Ils parcoururent les chemins et les routes, passant ici un village, ici une ville. Ils n’avaient pas encore quitté le pays, la civilisation, et faisaient halte dans les auberges, profitant aussi longtemps que possible du toit au dessus de leur tête, et d’un repas chaud. Ils eurent le temps de faire connaissance. Longine s’ouvrait un peu chaque jour, révélant une personnalité complexe, renfermée, centrée sur l’étude, peu habitué qu’il était à sortir du monastère. En tant que scientifique et mage, il avait de plus une aversion naturelle pour la force physique qu’incarnait Argon. Celui-ci retrouvait chaque matin la route avec plaisir, accueillant les courbatures de la chevauchée comme des amies. Il allait souvent en tête du convoi, parlant un peu avec Erwin, et s’occupant surtout de surveiller la route. Il s’assurait tant du trajet à prendre, ce qui pour l’instant se résumait à suivre le chemin tracé, que d’anticiper les lieux propices aux embuscades, ou les voyageurs louches. A chaque pause il continuait les exercices physiques avec Etaile, afin de chasser les restes d’inaction, selon ses mots. La jeune moniale était d’agréable compagnie, joyeuse dans la fatigue comme dans le repos. Elle semblait apprécier l’occasion de se mesurer à un adversaire aguerri, tout en sentant qu’elle pourrait peut être le vaincre un jour. Pélane restait d’humeur égale, aimable, et ne semblait pas ressentir la fatigue, ou en tout cas ne le montrait aucunement. Au contraire de ses condisciples, elle méditait et pratiquait sa magie chaque matin, provoquant de légères ondulations du sol autour d’elle. Erwin était le plus sombre du petit groupe, et même s’il chevauchait auprès des trois moines et devisait avec eux, ou allait parler à Argon pour organiser leur voyage, il restait souvent dans ses pensées. Malgré cela ses réactions étaient promptes quand des animaux sauvages traversaient leur piste. Les seuls évènements notables furent des ampoules et cals pour ceux qui n’étaient habitués au voyage.

Les autochtones croisés sur le chemin ne s’étonnaient pas de leur groupe. Les moines de Whus sortaient relativement souvent de leur monastère pour étudier le monde, et qu’ils soient accompagnés de mercenaires semblait dans l’ordre des choses. Ils étaient des voyageurs appréciés, amenant leur or dans ce recoin du pays. Les paysages variaient peu. Des champs bordés de haies, de grandes étendues de prairies sauvages, des villages, des bosquets d’arbres ici et là, quelques forêts. Après deux semaines de route, ils logèrent dans la dernière auberge avant leur destination. En tout cas, la dernière qui n’avait pas besoin de remparts et d’hommes en armes. Chaque village avait prétendu qu’au-delà s’étendait le territoire des sauvages. Sans doute pour garder les voyageurs plus longtemps chez eux. Ici, c’était vrai. Ils dînèrent copieusement, se couchèrent tôt pour profiter du dernier oreiller de plume avant de quitter la civilisation.

Pendant la nuit, un rêve vint à Erwin. Il était de retour dans la prison d’Arkosh, et le démon était là, toujours assis à la même place. Sa voix avait changé, elle était plus sombre, plus proche de celle d’un homme âgé.

— Je te connais, Erwin. Je sais ton pouvoir, je sais ta quête, et je sais tes faiblesses.
— Que me veux-tu, ombre d’Arkosh ?
— Te dire ce que tu sais déjà, ce dont tu te doute. Ce que veulent les moines, ce qu’ils connaissent, et ce qu’ils n’ont pas dit.
— Ce que je sais n’a pas de valeur. Ton peuple est-il intéressé à notre quête ?
— Je ne peux tout savoir, je ne suis qu’ombre. Toutefois, j’ai parcouru dans le passé la région du Grand Pic, que nous appelons Eregor. Tu pourras y trouver quelques réponses à ta quête. Pour le reste…
— Renifle l’eau avant de la boire. Je sais. Laisse-moi dormir maintenant.

Le démon et la pièce disparurent dans les brumes.

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