Le premier jour, Erwin resta plusieurs heures dans les ruines de l’ancienne ville. De réguliers contacts télépathiques d’Argon lui assurait que le camp était en sécurité. Il compris les allusions de son grand-père sur la vie des Aériens. Qu’ils volaient plus aisément que lui, moins lourds et plus habitués à l’air qu’au sol. Pourquoi certaines maisons n’avaient ni porte, ni escalier. Comment chaque bâtiment était conçu pour laisser le vent le traverser, pour qu’à chaque endroit l’air soit en mouvement. Le seul mystère était l’absence totale de ses habitants, ou de leurs traces. Même les objets qui habillaient les maisons dans ses visions manquaient. Seuls restaient les murs de pierre, et les légendes.

Cette race si puissante n’avait pu disparaître, même si elle avait fuit le nid. Devait-il retrouver le groupe des survivants et y prendre femme pour ne pas diluer sa part de sang aérien ? Pouvait-il agir comme son grand-père, et perdre son héritage dans la multitude rampante du peuple humain ? Ces questions l’accompagnaient depuis longtemps, mais en ce lieu mythique elles le brûlaient avec une force inconnue jusque-là. Retrouver les Aériens était un acte de foi.

Erwin avait terminé l’exploration de la citadelle vide. Il se rendit au temple du Vent Vrai, demeure de la déesse Lipen. Aucun autre bâtiment ne pouvait le dépasser en hauteur, ou même l’égaler. Il gravit les marches innombrables comme le voulait la tradition. Le croyant qui d’ordinaire glorifiait la déesse en volant devait se présenter humble et rampant devant elle. Parvenu à l’entrée sombre au sommet, il entra, aveuglé un instant par l’obscurité. La statue de la déesse lui apparu dans la pénombre. Entièrement taillée dans le cristal, elle reflétait la faible lumière qui venait du dehors. La grande pièce était vide autour de l’immense statue représentée en vol, les pieds joints et les bras étendus. Sa chevelure flottait de tout côté, masquant partiellement le visage, les épaules, le buste dénudé. Erwin s’assit. Il laissa son esprit s’apaiser, entra en transe, à l’écoute du monde qui l’entourait. Aucune sensation mystique en ce lieu, déserté depuis trop d’années pour que le pouvoir divin y subsiste. Allant plus loin dans la transe, il passa la frontière du rêve.

Quand il ré-ouvrit les yeux, la statue brillait des milles feux du soleil reflété par les grands miroirs du temple. La lumière se déversait par de multiples ouvertures le long du plafond, convergeait vers la tête de la déesse et baignait tout son corps. La grande pièce en était illuminée. Des dizaines d’Aériens étaient assis autour d’elle. Les ailes déployées battaient en rythme, apportant le vent des fidèles à la statue. Chaque corps était net, et chaque visage brouillé, flou, impossible à reconnaître ou à décrire. Le vent illuminait la pièce à sa façon, comme si elle était nettoyée de toute trace de non-vie, de tout air vicié. Le vent vrai régnait ici. Ni froid, ni chaud, mais rapide, fluide, souple, vivant, imprégnant chaque bouffée d’air inspirée. Erwin sorti et avança jusqu’en haut des marches. Des pèlerins gravissaient l’immense escalier, ailes repliées. La cité s’étendait tout autour, vibrante de vie. Il cligna des yeux. L’instant d’après, elle était vide, en ruines, et une haute muraille noire et fluctuante la coupait du monde. Le temple trembla, branlant sur ses fondations. Il se souleva d’un coup, chaque pierre jetée en l’air, détachée des autres. Le bâtiment retomba d’un coup, se tassa, comme rapetissé, vidé de sa substance.

Erwin sortit de sa transe, dans la grande salle sombre. Lipen avait quitté ce lieu, non pas suite à la désertion de ses fidèles, mais pour que son pouvoir ne tombe pas aux mains d’un ennemi. La ville avait été attaquée, vidée de ses habitants, de sa vie, fuit par sa déesse n’ayant pu la protéger. Et le vent était parti.

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