Il fit quelques pas, se réhabituant à la lenteur de la marche, et s’avança sans hâte vers le village.

Erwin passa bientôt entre les premières maisons, de bois et de torchis pour la plupart. Quelques-unes étaient de pierre. Toutes éclairaient la nuit par leur fenêtre, déversant une vive lumière en grands carrés sur le sol. Il atteignit la place centrale, écouta quelques instants le bruit de l’eau dans la fontaine, le bruit de l’alcool dans les maisons. Léger et humble cliquètement du filet d’eau, lourd et sourd grondement des gorges avides. Une taverne dominait les autres bâtisses de la place. Il y entra.

Bruits de fête et bruits de jeu, la taverne imposait son ambiance. De larges tables accueillaient également buveurs, conteurs assoiffés, voyageurs noirs de fatigue, paysans et artisans venus laver leur journée de labeur. Au fond, l’immense comptoir de bois servait de barrière entre le monde et le patron, imposant géant occupé à satisfaire ses clients contre un digne salaire. A côté, deux jongleurs se lançaient des couteaux sous les yeux émerveillés d’une meute d’enfants affamés d’exploits. Il s’avança, trouva un coin de table vide, loin de tout ce qui semblait trop excité ou trop saoul, et s’assit. Une serveuse, à peine plus âgée que les spectateurs ébahis, vit son geste et disparut en cuisine avant de lui apporter un bol fumant de soupe et une assiette de légumes avec quelques morceaux de viande. Il sortit de sa ceinture quelques pièces qui parurent suffisantes à la demoiselle pour qu’elle sourit. Il but lentement le liquide chaud, observant sans offenser par une trop grande attention ses voisins proches, piquant à l’occasion des morceaux dans l’assiette. Son corps maigre réchauffé se détendit un peu sur la chaise de bois dur. L’un des saltimbanques laissa tomber un couteau, qui se ficha avec un bruit sec dans le grossier plancher. Il le ramassa sous les quolibets qu’il dispersa d’une histoire de chevalerie pleine de dragons.

Ayant fini de manger, l’homme se leva, posa une pièce sur le comptoir, et se dirigea vers les chambres. Le patron de l’auberge, avec qui il avait échangé un signe de tête, recouvrit d’une main la pièce et acquiesça. Un si bon client, qui s’arrêtait plusieurs jours chez lui. Qui partait avant que tous le monde soit levé et rentrait à la nuit tombée pour avaler son repas et se coucher aussitôt. Pas causant, pas joyeux, mais pas d’histoire non plus. Il le pensait mage, ou chercheur de trésor. Peut être les deux. Commerçant prospecteur sinon. Le géant ne voyait pas trop ce que l’homme pouvait faire de ses journées, sans cheval pour se déplacer, mais n’était pas du genre à s’inquiéter de la vie de ses bons clients.

Une fois dans sa chambre, Erwin retira un par un les voiles qui l’habillaient, les pendant sur une poutre. Apparurent des épaules fines, avec l’attache des ailes au niveau des omoplates. Elles étaient maintenant toutes repliées, flétries, fanées. Elles frémirent légèrement quand il s’étira. Tout le reste de son corps étaient à l’avenant, mince à la limite de la maigreur. Plein d’os, tout en muscles durs et légers. Une dague dissimulée par sa tunique fut posée près du lit. Elle était pareil à lui, longue et fine. A la fois délicate et nerveuse. Dans la lumière vacillante de l’unique chandelle de la pièce, il finit de se dévêtir, posa le reste de ses effets sur la table et se glissa dans le lit, à plat ventre. L’aile gauche se regonfla un peu, battit rapidement, un seul coup. La chandelle céda face au courant d’air impératif.

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