Les premiers jours furent assez éprouvants. Ils nous fallut un certain temps, pour ouvrir notre cœur à nos nouveaux amis. Notre nouvelle famille, pour ainsi dire. Et même après, qu’ils nous eurent prouvé à moult reprise leurs bonne volonté. Un sentiment d’incertitude subsistait. Les préjugés ont la vie dure. Mais plus les jours s’égrenées, et plus notre appréhension s’étiolait.

Environ deux semaines plus tard, nous finîmes par accepter notre sort. Dès lors nous pûmes, intégrer pleinement la meute. Les loups nous apprirent à chasser, à nous déplacer en silence, comme des ombres, aux milieux de la forêt. Nous admonestant lorsque le besoin, s’en faisait sentir.

Je me souviens encore de cette journée, au début de notre initiation, ou à l’affût dans les hautes herbes. Ont observaient un cerf, paître paisiblement. Quant viens le moment de la charge, je me relevai vivement, me prit les pieds dans une racine affleurente, et m’affalai lourdement la tête dans la boue. Emporté par mon élan, je roulai lourdement sur le sol. Avant de finir ma cavalcade par un magnifique roulé boulé, dans un buisson de millepertuis. Sentant une menace, le cerf s’ébroua, et partit au triple galop. Résultat des courses, mes compagnons me piétinèrent, lacérant mon dos au passage.

Dans une meute, il n’y a pas de place pour les faibles. Tous les belligérants se battent entre eux. C’est une lutte de tous les instants pour la suprématie et le droit de procréation.

Entendant glousser, je me redressai douloureusement, et vit Lanara le fessier par terre. Le devant de sa robe, son visage, ainsi que ses beaux cheveux blond, maculés de terre. Selon toute vraisemblance, elle s’était emmêlé les pieds dans sa tunique, et s’était étalé.
Un grognement guttural, m’arracha à ma béatitude. Levant les yeux, j’aperçus «Le Borgne» qui nous fusillait du regard.
Comme un père, mécontent des progrès de ces enfants.
Oui, vous avez bien entendu, j’ai bien dit «Le Borgne». Pour mieux nous intégrer parmi nos nouveaux frère, ma sœur et moi avions décidé de leurs donner des sobriquets.
Nos compagnons se reconnaissaient à l’odeur. Mais ceci, nous étant impossible, ils fallait qu’on trouve une manière de les différencier les uns des autres. On convint donc de les nommer en fonction de leurs distinctions physiques.
En premier lieu, il y avait «Onyx», le mâle Alpha. Du fait de son pelage noir comme l’ébène, ce nom nous avaient parus tout à fait approprié.
Puis vint le tour du «Borgne», que l’on nommaient plus communément «Le Borgne» Ils s’agissait du premier loup que j’avais aperçus à mon réveil dans la foret. Sur le coup, stressé comme je l’étais. Je n’avais pas remarqué qu’il ne lui restait plus qu’un œil.
La plus gentille nous l’avions nommé «Maman» Elle était de loin, la plus brave, la plus douce, de la meute. Forts d’une portée de six louveteaux, elle n’hésitait pas à nous traiter comme ses propres petits. Comme si elle avait ressenti notre tristesse, notre peine, de ne plus avoir de parents.
Timoré, Solitaire, et Hargneuse formait le triptyque des renfermés. Pour eux, nous n’existions pas, ils essayaient le plus possible, d’éviter de croiser notre chemin ou notre regard. Comme si… nous les effrayions.
La vieille Tamara, en hommage à la doyenne d’Ambers, complété notre joyeuse bande. Elle était un mystère pour nous, se tenant toujours en retrait, même la nuit. Elle passait ses journées, couchait près du vieux Chêne, je peux compter sur les doigts d’une main les fois où je l’ai vu chasser en notre compagnie. Il m’était difficile d’évaluer sa place dans la meute. Si incontestablement Onyx était l’Alpha, Maman sa compagne, Le Borgne le mâle bêta.
Quel était sa position ?
Tout en elle, de se frêle constitution à son isolement de tous les instants, faisaient penser qu’il pouvait s’agir de l’oméga. Pourtant tous les autres semblaient lui vouer, un profond respect, baissant la tête et la queux, des que cette dernières veillait bien leur faire don de sa présence. Onyx était apparemment le seul, autorisé à la côtoyer en privé, dans son lieu de prédilection. Apportant à chacune de ces rencontres, une petite proie (lapin, écureuil, lièvre) qu’il déposait affectueusement devant elle. Cette attitude m’étonnait. Normalement quand sonne l’heure de la chasse, tous les loups participent activement à la traque, avant de se partager équitablement la dépouille de leur proie. Sauf pour l’oméga qui passe en dernier et doit se coltiner les restes des autres, si tant est qu’ils en ont laissés. Si un membre de la meute refuse de prendre part à la chasse, sa pitance lui sera refusé, car il n’a rien fait pour la mériter et dans la majeure partit des cas, il se verra exclure de la meute. Devenant ce qu’on appelle couramment «un loup solitaire». Un paria qui errera pendant un certain temps à la recherche d’une nouvelle meute, prête à l’accueillir. Ou tentera, d’en fonder une nouvelle, le cas échéant.
Aucun autre animal ne s’abaisserait à le nourrir, car ça serait faire preuve de faiblesse, dans un milieu ou la force prédomine.
Mais cela, n’avait nullement l’air d’inquiéter Onyx, qui continuait son manège à chacune de ces rencontres. Bien que celle-ci se fasse plutôt rare. Les autres loups ne semblaient pas s’en offusquer pour autant. Pourquoi ? Je ne me risquerais pas à répondre.
Non, sa présence même était une énigme. Que nous pûmes d’ailleurs, jamais élucidée.
Ainsi se déroulait nos journées, toujours selon la même routine, chasse, pitance, sieste, répartit sur l’ensemble de la journée. Avant de retourner à la clairière pour la nuit.
Ce n’était pas une vie trépidante. Mais au moins on vivait, d’autres n’avaient pas eu cette chance. A la longue, nous finîmes même par apprécier cette existence, cette nouvelle façon de vivre. Elle était certes simple, mais tellement belle. J’en garde certains des plus beaux souvenirs, de ma vie. Les nuits à la belle étoile, blottit au milieu de mes compagnons à fourrure. Tandis qu’au-dessus de nous, dans la voûte céleste, des étoiles filantes, filaient vers leur destin. Illuminant sporadiquement l’immensité de l’espace, phare dans les ténèbres.
Et «Maman» Ah Maman, et tous ces petits loupiots. Comme on les avaient affectueusement surnommés. On peut dire qu’ils lui en auront fait baver. La pauvre n’avait plus un instant à elle. Mais tous ces sacrifices auquel elle avait consentie, en valaient la peine.
Aucun mot à ma connaissance, ne conviendrait mieux que grâce et espoir, pour décrire sa plus grande fierté. Ces adorables petites trognes, toutes frétillantes de joie et d’excitation qui accouraient vers nous, dès qu’elles nous apercevaient. Dire, qu’ils étaient magnifique serait un doux euphémisme, tant ils étaient aux dessus de ça. Sublimes, leurs conviendraient mieux comme superlatif. Même si pour moi, ils transcendaient le terme même de beauté. Je ne m’aventurerai pas, à dire qu’ils étaient parfaits, ça serait trop pompeux. Mais à mes yeux, ils s’étaient ce qui s’en rapprochait le plus.
Le miracle de la vie dans toute sa splendeur. Alors, que le reste du monde s’entre déchirait. Celle-ci continuait de pulser et de croître. Coque de noix, malmenée par les flots déchaînés, elle continuait pourtant sa sainte mission, faisant fi des obstacles qui s’interposaient. Cette saine obstination, la rendant que plus belle à mes yeux. Car si en temps de guerre, elle continuait à donner naissance à de tel créatures. De quoi, était’ elle capable lorsque la paix prédominé.
Pour un peu, j’en aurais presque oublié, que nous étions des orphelins de guerre. Cette nouvelle vie avait petit à petit, pris le pas sur notre ancienne existence. Qui désormais, nous semblait diffuse et distante.
S’il n’y avait eu les cauchemars. Nos nuits, étaient régulièrement agité, des images de nos parents, au moment de la déchirure, venant nous tourmenter. D’autres images fragmentées se superposaient à celle-ci. Je voyais des langues de flammes embraser villes et villages. Les cieux obscurcis par la fumée. Et au milieu de tout ce chaos, des familles entières qui fuyaient le sentier de la perdition.
Puis, alors que le songe commençait à se dissiper, une phrase résonnait, dans une langue qui m’était inconnue.
– Uiecl rap uiq al tuin set vareri, rerva ons voeure tebiont pachereva. Elus eutc uiq ed al canfouferes nost én nontrau nue ancech ed el seratrers.
Le plus mystérieux, restait que Lanara, faisait exactement le même rêve, dans ses moindres détails. Jusqu’à la voix gutturale qui clôturait le tout.

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