Léa se réveilla dans la lumière douloureuse d’une chambre aux murs blancs, qui lui rappelait amèrement ses années en prison. Sa tête lui faisait souffrir le martyr, ce qui n’était pas pire que le reste de son corps, qui lui donnait la sensation d’avoir été broyé par une presse industrielle. Elle referma les yeux, le temps de s’habituer. Au bout d’un moment, elle sentit les perfusions dans ses bras, le corset synthétique qui lui enserrait le ventre. Il était relié à une unité centrale sur un chariot à roulettes laissé à côté de son lit. Sa peau la tirait en dessous, comme si on l’avait recouverte de bande adhésive.
« — Chef, vous êtes réveillée ? »
La voix était ténue, on aurait dit que la personne qui avait prononcé ces mots avait peur de faire éclater un charme.
« — C’est toi, Malékith ? Où suis-je ?
— Dans une chambre, en bas de la tour. Ils n’ont pas d’hôpital ici. Ça va ?
— Comme si on m’avait passé à la bétonneuse… »
Elle posa ses mains sur les draps rêches pour tenter de se redresser.
« — Euh… Évitez ça chef. Le truc autour de votre ventre est en train de vous réparer. Faut pas bouger avant qu’il ait terminé. »
Léa hocha la tête avec peine. Elle était de toute façon trop fatiguée pour faire le moindre geste. Sa gorge était sèche, goudronnée. D’un signe de tête, elle demanda à Malékith de lui servir de l’eau.
« — Combien de temps ?
— Une semaine. C’est pas passé loin, vous savez. La balle s’est plantée à côté de votre colonne vertébrale, et ils arrivaient pas à vous endormir avec toute la drogue que vous aviez dans le sang. Une fois que ça s’est calmé, ils ont pu vous opérer, mais ils n’étaient pas sûrs que vous vous réveillerez. »
Elle se leva et parcouru la pièce de long en large, devant Léa, en serrant ses bras contre elle. L’expression de son visage était difficile à lire sous ses tatouages lui faisant un masque qui empêchait de faire le point. Durant l’entretien d’embauche, un an auparavant, elle avait expliqué que c’était une forme de camouflage, pour tromper les systèmes de reconnaissance faciale. Un motif inspiré des navires militaires de la première guerre mondiale. Pour le moment, Léa avait surtout mal au crâne.
« — Bah on dirait que ça a marché. Arrête de bouger, c’est… fatigant.
— Oui, désolée. Nyobe est restée sous la protection de deux gardes toute la semaine, mais il n’y a pas eu d’autres attaques. L’île est fermée aux nouveaux arrivants, tous les conteneurs sont scannés à l’entrée. Pour le moment, j’ai l’impression qu’on est tiré d’affaire. J’ai collé un espion dans le réseau pour m’assurer qu’on ne nous réservait aucune mauvaise surprise. Et j’ai un oiseau en vol en permanence. Le gamin, Stéphane, je l’ai foutu sur quelques trucs histoire qu’il s’améliore. »
Joignant le geste à la parole, elle s’assit sur sa chaise et leva le petit ordinateur portable qu’elle portait toujours avec elle. L’écran renvoyait l’image des caméras du drone. Le ciel était clair, et la mer très grise et calme. L’aéronef autonome fit une brusque embardée pour éviter une mouette qui lui coupait la route. Le virage l’amena au-dessus de la verrière qui couvrait la base de l’île, sous laquelle transparaissait le vert des arbres. L’écran clignota, signe que les défenses automatisées l’avaient accroché. Malékith effleura le clavier pour changer la trajectoire, avant de reprendre.
« — Sinon… Zac est dans le coma. Dans la chambre d’à côté. »
Léa ouvrit grand les yeux, cette fois-ci tout à fait réveillée. Plus qu’à ses ordres, son équipe était sous sa responsabilité. C’était son devoir de s’assurer qu’ils ne soient pas blessés. Manifestement, elle avait échoué.
« — Que disent les médecins ?
— Il a eu une grande partie de la peau brûlée par l’explosion, et ils ont peur que les poumons aient été touchés. Ils ont dû lui enlever un bon paquet de ses muscles pour pouvoir le raccommoder.
— Il va gueuler, vu tout ce que ses prothèses lui ont coûté.
— S’il se réveille… Une grenade IEM a grillé son traceur, c’est pour ça que j’ai perdu ses constantes vitales. Les médecins envisagent des séquelles neurologiques. »
Maintenant alerte, Léa voyait que Malékith était fébrile. Elle ne tenait pas en place, ses yeux allaient et venaient entre son écran et sa chef d’équipe. Entre les doigts de sa main gauche, elle faisait tourner une cigarette rendue humide par les heures d’attente. Il fallait lui trouver quelque chose à faire.
« — Merci, Malékith. Retourne au poste de contrôle, et sors-moi un rapport détaillé de tout ce qui s’est passé pendant que je dormais. N’hésite pas à fouiller un peu partout. Dis à Cillian de faire le nécessaire pour me sortir d’ici au plus vite, et que Kyong-Hee vienne me faire son compte-rendu. Les vacances sont finies.
— Bien, chef. »
Elle rangea son ordinateur dans la sacoche de cuir qu’elle emmenait toujours avec elle et sortit. Léa la regarda partir, tant bien que mal, la vision à moitié caché par le drap. Enfin seule, si ce n’était sa douleur au ventre, et la torpeur incohérente des antidouleurs. Elle enfonça sa tête dans le polystyrène de l’oreiller et laissa ses pensées s’égarer.
Elle avait merdé. Malgré les circonstances, elle ne pouvait pas s’empêcher de le penser. Elle aurait pu faire plus : organiser des patrouilles plus régulières, contrôler systématiquement chaque navire entrant, poser des détecteurs dans toute l’île. Mais elle n’avait pas assez de monde, seulement quatre personnes. Et merde, cette mission devait être tranquille, elle n’était basée que sur une poignée de rumeurs et quelques mauvais pressentiments. Tout ça c’était la faute de Smith, qui lui avait encore refilé la moitié des informations. Qui l’avait regardé se débattre dans le noir en essayant de comprendre de quoi il était question. Tout ça c’était de sa faute. Mais voilà, un de ses hommes était dans le coma à présent, elle était clouée au fond d’un lit avec une blessure au ventre, et Léa savait que, d’une façon ou d’une autre, elle en était responsable.
Peut-être qu’elle était trop vieille. Peut-être qu’elle était dépassée par les événements. Elle n’était plus au top de sa forme désormais, son temps de réaction était plus lent et ses pensées plus embrouillées. Ça pouvait vouloir dire qu’il était temps de raccrocher. De laisser tomber cette vie à courir et à massacrer pour le compte d’anonymes, à se battre contre d’autres agents dans son genre. Elle n’était plus capable de se mettre en danger pour gagner sa vie.
La EagleEye ne permettrait pas qu’elle parte, évidemment. Mais elle était la meilleure d’entre eux. Elle saurait se cacher d’eux, comme elle se cachait des services de police européens depuis près de vingt ans. Si elle n’avait plus la motivation nécessaire pour se battre au nom des autres, elle avait toujours une furieuse envie de vivre. Mais qu’allait-elle faire d’autre ? Que pouvait faire une mercenaire qui avait passé sa vie dans l’ombre ?
Tout cela ne la menait nulle part. Et ça n’allait pas aider le pauvre Zacarias, luttant contre la mort dans la chambre d’à côté. Elle se retourna dans son lit et essaya de trouver le sommeil.

*

Le soleil disparut à l’horizon dans un éclair trouble, laissant une rémanence sur la pupille. Léa secoua la tête pour la faire disparaître. L’air était encore chaud et sec malgré l’heure tardive. Sur la terrasse panoramique, face à l’océan, les résidents de l’île profitaient de ces instants de répit, libérés des contraintes de leurs tâches et de la chaleur étouffante de l’après-midi. Certains membres des équipes du bas avaient obtenu le droit de monter, mais ils restaient entre eux, et ceux du haut les épiaient du coin de l’oeil. L’ambiance se tendait entre les populations qui peuplaient Odyssée.
Léa reposa le condensateur de son arme sur la table pour admirer la lumière qui s’éteignait. Elle était reposée, mais nerveuse aussi. Se déplacer en fauteuil roulant commençait à lui peser. Les médecins, malgré toutes leurs données, leurs capteurs et leurs protocoles, n’étaient pas certains que sa colonne vertébrale était intacte. Ils préféraient attendre une cicatrisation totale avant le moindre effort. On avait fourni à Léa un modèle très performant, elle devait bien le reconnaître. Trois roues de chaque côté, montées sur pivot pour négocier les escaliers, et un système d’absorption des chocs. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se sentir prisonnière de cet étroit cadre d’aluminium.
Des pas dans son dos, elle se retourna autant que possible pour voir la silhouette de Nyobe s’approcher d’elle. Elle avait lâché ses cheveux mouillés et portait une serviette sur les épaules, ainsi que deux gobelets dans les mains. Celui qu’elle posa devant Léa sentait l’arôme riche de l’arabica. Nyobe tira une chaise et s’installa face à la mer.
« — Noir, sans sucre, c’est bien ça ?
— Oui. Merci. » répondit Léa.
Elle burent leur café sans bruit, chacune observant l’autre du coin de l’oeil. Kyong-Hee était accoudée à la barrière au-dessus du vide, un fusil à museau court posé à portée de main. Son arme longue restait au poste de contrôle, la plupart du temps. Elle fumait une des cigarettes de Malékith en donnant l’impression de se faire chier.
« — J’aimerais vous remercier, Mademoiselle Fontaine. Vous m’avez sauvé la vie.
— Oh, pitié… »
Nyobe se tourna vers Léa, surprise.
« — Arrêtez avec ces “Mademoiselle”. Tout le monde ici est bien trop formel avec moi. Appelez-moi Léa, ça changera.
— Oui, je vois… Eh bien, Léa, merci de vous être fait tirer dessus à ma place.
— C’est mon travail. »
Léa termina son café d’une gorgée qui lui laissa le fantôme d’une brûlure sur la langue, puis posa le gobelet à l’écart. Elle prit le canon de son arme et entreprit de le démonter. Un autre inconvénient des armes à projection électromagnétique, le système de propulsion se dégradait rapidement. Et les projectiles avaient tendance à s’écailler pendant le tir.
« — Et ça vous convient ?
— Comment ça ?
— Vous faire tirer dessus pour gagner votre vie. Est-ce que cela vous convient ? »
Léa la dévisagea un instant. C’était sans doute la première fois qu’elle voyait Nyobe sourire. Ou même lui présenter autre chose qu’une franche hostilité. Elle se demanda un instant si la chercheuse ne voulait pas lui proposer du boulot.
« — Disons que c’est une des choses que je sais faire, et on me paie très bien pour le faire. Et puis, en ce qui me concerne, j’apprécie d’avoir quelqu’un au-dessus de ma tête pour me tirer d’affaire quand c’est nécessaire. J’ai déjà bossé en solo quand j’étais plus jeune, ça m’a coûté plus cher que je ne l’aurais voulu. Là, au moins, c’est facile, compréhensible, et parfois c’est même amusant.
— Amusant ?
— Oui. À deux cents kilomètres/heure sur une autoroute bondée avec trois hélicoptères aux fesses, ça l’est. Et puis, il y a l’équipe. »
Elle pointa d’un geste de la tête Kyong-Hee qui jetait le mégot de sa cigarette par-dessus la rambarde.
« — Ce sont des personnes en qui je peux avoir confiance. C’est plus que ce que beaucoup peuvent réclamer.
— Je vois… Pardonnez-moi ces questions. Je voulais simplement savoir comment on en arrivait à concevoir que massacrer des gens pour le compte d’une bande d’égoïstes cyniques pouvait être un bon plan de carrière. »
Léa ouvrit la bouche, puis la referma, comme un poisson pris hors de l’eau. L’insulte l’avait frappée comme un coup de poignard dans le point faible d’une armure, et la réalité lui parut décalée durant une seconde. Elle baissa les yeux sur son arme en se demandant si elle se sentirait plus en sécurité en l’ayant remontée. Nyobe tourna la tête vers l’horizon comme si elle n’avait fait que parler de la météo.
« — À vous de me le dire, vous bossez aussi pour eux. » lui répondit-elle finalement.
« — C’est bien tout le problème, oui. Suivez-moi. »
Elle se leva en posant à son tour son café encore à moitié plein. Léa entraîna le fauteuil jusqu’à la rambarde. En s’éloignant des lampes qui éclairaient la terrasse, elle se rendit compte à quel point il faisait sombre, désormais. Nyobe fouilla dans une poche sur son torse pour en ressortir un pétard qu’elle alluma avec un briquet en plastique bleu vif. La fumée disparut dans l’obscurité.
« — Vous vous demandiez pourquoi je faisais preuve d’hostilité envers vous. Compte tenu des circonstances, vous avez gagné le droit de savoir, je suppose. »
Elle tira encore une latte puis passa le joint à Léa. Celle-ci se dit que ce n’était sans doute pas conseillé par les médecins, surtout avec son implant. Mais elle ne l’avait pas activé depuis la fusillade. Nyobe s’accouda à la rambarde, ses yeux se perdant dans le vide.
« — Je suis née à Douala. Mes parents avaient plusieurs exploitations de café et de cacao, mais ils préféraient vivre en ville. Selon eux c’était mieux pour leur fille. Si on excepte le fait qu’ils ne voulaient pas une fille, à l’origine.
— Plutôt traditionnels, c’est ça ?
— Je suppose. Ça a empiré lorsqu’ils se sont aperçus qu’une maladie génétique m’avait rendu sourde à partir de mes six ans. Ils ont fait le nécessaire, mais quand j’ai eu quinze ans, ils ont très peu apprécié que je sois plus attirée par les filles que par les garçons.
— J’ai entendu que ce n’était pas la meilleure idée dans le coin. » lui dit prudemment Léa en lui rendant le pétard. La fumée lui montait à la tête, une vieille habitude se réveillait.
« — Nous ne sommes pas en Ouganda, mais les conditions ici ne sont pas fantastiques pour les lesbiennes. Alors après quelques thérapies évangéliques à la con et des menaces sans effet, ils m’ont envoyé loin. J’étais douée. J’ai pu décrocher une place au MIT, en science cognitive. Plus tard, je me suis orientée vers l’ingénierie cybernétique, lorsque le département a ouvert. C’est là que j’y ai conçu ceci. »
Elle tourna la tête et pointa du doigt la prothèse qui lui entourait l’oreille. De plus près, Léa pouvait apercevoir sa facture artisanale, Nyobe avait fabriqué toutes les pièces elle-même. Cela donnait à l’implant une apparence élaborée, presque gracieuse, qui s’harmonisait parfaitement avec le visage de la scientifique.
« — Ses capacités sont supérieures à celles d’une oreille humaine. Il limite la désorientation et filtre le volume sonore, comme vous avez pu le constater pendant l’attaque. J’ai développé une nouvelle norme d’interface pour les implants cybernétiques. C’est pour ça que vos patrons m’ont engagée, d’ailleurs votre amie Kyong-Hee en porte les fruits. Mais à l’origine, j’avais prévu de rentrer chez moi et d’utiliser mes capacités pour développer mon pays. »
Le THC ralentissait l’élocution de Nyobe, en même temps qu’elle se remémorait une époque lointaine de sa vie. Elle secoua la tête et retira la serviette trempée qu’elle portait sur les épaules pour la jeter sur une chaise au loin, et attacha ses cheveux avant de reprendre.
« — J’ai beaucoup appris à Cambridge, mais j’ai aussi vu la différence entre la vie que j’y menais, et celle que j’avais ici. Voyez-vous, dans les grandes lignes c’est pareil. Les médias passent d’un sujet à l’autre chaque jour, pour donner l’impression d’un monde plongé dans le chaos. Il y a des gens riches et d’autres pauvres. La plupart ne sait pas ce que peut vivre son voisin. Dans l’ensemble, ce sont des existences assez insignifiante. »
Léa fit pivoter son fauteuil pour regarder Nyobe. La fumée lui montait à la tête, rendant l’histoire plus difficile à suivre. Un peu plus loin, une bande de blouses blanches s’était réunie pour un cours à la sauvage. L’un d’eux projetait des illustrations au mur avec un projecteur de la taille d’une boîte d’allumettes.
« — La différence se situe dans les moyens. Par exemple, j’ai fini par me demander comment vous aviez pu développer les centrales à fission nucléaire alors qu’une bonne partie des réserves mondiales d’uranium se trouvaient en Afrique. J’ai cherché à déterminer ce qui avait donné à la civilisation occidentale un avantage économique tel qu’elle avait pu étendre son influence sur toute la planète. J’en suis parvenue à la conclusion que vos ancêtres ont exploité les miens pendant cinq siècles, au minimum. »
Nyobe prit le pétard des doigts de Léa, là où il s’était éteint, et le ralluma, lui laissant le temps de digérer l’information.
« — Je n’ai rien contre vous, pas personnellement. La question, c’est ce que vous représentez. Vous êtes française, n’est-ce pas ? Votre pays a d’abord enlevé nos hommes, nos femmes et nos enfants. Puis, lorsque nous nous sommes décidé à prendre les choses en main, vous avez massacré tout ceux qui voulaient changer les choses. Vous nous avez laissés avec des dirigeants corrompus pour faire votre sale boulot et profiter de nos richesses, les mains propres. Et maintenant, vous revoilà, armés pour la guerre, plantant votre utopie sur nos côtes comme un cancer. Attirés par les odeurs d’un taux d’imposition faible et d’élites complaisantes. »
Elle pointa du doigt l’horizon, en direction du continent. Sa voix chargeait tout le mépris qu’elle avait pour les pratiques des dirigeants d’Odyssée.
« — Là-bas, il y a des centaines de millions de personnes qui sont exploitées chaque jour pour que votre société et vos valeurs puissent se répandre. Pour que vous puissiez mener votre petite vie paisible. Et pour que cette île puisse fonctionner. Alors selon vous, Mademoiselle Léa Fontaine, ai-je des raisons d’être méfiante ?
— Ce ne sont ni ma société, ni mes valeurs. Je n’ai rien à voir avec tout ça.
— Est-ce que ça vous aiderait à dormir, de penser ça ? »
Elle lui tendit la dernière latte en la regardant droit dans les yeux, sans plus aucune hostilité, seulement une solide résolution. Puis elle se détourna et commença à marcher vers les portes.
« — Nyobe. » l’interrompit Léa.
« — Oui ?
— Pourquoi participer à tout ça, si vous y êtes opposée ? Qu’est-ce qui vous a empêchée d’utiliser vos inventions pour enrichir votre pays ? »
Nyobe se retourna avec un grand sourire. Dans le contre-jour, ses dents brillaient nettement. Léa sentit à cet instant, sous l’effet du THC et de leur discussion, qu’elle n’avait probablement jamais vu une personne aussi belle. Si assurée de la justesse de ses idées.
« — Mais c’est exactement ce que je fais. Odyssée n’est qu’un début, j’ai bien l’intention de tirer parti de votre avidité, le plus possible. Je ne peux pas désassembler toute seule les mécanismes de domination, mais je peux les subvertir. Même si pour ça je dois compter sur l’argent douteux de la EagleEye.
— D’accord. Merci.
— Pour quoi ? Pour vous avoir insultée ?
— Pour m’avoir expliqué. »
Nyobe hocha la tête. Puis elle fouilla encore dans sa poche et d’un geste vif, elle lança un petit paquet en plastique sur les genoux prisonniers de Léa. Il était rempli d’une herbe verte à l’odeur forte.
« — Vous méritiez de savoir. Bonne nuit, Léa. »
Quelques heures plus tard, Léa était encore sur la terrasse, fumant d’une main, remontant son arme de l’autre, les jambes parcourues de fourmillements d’inactivité. Les paroles de Nyobe défilaient en rafales dans sa tête. Elle avait senti dans les paroles de la chercheuse une conviction forte et inaltérable, le genre qu’elle aurait pu partager; quelques décennies auparavant. À l’époque où elle était encore révoltée par le monde dans lequel elle vivait, quand vivre valait mieux que survivre. Elle se demanda si elle devait prévenir ses supérieurs, si Smith devait être mis au courant. Mais il devait déjà tout savoir. Cet homme savait toujours tout. Et puis Léa n’était plus très certaine de qui méritait sa loyauté, à présent.
Une chose était clair, en tout cas : elle avait à présent plus d’une bonne raison pour trouver qui avait essayé de s’en prendre à Diana Fary Nyobe.

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