Le Museum d’Histoires Naturelles de Bellwade était abrité dans l’un des bâtiments les plus modernes de la cité cosmopolite ; il employait sur une année quelques centaines de personnes. Kiliern, un tout jeune korrigan arrivé depuis quelques mois seulement, s’était retrouvé bombardé à l’organisation de la soirée d’inauguration d’une nouvelle section. Il n’était qu’un stagiaire, mais comme la section concernait la flore et la faune sauvage de sa contrée d’origine, le conseil directeur avait trouvé intéressant de le laisser faire.

Alors que la soirée n’était plus qu’à quelques jours, Kiliern s’arrachait le bouc dans son petit bureau aménagé pour l’occasion. Son équipe semblait s’acharner à en faire le moins possible : la liste des invités n’était pas bouclée, personne n’avait validé le devis du traiteur mais en revanche, quelqu’un avait bloqué la finalisation des travaux en faisant appel à une commission directrice de la cité.

Avec un long soupir découragé, le korrigan reposa sans délicatesse les feuilles sur son bureau et se leva. Cela faisait des heures qu’il s’efforçait de rattraper tout ce capharnaüm ; il avait bien besoin d’une petite pause, ou de quelque chose qui lui redonnerait le courage de finaliser ce projet. Il secoua quelques secondes ses jambes engourdies, tapotant légèrement le sol du bout de ses sabots, réajusta correctement sa petite veste en velours noir et sortit de la minuscule pièce. Un petit tour à l’exposition qui était déjà en place dans la nouvelle section lui ferait le plus grand bien.

Kiliern fit d’abord un détour par les cuisines pour déposer le devis portant enfin la signature de validation. Il fut reçu par une gobeline âgée, probablement la cuisinière en chef, qui lui arracha la feuille des mains en lui jetant un regard hostile. Le korrigan lui sourit aimablement malgré le tablier blanc taché de sang qu’elle portait. Une tension régnait en permanence dans les couloirs du Museum ; cela venait du fait de son existence même. Au sein de la cité cosmopolite qu’était Bellwade, les différents peuples magiques cohabitaient plus ou moins difficilement, et les multiples sections du Museum apportaient régulièrement leur lot de protestations et de manifestations.

Dans celle dont Kiliern préparait la soirée d’inauguration, des spécimens très rares de fées sauvages étaient présentés, et l’Association de Préservation de la Faune Féérique s’était immédiatement mobilisée pour les récupérer. Il avait lui-même dû recevoir leur présidente en personne, et la Fée Citadine s’était montrée plus qu’odieuse.

— Excusez-moi, mademoiselle ?

La lumière du hall d’exposition était déjà allumée quand il arriva, et Kiliern repéra aussitôt la lutine qui se tenait debout devant l’une des vitrines. Elle ne faisait pas partie du personnel et le coeur du korrigan s’accéléra alors que l’idée d’un possible attentat lui venait en tête.

Le bruit de ses sabots sur le sol dallé attira finalement l’attention de l’intruse, qui se retourna pour l’observer d’un air calme.

— J’ai une autorisation du directeur, dit-elle simplement en agitant un papier sous son nez.

Kiliern pinça les lèvres et parcourut rapidement le papier. Il n’avait rien à dire — il n’était jamais que l’organisateur de la soirée d’inauguration —, mais sa fierté fut tout de même piquée au vif. Cette exposition, c’était un peu la sienne également.

— A qui ai-je l’honneur ? demanda-t-il aimablement en lui rendant la feuille.
— Kirkima Latross. Je suis exploratrice.

Le korrigan haussa ses sourcils touffus et la lutine se détourna finalement de la vitrine.

— Si, c’est un métier.

Kiliern se trouva stupide de la voir ainsi lire dans ses pensées et il afficha une mimique penaude.

— Vous connaissez cette exposition ?

Kirkima était déjà passée à autre chose et elle observait tout autour d’elle, comme à la recherche de quelque chose en particulier.

— Plutôt bien, oui.
— Je me prépare à partir en expédition pour le président d’une grande entreprise de poudre de fées. Il a l’air d’avoir trouvé la poule aux œufs d’or, et ce serait justement dans l’aire géographique concernée par cette exposition.

Le korrigan hocha la tête pensivement. Il nota mentalement de se renseigner sur cette Kirkima Latross dont il n’avait jamais entendu parler auparavant et qui semblait pourtant avoir ses petites entrées au Museum, puis il prit la direction des vitrines où les fées sauvages étaient exposées.

— Nous avons quelques spécimens intéressants de cette région, en effet.
— Des spécimens ?

Kiliern éprouva une nouvelle fois cette désagréable sensation d’inconfort alors qu’elle soulignait son erreur de vocabulaire. A Bellwade, et partout ailleurs dès que les peuples magiques étaient en contact, il était mal vu d’utiliser ce genre de termes pour parler des autres.

— Des…

Tout en avançant, il chercha un meilleur terme, en vain. Des exemplaires ? Des races ? Des types ?

— Des individus ? dit-elle alors qu’ils arrivaient près de la vitrine.
— Oui !

Kiliern hocha vivement la tête, soulagé qu’elle soit venue à son secours. La lutine lui jeta un regard avant de se pencher au-dessus des vitrines.

— Celles-ci sont toutes petites.
— Elles n’avaient pas encore atteint l’âge adulte quand elles ont été attrapées il y a plusieurs dizaines d’années. Et le procédé utilisé pour les conserver les réduisait quelque peu.
— Et vous vous étonnez d’avoir autant de détracteurs ? Comment est-ce que tout cela n’est pas illégal ?
— C’est du savoir ! s’offusqua-t-il. Et puis, ne venez-vous pas vous-même de dire que vous allez travailler pour un exploiteur de fées ?

Kirkima lui jeta un regard perçant mais n’ajouta rien. Finalement, elle prit congé sans qu’ils aient échangé un mot de plus, et Kiliern se surprit à se demander ce qu’il faisait là. Il secoua la tête, et, après avoir poussé un nouveau soupir, reprit la direction de son bureau.

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