Donc, je revenais juste d’une visite en Italie, histoire de voir le bout de la botte, et bon je me suis dit pourquoi ne pas revenir du côté de chez moi ? Après tout, ça ne faisait pas loin de 20 ans que j’avais quitté la Provence. Pour être honnête, j’avais un peu peur de revenir, l’endroit où on est né, c’est un peu comme son premier amour, c’est toujours spécial, on le garde avec nous dans un petit coin de son esprit et on l’embellit avec le temps qui passe, jamais rien ne pourra y être comparé. Je n’étais pas vraiment pressé de voir le coin en ruine, sous la coupe d’une bande d’illuminés ou pire… à la merci d’une bande de supporters du PSG… mais je digresse.
Donc je revenais d’Italie, bon à ce point il faut savoir qu’en Chine j’étais tombé sur une de ces nouvelles motos fonctionnant a l’énergie solaire, ça coutait la peau du dos quand c’est sortis, mais ça a rendu les trajets un peu moins contraignant… un peu moins, parce que si ne pas avoir à dépendre des stations essences était appréciable, on était encore dans une société de consommation, donc la plupart du truc était en plastique qu’il fallait changer presqu’aussi souvent qu’il fallait recharger les batteries (sans parler de la durée de vie des dites batteries). M’enfin, une fois que j’eu compris le basique le reste était devenu assez simple en fait, et j’arrivais à réparer l’ensemble avec les moyens du bord. Donc je me retrouvais avec mon laptop une demi douzaines de disque dur portables haute capacités et un lecteur MP3, avec mon nouveau butin, près d’1 Téraoctet des plus grands hits de l’industrie du porno italien (entre autre). Je me suis souvent demandé si les gens qui bossaient dans cette industrie réalisaient à l’époque qu’ils seraient la seule chose qui resterait un jour de la culture humaine… ça et le Reggae.
Donc bé après avoir bien vérifié que c’était à peu près le même oai partout, je m’étais mis dans l’idée que rentrer chez moi, ben ça serait peut-être pas plus mal, après tout, je ne rajeunissais pas et il faudrait bien mourir un jour, quelque part, alors pourquoi pas à l’endroit où j’étais né?
La mort, j’y ai pensé souvent ces 10 dernières années, j’ai même quelque fois pensé à mettre fin à mes jours, mais d’un autre coté… c’est bizarre mais le fait de pouvoir écrire mes histoires sur ce portable pourris (je sais plus combien de fois j’en ai changé/réparé en 10 ans) est finalement ce qui m’a poussé de l’avant. Un peu comme Shéhérazade et ses comptes des 1001 nuits, j’ai toujours refusé de mourir avant de raconter la fin de l’histoire et puis il fallait débuter la prochaine. Quand je travaillais il y avait toujours quelque chose d’urgent, il fallait faire du sport, cuisiner, il fallait bosser, j’étais souvent en dépression (paradoxalement beaucoup plus que maintenant), enfin il y avait toujours quelque chose, le temps fuyait et je ne me trouvais que rarement dans un endroit où les mots me venaient. Apres la cata c’est devenu plus simple, une fois que j’ai réglé les problèmes de papier toilettes, je n’avais plus vraiment que ça à faire. Les gangs à l’extérieur se sont faits de plus en plus rare avec le temps. J’imagine que peu ont pu survivre aux zombies… à défaut d’un autre mot. D’ailleurs pour dire vrai, ça fait un moment que je n’en ai plus vu et même avant ça, on pouvait en trouver un ou deux et ça datait d’avant la dernière pleine lune. Je n’ai jamais été très bon pour tenir le compte des jours, et aujourd’hui je les compte aux pleines lunes. Une pleine lune fait à peu près un moi, douze font un an et ainsi de suite, les phases de la lune durent à peu de chose près une semaine… encore une fois sans « datelines » je n’ai besoin que d’une valeur approximative du temps qui passe. D’un côté je trouvais ça assez libérateur, c’est vrai à quoi ça servait réellement le temps? A quelle heure manger? Aujourd’hui je mange quand j’ai faim, même avant la cata les trois quart de la planète ne pouvaient déjà pas en dire autant. Ca servait surtout pour le boulot, pour se souvenir que l’on vieillissait, que ce qui était important à l’époque le devenait moins, remplacé par autre chose, finalement, ça signifiait que l’on mourrait, une mesure qui n’indiquait pas le temps qui passait mais celui qui nous restait. A trop lutter contre on ne le voyait pas passer, à chercher à le contrôler il nous échappait.
Avec ce genre de choses en tête, j’arrivais en Provence, je me suis arrêté près de la chaine de l’Etoile, avant la cata on disait que c’était une montagne, après avoir traversé le monde, je la voyais plus proche d’une colline. Je m’y suis aventuré un peu, puis je m’y suis assis, les yeux droits devant, au loin, refusant de voir en bas, ce qui restait de ma ville. Une ville où déjà je ne me sentais plus chez moi les rares fois où j’y ai séjourné. Laissée à l’abandon elle était à la fois si différente et pourtant si similaire, tout était comme dans mes souvenirs, sauf dans les détails, où j’avais l’impression d’être ailleurs, quelque part où je n’appartenais pas. Même après 15 ans les rêves ont la vie dure, je me suis toujours imaginé, pour une raison quelconque qu’elle y aurait échappé, j’ai passé tellement de temps à dire que j’en venais, que j’ai fini par vraiment croire qu’on était différent, peut-être pas meilleur mais qu’on aurait survécu. Je m’imaginais mon grand-père derrière sa canne à pêche sur le port autonome, il y avait accès parce qu’il y avait travaillé toute sa vie, un émigré italien, tout aussi fier d’un pays dans lequel il n’a jamais vécu que moi d’une ville qui n’a jamais été réellement chez moi. On a tous besoin d’un point de départ, de quelque chose en quoi croire, on se battit son image à partir de choses que l’on croit comprendre, il vaut mieux d’ailleurs ne pas trop en connaitre sur le présent, on s’arrange le passé d’un endroit pour qu’il nous corresponde, y puisant notre histoire… une identité sur ce que l’on a bien voulu retenir. Appelez-moi faible, je ne pouvais juste pas voir Marseille en ruine, ou abandonnée, l’espoir tient à peu de chose et souvent beaucoup de mauvais foie.
De toutes manières d’un point de vue pratique il aurait été idiot pour moi de m’y installer. Il fallait de l’eau courante, il fallait me rapprocher de la Durance et m’éloigner d’ici.
Quelques heures plus tard, je trouvais une maison paumée au milieu d’une vallée, juste au bord d’une rivière suffisamment isolée pour voir venir des visiteurs éventuels, mais suffisamment exposée au soleil pour me permettre l’utilisation des panneaux solaires. Après il me faudrait un peu de temps pour mettre au point une dynamo et prendre l’électricité de la rivière elle-même, mais du temps j’en avais… même que ça.

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