Tous les jours, dans une petite rue perdue de Pyravis, capitale d’un pays portant le même nom, on pouvait apercevoir une jeune fille d’une quinzaine d’années courir. Et aujourd’hui, ne faisait pas exception à la règle. Cartable au dos, Iris avançait à toute vitesse vers son lycée. Elle était arrivée en retard à plusieurs reprises ce mois-ci. À cause de son réveil qui ne voulait pas sonner, mais aussi, à cause d’une boulangerie qui avait eu l’idée d’ouvrir sur son chemin. Les odeurs enivrantes qui s’en dégageaient l’hypnotisaient chaque matin. Mais cette fois, elle avait réussi à résister, chagrinée malgré tout de ne pouvoir dévorer ces petits délices sucrés. Elle pouvait enfin distinguer le portail d’entrée. Plus rien ne pouvait s’interposer. Rien, à part sa curiosité. D’une ruelle voisine émanaient des cris lui étant familiers. Alors sur un coup de tête, elle s’avança dans le petit passage obscur en oubliant son objectif initial. Là, trois adolescents se battaient. Deux d’entre eux lui étaient familiers. Le premier, Matt Antiqua, était un jeune garçon teigneux et têtu qui passait son temps en colle avec elle. Depuis la maternelle, il était l’un de ses plus proches amis, même si cette amitié se résumait à des querelles et à des blagues puériles. Sous ses airs de mauvais garçons, il était plutôt mignon. Avec ses cheveux rouges ébouriffés et ses yeux verts, il avait déjà fait craquer et repoussé plus d’une fille. Eden d’Éclipse, le second, était un « prince de beauté ». Il était le rêve même du garçon idéal. Aimable et intelligent, il habitait les pensées d’Iris. Il ressemblait d’ailleurs énormément à celle-ci. La même taille, la même chevelure châtaigne et ondulée s’arrêtant pour tous deux aux épaules ainsi qu’un resplendissant teint de porcelaine. Seuls ses yeux mauves d’une tendresse sans pareil le différenciaient de la jeune fille. Quant au troisième, il lui était totalement inconnu. Et pourtant, il devait être du même établissement étant donné son uniforme. Son regard d’un gris profond, reflétait une certaine tristesse mélangée à de la colère. Ses traits du visage accentués la peine qui s’en dégageait.
En les voyants, on aurait pu croire à une simple dispute entre étudiants. Mais il n’en était rien. Sous les grands yeux azurs d’Iris se déroulait une scène digne d’un roman de science-fiction. Elle se croyait en plein rêve. En effet, ces jeunes récitaient des incantations et à la suite de celle-ci, un tas de phénomènes étranges voir paranormal se produisaient. Des objets qui lévitaient, des explosions de toutes les couleurs, des flammes sorties de nulle part…
Ces évènements étaient assez effrayants pour une personne rationnelle ne croyant pas à la magie. Iris n’était pas d’une nature courageuse, si bien qu’elle décida de faire demi-tour. Mais étourdie par ce qu’elle venait de voir, elle se prit les pieds dans une benne métallique et tomba avec l’objet dans un fracas assourdissant. Elle était maintenant repérée. Il y eut un moment de silence, bref, mais significatif de la gêne des trois lycéens. L’inconnu prit peur et disparu en un claquement de doigts, laissant derrière lui un nuage de vapeur. C’est alors qu’Eden et Matt s’approchèrent de la jeune fille recouverte d’ordures. En voyant leurs airs menaçants, elle décida de fuir. C’est juste à ce moment qu’un mur sortit de nulle part et la stoppa dans sa course. Matt la saisit par le bras et l’interrogea avec colère :
– Qu’est-ce que tu fous ici ? Tu m’espionnes ? T’aurais mieux fait de suivre sagement ta route jusqu’au lycée au lieu de te mêler de c’qui t’regardes pas !
– J’ai entendu ta voix et j’ai cru que tu t’étais encore attiré des ennuis…désolée.
– Qu’est-ce qu’on fait d’elle Matt ? interrogea Eden. Elle ne peut pas partir après ce qu’elle a vu…
– Je sais bien, mais…
Eden entraina Matt à l’écart tout en gardant un œil sur Iris. Celle-ci, totalement désorientée ne pensa même pas à s’enfuir. Elle les observa débattre vivement sur son sort et essaya de se remémorer les évènements afin de leur donner un sens. De là où elle était, elle n’entendait que des bribes de phrases mais c’était suffisant pour comprendre de quoi il retournait. Globalement, elle avait compris qu’Eden voulait l’éliminer parce qu’elle avait découvert leur secret mais que Matt était plus réticent car il était attaché à elle.
Les garçons revinrent vers elle. Eden en reprenant son sourire et son calme habituel aborda la jeune fille. Il s’approcha, la débarrassât des ordures qui ornaient ses longs cheveux châtains et enfin, contre toute attente, il l’intimida :
– Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi ? On pourrait t’effacer la mémoire par exemple ou alors rester dans les clichés et te donner l’apparence d’un vilain petit crapaud. Même si je pense qu’il serait plus sage de te faire disparaître simplement…c’est dommage, tu es plutôt mignonne. Quel gâchis !
– Je ne comprends pas ce que vous me reprochez alors on n’a qu’à dire que je n’ai rien vu et le problème sera résolu.
– Cela ne dépend pas de moi. Si tu ne disparais pas, Matt et moi aurons de sérieux ennuis avec les autorités de la magie. Eux, ils n’en n’ont rien à faire que tu aies compris ce que tu as vue ou non. Je ne vais quand même pas me sacrifier pour une simple humaine comme toi.
En quelques secondes, Iris vit son prince se changer en véritable psychopathe. Elle qui l’estimait beaucoup auparavant, éprouvait désormais un fort sentiment de dégout à son égard. Au fil des menaces, son visage prit une teinte rougeâtre. Elle était profondément blessée par ce que lui disait cet homme qu’elle aimait tant. Elle ne voulait pas y croire. Elle finit par se persuader que la seule explication plausible était qu’il s’agissait d’une blague de Matt. Elle se mit soudainement en colère et Matt, qui s’en aperçut lui proposa une solution alternative :
– Tu n’as qu’à devenir notre assistante. Tu ne sais rien faire de tes dix doigts mais c’est mieux que disparaître.
– Assistante ?!? interrogea-t-elle pour s’assurer d’avoir bien entendu. Si c’est une blague, tu ferais mieux d’arrêter ! J’en ai marre que tu me prennes pour une idiote. Je suis en retard par ta faute, mais surtout, tu m’as profondément blessée en t’alliant avec Eden. Cette fois tu es allé trop loin. Ne reviens plus me parler.
– Si tu es trop bête pour croire ce que tu vois, expliqua Eden, je ne pense plus que tu sois une menace. Matt, nous pouvons la laisser partir, on ne risque rien.
– C’est ça, partez ! s’exclama-t-elle, contrariée. Je ne suis pas assez idiote pour croire à vos histoires de magie.
Ils se dirigèrent vers le lycée sans même adresser un regard à Iris. Matt était presque soulagé qu’elle ne les ait pas crus. Il voulait la protéger de la magie, quitte à ce qu’elle finisse par le détester. C’était pour lui une sœur, la seule famille qu’il avait. Il savait mieux que quiconque ce que la magie pouvait causer comme malheur. Son frère avait sombré dans la folie à cause de la puissance qu’elle lui avait procurée. Iris n’en savait rien. Elle ne se doutait pas un instant du passé de Matt. Et malgré ce qu’elle venait de voir, elle croyait toujours qu’il s’agissait d’une mauvaise blague. Ce n’était pas qu’elle était bête ou trop rationnelle pour y croire, mais plutôt qu’elle avait été formatée comme tous les habitants du pays. À Pyravis, raconter ne serait-ce qu’un conte de fées était passible de la peine maximale. Seules quelques rumeurs peu flatteuses circulaient encore au sujet de sorciers démembrant des enfants afin de concocter des breuvages diaboliques. La magie était considérée comme un mal tout droit sorti de l’imaginaire de personnes insensées afin de détourner la population du bien. Et cette croyance ne se limitait pas à Pyravis, elle s’étendait sur tout le globe.
Arrivés à l’entrée du lycée, ils furent accueillis par la surveillante. Vieille et aigrie, elle était toujours à la recherche de la moindre infraction. Tous les jours, devant le portail, elle guettait l’arrivée d’Iris et Matt et les accompagnait chez le principal. Si bien qu’ils connaissaient son discours par cœur. Elle les conduisit jusqu’au bureau du directeur. En opposition à sa subornée, c’était un homme toujours enjoué et extrêmement compréhensif. Il les accueilli, feignant d’être en colère, mais laissa parfois malgré lui, un léger sourire lui échapper. Les trois jeunes furent un à un interrogés sur les raisons de leur retard. C’est Matt qui entama avec son air insolent. Il n’essaya même pas de se défendre est expliqua qu’il avait simplement eut envie de sécher le cours de mathématiques ce matin. Le directeur, exaspéré, ne réagît pas pour autant. Cela faisait maintenant longtemps qu’il avait abandonné toute idée de le discipliner. Par contre, Iris n’était pas « un cas désespéré ». Quand ce fut son tour, elle choisit de révéler des fragments de vérité ; c’était sa façon à elle de mentir:
– Moi je… je me suis laissée envouter par la douce odeur des croissants qui émanait de la boulangerie. Puis en courant vers le lycée je me suis prise une poubelle…je suis désolée d’être en retard.
En temps normal, Matt se serait moqué d’elle. Ce calme étrange dont il fit preuve lui fit comprendre qu’elle l’avait sans doute blessé. L’hypothèse de la blague commença alors à s’effondrer.
Tous les regards se tournèrent ensuite vers Eden. Lui n’était pas habitué à être en retard. C’était un élève modèle, premier de classe et délégué qui plus est. Iris l’observa et fut éblouie un instant par le carnet de correspondance du jeune homme d’où se dégageait une légère lumière dorée. Celle-ci s’estompa avant que le directeur eut le temps de s’en apercevoir. Eden prit alors la parole pour donner le motif de son retard :
– J’étais chez le médecin. Tenez et constatez par vous-même, expliqua-t-il en tendant le carnet.
Un mot était effectivement rédigé dedans, il y avait même un certificat médical. Le proviseur ne posa pas plus de question et conclu :
– Bien ! Seuls Iris et Matt auront la joie de revenir samedi matin. Maintenant, allez en cours et que je n’entende pas parler de vous.
Dans le couloir, les garçons ignoraient Iris. Celle-ci décida de leur parler malgré tout afin d’éclaircir les choses. Elle saisit le bras de Matt qui s’arrêta net puis elle s’exprima avec une grande sincérité :
– Eden a raisons, je ne suis qu’une gamine incapable de croire à des choses qui sortent de l’ordinaire. Mais toute ma vie on m’a dit que la magie n’existait pas. Et toi, tu te moques tellement de moi que je ne sais plus quand tu me dis la vérité… Mais je n’ai pas envie de te perdre juste pour ça. Alors, excuse-moi pour ce que je t’ai dit tout à l’heure.
– Non, tu avais raison. Je t’ai encore menti, ce n’était qu’une blague, affirma-t-il. Je ne suis pas un magicien ou quoi que ce soit d’autre. Je voulais juste me moquer un peu de toi. Je ne m’attendais pas à ce que tu t’énerves comme ça. Alors, si tu veux qu’on oublie c’t’histoire, ça me va.
Elle lâcha le bras de Matt, lui adressa un sourire puis s’avança dans le couloir le cœur serré. Si elle avait sourie, c’était pour montrer à Matt qu’elle ne lui en voulait plus, même si en réalité, elle était triste de savoir qu’il n’avait pas confiance en elle après tant d’années passées ensemble. Elle avait compris en voyant Eden utiliser sa magie dans le bureau, que ce n’était pas une blague et qu’ils étaient bel et bien des magiciens. Elle voulait en savoir plus, elle aurait aimé partager ce secret avec lui. Mais il l’avait exclu de cette partie de sa vie.
En cours, elle arrêta rapidement d’étudier. Elle repassa en boucle les événements de ce matin dans sa tête. Mais cette fois, au lieu de se soucier des mensonges de Matt et d’Eden le prince psychopathe, elle repensa aux choses surnaturelles qu’elle avait vues aujourd’hui. Jamais elle n’aurait imaginé que quelque chose d’aussi stupéfiant puisse exister. Ces explosions, ces flammes, ils arrivaient à les faire apparaitre d’eux-mêmes. Des plantes s’étaient déplacées toutes seules et ce mystérieux jeune homme avait disparu en claquant des doigts. Cela défiait toute logique et en même temps, c’était si poétique. L’hypothétique existence de la magie était une ouverture sur de nombreuses perspectives mêlant l’imaginaire le plus fou à la réalité la plus sec. Elle s’évada de la salle de classe en pensant à des aventures fabuleuses durant le reste du cours.
Au milieu du cours de Français, le principal entra accompagné du garçon qui, quelques heures auparavant, se battait avec Eden et Matt. Il s’agissait d’un nouvel élève, ce qui expliquait l’uniforme. Il trouva place juste à côté de la jeune fille. Matt et Eden ne le virent pas d’un bon œil, soucieux de savoir ce qu’il comptait lui faire. Lucian, car c’est ainsi qu’il se nommait, resta silencieux à contempler Iris durant tout le cours. Enfin, plus que la contempler, il la dévisagea avec un regard noir. Elle fut tellement déstabilisée et intriguée qu’elle ne prit pas note de toute l’heure.
La mélodie appréciée par les étudiants de tout âge retentit. Pendant la pause, Iris se rendit auprès de Méliana et Aélys, ses deux meilleures amies. Les deux jumelles étaient curieuses de savoir la raison de son retard, intriguées par son arrivée au même instant que Matt et Eden. Elle leur raconta la même chose qu’au directeur, mais elles ne semblèrent pas très convaincues. Elles s’imaginaient toutes sortes de choses, mais restèrent toujours très éloignées de la vérité.
– On ne savait pas que tu étais intéressée par Eden, affirma Aélys. Vous sortez secrètement ensemble, avoue !
– C’est une bonne chose si tu veux mon avis, reprit sa sœur. Tu es seule depuis bien trop longtemps. Je me demande tout de même ce que Matt faisait avec vous. Il était peut-être jaloux.
– Après ce qu’il lui a fait en maternelle, c’est peu probable, continua l’autre jumelle.
– Mais bon, je suppose que toutes les heures de colle que vous avais faites ensemble vous ont rapprochés.
– Vous déraillez complètement ! s’exclama Iris toute rouge. Il ne s’est absolument rien passé tout à l’heure ! C’était seulement une coïncidence.
– Mouais, si tu le dis, répondirent-elles, sceptiques.
Elles échangèrent un regard complice puis affichèrent un grand sourire qui embarrassât Iris. Elle s’en voulait d’avoir à leur mentir, mais elle ne pouvait pas trahir les garçons vu la gravité de leurs actes. Les deux jeunes filles continuèrent d’enchaîner les théories loufoques. Il n’y en avait pas une pour rattraper l’autre. Mais après tout, elles étaient jumelles.
C’était grâce à Matt qu’elle les avait rencontrées. Comme elles l’avaient expliqué précédemment, ils étaient en maternelle, et toutes les deux avaient craqué pour cette graine de rebelles. Comme Iris passait tout son temps avec lui, elles étaient vite devenues jalouses. Elles voulaient éloigner Iris de Matt et avaient planifié tout un plan pour intimider leur rivale. Le jeune garçon ayant entendu les deux petites filles comploter avaient décidé de les éloigner pour de bon de son amie mais aussi de lui. Il avait saisi les longs cheveux d’Iris et les avait coupés puis il avait affirmé :
– Je m’en fiche d’Iris ! Et je m’en fiche de vous aussi ! Alors, arrêter de faire des magouilles contre elle.
Iris avait beaucoup pleuré ce jour-là et elle était partie se cacher tout au fond de la cour de récréation. Les filles l’avaient suivi puis s’étaient excusées. C’est depuis ce jour, qu’elles étaient amies. Mais elles continuaient de voir Matt d’un mauvais œil. Il faut dire qu’il ne s’était pas arrangé avec l’âge et qu’il taquinait encore Iris avec la même méchanceté.
Elles arrêtèrent leur conversation lorsqu’elles remarquèrent qu’Eden se dirigeait vers elles. En temps normal, ça n’aurait pas vraiment dérangé Iris. Au contraire, elle aurait été folle de joie. Mais cette fois, elle avait vraiment un mauvais pressentiment. L’adolescent arriva à toute vitesse, la prit par la main, s’excusa envers Méliana et Aélys d’avoir à leur emprunter leur amie, puis il entraina Iris vers l’ancienne école. Le lieu était abandonné depuis près d’un siècle et menaçait de s’effondrer à tout moment. Iris s’interrogea sur les intentions d’Eden, elle connaissait son plus grand secret et savais qu’il n’hésiterait pas à se débarrasser d’elle pour le préserver. Plus ils avançaient, plus le lieu paraissait effrayant. Le parquet grinçait, les portes se fermaient et s’ouvraient toutes seules. On se serait cru dans un film d’horreur. De plus, les rumeurs au sujet d’un fantôme qui hanterait les lieux rendaient Iris encore plus perturbée qu’habituellement. Elle s’arrêta, puis demanda à faire demi-tour, mais elle ne fut pas vraiment écoutée :
– Ne t’arrête pas et suis-moi, murmura-t-il, et surtout ne fais pas de bruit.
– Où est-ce qu’on va ? demanda-t-elle suspicieuse.
– Tu verras quand on y sera.
– Si tu veux te débarrasser de moi, je tiens à te rappeler qu’il y a plusieurs témoins qui nous ont vus entrer ensemble dans l’ancienne école.
– Voyons Iris, pour quel genre de monstre me prends-tu ? Je sais bien que tu as compris que je suis un mage et je sais aussi que tu ne parleras pas parce que tu tiens trop à Matt. Alors pourquoi te ferais-je du mal ? Ce n’est pas mon genre de m’en prendre à une magnifique jeune fille dans ton genre.
– Si ce n’est pas pour m’éliminer, que fait-on ici ? Je veux dire, si tu ne comptes rien me faire, à quoi bon m’emmener dans cet endroit délabré ?
– L’ancienne école est un repère de Mages, les salles de classe y ont été attribuées à un ou plusieurs magiciens. Matt et moi y avons notre antre, je pensais te la faire visiter puis…
– Puis ? reprit-elle curieuse.
– On verra cela là-bas. D’accord ?
– Tu fais beaucoup de mystères pour quelqu’un qui n’a rien à se reprocher.
Il soupira exaspéré et reprit sa route. Elle fut contrainte de le suivre, trop effrayée pour faire demi-tour toute seule. Son imagination s’emballa de nouveau lorsqu’elle se trouva nez à nez avec une grande porte usagée, forgée dans un minéral qu’elle n’avait encore jamais vu jusqu’à ce jour. Elle s’imaginait que derrière, il y avait une pièce obscure et poussiéreuse avec en son centre un grand chaudron et sur les murs, des étagères surmontées de plusieurs dizaines de bocaux remplis de cerveaux humains ou de créatures surnaturelles. Quelle fut sa déception quand elle fit face à un salon richement décoré. Pas de poussière, pas de chaudron, mais une table basse en verre encerclé par de somptueux canapés rouge. Une chaleur agréable se dégageait d’une cheminée en marbre située dans l’angle supérieur droit de la pièce. Il y avait même un lit et un réfrigérateur installé tout spécialement pour Matt qui habitait les lieux lors de ses nombreux renvois de l’internat. Eden servit le thé et invita l’adolescente à se joindre à lui. Il avait repris ses fausses manières de prince, mais cette fois elle ne se laissa pas charmer. Elle dévisagea le breuvage avant d’interroger Eden :
– Est-ce qu’il est empoisonné ce « thé » ? C’est une potion, n’est-ce pas ?
– Arrête de douter de moi, je ne suis pas un monstre ! s’exclama-t-il vexé. En plus, je l’ai préparé sous tes yeux. Il provient directement Fortius-Mancie.
– Fortius-Mancie ? demanda-t-elle de sa voix enfantine.
– C’est…un autre monde. Un univers parallèle au nôtre où seuls des mages vivent. Là-bas, la magie est omniprésente.
– Tu veux dire qu’il existe un autre monde que Hierro-Terra ? Waouh ! C’est vraiment cool.
– C’est vrai. Surtout que l’existence d’autres univers parallèles est fortement envisageable et que…
– Humm ! Vraiment délicieux ce thé ! Ils ont vraiment des trucs super bons dans ce monde. Avec deux univers, ça fait deux fois plus de plat à goûter. Dis, tu n’aurais pas un gâteau ou une viennoiserie d’autres planètes ?
– Quoi ?! C’est tout ce qui t’intéresse ? Je ne comprends vraiment pas comment Matt fait pour te supporter. Mais bon, si je t’ai fait venir ici, ce n’est pas pour parler de gastronomie. Je voudrais savoir si tu aimerais devenir mon assistante.
À ce moment-là, Iris avala son thé de travers. Tout en toussant, elle s’exclama :
– Pourquoi faire ? Je n’ai pas de… pouvoir et il faut le reconnaitre, je… ne suis pas très douée de mes mains. Alors si c’est encore pour cette histoire de secret…
– Non, ça n’a rien à voir. En fait, j’ai besoin d’un être humain dans l’équipe pour…avoir une vision différente des choses…
– Qu’est-ce que tu veux réellement ? Interrogea-t-elle , suspicieuse.
En réalité, il voulait garder un œil sur elle. Mais surtout, il éprouvait un certain plaisir à l’énerver. Tout en elle le divertissait : son caractère colérique, ses mimiques et ses phrases idiotes. Il y avait quelque chose en elle qui la rendait attachante à ses yeux. Mais bien sûr, il n’allait pas le lui dire. Il fit exprès de la provoquer :
– En fait, j’ai plus besoins de quelqu’un pour m’aider à préparer les potions et à nettoyer l’antre qu’autre chose…
– Tu veux que je sois ta domestique, c’est ça !?!
Elle rougit de colère, comme à son habitude et lança son regard le plus noir à Eden.
– Ne le prends pas si mal. Dis-toi que c’est l’occasion pour toi d’en savoir plus sur la magie et surtout de passer du temps avec moi, des centaines de filles rêveraient d’être à ta place.
– Je n’ai aucune envie de passer du temps avec un psychopathe mégalo dans ton genre. Et depuis que Lucian est arrivé ce matin, tu n’es plus vraiment au centre de l’attention.
– Ça ne durera pas. Mais maintenant que tu parles de lui, je tiens à te rappeler qu’il t’a vue ce matin et que s’il s’est mis à côté de toi pendant le cours, c’est sûrement pour te surveiller. Il a tout intérêt à te voir disparaitre. Si tu acceptes d’être mon assistante, je te promets d’assurer personnellement ta protection. Sinon demain, il se pourrait que tu ne sois plus de ce monde.
Eden avait un don incroyable pour effrayer les gens et il en profitait pour manipuler Iris à sa guise. Il y trouvait d’ailleurs beaucoup de plaisir. Celle-ci, à cause des paroles d’Eden, s’était remémorée le regard terrifiant de Lucian. Quand elle l’avait vue ce matin, elle avait senti un immense frisson lui parcourir le corps. Ce n’était pas son apparence qui l’avait terrifiée, sachant qu’il était presque aussi beau qu’Eden, c’était plutôt l’aura négative qui se dégageait de lui. Mais elle s’interrogeait tout de même sur sa dangerosité. Aussi loin qu’elle se souvenait, c’était Eden et Matt qui l’avaient menacée. Lucian, lui, ne lui avait pas dit un mot. Tout cela laissait à réfléchir, elle ne voulait pas prendre une décision impulsive et risquer de devenir la domestique d’Eden sans raison valable. Pour mieux envisager les choses, elle lui demanda :
– Pourquoi vous battiez vous avec Lucian ?
– Tu vois ce collier ? interrogea-t-il en lui montrant le pendentif à son cou. Et bien c’est un objet contenant les pouvoirs de la reine Céleste, l’ancienne chef des magiciens. Le tribunal de la magie, une grande instance contrôlant plus de la moitié de Fortius-Mancie m’a nommé gardien de ce bijou avec Matt. Quand les juges ne se servent pas de ses pouvoirs, c’est nous qui sommes censés préserver le collier des sorciers comme Lucian. Si le collier arrivait entre les mains de personnes malintentionnées le monde magique, ainsi que Hierro-Terra pourraient être en grand danger.
– Quel genre de danger ? questionna-t-elle, particulièrement intéressée.
– Les cours vont bientôt reprendre, je t’expliquerai tout ceci un autre jour. Tu n’auras qu’à me donner ta réponse plus tard pour le job d’assistante.
– Je ne pense pas changer d’avis. Je déteste faire le ménage et ta présence est plus que dure à supporter.
Elle le suivit jusqu’à la sortie du bâtiment. Quand ils furent dans la cour, la première chose qu’ils virent fut Lucian. Il était appuyé contre un mur, en train de les observer. Iris le trouva plus bizarre qu’inquiétant mais commença à prendre les mises en garde d’Eden au sérieux.
En cours d’histoire, Iris était assise entre Méliana et Aélys. C’était pour moins s’ennuyer. L’histoire était pour elle un somnifère. Elle ne comprenait pas l’intérêt de toujours se remémorer le passé. C’était à ses yeux une perte de temps, un frein qui empêchait de vivre dans le présent et d’avancer vers le futur. Alors en cours, au lieu d’écouter elle dormait, dessinait ou discutait avec ses deux meilleures amies. Mais cette fois, la présence oppressante de Lucian qui avait eu l’idée de s’assoir juste derrière elle, l’embarrassait tellement, qu’elle n’osait faire un geste. Elle se retournait de temps à autre, mais dès qu’elle croisait le regard du sorcier, elle sursautait et pivotait de nouveau vers son bureau. Ensuite, elle restait face au tableau rigide, le regard terrifié.
Lucian était presque amusé de l’effet qu’il faisait à Iris. Il voyait en elle une parfaite occasion de se procurer ce qu’il désirait le plus : le Collier des Anges. Un artefact magique procurant à son utilisateur d’immenses pouvoirs. Il ne savait pas encore s’il devait manipuler Iris pour qu’elle le dérobe à Eden ou simplement l’effrayer. Il pensait aussi à se servir d’elle comme monnaie d’échange pour obtenir le collier.
Eden, à l’autre bout de la classe, affichait un sourire satisfait. Il se délectait de voir Iris sur les nerfs à cause de Lucian. Il était maintenant persuadé qu’elle accepterait d’endosser le rôle d’assistante. Il était le roi et elle son jouet. La pauvre adolescente se retrouvait à son insu la proie de deux sorciers sadiques.
Méliana et Aélys qui observaient l’échange de regards entre Iris et Lucian, mais aussi entre Iris et Eden avaient remarqué que Matt déprimait dans son coin. Elles s’imaginaient une sorte de carré amoureux entre les trois adolescents et la lycéenne. Elles n’avaient pas tout à fait tort, car les trois jeunes hommes s’intéressaient à elle, mais d’une façon bien différente de celle qu’elles croyaient.
Les cours finis, il était temps pour Iris de rentrer chez elle et de se reposer après cette longue journée. Alors qu’elle était sur le point d’arriver, elle fit demi-tour se souvenant avoir oublié son livre de mathématique dans son casier. Malheureusement pour elle, l’établissement était déjà fermé. Alors qu’elle allait retourner chez elle, elle aperçut une silhouette qui semblait l’observer derrière un arbre. Lorsqu’elle s’approcha, l’ombre disparue. Elle reprit sa route avec la sensation d’être suivie. A plusieurs reprises elle se retourna, mais il n’y avait absolument personne. Alors qu’elle ouvrait la porte de chez elle, elle sentit une main se poser sur son épaule. Elle se tourna brusquement, mais il n’y avait toujours rien. Peut-être était-elle sur les nerfs à cause des avertissements qu’Eden lui avait fait ?
Le lendemain, Iris arriva encore une fois en retard. Elle se retrouva donc dans le bureau du directeur avec Matt qui avait encore prit tout son temps pour venir. En classe, elle discuta comme à son habitude avec Méliana et Aélys. Les deux filles n’écoutaient Iris que d’une oreille. Elles continuaient d’observer les trois garçons comme la veille, bien décidées à s’immiscer dans cette « relation » pour l’aider à choisir.
Iris n’adressa pas un seul regard aux trois mages préférant éviter les ennuis. Matt ne comprenait pas pourquoi elle l’ignorait depuis le matin alors qu’ils s’étaient réconciliés la veille. Eden, lui, savait bien qu’elle l’évitait pour ne plus être mêlée à leurs affaires. Surtout que le soir dernier, c’était lui qui l’avait observé et suivi pour l’effrayer.
À la fin des cours, l’une des deux jumelles se chargea d’emmener Iris au jardin municipal. C’était un parc plein de verdure où les collines émeraude s’enchainaient, séparées seulement par de fins sentiers en pierre jaunes. La faune tropicale y était dense, ce qui faisait ressembler le parc à une jungle miniature. Nous étions au printemps et les fleurs avaient envahi parterres et branches. Un filet d’eau traversait le parc d’est en ouest. Si on le suivait, on pouvait accéder à une petite cascade naturelle. Là-bas, la vue était un véritable enchantement. C’était sûrement l’endroit le plus romantique de la ville. Iris s’y était laissé entrainer par Méliana. Elles parlèrent de tout et de rien, l’une pour se changer les idées et l’autre, afin de gagner du temps pendant qu’Aélys convainquait les garçons un à un de se rendre près de la cascade. Elle leur avait à chacun dit qu’Iris les y attendait afin de leur parler de quelque chose d’important. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’ils avaient tous les trois reçu le même message. Ils se laissèrent tromper par le sourire et la gentillesse de la jeune fille.
Avant de rentrer chez elle, elle envoya un SMS à sa sœur pour la prévenir de l’arrivée imminente des trois adolescents. Celle-ci, trop curieuse pour s’en aller, se cacha derrière un buisson afin de les observer…
Les trois garçons arrivèrent en même temps au point de rendez-vous. Iris qui était assise les pieds dans l’eau se retourna brusquement vers eux, abasourdie. Lorsqu’elle eut enfin pris compte que les trois mages qu’elle essayait d’éviter se trouvaient derrière elle, elle se releva d’un bond, avant de s’en aller prestement. Eux, qui voulaient éclaircir cette histoire, lancèrent un sort sur les branches des arbres environnants afin de l’empêcher de partir. Matt l’interrogea avec son « tact habituel » :
– Tu nous fais venir ici et tu t’enfuies quand tu nous vois ? Là, c’est toi qui nous fais une blague !
– C’est vrai que ton comportement est vraiment suspect, reprit Eden. Et pourquoi avoir fait venir Matt et l’autre ?
– Pour information, « l’autre », il a un nom ! s’exclama Lucian. J’ai été invité à me rendre ici, tout comme vous !
– Pourquoi l’aurait-elle invité ? Vous ne vous connaissez pas.
– Que tu le veuilles ou non, je suis là Matt. Mais si tu penses que je n’ai pas ma place ici, bats-toi !
Iris les regarda se disputer, extrêmement embarrassée par la situation. Elle aurait dû se douter que Méliana et Aélys avaient un plan quand elles les avaient vues partir chacune de leur côté, le regard plein de malice. Le problème, c’est que cette fois, elle ne pouvait pas expliquer la situation au risque d’exposer les filles à la colère des mages. « Que dois-je leur dire ? » s’interrogeait-elle.
Les adolescents commençaient à s’impatienter. Ils cessèrent de se battre afin de retourner interroger Iris. Celle-ci essaya tant bien que mal de se sortir de ce mauvais pas.
– Tout ceci n’est qu’un malentendu, en fait…voyez-vous…je…
– Mais encore ?! s’écrièrent-ils en chœur.
Elle regarda autour d’elle afin de se trouver une excuse. Mais à part la splendeur des lieux, il n’y avait rien digne de leur fournir une bonne explication. Elle tenta tout de même sa chance.
– Eh bien, si je vous ai fait venir c’est pour…vous montrez cet endroit. Vous ne trouvez pas ce lieu magnifique ?
– Si c’est vraiment pour ça, pourquoi Lucian est-il là ? interrogea Matt.
– Eh bien, comme il est nouveau en ville, j’ai pensé que ce serai sympa de lui montrer le parc. Et comme toi et Eden sembliez le connaitre, je me suis dit qu’il serait plus à l’aise si vous étiez là.
Les trois garçons se turent en même temps. Iris savait pertinemment que Matt, à cause de ses mensonges, ne pouvait pas la contredire. Et puis, Lucian ne savait pas ce que lui avait appris Eden, il ne pouvait donc pas risquer de l’informer. Par contre, elle ne comprit pas vraiment pourquoi Eden était resté silencieux. Peut-être voulait-il lui éviter d’avoir des ennuis ?
Ses deux ennemis face à lui, Lucian comptait bien profiter de l’occasion pour s’emparer du Collier des anges. Avant d’agir, il observa attentivement la situation. Les deux mages se tenaient côte à côte et le collier était au cou d’Eden. Il pensait se servir de la magie des éléments afin de les attaquer, mais seul contre deux, ses chances de réussites étaient extrêmement minces. Puis il prit en compte la faiblesse de l’ennemi : Iris. Distraite, peu sportive, mais surtout dépourvue de magie, elle était la cible idéale. Il l’immobilisa à l’aide de l’arbre situé juste derrière elle et de l’herbe sous ses pieds, prenant soin d’entourer une branche à son cou. Tout s’était passé en quelques secondes, si bien que ni les mages ni la jeune fille n’avaient eu le temps de réagir. Alors que les garçons s’apprêtaient à répliquer, Lucian resserra les liens d’Iris et sur un ton menaçant, il les prévint :
– Si vous faites, ne serait-ce qu’un tout petit mouvement, je l’étouffe. Maintenant Eden, tu vas déposer doucement le collier à terre.
– Je ne le ferai pas. Ce collier à plus de valeur qu’elle n’en aura jamais. Tu n’as qu’à la tuer, ça ne me pose pas de problème.
– Vraiment ? Matt n’a pas l’air de cet avis.
En effet, Matt était paniqué, partagé entre ses sentiments et son devoir. Il réfléchit un instant, regardant tantôt Iris, tantôt le collier. L’adolescente se débattait et semblait avoir du mal à respirer. Les plantes dont s’était servis Lucian pour la ligoter étaient couvertes d’épines qui s’enfonçaient dans les membres de la jeune fille. Elle pleurait et gémissait de douleur mais ne pouvait pas crier tant elle était étranglé. Il ne pouvait pas la regarder souffrir plus longtemps. Il saisit brutalement le collier du coup d’Eden et le jeta aux pieds de l’agresseur.
– J’ai honoré ma part du contrat, c’est ton tour maintenant.
Lucian tenu parole et mit fin à son sort. Les plantes reprirent leur état naturel, laissant la pauvre Iris s’écrouler sur le sol. Matt se précipita immédiatement vers elle pour s’assurer qu’elle allait bien. Heureusement, elle n’avait que quelques griffures ainsi qu’une rougeur autour du cou. Eden ne pouvait pas accepter ce qu’avait fait Matt. Il se précipita vers Lucian afin de récupérer le collier. Celui-ci adressa un sourire triomphant au mage avant de disparaitre au milieu d’une fumée grise. Eden, frustré, s’éclipsa à son tour.
Malgré les paroles réconfortantes d’Iris, Matt avait sombré dans une profonde dépression. Avec Eden, il était chargé de veiller sur le collier des anges à ses risques et périls. Il aurait dû garder le collier plutôt que sauver la vie de son amie, mais il tenait beaucoup trop à elle. Maintenant, il allait devoir répondre de ses actes faces au tribunal de la magie. Accusé de haute trahison, peut-être perdrait-il ses pouvoirs, peut-être irait-il en prison ou peut-être même serait-il tué. Et par sa faute, Eden encourrait la même sentence.
Iris le raccompagna jusqu’à sa chambre, ignorant tout de ses craintes. Afin qu’elle le laisse seul, il prétexta être fatigué. Dès qu’elle fut partie, il s’assied face à son bureau, pris une feuille blanche et se mit à écrire. Il rédigea en dix minutes sa lettre d’adieu avec une concentration à toute épreuve. Une fois finie, il la mise dans une enveloppe adressée à Eden et Iris. Ensuite, il déposa quelques affaires dans un sac à dos et parti.
Pendant ce temps, Iris s’était mise en route vers la demeure d’Eden, convaincu qu’elle pourrait le réconcilier avec Matt. Le jeune homme vivait seul dans un appartement-terrasse situé en plein centre-ville. Quand elle se retrouva face à la porte, un petit problème se posa. À l’interphone, Eden refusa catégoriquement de la faire entrer. Elle s’adossa alors contre un mur et attendit que quelqu’un ouvre la porte. Pour patienter, elle continua de sonner toutes les secondes chez Eden, en espérant qu’il craque. Au bout d’une heure, un vieil homme entra dans l’immeuble permettant à Iris d’y pénétrer. Elle prit l’ascenseur pour accéder au 16e étage où se trouvait l’appartement d’Eden. Elle sonna une première fois à la porte. Celle-ci s’ouvrit puis se referma immédiatement au nez de la jeune fille. Elle sonna de nouveau, sans réponse. Alors, elle changea de technique, frappant de coups de pied la porte en aluminium tout en lui criant : « Ouvre la porte ou je vais frapper dedans jusqu’à la casser ! Je te préviens, je n’arrêterai que lorsque tu m’ouvriras ! » Eden de l’autre côté ne supportait plus le boucan qu’elle faisait. Il se résigna à la faire entrer.
– Bah, c’est pas trop tôt ! s’exclama-t-elle, heureuse d’avoir triomphé.
– Tu t’entraines pour être aussi agaçante ? interrogea-t-il, exaspéré.
– Non, c’est inné. Mais je ne suis pas venue ici pour te faire une démonstration de mes talents. Je suis ici pour t’aider. Je vais devenir ton assistante et ensemble nous retrouverons le collier.
– Pourquoi tu ferais ça ? Tu n’étais pas d’accord avant. Alors, pourquoi maintenant ?
– Bah ! Pour rattraper mes erreurs, tiens ! C’est moi qui vous ai fait venir et c’est parce que Lucian a profité de mon inattention et peut être aussi un peu de ma faiblesse que le collier est arrivé en sa possession. Tout ce que je veux, c’est racheter mes fautes.
– Je n’ai pas besoin de ton aide. Tu risquerais d’empirer la situation.
– Écoute, je ne te laisse pas le choix. Tu es le gardien de ce collier, non ? Alors, tu dois le retrouver et un peu d’aide ne te fera pas de mal.
– Tu ne me laisseras pas tranquille si je n’accepte pas, n’est-ce pas ? demanda-t-il, prêt à céder.
– Pas une minute de répit, affirma-t-elle avec beaucoup de sérieux.
– Dans ce cas, c’est d’accord. On aura qu’à se retrouver demain à dix heures dans le repère. En attendant, tu devrais rentrer chez toi et soigner tes blessures.
– Tu ne m’en veux plus ? demanda-t-elle avec une voix douce d’enfant triste.
– Tu n’y peux rien d’être faible. Tes amies ne pensaient sûrement pas à mal quand elles ont planifié cette rencontre dans le parc. Ce serait plutôt à moi de m’excuser, j’ai préféré sauver le collier plutôt que toi.
– Oh ce n’est rien. Tu avais sûrement tes raisons. Merci de n’avoir rien dit lorsque tu as découvert que c’était de la faute des jumelles.
– Ce n’est rien… Tant que j’y pense, prends ceci avec toi.
– Qu’est-ce que c’est que ce livre ?
– C’est un grimoire rempli de formules magiques, mais c’est aussi une mine d’or d’information sur les pouvoirs et les artéfacts magiques en tout genre. Les mages débutants s’en servent pour étudier. Je te le donne, ça pourrait t’être utile, assistante.
– Merci beaucoup, patron.
Elle le quitta, soulagée de s’être réconciliée avec lui. Cette fois sans détour, elle se rendit chez elle. Elle vivait dans un grand manoir déserté par le reste de sa famille. À chaque fois qu’elle y pénétrait, elle avait toujours le réflexe d’allumer la télévision pour se sentir moins seule. Elle redoutait chaque jour le moment fatidique où elle rentrerait chez elle, et ne trouverait personne pour l’accueillir. Cela faisait maintenant sept ans que sa mère avait disparu. Suite à cela, son père l’avait laissée seule avec son grand frère afin de recommencer sa vie à zéro. Il avait fondé une société à Hérédite, capitale de Conoce, pays le plus puissant par son avancé scientifique, mais surtout, situé à plusieurs milliers de kilomètres de Pyravis. Grâce à cela, il était devenu un homme d’affaires influent et fortuné. Remarié et père de deux autres enfants, il continuait d’assumer les besoins financiers d’Iris et de son ainé, mais ne venait jamais les voir. Son frère, Honoré, était resté un peu moins de trois ans avec elle, avant de partir lui aussi sans donner de nouvelle. Il ne restait plus que de vieille photo pour lui rappeler le visage de ses parents et de son frère. Sa famille unie et heureuse n’était maintenant plus qu’un doux souvenir qui la hantait dans les moindres recoins de l’habitation. La maison, en plus d’être vide, était atrocement sale. Dans la cuisine, on pouvait à peine distinguer le marbre des éviers tant les assiettes et la crasse y été entassées. Bien sûr, elle avait un lave-vaisselle, mais elle n’avait toujours pas compris comment s’en servir. Le sol et les meubles autrefois somptueux étaient maintenant recouverts d’un épais nuage de poussières. Elle ne cuisinait pas. Pas parce qu’elle n’aimait pas, bien au contraire, mais surtout parce que tout ce qu’elle faisait avait un goût abominable, une odeur nauséabonde et une apparence plus que répugnante ; alors, elle commandait chaque jour divers plat. Mais aujourd’hui, elle n’avait pas faim, alors elle ne mangea pas. À la place, elle dévora des yeux chaque page du grimoire qu’Eden lui avait offert.
« Première leçon.
Ils existent deux catégories de mages, les sorciers, adeptes de la magie noire et les magiciens usant de la magie céleste. Les sorts utilisés sont, pour la plupart, les même d’une catégorie à une autre, mais leurs utilisations est différentes. Les magiciens obéissent aux lois du tribunal de la magie et les sorciers à celle des trois sages obscures.
Suite à la séparation en deux univers du monde originel et au contrat établi entre humain et mage le jour de la séparation, toute personne, humaine ou mage, étant prise à dévoiler l’existence de la magie sur Hierro-Terra, sera condamné à la peine maximale de la juridiction où elle se trouve. Article 4-7 de la loi des mages.
Seconde leçon
En plus de sorcier et magiciens, il existe des sous-catégories, classées selon les pouvoirs. Chaque mage à des pouvoirs spécifique à la naissance, mais c’est lui qui décide réellement de son orientation, à l’âge de dix ans :
 Les mages élémentaires et les elfes utilisent les pouvoirs du feu, de l’eau, du vent, de l’électricité et les pouvoirs de la terre à partir de ressources à leur disposition.
 Les marionnettistes sont capables de créer et de donner vie à des créatures de matériaux divers et de les contrôler.
 Les alchimistes sont des créateurs de potions et d’armes magiques.
 Les guerriers sont les seuls mages capables d’utiliser les armes magiques.
 Les enchanteurs utilisent leurs pouvoirs à l’aide de formules et de chants »
Elle était vraiment intéressée par chaque mot qu’elle lisait et tentait de retenir le plus d’informations possible. Elle continua de lire chaque leçon puis elle s’intéressât aux artéfacts, plus précisément au collier des anges. Elle voulait tout savoir sur lui afin de pouvoir le retrouver plus facilement. Elle arriva sur une double page parlant de l’origine du collier, mais aussi, de l’anneau des abysses. Les deux objets étaient liés par une légende :
« Il y a longtemps, il existait sur le monde originel, un royaume gouverné par une reine d’une bonté sans limites, Sa Majesté Céleste la grande. Elle avait réussi à faire vivre en parfaite harmonie, mages et humains, grâce à la magie que les anges lui avaient conférée. Mais un jour, un puissant sorcier vint rompre cet équilibre, clamant aux quatre coins du territoire, la supériorité des créatures magiques. La guerre commença alors et se répandit avec une rapidité fulgurante dans chaque territoire, opposant Hommes et mages. Dans chaque camp, il y avait des pertes considérables, et le royaume prospère était devenu un champ de bataille où les corps s’entassaient. Le sorcier, malgré le sang qu’il avait versé, s’entêtait à affronter la reine. Ses pouvoirs, lui venant des créatures des ténèbres, lui permettaient de rallier énormément de personne à sa cause. Alors que la reine allait capituler, le sorcier fut enfin capturé. Le peuple, ne pouvant être calmé malgré la défaite d’un de ses leaders, devait être divisé. La reine contraint le sorcier de l’aider à séparer le monde en deux univers. Sur Fortius-Mancie furent placés les mages et les elfes et sur Hierro-Terra, les Hommes ainsi que quelques magiciens qui avaient combattu le sorcier. Et pour éviter que l’incident ne se reproduise, on interdit aux personnes de Hierro-Terra de parler de ces événements et de magie aux générations suivantes. Seuls les dirigeants devraient connaitre le passé des deux univers afin d’empêcher qu’une guerre aussi sanglante ne se reproduise, et aussi, pour vérifier que les mages n’utiliseraient pas leurs pouvoirs en public. La magie du sorcier fut ensuite scellée dans l’anneau des abysses. Et en guise de punition, Céleste se priva de sa magie en l’enfermant dans le collier des anges
De nos jours l’anneau des abysses et le collier des anges sont très convoités, mais seuls le tribunal et les sages savent comment l’utiliser. On raconte que celui qui posséderait les deux artéfacts, aurait le pouvoir de réunir les deux mondes et d’y régner en maitre absolu. C’est une des raisons pour lesquels magiciens et sorcier luttent depuis la séparation. »
Iris était maintenant en pleine connaissance du sujet. C’était sans doute la première humaine à lire cette histoire depuis plusieurs siècles. Elle s’était tellement plongée dans son livre qu’elle n’avait pas fait attention à l’heure. L’horloge indiquait déjà deux heures du matin et elle n’avait toujours pas dormi. Ses yeux rouges et cernés clignèrent quelques fois avant de se fermer.
A travers son rêve, elle entendit la voix de sa mère. Elle la voyait, face à elle, rayonnante et souriante. Elles étaient dans des ruines, sa mère assise sur un trône en pierre blanche. Elle voulait s’approcher d’elle, la prendre dans ses bras, mais elle était comme paralysée, incapable de faire un pas. Tout en essayant de s’avancer vers elle, elle lui cria, la voix tremblante :
– Maman ! Pourquoi n’es-tu pas auprès de moi ? Pourquoi es-tu partie ?
– Ma chérie, on se retrouvera quand ce sera le moment.
– Quand ? Pourquoi n’est-ce pas maintenant ? Tu me manques, maman !
– Tu dois d’abord retrouver le collier.
– De quoi parles-tu maman ? Quel collier ?
– Le collier des…
Elle ne put finir sa phrase, elle avait disparu. Iris s’effondra en pleurant et en la suppliant de revenir.
– Maman, parle-moi. Ne me laisse pas seule ! Reviens…je t’en prie.
Sur cette phrase, elle se réveilla le visage trempé par les larmes. Elle resta immobile quelques secondes avant de se ressaisir. C’était plus qu’un rêve, elle avait réellement senti la présence de sa mère et les ruines où elles se trouvaient lui étaient familières. Soudain, elle se souvint que sur les murs, il y avait un dessin représentant une auréole au-dessus de deux ailes, le symbole du collier des anges. Sa mère lui demandait de le retrouver pour qu’elle puisse revenir. Pourquoi ? Elle ne le savait pas. Mais c’était maintenant sûr, elle chercherait le collier quoi qu’il lui en coûte.

565