tu es venu faire ici ?
– Je cherche quelque chose, je t’en dirai plus ce soir.
– C’est encore en lien avec le collier des anges ? Fais attention à toi.
Eden s’éloigna du train sous le regard inquiet de sa tante. Après une dizaine de minutes en taxi, il arriva face aux ruines. Il y pénétra sans problème et avança jusqu’à la salle principale sans rencontrer personne. Il n’y avait pas la moindre trace de Lucian, Matt et de la bataille qui les avait opposés. Le collier était de nouveau dans la nature et aucune piste ne menait à lui. Eden était si énervé d’être venu pour rien qu’il ne remarqua même pas les immenses fresques dessinées sur chacun des murs qui l’entouraient. Il se posa sur un parpaing et déprima pendant de longues minutes. Sa seule mission dans la vie était de veiller sur le collier et il avait échoué. Il repensa aux circonstances qui l’avaient amené à devenir gardien du collier avec Matt.
Tout commença il y a sept ans. Peu de temps avant son dixième anniversaire, le tribunal de la magie l’avait fait venir pour lui parler de sa stupéfiante performance à l’examen d’incantation qu’il avait fait une semaine auparavant. Avant d’être reçu par les membres du tribunal, il avait dû patienter dans une salle d’attente remplie de tout un tas d’autres enfants de son âge. Parmi eux, il y avait Matt. Chacun des jeunes mages furent appelé un à un. Eden fut le premier et Matt le dernier. Pour ce jour, la grande salle normalement remplie de sièges avait été vidée et réaménagée en salle d’entrainement. Eden était perdu, il ne savait pas vraiment ce qu’il avait à faire. Les mages du tribunal lui demandèrent d’utiliser devant eux les cinq enchantements les plus puissants qu’il savait faire. Il commença par changer en pierre un des juges puis il lui rendit sa vraie forme. Son deuxième sort fut de faire léviter tout le jury en même temps. Le troisième d’échanger les visages des différents mages. Le quatrième de changer une plante en pieuvre. Et enfin, le dernier sort, le plus impressionnant fut de faire tourner durant une minute les dix satellites de Fortius-Mancie dans le sens inverse. Les magiciens furent très impressionnés de voir un si jeune enfant réussir des incantations où la plupart des mages confirmés aurait échoué. Il put quitter la pièce après avoir fini de leur montrer l’étendue de son pouvoir. Après avoir attendu plusieurs heures que tout le monde soit passé, il fut enfin rappelé par les magiciens du tribunal. Cette fois, il n’était pas seul, Matt aussi avait été convoqué de nouveau. Le chef du tribunal s’approcha vers eux et leur tendit un écrin en ivoire orné de pierres précieuses avec sur le couvercle deux ailes surmontées d’une auréole. À l’intérieur, le collier des anges scintillait de mille feux, éblouissant Eden, mais laissant Matt totalement indifférent. C’est à ce moment que leur mission leur fut confiée :
– Eden D’Éclipse, Matt Antiqua malgré votre jeune âge vous avez été choisi par le tribunal de la magie, gouverneur suprême de tous les magiciens de Fortius-Mancie et de Hierro-Terra, pour veiller sur le collier des anges, un artéfact contenant les pouvoirs de la reine Céleste, créatrice du tribunal ayant contribué à la séparation.
– C’est avec honneur que j’accepte cette mission, affirma Eden comblé de joie.
– Moi, je ne veux pas. Je ne vois pas pourquoi j’aurais à surveiller votre stupide collier. Prenez quelqu’un d’autre.
– Jeune mage, il est imprudent de refuser un ordre du tribunal. Des sanctions seront prises contre vous et vos parents si vous n’acceptez pas !
Matt était déjà très insolent à cette époque et ces ordres que se permettaient de lui donner les magiciens du tribunal l’irritaient énormément, mais, connaissant le danger auquel il exposait sa famille, il accepta cette tâche et se tut en signe de subordination. L’entretien se termina avec l’explication globale de leur mission.
– Vous allez devoir surveiller ce collier. Cet artéfact est propriété du tribunal, s’il devait finir entre les mains des sorciers ou des elfes vous seriez tenus comme les seuls responsables et vous seriez sanctionnés. Nous vous le reprendrons de temps à autres directement sur Hierro-Terra. Vous ne devrez plus retourner sur Fortius-Mancie avec le collier en votre possession.
– Pourquoi ne pas le garder dans le tribunal ? interrogea Eden. Il y serait plus en sécurité.
– Nous pensons que sur Hierro-Terra, il y serait mieux dissimulé. Les sorciers ne s’attendent pas à ce que nous le confiions à deux enfants. En ce temps de guerre, il faut préserver notre arme la plus puissante avec intelligence. Nous n’avons pas à vous donner plus de détails.
Suite à cela, Eden avait dû déménager à Pyravis avec sa famille afin d’être dans la même ville que Matt et pouvoir protéger le collier avec lui. Au début, ils n’eurent qu’à affronter quelques sorciers, mais, lorsque Lucian débarqua en ville avec tout un tas de mages expérimentés pour s’emparer du collier, les choses se compliquèrent. Ils étaient si nombreux et si puissants que tôt ou tard, il aurait réussi à s’emparer du collier. Suite à l’arrivée d’Iris, les choses se précipitèrent et ce collier qu’il protégeait depuis tant d’années finit entre les mains de Lucian. Maintenant, il devait retrouver au plus vite le collier sous peine d’être jugé par le tribunal de la magie.
Alors qu’il était sur le point de partir, Eden remarqua enfin les fresques. Celles-ci lui apprirent les mêmes choses qu’à Lucian un jour plus tôt. Sauf que cette fois, il remarqua quelque chose que son adversaire n’avait pas vu. La reine Céleste ressemblait à s’y méprendre à une personne qu’il connaissait bien. Elle avait de très longs cheveux châtain clair, illuminés par quelques mèches dorées. Son regard azur dégageait une innocence et une bonté sans équivalence dans les yeux du commun des mortels. Son nez fin et délicat avec le bout pointant légèrement vers le haut lui donnait un air malicieux. Et son teint d’un beige très clair avec au niveau des joues des pommettes rosées. Ce ne pouvait être qu’elle…

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