Il était dératiseur. Et dans l’immense cité de Bellwade, chaque journée de travail était une dangereuse aventure à elle seule. Les animaux étaient bien trop gros pour proliférer autant que dans les grandes villes humaines, mais cela n’empêchait pas des individus solitaires de s’installer dans certains secteurs des égouts ou aux abords d’un quartier.

Lorsqu’un rat s’installait dans une zone, il dévastait presque tout petit à petit pour se construire son nid, puis il faisait ses réserves de nourriture. Lorsque c’était dans les égouts, ils étaient longs à détecter mais ils faisaient moins de ravage.

Penark travaillait en solo au sein de sa propre entreprise ; le gobelin n’avait jamais souhaité développer son activité suffisamment pour pouvoir embaucher plus de monde. Il ne faisait pas une course au chiffre d’affaire et choisissait soigneusement les clients pour lesquels il acceptait de travailler. C’était le goût du risque et l’opportunité de tester ses nouvelles inventions qui l’intéressaient plus que le reste.

Ce jour-là, il trouva dans sa pile de courrier quotidienne une demande particulière : un couple de rats semblaient avoir réussi à élire domicile dans un petit faux-bourg de Bellwade sans que personne ne puisse les empêcher. Penark fronça les sourcils en parcourant la lettre du regard une deuxième fois. Il n’avait jamais mis les pieds là-bas, et il voyait mal comment un couple avait pu s’installer, mais il était légèrement désœuvré ces derniers temps et il alla à l’agence la plus proche pour envoyer un télégramme : il acceptait ce travail.

Le gobelin prépara soigneusement son matériel le soir-même. S’ils étaient deux, le travail se révélerait deux fois plus dangereux que d’ordinaire, mais il allait pouvoir tester sa nouvelle invention. Si elle fonctionnait, il n’aurait peut-être pas à faire usage de la violence.

Le lendemain, il fut aux aurores sur le quai de la gare et arriva au faux-bourg avant que le soleil n’atteigne son zénith. A son arrivée, il fut accueillit par le bourgmestre, accompagné de la milice local, et il retira son chapeau pour les saluer.

— Monsieur, vous êtes la lueur d’espoir au bout d’un bien sombre tunnel, lui dit le gnome aux cheveux platine en lui serrant fébrilement la main. Nous ne savions plus quoi faire !
— Où sont les rats ?

Penark n’aimait pas les longs discours, il voulait passer à l’action, et rapidement. La milice l’accompagna jusqu’aux abords du nid, puis même les plus valeureux d’entre eux s’éloignèrent. Il n’y eut qu’un troll immense pour rester à ses côtés, et il espéra que ce dernier ne le gênerait pas dans son travail.

— Soyez prudent. La femelle est particulièrement agressive, dit le troll alors qu’ils entendaient une respiration.

Là, au détour d’une maison, étendue entre les arbres, la rate tourna difficilement la tête vers eux. Penark baissa son harpon en haussant les sourcils.

— Elle attend des petits !
— Vous êtes sûr ?

Penark ouvrit la bouche pour répondre mais il entendit un craquement dans son dos, suivi d’un bruit de fouet et il se baissa juste à temps pour éviter la longue queue écailleuse qui envoya voler le troll un peu plus loin. Ce dernier se retourna légèrement en gémissant mais ne parvint pas à se relever et le gobelin se sentit soudainement bien seul.

— Mon vieux, c’est maintenant ou jamais !

Il fouilla rapidement dans son sac et en sortit sa dernière invention : il s’agissait d’un vieux cornet en ferraille qu’il avait relié à tout un appareillage resté dans son sac. Il le tenait à bout de bras, et dans son autre main, il tenait un cornet plus petit, également relié au tout, qu’il porta à ses lèvres.

— Je ne te veux pas de mal ! articula-t-il d’une voix forte.

Une suite de sons suraigus sortit du gros cornet et le rat s’interrompit. L’animal pencha la tête sur le côté et poussa à son tour des cris aigus. “Laissez-nous tranquille”.

— J’aimerais assez, mais vous avez fait des dégâts importants dans les parages et les habitants ne veulent plus de vous ici.

Le rat passa à côté de lui et se plaça aux côtés de sa femelle. “Elle a besoin de nourriture”. Penark se frotta le menton d’un air songeur. Il avait quelques économies de côté. Pour fêter le succès de son invention, il pouvait bien en dépenser une partie pour payer une réserve de nourriture.

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