La gare d’Anaïta n’avait pas changé, elle était comme dans ses souvenirs. Quatre voies qui rejoignaient et quittaient le bout du monde. Les trains ne pouvaient aller plus loin, les rails finissaient et commençaient à Anaïta. La rouille avait envahi les fondations telle du lierre s’attachant à un arbre centenaire et les quais noirâtres semblaient peu enclins à accueillir les très rares touristes qui osaient s’aventurer en ces lieux.
Le vieil homme leva les yeux. Le soleil usé de réchauffer la terre, s’était caché derrière un gros nuage sombre. Ses deux valises lui semblaient plus pesantes que des montagnes qu’il aurait soulevé à bout de bras. Il traîna les pieds jusqu’à l’entrée.
Un chien sommeillait contre un composteur.
Le chef de gare, assis sur un banc, consultait les dernières nouvelles du monde.
La grosse horloge indiquait depuis cinquante années la même heure.
Anaïta vivait hors du temps, un paisible village qui semblait imperméable aux éléments extérieurs. Le vieil homme traversa le petit hall presque désert. Le chef de gare abaissa son journal et…
– Bienvenue Alex. Ca fait une éternité que l’on ne vous a pas vu.
– Je vous connais monsieur ?
– Tout le monde connaît tout le monde à Anaïta.
– Vous avez raison.
– A propos de quoi ?
– Une éternité que je ne suis pas venu dans cet endroit.
– Alors ?
– Il me semble que rien n’a changé ici.
– Détrompez-vous mon ami, tout change même à Anaïta. Les gens changent, les vents changent, seuls les souvenirs demeurent.
Alex sourit.
– J’ai tellement de souvenirs enfouis dans ces terres. Tellement de rêves qui sont restés emprisonnés ici quand j’ai du partir.
– Qu’êtes-vous venus chercher ici mon ami ?
– Je ne sais pas vraiment. Il sourit. Enfin, si je le sais mais j’ai peur de le dire de crainte que ça ne se réalise pas.
– Quoique vous soyez venu chercher à Anaïta. Vous le trouverez, croyez-moi, mais peut-être pas de la façon que vous attendez…
Le vieillard se détourna du chef de gare énigmatique, reprit ses deux montagnes et continua son chemin.
– Alex ! Le vieux voyageur tourna péniblement la tête.
– Oui.
– Que vous êtes-vous fait à la joue ?
– Je me suis coupé en me rasant. Ce n’est rien.
– Vieux rasoir ?
– Non. Vieux visage.
Le chef de gare hoqueta un instant puis il se mit à rire, du plus beau des rires. Celui que l’on n’arrive pas arrêter. Celui dont a peur que s’il disparaît, on le perdrait pour toujours.

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